1 00:00:05,140 --> 00:00:06,140 Bonjour à tous. 2 00:00:06,200 --> 00:00:07,400 Nous sommes ensemble aujourd’hui 3 00:00:07,460 --> 00:00:10,060 pour aborder le dernier Chapitre de ma Première Partie 4 00:00:10,120 --> 00:00:12,800 consacrée aux principes directeurs de la procédure pénale. 5 00:00:13,240 --> 00:00:16,900 Ce Chapitre porte sur les règles de preuve. 6 00:00:33,420 --> 00:00:36,777 Je commencerai par introduire le propos 7 00:00:36,844 --> 00:00:41,420 en rappelant une citation de Faustin Hélie que j’avais déjà évoqué. 8 00:00:43,850 --> 00:00:46,520 La situation est la suivante : "la preuve, selon lui, 9 00:00:46,580 --> 00:00:50,280 est tout moyen juridique d’acquérir la certitude d’un fait 10 00:00:50,360 --> 00:00:51,520 ou d’une proposition". 11 00:00:52,310 --> 00:00:56,080 Le procès n’est ni plus, ni moins, qu’un problème de preuve. 12 00:00:57,020 --> 00:00:59,770 On sait qu’en droit français, c’est au ministère public, 13 00:00:59,820 --> 00:01:02,540 au procureur de la République, d’apporter la preuve de ce qu’il avance, 14 00:01:02,720 --> 00:01:04,100 l’autorité de poursuite. 15 00:01:04,220 --> 00:01:07,920 Cela étant précisé, le système français est un peu plus complexe que cela 16 00:01:08,180 --> 00:01:12,640 dans la mesure où il comprend, en plus de la phase policière, 17 00:01:12,700 --> 00:01:16,600 en plus de la phase d’enquête de police judiciaire, une phase d’instruction 18 00:01:16,800 --> 00:01:20,840 au cours de laquelle c’est cette fois-ci un juge du siège, un juge d’instruction 19 00:01:21,080 --> 00:01:25,320 qui rassemble les éléments de preuve à charge et à décharge 20 00:01:25,360 --> 00:01:28,580 en vue d’une manifestation absolue de la vérité. 21 00:01:30,440 --> 00:01:33,880 Le premier constat que l’on doit adresser au titre de cette introduction 22 00:01:33,940 --> 00:01:37,040 est celui d’un faible arsenal législatif. 23 00:01:37,400 --> 00:01:39,580 Si vous allez lire l’article préliminaire, 24 00:01:39,640 --> 00:01:43,040 que vous avez déjà lu, j’en suis certaine, du Code de procédure pénale, 25 00:01:43,360 --> 00:01:47,280 vous constaterez que le texte n’énonce aucun principe fondamental, 26 00:01:47,540 --> 00:01:49,800 hormis celui de la présomption d’innocence. 27 00:01:50,760 --> 00:01:53,560 Finalement, les seules dispositions de nature à dégager 28 00:01:53,600 --> 00:01:56,000 une véritable théorie générale des droits de la preuve 29 00:01:56,620 --> 00:02:01,160 figurent aux articles 427 et suivants du Code de procédure pénale, 30 00:02:01,420 --> 00:02:03,240 placés sous un paragraphe intitulé 31 00:02:03,300 --> 00:02:05,780 De l’administration la preuve en matière correctionnelle. 32 00:02:07,400 --> 00:02:08,120 Par ailleurs, 33 00:02:08,680 --> 00:02:11,280 on peut évoquer l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme 34 00:02:11,340 --> 00:02:14,800 qui pose, là encore, le principe de la présomption d’innocence. 35 00:02:15,380 --> 00:02:18,800 Cela étant, les textes de valeur constitutionnelle 36 00:02:18,980 --> 00:02:22,460 ne contiennent aucune disposition relative au droit de la preuve. 37 00:02:23,320 --> 00:02:26,300 Quant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme 38 00:02:26,360 --> 00:02:27,740 et des libertés fondamentales, 39 00:02:27,800 --> 00:02:32,000 quand également au Pacte de New York relatif aux droits civils et politiques, 40 00:02:32,520 --> 00:02:35,340 là encore, l’arsenal se révèle assez faible 41 00:02:35,600 --> 00:02:40,640 puisque ni l’article 6 de la première convention ni l’article 14 du pacte 42 00:02:41,400 --> 00:02:43,960 ne consacrent véritablement de dispositions, 43 00:02:44,240 --> 00:02:48,560 hormis toujours la référence au principe de présomption d’innocence. 44 00:02:49,320 --> 00:02:51,280 Quoi qu’il en soit, la procédure pénale, 45 00:02:51,320 --> 00:02:52,960 telle que nous la connaissons aujourd’hui, 46 00:02:53,000 --> 00:02:58,320 entend faire œuvre de conciliation entre le principe de liberté des preuves 47 00:02:58,700 --> 00:03:04,060 et ceux de la présomption d’innocence, de la légalité, de l’équité du procès 48 00:03:04,100 --> 00:03:08,360 et plus largement, l’ensemble des droits et libertés fondamentaux dont l’objet 49 00:03:08,420 --> 00:03:12,780 est de lutter contre l’intrusion et l’abus des agents de l’Autorité. 50 00:03:16,070 --> 00:03:18,980 Une procédure effectivement de conciliation, 51 00:03:19,020 --> 00:03:20,480 c’est de toute façon, je l’avais dit, 52 00:03:21,740 --> 00:03:24,340 la difficulté, le paradoxe même de cette discipline 53 00:03:24,400 --> 00:03:29,220 qui consiste à vouloir concilier parfois l’inconciliable. 54 00:03:29,280 --> 00:03:33,880 Nous verrons que ce constat se vérifie particulièrement en matière probatoire. 55 00:03:35,060 --> 00:03:39,860 Deux temps dans ce chapitre présent, la première section d’abord 56 00:03:39,900 --> 00:03:44,330 qui sera consacrée aux principes directeurs relatifs à la preuve pénale. 57 00:03:44,630 --> 00:03:48,680 Section première : les principes directeurs relatifs à la preuve pénale. 58 00:03:48,880 --> 00:03:51,180 Le premier principe sur lequel je voudrais revenir 59 00:03:51,220 --> 00:03:53,880 et celui, déjà mentionné, de la présomption d’innocence, 60 00:03:54,300 --> 00:03:56,400 qui permet de déterminer 61 00:03:57,240 --> 00:04:00,160 l’autorité sur laquelle doit peser la charge de la preuve, 62 00:04:00,220 --> 00:04:01,910 ce que nous verrons dans un paragraphe premier. 63 00:04:02,660 --> 00:04:04,000 Le second principe tient 64 00:04:04,040 --> 00:04:07,700 à la liberté dans la recherche et dans la production des preuves, 65 00:04:07,760 --> 00:04:09,580 ce qui fera l’objet d’un paragraphe second. 66 00:04:10,780 --> 00:04:14,090 Premier paragraphe : la présomption d’innocence.  67 00:04:15,470 --> 00:04:19,580 Il faut dire un mot d’abord sur le principe, puis sur les exceptions. 68 00:04:19,640 --> 00:04:24,500 Quant aux principes, lorsque l’on vise la charge de la preuve, 69 00:04:25,100 --> 00:04:27,740 on vise avant tout la réunion des éléments de preuve. 70 00:04:28,760 --> 00:04:32,810 Sur ce point, force est de constater que le procureur de la République 71 00:04:33,230 --> 00:04:36,860 et la personne poursuivie ne sont pas placés sur un même pied d’égalité. 72 00:04:37,580 --> 00:04:40,760 Le ministère public dirige, en effet, la police judiciaire 73 00:04:40,820 --> 00:04:42,060 pendant la phase d’enquête, 74 00:04:42,420 --> 00:04:45,540 exerce l’action publique au nom des intérêts de la société 75 00:04:45,600 --> 00:04:46,680 et dispose, à cette fin ; 76 00:04:46,740 --> 00:04:50,180 d’un certain nombre de pouvoirs et de moyens d’investigation 77 00:04:50,540 --> 00:04:52,220 qui sont plus grands, 78 00:04:52,440 --> 00:04:56,300 plus importants que ceux dont bénéficie la personne poursuivie. 79 00:04:56,360 --> 00:04:58,120 Donc un déséquilibre de ce point de vue, 80 00:04:58,440 --> 00:05:02,180 et ce n’est finalement que si une instruction s’ouvre, 81 00:05:02,500 --> 00:05:07,100 qu’alors l’équilibre s’établit grâce à l’intervention d’un juge indépendant, 82 00:05:07,140 --> 00:05:09,160 le juge d’instruction, 83 00:05:09,400 --> 00:05:13,560 qui sera chargé de réunir les éléments de preuves à charge et à décharge. 84 00:05:14,190 --> 00:05:17,140 La personne poursuivie aura la possibilité de demander au juge, 85 00:05:17,220 --> 00:05:19,860 y compris d’instruction, de procéder ou de faire procéder 86 00:05:20,220 --> 00:05:23,000 à telle ou telle mesure qu’elle estime nécessaire. 87 00:05:24,420 --> 00:05:27,150 La charge de la preuve vise avant tout la réunion des éléments de preuve, 88 00:05:27,200 --> 00:05:28,520 mais la charge de la preuve vise également 89 00:05:28,560 --> 00:05:32,170 la démonstration de la culpabilité ou de l’innocence de l’individu. 90 00:05:33,090 --> 00:05:34,980 Le parquet, le cas échéant, 91 00:05:35,044 --> 00:05:37,260 le juge d’instruction, si une instruction a été ouverte, 92 00:05:37,540 --> 00:05:40,830 et la juridiction de jugement ont réuni les éléments de preuve nécessaires. 93 00:05:41,360 --> 00:05:45,380 C’est ensuite au ministère public qu’il revient de démontrer 94 00:05:45,780 --> 00:05:49,660 la constitution de l’infraction dans ses éléments matériels et intellectuels, 95 00:05:49,720 --> 00:05:54,720 ce que vous étudierez plus tard dans le cadre du cours de droit pénal spécial. 96 00:05:56,140 --> 00:06:00,780 Cette règle est la conséquence indirecte du principe de la présomption d’innocence 97 00:06:01,140 --> 00:06:03,200 et le Conseil constitutionnel le dit lui-même : 98 00:06:03,420 --> 00:06:06,240 "la personne poursuivie n’a pas à prouver qu’elle est innocente. 99 00:06:06,510 --> 00:06:09,660 Elle est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit déclarée coupable". 100 00:06:10,440 --> 00:06:13,500 À cela s’opposent toutefois quelques exceptions. 101 00:06:14,140 --> 00:06:17,040 Parfois, en effet, la charge de la preuve se trouve inversée 102 00:06:17,100 --> 00:06:20,540 pour laisser place à des présomptions de faute ou de responsabilité. 103 00:06:21,090 --> 00:06:23,900 On peut ici évoquer en quelques-unes brièvement, 104 00:06:23,960 --> 00:06:26,920 notamment je songe aux présomptions de responsabilité 105 00:06:26,960 --> 00:06:31,180 énoncées par le Code de la route, article L121-2 notamment, 106 00:06:31,240 --> 00:06:35,300 qui prévoit que le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule 107 00:06:35,340 --> 00:06:36,780 est tenu pour responsable 108 00:06:36,920 --> 00:06:39,560 des infractions à la réglementation en matière de stationnement, 109 00:06:39,800 --> 00:06:43,260 à moins "qu’il n’établisse - je cite - un événement de force majeure 110 00:06:43,320 --> 00:06:46,360 ou qu’il ne fournisse des renseignements permettant d’identifier 111 00:06:46,420 --> 00:06:49,020 l’auteur véritable de l’infraction". 112 00:06:50,340 --> 00:06:55,320 On peut citer également l’article L121-3 du même Code qui rend ce titulaire, 113 00:06:55,520 --> 00:06:58,180 je cite : "Redevable pécuniairement 114 00:06:59,140 --> 00:07:02,380 de l’amende encourue pour des contraventions à la réglementation 115 00:07:02,520 --> 00:07:04,400 sur les vitesses maximales autorisées, 116 00:07:04,840 --> 00:07:07,660 sur le respect des distances de sécurité entre les véhicules, 117 00:07:08,000 --> 00:07:09,560 sur l’usage des voies et chaussées 118 00:07:09,620 --> 00:07:12,200 réservées à certaines catégories de véhicules, 119 00:07:12,700 --> 00:07:15,400 à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol 120 00:07:15,460 --> 00:07:17,760 ou de tout autre événement de force majeure 121 00:07:18,180 --> 00:07:21,520 ou qu’il n’apporte tout élément permettant d’établir 122 00:07:21,860 --> 00:07:24,940 qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction". 123 00:07:25,140 --> 00:07:27,480 Vous voyez ici, des présomptions qui sont ainsi posées. 124 00:07:28,380 --> 00:07:34,020 On peut en évoquer d’autres, notamment prévues par le Code pénal cette fois, 125 00:07:34,080 --> 00:07:36,380 je songe au proxénétisme. 126 00:07:36,440 --> 00:07:39,840 Selon l’article 225-6 du Code pénal, 127 00:07:39,880 --> 00:07:42,720 l’infraction sera présumée commise par la personne qui ne peut, 128 00:07:42,780 --> 00:07:46,200 je cite : "justifier de ressources correspondant à son train de vie 129 00:07:46,460 --> 00:07:50,060 tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution 130 00:07:50,300 --> 00:07:52,480 ou tout en étant en relation habituelle 131 00:07:52,540 --> 00:07:56,700 avec une ou plusieurs personnes livrées à la prostitution". 132 00:07:58,300 --> 00:08:01,880 Ces présomptions peuvent être également d’origine jurisprudentielle, 133 00:08:01,920 --> 00:08:03,600 non plus légale, mais jurisprudentielle. 134 00:08:04,240 --> 00:08:04,980 Par exemple, 135 00:08:06,040 --> 00:08:09,980 vous l’avez peut-être vu dans le cadre de votre cour de droit pénal général, 136 00:08:10,040 --> 00:08:11,920 on le retravaille ensuite en droit pénal spécial, 137 00:08:12,200 --> 00:08:15,140 le chef d’entreprise est tenu pour responsable des infractions 138 00:08:15,200 --> 00:08:18,660 à la sécurité des travailleurs commises au sein de son entreprise, 139 00:08:18,940 --> 00:08:22,260 à moins qu’il ne prouve une délégation de pouvoirs. 140 00:08:24,040 --> 00:08:27,560 La question qui se pose nécessairement est celle de la compatibilité 141 00:08:27,880 --> 00:08:31,280 de ces présomptions avec le principe de présomption d’innocence. 142 00:08:31,890 --> 00:08:34,590 En réalité, la Cour européenne n’y voit guère d’obstacle, 143 00:08:35,070 --> 00:08:41,280 à condition que chaque présomption soit enserrée dans des limites raisonnables, 144 00:08:41,860 --> 00:08:46,020 qu’elle ne porte pas atteinte de manière excessive à la présomption d’innocence 145 00:08:46,140 --> 00:08:48,870 et aux droits de la défense. 146 00:08:49,830 --> 00:08:51,880 La Chambre criminelle rejoint cette position, 147 00:08:51,940 --> 00:08:53,760 le Conseil constitutionnel également, 148 00:08:53,820 --> 00:08:58,780 par exemple dans une Décision du 19 juin 1999. 149 00:08:59,380 --> 00:09:00,880 Ce qu’il faut retenir, en définitive, 150 00:09:00,940 --> 00:09:05,960 est que la présomption doit apparaître nécessaire, exceptionnelle, 151 00:09:06,200 --> 00:09:10,200 ne doit pas être irréfragable et doit préserver les droits de la défense. 152 00:09:12,690 --> 00:09:16,380 Principe de présomption d’innocence posé par l’article préliminaire 153 00:09:16,440 --> 00:09:17,670 du Code de procédure pénale. 154 00:09:18,440 --> 00:09:21,980 Paragraphe second : le principe de liberté de la preuve. 155 00:09:22,980 --> 00:09:24,390 Le principe de liberté de la preuve. 156 00:09:24,990 --> 00:09:28,430 Le principe est posé à l’article 427 du Code de procédure pénale, 157 00:09:28,480 --> 00:09:31,500 un seul texte véritablement de référence en la matière, 158 00:09:31,940 --> 00:09:35,370 je vous le cite : "Hors le cas où la loi en dispose autrement, 159 00:09:35,640 --> 00:09:38,550 les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve". 160 00:09:39,420 --> 00:09:45,280 Ce principe se situe dans le prolongement des articles 41, 81 161 00:09:45,340 --> 00:09:50,580 et 151 du Code de procédure pénale qui confère, au procureur de la République, 162 00:09:50,940 --> 00:09:54,870 au juge d’instruction et aux membres de la police judiciaire, 163 00:09:54,920 --> 00:09:58,930 le pouvoir de procéder ou de faire procéder à tous les actes nécessaires, 164 00:09:59,360 --> 00:10:01,340 à la rechercher et à la poursuite des infractions 165 00:10:01,400 --> 00:10:03,480 ou encore à tous les actes, nous dit le Code, 166 00:10:03,860 --> 00:10:07,140 utiles à la manifestation de la vérité. 167 00:10:08,130 --> 00:10:12,090 Le principe énoncé à l’article 427 vaut pour le jugement des délits, 168 00:10:12,810 --> 00:10:15,580 mais s’applique également en matière contraventionnelle 169 00:10:15,640 --> 00:10:18,600 en vertu de l’article 536 qui fait référence. 170 00:10:19,560 --> 00:10:24,810 En matière criminelle, le texte ne consacre pas ce principe, 171 00:10:24,860 --> 00:10:27,530 mais il va de soi qu’il trouve a fortiori à s’appliquer. 172 00:10:28,440 --> 00:10:30,540 Alors, que signifie ce principe de liberté des preuves ? 173 00:10:30,600 --> 00:10:33,560 Cela signifie que, sauf disposition légale contraire, 174 00:10:33,880 --> 00:10:35,500 tous les moyens du droit commun, 175 00:10:35,960 --> 00:10:38,340 qui est une expression employée par la Cour de cassation elle-même, 176 00:10:38,740 --> 00:10:41,380 peuvent être employés afin d’établir l’existence d’une infraction. 177 00:10:42,900 --> 00:10:44,320 Cela étant, je l’ai dit en introduction, 178 00:10:44,360 --> 00:10:48,680 la procédure pénale étant une procédure de compromis, 179 00:10:49,020 --> 00:10:55,140 le principe de liberté des preuves doit composer avec les exigences de légalité, 180 00:10:55,560 --> 00:10:59,610 de loyauté, de proportionnalité et de dignité. 181 00:11:01,530 --> 00:11:05,000 La singularité de la matière pénale, de la procédure pénale 182 00:11:05,280 --> 00:11:09,780 tient à une distinction opérée selon que la preuve doit être apportée 183 00:11:09,800 --> 00:11:13,320 par un agent de l’autorité publique ou par un particulier. 184 00:11:14,460 --> 00:11:18,560 La distinction, naguère nettement affirmée, tend à s’estomper. 185 00:11:18,900 --> 00:11:21,200 Ce qu’il faut retenir, c’est très, très important, 186 00:11:21,240 --> 00:11:23,300 c’est une singularité de la matière pénale, 187 00:11:23,340 --> 00:11:25,360 notamment par rapport à la matière civile. 188 00:11:25,760 --> 00:11:27,860 Ici, en effet, l’on distingue, 189 00:11:27,920 --> 00:11:30,520 selon que la preuve est administrée par un agent d’autorité publique, 190 00:11:30,560 --> 00:11:32,540 ce qui sera l’objet d’une subdivision ici, 191 00:11:32,740 --> 00:11:35,180 ou selon qu’elle est administrée par un particulier. 192 00:11:36,120 --> 00:11:37,440 Régime donc différent. 193 00:11:37,500 --> 00:11:40,160 Nous allons envisager, dans un premier temps, dans un A, 194 00:11:40,460 --> 00:11:46,170 la preuve bien administrée par des agents de l’autorité publique. 195 00:11:48,700 --> 00:11:49,890 Quelle est la règle ici ? 196 00:11:50,850 --> 00:11:53,790 Le dispositif s’avère plus restrictif en la matière. 197 00:11:54,150 --> 00:11:57,000 Les agents de l’autorité publique se doivent, en effet, de respecter 198 00:11:57,040 --> 00:12:01,240 les principes de légalité et de loyauté dans la constitution des preuves. 199 00:12:01,520 --> 00:12:05,280 Sans plus de suspense ici, vous comprenez, a contrario, 200 00:12:05,640 --> 00:12:09,620 que s’agissant de la preuve administrée par le particulier, 201 00:12:09,820 --> 00:12:12,280 le principe de loyauté, pour le coup, n’est pas applicable, 202 00:12:12,360 --> 00:12:14,280 ce qui est une singularité majeure. 203 00:12:14,980 --> 00:12:16,080 J’y reviendrai plus tard. 204 00:12:17,310 --> 00:12:19,380 Les agents de l’autorité publique doivent composer 205 00:12:19,420 --> 00:12:23,040 avec le principe de légalité et de loyauté des preuves. 206 00:12:24,510 --> 00:12:27,480 Lorsque l’on évoque le principe de légalité, tout d’abord, 207 00:12:27,540 --> 00:12:33,810 qui exige l’existence d’une loi préalable en matière de preuve, 208 00:12:34,590 --> 00:12:38,280 cela signifie que les enquêteurs ne peuvent pas accomplir 209 00:12:38,320 --> 00:12:41,140 un acte d’investigation attentatoire aux libertés 210 00:12:41,480 --> 00:12:43,220 qui ne serait pas prévu par la loi. 211 00:12:44,100 --> 00:12:45,600 Doivent donc être écartées les preuves 212 00:12:45,640 --> 00:12:48,960 que les agents se seraient procurées en commettant une infraction. 213 00:12:49,590 --> 00:12:53,070 Par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté 214 00:12:53,400 --> 00:12:55,900 des éléments produits par les agents des douanes 215 00:12:55,960 --> 00:12:58,900 provenant d’un vol commis à leur instigation. 216 00:12:59,370 --> 00:13:00,560 Et plus largement, bien sûr, 217 00:13:00,620 --> 00:13:05,860 la preuve ne saurait résulter de l’utilisation d’un moyen illégal, 218 00:13:05,940 --> 00:13:09,840 comme l’usage de la force publique ou encore les mauvais traitements. 219 00:13:11,790 --> 00:13:13,980 Les agents de l’autorité publique sont également 220 00:13:14,440 --> 00:13:16,540 soumis au principe de loyauté des preuves. 221 00:13:17,300 --> 00:13:19,140 Comment définir ce principe ? 222 00:13:19,240 --> 00:13:23,430 La difficulté est que ce principe n’est pas visé, n’est pas mentionné, 223 00:13:23,670 --> 00:13:26,310 et encore moins défini par le Code de procédure pénale. 224 00:13:27,000 --> 00:13:31,390 On peut faire référence ici à la célèbre définition de Pierre Bouzat 225 00:13:32,700 --> 00:13:35,860 qui définit la loyauté comme "une manière d’être - je cite - 226 00:13:36,200 --> 00:13:41,300 dans la recherche des preuves conformes au respect des droits de l’individu 227 00:13:41,400 --> 00:13:43,470 et à la dignité de la justice". 228 00:13:43,620 --> 00:13:45,460 "Une manière d’être dans la recherche des preuves 229 00:13:45,860 --> 00:13:47,640 conforme au respect des droits de l’individu 230 00:13:47,880 --> 00:13:51,420 et à la dignité de la justice", 231 00:13:51,900 --> 00:13:58,020 définition doctrinale, faute de définition par le Code de procédure, 232 00:13:58,060 --> 00:14:01,640 par l’article préliminaire du Code notamment. 233 00:14:02,610 --> 00:14:04,980 En réalité, la question s’est déjà posée à maintes reprises, 234 00:14:05,060 --> 00:14:07,200 de l’introduction, dans notre Code, de ce principe. 235 00:14:07,470 --> 00:14:08,880 Si les parlementaires l’écartent, 236 00:14:09,000 --> 00:14:14,000 cela tient notamment au caractère flou de cette notion 237 00:14:14,700 --> 00:14:19,840 à mi-chemin finalement entre légalité et morale, voire déontologie. 238 00:14:21,030 --> 00:14:23,300 La notion est d’autant plus floue 239 00:14:23,340 --> 00:14:26,070 que les déclarations internationales n’y font pas référence. 240 00:14:26,670 --> 00:14:28,560 Malgré tout, c’est là, le paradoxe, 241 00:14:28,620 --> 00:14:30,460 la chambre criminelle de la Cour de cassation 242 00:14:30,520 --> 00:14:33,820 emploie elle-même expressément la notion. 243 00:14:34,590 --> 00:14:36,600 Il est vrai que la notion, de prime abord, 244 00:14:37,600 --> 00:14:40,280 semble se confondre avec celle de déontologie. 245 00:14:40,340 --> 00:14:44,250 La Cour de cassation entretient elle-même la confusion. 246 00:14:44,880 --> 00:14:48,860 Dans une célèbre affaire Wilson, qui a donné lieu à un arrêt de 1881, 247 00:14:49,740 --> 00:14:52,960 un juge d’instruction s’était fait passer pour l’inculpé. 248 00:14:53,040 --> 00:14:54,330 On parlait d’inculpé à l’époque. 249 00:14:54,380 --> 00:14:57,200 Attention, le terme n’est plus du tout, du tout employé aujourd’hui. 250 00:14:59,280 --> 00:15:01,540 Le juge d’instruction s’était fait passer pour l’inculpé 251 00:15:01,580 --> 00:15:04,740 dans une conversation téléphonique avec le complice de celui-ci 252 00:15:05,100 --> 00:15:09,700 et la haute juridiction avait sanctionné le dispositif en relevant l’emploi, 253 00:15:09,760 --> 00:15:14,620 je cite : "d’un procédé s’écartant des règles de loyauté 254 00:15:14,680 --> 00:15:17,380 que doit observer toute information judiciaire 255 00:15:18,240 --> 00:15:19,760 et constituant, par cela même, 256 00:15:19,880 --> 00:15:22,780 un acte contraire au devoir et à la dignité du magistrat". 257 00:15:22,950 --> 00:15:23,860 On voit effectivement 258 00:15:24,420 --> 00:15:30,320 cette empreinte déontologique qui correspond à cette application, 259 00:15:30,360 --> 00:15:32,900 manifestation du principe de loyauté. 260 00:15:33,800 --> 00:15:36,120 Alors, développons bien sûr le propos. 261 00:15:36,420 --> 00:15:38,680 Il faut revenir, dans un premier point, 1, 262 00:15:38,740 --> 00:15:40,660 sur la prohibition même des procédés déloyaux. 263 00:15:40,720 --> 00:15:46,180 Et puis, nous verrons néanmoins qu’il existe un certain nombre de tempéraments. 264 00:15:47,920 --> 00:15:51,980 Quant à la prohibition de procédés déloyaux, tout d’abord, 1.  265 00:15:53,120 --> 00:15:56,610 Il faut bien comprendre que, malgré l’absence de définition, 266 00:15:57,120 --> 00:16:00,640 il est possible d’établir, au fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, 267 00:16:00,680 --> 00:16:06,420 une forme de doctrine d’unification et de définition de la loyauté 268 00:16:07,200 --> 00:16:12,120 qui permet de savoir à quoi correspond un comportement déloyal. 269 00:16:12,180 --> 00:16:16,860 Au demeurant, on parvient aujourd’hui à distinguer trois types d’attitudes 270 00:16:16,920 --> 00:16:20,130 qui doivent être sanctionnées au nom de ce principe de loyauté. 271 00:16:20,820 --> 00:16:25,040 En premier lieu, doit être prohibée la provocation à commettre une infraction 272 00:16:25,840 --> 00:16:29,820 qui consiste, pour un membre de la police judiciaire ou pour un magistrat, 273 00:16:30,020 --> 00:16:32,820 à inciter à commettre une infraction 274 00:16:33,320 --> 00:16:36,480 pour ensuite la reprocher à celui qui l’a commise. 275 00:16:37,170 --> 00:16:39,140 La loi précise ainsi que pour être licite, 276 00:16:39,680 --> 00:16:45,500 l’intervention de la police judiciaire ne peut, à peine de nullité, 277 00:16:45,560 --> 00:16:48,990 constituer une incitation à commettre des infractions. 278 00:16:49,590 --> 00:16:56,977 Vous pouvez aller voir notamment l’article 706-81, l’article 706-35-1. 279 00:16:58,110 --> 00:16:59,160 Il y en a d’autres encore. 280 00:16:59,360 --> 00:17:04,040 Finalement, c’est une mention ici ajoutée par le code in fine, 281 00:17:04,400 --> 00:17:06,260 qui s’accole à un dispositif ainsi décrit 282 00:17:06,640 --> 00:17:13,080 et qui permet de souligner la frontière à ne pas dépasser. 283 00:17:13,160 --> 00:17:17,080 Au demeurant, la frontière est dépassée et on verserait dans la déloyauté 284 00:17:17,420 --> 00:17:19,360 lorsque le procédé aurait pour but 285 00:17:19,920 --> 00:17:23,440 de provoquer la personne à commettre une infraction. 286 00:17:23,580 --> 00:17:27,510 On vise toute action, toute intervention sans laquelle, 287 00:17:27,710 --> 00:17:31,110 toute intervention de l’agent sans laquelle la commission de l’infraction 288 00:17:31,560 --> 00:17:34,140 ne se serait jamais produite. 289 00:17:35,000 --> 00:17:37,560 Il faut vraiment vous poser la question ici, concrètement, 290 00:17:37,920 --> 00:17:43,680 de savoir quelle était l’influence de l’action des agents d’autorité publique 291 00:17:43,760 --> 00:17:44,920 sur le comportement de l’individu. 292 00:17:45,660 --> 00:17:48,100 Sans cette intervention, 293 00:17:49,800 --> 00:17:53,340 est-ce que l’individu aurait commis malgré tout l’infraction ? 294 00:17:54,480 --> 00:17:57,580 C’est très important et ça vous suivra vraiment tout au long de vos études, 295 00:17:57,620 --> 00:18:00,450 notamment si vous passez des examens et concours. 296 00:18:01,980 --> 00:18:03,580 En procédure pénale, 297 00:18:03,800 --> 00:18:07,440 il faut bien avoir à l’esprit quand vous visez le principe de loyauté, 298 00:18:07,760 --> 00:18:11,600 la nécessité de rappeler l’absence de consécration et définition de la notion, 299 00:18:12,400 --> 00:18:14,860 de bien distinguer selon l’espèce qui vous est soumise, 300 00:18:15,120 --> 00:18:18,720 selon que vous avez affaire à une preuve administrée 301 00:18:20,100 --> 00:18:23,700 par un agent d’autorité publique ou par un particulier, 302 00:18:23,900 --> 00:18:27,380 et lorsque vous parvenez à décrire à ce moment-là, 303 00:18:27,840 --> 00:18:31,910 lorsque vous êtes amené à vous orienter vers la preuve administrée 304 00:18:32,380 --> 00:18:33,840 par un agent de l’autorité publique, 305 00:18:34,080 --> 00:18:37,780 il va falloir vous interroger sur la forme de la déloyauté. 306 00:18:37,840 --> 00:18:41,000 Est-ce qu’il s’agit donc d’une provocation à commettre une infraction, 307 00:18:41,100 --> 00:18:41,990 première attitude ?. 308 00:18:42,320 --> 00:18:44,800 Est-ce qu’il s’agit de la deuxième attitude que l’on verra plus tard, 309 00:18:44,860 --> 00:18:48,020 à savoir le contournement ou encore le détournement, 310 00:18:48,080 --> 00:18:50,360 ce que l’on verra plus tard. 311 00:18:51,720 --> 00:18:55,820 Précisément, pour la première attitude, la provocation, 312 00:18:55,860 --> 00:18:57,820 je vous donne quelques exemples. 313 00:18:59,160 --> 00:19:02,440 Une illustration intéressante a été donnée par la Cour de cassation 314 00:19:02,880 --> 00:19:07,080 dans un arrêt du 7 février 2007 à propos d’une affaire 315 00:19:07,120 --> 00:19:09,680 dans laquelle un service de police américain avait créé, 316 00:19:09,800 --> 00:19:12,500 dans le cadre de la lutte contre la pédophilie sur Internet, 317 00:19:12,880 --> 00:19:16,140 un vrai faux site Internet pour pédophiles 318 00:19:16,360 --> 00:19:19,420 sur lequel étaient proposées un grand nombre d’images d’enfants. 319 00:19:20,140 --> 00:19:22,860 Un individu les avait consultées, les avait téléchargées 320 00:19:22,920 --> 00:19:25,400 et la police américaine en avait référé 321 00:19:25,760 --> 00:19:28,280 à la direction centrale de la police judiciaire. 322 00:19:29,150 --> 00:19:32,150 Une information, c’est-à-dire une instruction, avait alors été ouverte, 323 00:19:32,630 --> 00:19:36,340 une perquisition réalisée au domicile de l’individu avec, à la clé, 324 00:19:36,400 --> 00:19:38,480 une saisine de son ordinateur, 325 00:19:38,540 --> 00:19:43,010 ainsi que de différents matériels informatiques contenant ces images. 326 00:19:43,340 --> 00:19:48,360 Et le demandeur, en pourvoi, invoquait la déloyauté de la provocation policière. 327 00:19:48,420 --> 00:19:51,120 La Cour de cassation est allée en ce sens, 328 00:19:51,160 --> 00:19:54,300 retenant en effet une telle provocation. 329 00:19:55,260 --> 00:20:01,240 C’est la question ici du comportement de l’agent, 330 00:20:01,300 --> 00:20:05,420 est-ce que l’agent a eu un comportement ici positif 331 00:20:06,110 --> 00:20:11,520 qui a conduit l’individu à commettre l’infraction. 332 00:20:11,580 --> 00:20:15,600 Et le deuxième élément à prendre en compte, c’est l’influence, 333 00:20:15,680 --> 00:20:22,310 encore une fois, est-ce que l’individu a pu faire preuve de son libre arbitre, 334 00:20:22,660 --> 00:20:27,230 est-ce que sans l’intervention des policiers, sans tel dispositif, 335 00:20:27,700 --> 00:20:30,920 l’individu aurait ou non commis l’infraction. 336 00:20:32,680 --> 00:20:38,480 En second lieu, est également déloyal le contournement de procédures, 337 00:20:42,520 --> 00:20:43,980 ce que nous verrons la prochaine fois.