1 00:00:05,540 --> 00:00:08,360 Chapitre 2, donc, les enjeux de la compétence pour les 2 00:00:08,559 --> 00:00:09,319 États cette fois. 3 00:00:10,340 --> 00:00:12,660 Du point de vue des États, les enjeux de la compétence 4 00:00:12,860 --> 00:00:15,560 juridictionnelle se trouvent dans un équilibre. 5 00:00:15,780 --> 00:00:18,300 Un équilibre entre idéal et réalité. 6 00:00:19,220 --> 00:00:22,200 L'idéal, c'est celui d'une coopération judiciaire 7 00:00:22,400 --> 00:00:25,480 internationale assurant une harmonie dans la mise en 8 00:00:25,680 --> 00:00:26,440 œuvre des règles de compétence. 9 00:00:26,800 --> 00:00:28,600 Ce sera l'objet de la première section. 10 00:00:29,180 --> 00:00:33,000 Le réalisme, c'est celui qui impose de tenir compte du 11 00:00:33,200 --> 00:00:36,360 poids de la souveraineté des États dans la régulation de 12 00:00:36,560 --> 00:00:37,480 la compétence internationale. 13 00:00:37,720 --> 00:00:40,260 Ce sera l'objet de la seconde section. 14 00:00:41,960 --> 00:00:46,520 Section 1, donc, l'idéal de la coopération judiciaire 15 00:00:46,720 --> 00:00:49,320 internationale. La 16 00:00:49,520 --> 00:00:52,420 coopération judiciaire internationale est un idéal 17 00:00:52,620 --> 00:00:54,140 recherché par la communauté des États. 18 00:00:54,780 --> 00:00:56,740 Ses vertus sont évidentes. 19 00:00:56,940 --> 00:01:00,940 La coopération des États impose le dialogue entre eux 20 00:01:01,140 --> 00:01:05,200 et favorise l'entente et, in fine, l'harmonie dans la 21 00:01:05,400 --> 00:01:07,900 diversité des règles de compétence internationale. 22 00:01:09,000 --> 00:01:11,820 Concrètement, cela permet d'éviter les risques de 23 00:01:12,020 --> 00:01:15,380 conflits de compétence qui sont de deux ordres : 24 00:01:15,780 --> 00:01:18,580 conflits positifs de compétence et conflits 25 00:01:18,780 --> 00:01:20,040 négatifs de compétence. 26 00:01:20,620 --> 00:01:24,420 Les conflits positifs surgissent lorsque plusieurs 27 00:01:24,620 --> 00:01:27,900 États se reconnaissent compétents sans que l'un 28 00:01:28,100 --> 00:01:30,200 d'eux accepte de refuser d'exercer sa compétence. 29 00:01:30,780 --> 00:01:33,720 Le risque est celui d'une cacophonie juridictionnelle, 30 00:01:33,940 --> 00:01:37,140 des décisions qui se superposent et qui se contredisent. 31 00:01:37,940 --> 00:01:40,940 Deuxième type de conflit, les conflits négatifs de compétence, 32 00:01:41,140 --> 00:01:44,880 à l'inverse, où aucun État ne se reconnaît compétent pour 33 00:01:45,080 --> 00:01:46,080 connaître d'un litige international. 34 00:01:46,720 --> 00:01:50,920 Le risque, alors, est déjà évoqué : celui du déni de justice. 35 00:01:53,300 --> 00:01:56,920 Or, ce type de conflit n'est pas seulement pathologique 36 00:01:57,120 --> 00:02:01,880 pour les parties, mais il peut également affecter les États. 37 00:02:02,820 --> 00:02:06,540 Les États pâtissent du manque d'harmonie. En effet, 38 00:02:06,740 --> 00:02:10,259 rendre une décision de justice qui n'a aucune chance 39 00:02:10,459 --> 00:02:13,420 d'être exportée à l'étranger, c'est un gaspillage de moyens 40 00:02:13,619 --> 00:02:14,480 humains et financiers. 41 00:02:14,840 --> 00:02:18,460 L'État met en effet à la disposition des plaideurs son 42 00:02:18,660 --> 00:02:21,480 service public de la justice, ici en pure perte. 43 00:02:22,680 --> 00:02:25,820 D'un autre côté, refuser de connaître un litige alors 44 00:02:26,019 --> 00:02:28,280 qu'aucun autre État ne veut exercer sa compétence, 45 00:02:28,480 --> 00:02:31,180 c'est rater une occasion d'attraire dans son ordre 46 00:02:31,380 --> 00:02:34,160 juridique des contentieux pouvant enrichir la 47 00:02:34,359 --> 00:02:37,960 jurisprudence et l'avancée du droit et de la justice en général. 48 00:02:39,560 --> 00:02:42,540 À cet égard, on peut faire le parallèle avec la compétence 49 00:02:42,739 --> 00:02:45,900 universelle que le juge français consacre en droit 50 00:02:46,100 --> 00:02:46,880 pénal international. 51 00:02:48,080 --> 00:02:50,440 Vous le savez peut-être, mais en matière de droit 52 00:02:50,640 --> 00:02:54,280 pénal international, le juge français se reconnaît 53 00:02:54,480 --> 00:02:57,100 une compétence dite universelle concernant les 54 00:02:57,299 --> 00:02:58,780 crimes les plus graves, c'est-à-dire les crimes 55 00:02:58,980 --> 00:03:00,840 contre l'humanité et les crimes de génocide. 56 00:03:01,940 --> 00:03:06,480 Aussi, pour ce type de crime, le juge pénal français admet 57 00:03:06,679 --> 00:03:10,060 d'exercer sa compétence quand bien même aucun des éléments 58 00:03:10,260 --> 00:03:13,360 de l'infraction ne rattacherait le litige, 59 00:03:13,560 --> 00:03:14,780 la situation à la France. 60 00:03:16,160 --> 00:03:19,140 Ainsi, la Cour de cassation a pu condamner dans deux arrêts 61 00:03:19,339 --> 00:03:22,920 rendus en assemblée plénière le 12 mai 2023 un homme 62 00:03:23,119 --> 00:03:26,500 syrien proche du régime de Bachar el-Assad pour crime 63 00:03:26,700 --> 00:03:27,459 contre l'humanité. 64 00:03:27,880 --> 00:03:29,800 Cette condamnation est intervenue et cette 65 00:03:30,000 --> 00:03:33,200 compétence a été retenue, cependant qu'aucun élément ne 66 00:03:33,399 --> 00:03:34,560 rattachait ces crimes à la France. 67 00:03:34,980 --> 00:03:39,780 Les crimes ont été commis en Syrie contre des Syriens par un Syrien. 68 00:03:40,920 --> 00:03:43,620 Quoi qu'il en soit, cet exemple permet juste de voir 69 00:03:43,820 --> 00:03:47,400 que les États ont parfois une nécessité de reconnaître 70 00:03:47,600 --> 00:03:48,660 leurs compétences pour des besoins de justice. 71 00:03:49,200 --> 00:03:52,720 De façon générale, les États ont besoin de coopération 72 00:03:52,920 --> 00:03:56,840 judiciaire et cette coopération passe par 73 00:03:57,040 --> 00:03:58,500 plusieurs mécanismes. 74 00:03:59,300 --> 00:04:03,180 On a la première voie qui est l'harmonisation réglementaire 75 00:04:03,380 --> 00:04:04,140 dont on a déjà parlé. 76 00:04:04,480 --> 00:04:07,120 Cette harmonisation se fait par l'adoption de textes 77 00:04:07,320 --> 00:04:09,360 mettant en place des règles de compétences communes à 78 00:04:09,560 --> 00:04:10,320 plusieurs États. 79 00:04:10,519 --> 00:04:13,000 Elle est à l'heure actuelle très poussée en droit européen, 80 00:04:13,200 --> 00:04:15,380 on l'a dit, et elle l'est de façon ponctuelle et 81 00:04:15,579 --> 00:04:18,420 sectorielle à l'échelle internationale proprement dite. 82 00:04:19,620 --> 00:04:22,660 Autre moyen d'assurer cette coopération, c'est une 83 00:04:22,860 --> 00:04:25,700 coopération entre les autorités administratives et 84 00:04:25,900 --> 00:04:29,380 judiciaires des États afin d'assurer un dialogue entre 85 00:04:29,580 --> 00:04:31,520 ces autorités au cours d'un procès donné. 86 00:04:32,280 --> 00:04:36,020 Cela permet par exemple à un juge français d'interroger un 87 00:04:36,219 --> 00:04:39,140 juge étranger sur le contenu d'une règle émanant de son 88 00:04:39,340 --> 00:04:40,099 ordre juridique. 89 00:04:40,299 --> 00:04:43,660 Cela permet encore aux autorités administratives ou 90 00:04:43,860 --> 00:04:46,840 judiciaires de communiquer entre elles sur le déroulé 91 00:04:47,039 --> 00:04:50,880 d'une procédure qui exigerait une saisine simultanée de 92 00:04:51,080 --> 00:04:52,400 tribunaux d'États différents. 93 00:04:53,560 --> 00:04:56,500 L'exemple type est le contentieux de l'enlèvement 94 00:04:56,700 --> 00:04:57,800 international d'enfants. 95 00:04:58,540 --> 00:05:00,520 Certaines mesures dans ce type de contentieux très 96 00:05:00,719 --> 00:05:04,040 sensible doivent être prises en urgence dans l'État du 97 00:05:04,240 --> 00:05:07,460 lieu où l'enfant a été enlevé, tandis que ce sont les 98 00:05:07,659 --> 00:05:10,240 juridictions de l'État de la résidence habituelle de 99 00:05:10,440 --> 00:05:13,420 l'enfant avant l'enlèvement qui peuvent se prononcer sur 100 00:05:13,620 --> 00:05:14,380 le droit de garde. 101 00:05:15,780 --> 00:05:20,500 Comme tout idéal, cette coopération, bien qu'existante et fonctionnelle, 102 00:05:20,780 --> 00:05:22,340 reste limitée. 103 00:05:23,500 --> 00:05:25,380 Pourquoi ? Elle est limitée 104 00:05:25,580 --> 00:05:28,840 dans son domaine spatial et matériel. 105 00:05:29,400 --> 00:05:32,400 La coopération existe essentiellement entre les 106 00:05:32,599 --> 00:05:34,980 États membres de l'Union européenne et elle est plus 107 00:05:35,180 --> 00:05:38,400 facile à obtenir dans les matières où l'impérativité et 108 00:05:38,599 --> 00:05:40,240 l'ordre public se font plus discrets. 109 00:05:40,820 --> 00:05:44,100 À cet égard, la matière civile et commerciale est un 110 00:05:44,300 --> 00:05:46,360 terrain fertile de coopération judiciaire. 111 00:05:47,460 --> 00:05:50,880 Par ailleurs, l'œuvre de coopération reste en tout 112 00:05:51,080 --> 00:05:53,760 état de cause tributaire du bon vouloir des États. 113 00:05:54,580 --> 00:05:56,740 Fondée sur des accords internationaux, 114 00:05:56,960 --> 00:06:01,919 la coopération ne retient les États tant qu'ils consentent. 115 00:06:02,360 --> 00:06:05,900 L'exemple du Brexit est hélas là pour nous le rappeler. 116 00:06:07,900 --> 00:06:11,220 C'est que la souveraineté des États pèse très lourd sur 117 00:06:11,420 --> 00:06:15,740 l'organisation de la justice internationale. Ce qui nous 118 00:06:15,940 --> 00:06:20,240 amène donc à notre section 2 sur le réalisme, le poids de 119 00:06:20,440 --> 00:06:21,280 la souveraineté étatique. 120 00:06:22,560 --> 00:06:25,600 En effet, la souveraineté des 121 00:06:25,800 --> 00:06:29,820 États pèse de tout son poids sur l'organisation de la 122 00:06:30,020 --> 00:06:31,440 compétence internationale. 123 00:06:32,060 --> 00:06:35,160 On va donner quatre illustrations de l'impact de 124 00:06:35,360 --> 00:06:38,140 la souveraineté étatique sur les règles de la compétence 125 00:06:38,340 --> 00:06:40,800 internationale. Première illustration, 126 00:06:41,260 --> 00:06:44,400 on l'a déjà évoquée, mais c'est le fait que chaque 127 00:06:44,599 --> 00:06:48,400 État organise sa compétence internationale, laquelle est 128 00:06:48,599 --> 00:06:51,480 par principe calquée sur celle prévue pour 129 00:06:51,680 --> 00:06:53,820 l'organisation de sa propre compétence interne. 130 00:06:54,020 --> 00:06:54,780 On y reviendra. 131 00:06:57,560 --> 00:07:02,520 La deuxième illustration, c'est que ni les tribunaux 132 00:07:02,719 --> 00:07:06,520 d'un État ni ses lois ne pourront jamais se prononcer 133 00:07:06,719 --> 00:07:09,420 sur la compétence d'un autre État pour connaître du contentieux. 134 00:07:10,120 --> 00:07:12,860 La loi française ne pourra qu'énoncer une règle donnant 135 00:07:13,060 --> 00:07:15,420 compétence aux tribunaux français dans telle et telle 136 00:07:15,620 --> 00:07:17,220 situation. Le juge français 137 00:07:17,420 --> 00:07:20,700 pourra simplement s'estimer compétent ou non sans 138 00:07:20,900 --> 00:07:23,040 préjuger de la compétence d'un juge étranger. 139 00:07:23,540 --> 00:07:27,940 Il y aurait là un empiétement trop fort sur la souveraineté 140 00:07:28,140 --> 00:07:30,720 étrangère. Troisième illustration, 141 00:07:31,580 --> 00:07:36,400 l'État jouit d'un monopole territorial de la contrainte. 142 00:07:37,340 --> 00:07:40,860 Est ainsi exclu tout exercice de la puissance sur le 143 00:07:41,060 --> 00:07:41,880 territoire d'un autre État. 144 00:07:42,180 --> 00:07:45,580 Les mesures d'exécution forcées d'une décision prise 145 00:07:45,780 --> 00:07:49,440 en France ne pourront être exercées par exemple en Chine 146 00:07:49,640 --> 00:07:51,980 que par le truchement des autorités chinoises. 147 00:07:54,200 --> 00:07:57,940 Quatrième illustration, les États jouissent d'une 148 00:07:58,140 --> 00:08:01,620 immunité de juridiction et d'exécution pour tous les 149 00:08:01,820 --> 00:08:04,740 domaines dans lesquels ils exercent des prérogatives de 150 00:08:04,940 --> 00:08:07,640 puissance publique ou lorsqu'ils agissent dans le 151 00:08:07,840 --> 00:08:09,940 cadre d'une mission de service public. 152 00:08:10,700 --> 00:08:12,280 Je vais détailler un peu ce point. 153 00:08:13,840 --> 00:08:17,560 L'idée est que l'État adopte une attitude d'abstention, 154 00:08:17,840 --> 00:08:21,500 de non-interférence à l'égard des domaines souverains des autres. 155 00:08:22,280 --> 00:08:25,360 Il y a là, selon une jurisprudence constante et 156 00:08:25,560 --> 00:08:28,100 commune à la Cour de cassation, à la Cour européenne des 157 00:08:28,300 --> 00:08:30,040 droits de l'homme ou encore à la Cour de justice de l'Union 158 00:08:30,240 --> 00:08:34,520 européenne, un principe de droit international coutumier. 159 00:08:35,820 --> 00:08:40,360 Les États bénéficient de deux types d'immunité, une 160 00:08:40,560 --> 00:08:44,920 immunité dite de juridiction et une immunité d'exécution. 161 00:08:45,220 --> 00:08:48,160 Nous allons détailler chacune de ces immunités, car elles 162 00:08:48,360 --> 00:08:51,400 génèrent des questions importantes et un contentieux fourni. 163 00:08:52,440 --> 00:08:54,820 Les immunités de juridiction. 164 00:08:55,820 --> 00:09:00,380 L'immunité de juridiction empêche à un justiciable 165 00:09:00,580 --> 00:09:04,100 d'attraire en justice un État étranger ou l'une de ses 166 00:09:04,300 --> 00:09:07,240 émanations devant les juridictions d'un autre État. 167 00:09:08,240 --> 00:09:11,740 L'idée, on l'a dit, est d'éviter que le litige 168 00:09:11,940 --> 00:09:15,640 survenu au sujet d'un acte d'État n'oblige ce dernier à 169 00:09:15,840 --> 00:09:18,620 descendre dans un prétoire étranger pour justifier ses 170 00:09:18,820 --> 00:09:19,580 politiques souveraines. 171 00:09:20,460 --> 00:09:23,240 Un État étranger agissant dans l'exercice de sa 172 00:09:23,440 --> 00:09:26,360 souveraineté peut donc opposer à ce plaideur qui 173 00:09:26,560 --> 00:09:29,100 viendrait l'assigner à l'étranger son immunité de 174 00:09:29,300 --> 00:09:31,460 juridiction, ce qui lui permettra de ne pas être 175 00:09:31,660 --> 00:09:33,920 traduit devant un tribunal français, par exemple. 176 00:09:35,280 --> 00:09:38,800 Cette solution bénéficie au démembrement organique de 177 00:09:39,000 --> 00:09:42,000 l'État étranger, ministère, représentation diplomatique, 178 00:09:42,400 --> 00:09:45,340 peu importe qu'ils bénéficient ou non d'une 179 00:09:45,540 --> 00:09:47,020 personnalité juridique qui leur sont propres. 180 00:09:47,220 --> 00:09:51,120 Il faut seulement que ces émanations aient agi sur 181 00:09:51,320 --> 00:09:53,560 ordre et pour le compte de l'État étranger. 182 00:09:54,980 --> 00:09:57,520 Ces questions d'immunités de juridiction génèrent un 183 00:09:57,720 --> 00:09:59,420 contentieux abondant et complexe. 184 00:10:00,140 --> 00:10:02,940 En France, cela a donné l'occasion à la Cour de 185 00:10:03,140 --> 00:10:06,180 cassation de bâtir un droit jurisprudentiel des immunités 186 00:10:06,380 --> 00:10:08,340 de juridiction pas toujours très lisible. 187 00:10:09,560 --> 00:10:12,660 Pour synthétiser, on peut retenir un double mouvement 188 00:10:12,860 --> 00:10:14,160 de cette jurisprudence. 189 00:10:14,820 --> 00:10:18,580 Le premier est un mouvement d'abandon de la conception 190 00:10:18,780 --> 00:10:22,520 purement organique de l'immunité au profit d'une 191 00:10:22,720 --> 00:10:24,180 conception fonctionnelle. 192 00:10:24,380 --> 00:10:25,140 Je m'explique. 193 00:10:25,840 --> 00:10:29,820 L'immunité n'est plus tant attachée à l'État qu'à 194 00:10:30,020 --> 00:10:32,540 l'exercice d'une prérogative de puissance publique. 195 00:10:33,500 --> 00:10:37,700 Ainsi, une personne privée peut en être chargée par 196 00:10:37,900 --> 00:10:40,160 délégation de cette mission, cette prérogative de 197 00:10:40,360 --> 00:10:41,120 puissance publique. 198 00:10:41,320 --> 00:10:44,260 On ne s'attache pas à l'organe, mais à la fonction de l'acte. 199 00:10:45,280 --> 00:10:48,400 Le second mouvement est un abandon de la conception 200 00:10:48,600 --> 00:10:52,180 autrefois absolue de l'immunité au profit d'une 201 00:10:52,380 --> 00:10:53,140 conception plus relative. 202 00:10:54,120 --> 00:10:56,600 Les bénéficiaires de l'immunité de juridiction 203 00:10:56,800 --> 00:10:59,780 n'en bénéficient que pour autant que l'acte en cause 204 00:10:59,980 --> 00:11:02,200 relève bien de l'exercice d'une prérogative de 205 00:11:02,400 --> 00:11:03,160 puissance publique. 206 00:11:03,360 --> 00:11:06,980 Mais ce critère n'est pas toujours facile à appréhender. 207 00:11:07,240 --> 00:11:09,120 On constate des hésitations 208 00:11:09,320 --> 00:11:12,980 jurisprudentielles. Pendant longtemps, 209 00:11:13,180 --> 00:11:15,900 la jurisprudence identifiait deux critères. 210 00:11:16,200 --> 00:11:19,700 L'un lié à la nature de l'acte, objet du litige, que l'on 211 00:11:19,900 --> 00:11:21,000 qualifiait de critère objectif. 212 00:11:21,640 --> 00:11:25,820 L'autre critère lié à la finalité poursuivie par 213 00:11:26,020 --> 00:11:28,980 l'auteur de l'acte, critère que l'on qualifiait de subjectif. 214 00:11:29,860 --> 00:11:33,220 Cette distinction a été posée dans un arrêt célèbre, 215 00:11:33,420 --> 00:11:36,960 l'arrêt dit Société Levant Express de la première 216 00:11:37,160 --> 00:11:39,220 chambre civile du 25 février 1969. 217 00:11:40,320 --> 00:11:44,560 La Cour nous dit que, je cite, "les États étrangers 218 00:11:44,760 --> 00:11:48,280 et les organismes agissant par leur ordre ou leur compte 219 00:11:48,480 --> 00:11:53,100 ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que 220 00:11:53,300 --> 00:11:56,540 l'acte qui donne lieu au litige constitue un acte de 221 00:11:56,740 --> 00:12:00,060 puissance publique ou a été accompli dans l'intérêt d'un 222 00:12:00,260 --> 00:12:01,020 service public". 223 00:12:02,200 --> 00:12:07,160 On voit avec cette solution que le critère objectif, 224 00:12:07,920 --> 00:12:11,300 tiré de la nature de l'acte, est identifié par l'existence 225 00:12:11,500 --> 00:12:14,820 d'un acte de puissance publique tel qu'une réquisition, 226 00:12:15,040 --> 00:12:19,020 une expropriation ou une nationalisation. Le critère 227 00:12:19,220 --> 00:12:19,980 est plutôt facile à identifier. 228 00:12:21,040 --> 00:12:24,040 Le critère subjectif, quant à lui tiré de la 229 00:12:24,240 --> 00:12:27,540 finalité de l'acte, est identifié par le fait que 230 00:12:27,740 --> 00:12:31,980 l'acte participe au service public, ce qui est plus difficile à cerner. 231 00:12:32,920 --> 00:12:36,700 Par exemple, il a été jugé que, quand bien même le transport 232 00:12:36,900 --> 00:12:39,900 ferroviaire puisse être qualifié d'acte de commerce 233 00:12:40,100 --> 00:12:44,180 par la loi iranienne, l'essentiel tient au fait que 234 00:12:44,380 --> 00:12:47,660 la société iranienne de gaz impliquée dans le litige 235 00:12:48,500 --> 00:12:51,660 accomplissait dans l'hypothèse une mission de 236 00:12:51,860 --> 00:12:54,080 service public pour le compte de l'État iranien, et donc 237 00:12:54,280 --> 00:12:55,400 l'immunité pouvait jouer. 238 00:12:55,960 --> 00:12:58,280 Cela a été jugé dans un arrêt de la première chambre civile 239 00:12:58,480 --> 00:13:02,300 du 2 mai 1990, Société nationale iranienne du gaz. 240 00:13:04,260 --> 00:13:07,420 Cet état des choses a évolué à la faveur de l'intervention 241 00:13:07,620 --> 00:13:10,960 d'une chambre mixte de la Cour de cassation dans un 242 00:13:11,160 --> 00:13:12,840 important arrêt du 20 juin 2013. 243 00:13:14,160 --> 00:13:17,380 Dans cet arrêt, la Cour de cassation semble avoir voulu 244 00:13:17,580 --> 00:13:20,960 substituer aux deux critères que nous avons rappelés, 245 00:13:21,160 --> 00:13:23,780 objectifs et subjectifs, un critère unique. 246 00:13:24,520 --> 00:13:28,040 Ce critère tient dans le rattachement de l'acte 247 00:13:28,240 --> 00:13:31,320 litigieux à l'exercice de la souveraineté de l'État. 248 00:13:32,280 --> 00:13:36,620 La Cour de cassation nous dit que les États étrangers et 249 00:13:36,820 --> 00:13:39,840 les organismes qui en constituent l'émanation ne 250 00:13:40,040 --> 00:13:43,460 bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que 251 00:13:43,660 --> 00:13:46,920 l'acte qui donne lieu aux litiges participe par sa 252 00:13:47,120 --> 00:13:49,820 nature et sa finalité à l'exercice de la souveraineté 253 00:13:50,020 --> 00:13:52,560 de ces États et n'est donc pas un acte de gestion. 254 00:13:53,160 --> 00:13:55,800 Cet arrêt, c'est l'arrêt de la chambre mixte donc du 20 255 00:13:56,000 --> 00:14:00,760 juin 2013 dame Soliman contre l'école saoudienne de Paris. 256 00:14:04,180 --> 00:14:07,360 Retenez que l'immunité de juridiction connaît certaines 257 00:14:07,560 --> 00:14:11,920 limites et la limite classique désormais tient à 258 00:14:12,120 --> 00:14:16,560 la nature de l'acte qui fait l'objet du litige. 259 00:14:19,020 --> 00:14:21,400 L'examen général de la jurisprudence française 260 00:14:21,600 --> 00:14:25,600 montre que celle-ci recourt aux besoins des espèces 261 00:14:25,800 --> 00:14:28,880 alternativement ou cumulativement aux critères 262 00:14:29,080 --> 00:14:33,100 formalistes et finalistes et on voit qu'il finit si la 263 00:14:33,300 --> 00:14:36,080 jurisprudence est difficile à synthétiser et à systématiser. 264 00:14:36,340 --> 00:14:38,720 Elle fait preuve de pragmatisme. 265 00:14:40,220 --> 00:14:43,340 Retenez sur le régime de cette immunité plusieurs choses. 266 00:14:43,540 --> 00:14:47,320 L'invocation de l'immunité de juridiction prend la forme 267 00:14:47,520 --> 00:14:50,520 procédurale d'une fin de non-recevoir et non d'une 268 00:14:50,720 --> 00:14:51,480 exception de procédure. 269 00:14:52,260 --> 00:14:55,940 C'est-à-dire que sa sanction est l'irrecevabilité de 270 00:14:56,140 --> 00:14:56,940 l'action en justice. 271 00:14:57,960 --> 00:15:00,500 Par ailleurs, retenez aussi qu'il est toujours possible 272 00:15:00,700 --> 00:15:04,600 pour l'État étranger de renoncer de manière non 273 00:15:05,260 --> 00:15:08,340 équivoque à son immunité de juridiction. Cette 274 00:15:08,540 --> 00:15:11,380 renonciation peut être expresse ou tacite dès lors 275 00:15:11,580 --> 00:15:12,340 qu'elle est non équivoque. 276 00:15:13,340 --> 00:15:15,740 La jurisprudence a ainsi admis que lorsque l'État 277 00:15:15,940 --> 00:15:19,860 stipule une convention d'arbitrage dans le contrat 278 00:15:20,060 --> 00:15:22,480 qu'il a pu passer avec une société ou un tiers, 279 00:15:22,860 --> 00:15:25,780 il renonce ainsi à son immunité. 280 00:15:29,780 --> 00:15:32,740 Tout comme lorsque l'État introduit dans le contrat qui 281 00:15:32,940 --> 00:15:36,300 le lie à une partie une clause attributive de juridiction, 282 00:15:36,500 --> 00:15:39,320 c'est-à-dire une clause dont l'objet est de déterminer par 283 00:15:39,520 --> 00:15:42,580 avance les juges qui seront compétents. Par hypothèse on 284 00:15:42,780 --> 00:15:46,120 voit bien que là l'État a accepté par l'introduction de 285 00:15:46,320 --> 00:15:50,180 cette clause à être soumis à la justice de l'État désigné 286 00:15:50,380 --> 00:15:51,140 par la clause. 287 00:15:52,020 --> 00:15:54,860 Il en est de même si, par exemple, l'État comparait 288 00:15:55,060 --> 00:15:58,120 volontairement et se défend au fond devant un tribunal 289 00:15:58,320 --> 00:16:01,480 étranger sans invoquer son immunité de juridiction. 290 00:16:03,560 --> 00:16:07,000 Voyons plus rapidement maintenant les immunités d'exécution. 291 00:16:07,820 --> 00:16:11,760 Les immunités d'exécution visent à protéger les biens 292 00:16:11,960 --> 00:16:15,960 de l'État étranger contre l'exercice par le juge du for 293 00:16:16,160 --> 00:16:17,300 de son pouvoir de contrainte. 294 00:16:17,980 --> 00:16:21,280 Il arrive en effet qu'un État soit débiteur vis-à-vis de 295 00:16:21,480 --> 00:16:24,360 créanciers privés, investisseurs, prestataires de services, 296 00:16:24,840 --> 00:16:27,360 actionnaires. Ces créanciers 297 00:16:27,560 --> 00:16:29,700 peuvent être tentés d'opérer des mesures d'exécution 298 00:16:29,900 --> 00:16:32,880 forcées sur les biens de l'État débiteur qui se 299 00:16:33,080 --> 00:16:35,820 situeraient sur un territoire étranger et notamment les 300 00:16:36,020 --> 00:16:38,240 territoires de l'État où ces créanciers seraient établis. 301 00:16:39,280 --> 00:16:43,680 Cette tentation est toutefois mise en échec par le jeu de 302 00:16:43,880 --> 00:16:46,980 l'immunité d'exécution dont bénéficie chaque État. 303 00:16:47,340 --> 00:16:51,340 En effet, les biens et les actifs des États étrangers 304 00:16:51,540 --> 00:16:55,860 pouvant se situer en France sont réputés être nécessaires 305 00:16:56,060 --> 00:16:59,220 au fonctionnement de l'État étranger débiteur, de sorte 306 00:16:59,420 --> 00:17:02,840 qu'un acte de contrainte à l'égard de ces biens 307 00:17:03,040 --> 00:17:05,880 porterait atteinte à la souveraineté étrangère. 308 00:17:08,260 --> 00:17:12,140 Pour finir sur cette question des immunités qui révèle 309 00:17:12,340 --> 00:17:16,040 l'emprise de la souveraineté étatique sur les questions de 310 00:17:16,240 --> 00:17:18,760 compétences et d'exécution des décisions étrangères en 311 00:17:18,960 --> 00:17:22,900 droit international, retenez un point central qui 312 00:17:23,100 --> 00:17:25,920 est que les immunités de juridiction et d'exécution 313 00:17:26,120 --> 00:17:28,700 sont aujourd'hui mises à l'épreuve du droit 314 00:17:28,900 --> 00:17:33,000 fondamental d'accès aux juges consacré par l'article 6 315 00:17:33,200 --> 00:17:36,340 paragraphe 1 de la Convention européenne et 47 de la Charte 316 00:17:36,540 --> 00:17:37,300 des droits fondamentaux de l'UE. 317 00:17:37,500 --> 00:17:41,840 En effet, les justiciables font valoir que ces immunités 318 00:17:42,040 --> 00:17:45,760 portent atteinte au droit fondamental donc pour toute 319 00:17:45,960 --> 00:17:47,560 personne d'accéder à un tribunal. 320 00:17:48,640 --> 00:17:52,020 L'argument est pour l'heure peu entendu devant les juges français. 321 00:17:52,800 --> 00:17:55,340 Pourquoi ? Car le 322 00:17:55,540 --> 00:17:58,660 contre-argument est qu'il est toujours possible au plaideur 323 00:17:58,860 --> 00:18:02,180 d'assigner l'État à son domicile.