1 00:00:06,190 --> 00:00:10,930 Dans cette vidéo, nous abordons la question de l’interprétation 2 00:00:11,130 --> 00:00:13,210 des lois qui occupe le titre 2. 3 00:00:14,730 --> 00:00:19,490 "L’interprétation est l’opération qui consiste à discerner le véritable 4 00:00:19,690 --> 00:00:23,970 sens d’un texte obscur", ainsi qu’en donne la définition, 5 00:00:24,170 --> 00:00:26,990 Gérard Cornu, dans son vocabulaire tout à fait remarquable. 6 00:00:27,850 --> 00:00:33,290 Le besoin s’en fait sentir lorsque la loi est imprécise, 7 00:00:33,710 --> 00:00:35,890 confuse, incomplète, ce qui arrive parfois. 8 00:00:36,090 --> 00:00:40,690 Il faut alors en découvrir le sens, parfois choisir entre plusieurs 9 00:00:40,890 --> 00:00:41,690 sens possibles. 10 00:00:41,910 --> 00:00:42,910 C’est l’interprétation. 11 00:00:44,210 --> 00:00:48,390 En revanche, lorsque la loi est claire, il n’y a pas besoin, 12 00:00:48,590 --> 00:00:52,010 a priori, de l’interpréter, il suffit de l’appliquer. 13 00:00:52,990 --> 00:00:56,610 Cependant, on verra qu’il n’est pas exclu que, parfois, 14 00:00:56,810 --> 00:01:01,370 une interprétation prenne appui sur un texte clair pour le dépasser. 15 00:01:01,570 --> 00:01:05,760 Nous allons examiner les auteurs de l’interprétation, puis on verra 16 00:01:05,960 --> 00:01:09,790 ultérieurement les procédés techniques d’interprétation. 17 00:01:10,290 --> 00:01:15,130 On verra aussi que quelques grandes écoles ont proposé des méthodes 18 00:01:15,330 --> 00:01:18,790 d’interprétation qui aboutissent à des résultats assez profondément 19 00:01:18,990 --> 00:01:20,170 différents les uns des autres. 20 00:01:21,630 --> 00:01:24,450 Dans un premier chapitre, les auteurs de l’interprétation 21 00:01:24,650 --> 00:01:25,410 de la loi. 22 00:01:26,270 --> 00:01:29,670 Nous avons des interprètes principaux et des interprètes secondaires. 23 00:01:29,870 --> 00:01:32,610 Les interprètes principaux, dans la première section, 24 00:01:32,810 --> 00:01:37,070 ce sont les juges, le cas échéant, aidés par la doctrine. 25 00:01:37,350 --> 00:01:38,160 D’abord les juges. 26 00:01:38,360 --> 00:01:44,910 Les juges, ce sont précisément eux qui ont principalement le pouvoir 27 00:01:45,270 --> 00:01:48,190 en France, actuellement, d’interpréter la loi. 28 00:01:48,770 --> 00:01:52,810 Ils sont chargés d’appliquer la loi dans les cas litigieux, 29 00:01:53,010 --> 00:01:57,450 donc à cette occasion, de donner son interprétation 30 00:01:57,650 --> 00:01:59,810 lorsqu’elle pose une difficulté. 31 00:02:00,030 --> 00:02:02,230 Par exemple, en 1965, il y a eu une grande réforme des 32 00:02:02,430 --> 00:02:04,810 régimes matrimoniaux et de nouvelles règles pour la communauté, 33 00:02:05,510 --> 00:02:08,810 mais quel était exactement le statut, dans ces nouvelles règles, 34 00:02:09,010 --> 00:02:11,770 des gains et salaires des époux, des revenus et de leurs biens propres. 35 00:02:12,590 --> 00:02:17,930 Le texte n’était pas extrêmement clair, et au fond, la jurisprudence s’est 36 00:02:18,130 --> 00:02:19,770 chargée de les interpréter. 37 00:02:19,970 --> 00:02:20,910 Et maintenant, nous savons. 38 00:02:22,990 --> 00:02:28,310 On a déjà rencontré la saisine pour avis de la Cour de cassation 39 00:02:28,530 --> 00:02:31,930 qui permet d’obtenir assez rapidement l’interprétation de la haute 40 00:02:32,130 --> 00:02:36,550 juridiction sans attendre qu’une affaire suive le chemin normal 41 00:02:36,750 --> 00:02:38,230 des voies de recours pour l’atteindre. 42 00:02:39,350 --> 00:02:42,910 Mais il faut remarquer que cette saisine pour avis suppose tout 43 00:02:43,110 --> 00:02:43,890 de même un procès. 44 00:02:44,310 --> 00:02:46,780 La Cour de cassation ne peut pas être saisie s’il n’y a pas de procès 45 00:02:46,980 --> 00:02:47,740 et il en faut déjà un. 46 00:02:47,970 --> 00:02:53,450 Bien sûr, un juge du fond, situé au stade du premier degré 47 00:02:53,650 --> 00:02:56,230 des juridictions, va pouvoir saisir et demander l’avis de la Cour de 48 00:02:56,430 --> 00:02:57,190 cassation. 49 00:02:57,390 --> 00:02:58,150 Comme ça, on ira plus vite. 50 00:02:58,350 --> 00:02:59,970 Oui, mais si un juge du fond n’est pas encore saisi, il n’y aura pas 51 00:03:00,170 --> 00:03:00,930 de saisine pour avis. 52 00:03:01,130 --> 00:03:05,470 Donc l’interprétation du juge n’est jamais donnée qu’à l’occasion de 53 00:03:05,670 --> 00:03:10,830 procès qui sont formés et présentés devant les juridictions. 54 00:03:11,490 --> 00:03:16,050 Dans un paragraphe 2, nous signalons le rôle de la doctrine 55 00:03:16,250 --> 00:03:18,110 en matière d’interprétation. 56 00:03:18,610 --> 00:03:22,570 L’un des travaux doctrinaux consiste à commenter les lois. 57 00:03:22,770 --> 00:03:25,170 Il n’y a pas que ça, il y a aussi commenter les arrêts 58 00:03:25,370 --> 00:03:27,270 pour essayer justement de dégager des solutions jurisprudentielles. 59 00:03:28,570 --> 00:03:31,390 Mais commenter des lois, c’est un travail de la doctrine. 60 00:03:32,270 --> 00:03:36,950 Lorsqu’une loi importante ou même moins importante vient d’être votée 61 00:03:37,150 --> 00:03:43,890 dans un secteur, les revues juridiques, généralistes ou spécialisées dans 62 00:03:44,090 --> 00:03:47,010 le secteur où intervient la loi demandent, très souvent, 63 00:03:47,210 --> 00:03:50,810 à un professeur d’université, compétent dans le domaine en question, 64 00:03:51,010 --> 00:03:55,930 de rédiger un commentaire qui sera publié et qui éclairera les praticiens 65 00:03:56,130 --> 00:03:57,870 lecteurs de cette revue. 66 00:03:59,110 --> 00:04:04,110 Parfois, ça peut être un praticien qui a une certaine notoriété et 67 00:04:04,310 --> 00:04:08,510 compétence dans la matière concernée qui est chargé de ce même travail. 68 00:04:10,050 --> 00:04:15,390 À cette occasion, les commentateurs de la loi proposent leur interprétation 69 00:04:15,590 --> 00:04:22,710 des textes qui leur paraissent appeler cette interprétation dont 70 00:04:22,910 --> 00:04:27,250 ils pensent qu’elle pourrait soulever des difficultés à l’avenir en justice. 71 00:04:28,250 --> 00:04:32,050 Dès le lendemain de la loi, des pistes d’interprétation sont 72 00:04:32,250 --> 00:04:33,010 données. 73 00:04:33,210 --> 00:04:36,350 Nous trouvons la même chose dans ces ouvrages doctrinaux que sont 74 00:04:36,550 --> 00:04:40,030 les encyclopédies juridiques, par exemple le répertoire civil 75 00:04:40,230 --> 00:04:46,210 Dalloz ou le législateur civil qui est organisé article par article. 76 00:04:46,410 --> 00:04:51,250 Vous avez un article de loi du Code civil, vous vous demandez 77 00:04:51,450 --> 00:04:53,970 ce qu’il veut pouvoir dire, vous trouvez que ce n’est pas clair, 78 00:04:54,250 --> 00:04:58,240 vous pensez que c’est obscur, vous prenez le fascicule correspondant 79 00:04:58,440 --> 00:05:01,970 et vous allez avoir 10, 15, 20 pages de commentaires dans 80 00:05:02,170 --> 00:05:05,150 lesquels vous aurez de la jurisprudence sur cet article, mais aussi 81 00:05:05,350 --> 00:05:09,790 l’interprétation des points obscurs qui sera proposée par le rédacteur 82 00:05:09,990 --> 00:05:12,250 de cette étude doctrinale. 83 00:05:12,870 --> 00:05:17,730 Ces interprétations doctrinales n’ont que l’autorité habituelle 84 00:05:17,930 --> 00:05:19,410 des travaux doctrinaux. 85 00:05:19,930 --> 00:05:24,650 Elles n’ont pas de force juridiquement obligatoire, mais elles peuvent 86 00:05:25,350 --> 00:05:28,030 tout de même avoir l’autorité de la raison. 87 00:05:28,690 --> 00:05:33,630 Ce n’est pas en raison de l’autorité, mais c’est par l’autorité de la 88 00:05:33,830 --> 00:05:35,990 raison que ces travaux comptent. 89 00:05:36,210 --> 00:05:39,410 Lorsque des interprétations sont bien menées et convaincantes, 90 00:05:39,990 --> 00:05:41,890 la pratique aura tendance à les suivre. 91 00:05:42,350 --> 00:05:46,190 Lors des procès, elles pourront guider le juge. 92 00:05:47,090 --> 00:05:48,990 Voilà les interprètes principaux. 93 00:05:49,190 --> 00:05:53,270 Examinons, dans une seconde section, les autres interprètes. 94 00:05:53,470 --> 00:05:56,790 D’abord, nous avons le Conseil constitutionnel. 95 00:05:57,410 --> 00:06:01,210 On a déjà entraperçu cette facette de l’activité du Conseil 96 00:06:01,410 --> 00:06:04,410 constitutionnel qui le conduit à donner des interprétations. 97 00:06:04,770 --> 00:06:07,070 Ce sont les réserves d’interprétation. 98 00:06:07,470 --> 00:06:12,640 Le voilà saisi d’un recours contre une loi qui vient d’être votée 99 00:06:12,840 --> 00:06:16,470 et qui est en attente de promulgation, ou d’une question prioritaire de 100 00:06:16,670 --> 00:06:20,770 constitutionnalité portant sur une loi déjà en vigueur, 101 00:06:20,970 --> 00:06:24,850 le Conseil constitutionnel estime qu’il y a peut-être un grief 102 00:06:25,050 --> 00:06:29,350 d’inconstitutionnalité, du moins si l’on comprend la loi comme cela, 103 00:06:30,270 --> 00:06:33,610 mais il pourra la déclarer tout de même conforme à la Constitution 104 00:06:33,850 --> 00:06:36,770 sous réserve de l’interpréter dans ce sens-ci, et non pas dans celui-là, 105 00:06:36,970 --> 00:06:38,990 parce que si c’était dans celui-là, ce serait inconstitutionnel. 106 00:06:39,430 --> 00:06:41,830 Et voilà la réserve d’interprétation. 107 00:06:42,050 --> 00:06:45,230 Une réserve qui a une grande force, parce que cette interprétation 108 00:06:45,430 --> 00:06:49,450 donnée par le Conseil constitutionnel va s’imposer avec la force des 109 00:06:49,650 --> 00:06:53,250 décisions du Conseil constitutionnel prévue par l’article 62 de la 110 00:06:53,450 --> 00:06:54,210 Constitution. 111 00:06:54,410 --> 00:06:58,250 Cette force, c’est que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent 112 00:06:58,450 --> 00:07:02,450 à tous les pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives 113 00:07:02,650 --> 00:07:03,890 et juridictionnelles. 114 00:07:04,090 --> 00:07:04,990 Ce n’est pas rien. 115 00:07:07,370 --> 00:07:12,810 Quantitativement, ces interprétations, ces réserves d’interprétation sont 116 00:07:13,010 --> 00:07:14,530 assez marginales. 117 00:07:14,730 --> 00:07:17,930 En toute hypothèse, elles ne peuvent être données qu’à propos des textes 118 00:07:18,130 --> 00:07:23,530 dont l’inconstitutionnalité est soulevée par l’auteur d’une saisine. 119 00:07:24,690 --> 00:07:29,530 Dans un paragraphe 2, nous envisageons le pouvoir législatif. 120 00:07:30,950 --> 00:07:37,050 Nul n’est mieux placé que l’auteur même d’une règle pour en éclairer 121 00:07:37,250 --> 00:07:40,950 le sens s’il soulève des difficultés, encore qu’on dise parfois, 122 00:07:41,150 --> 00:07:43,650 une fois qu’un texte est rédigé et qu’il est voté, il échappe à 123 00:07:43,850 --> 00:07:44,610 son auteur. 124 00:07:45,050 --> 00:07:48,810 En tout cas, c’est ce qu’avaient pensé les révolutionnaires, 125 00:07:49,070 --> 00:07:54,110 période de 1789 jusqu’à l’Empire ou Consulat. 126 00:07:55,890 --> 00:08:02,370 Les révolutionnaires étaient en outre animés d’un assez profond 127 00:08:02,570 --> 00:08:08,750 sentiment d’hostilité envers les juges, donc ils ont organisé un système 128 00:08:08,950 --> 00:08:12,930 d’interprétation de la loi exclusivement par le législateur 129 00:08:13,130 --> 00:08:17,930 en interdisant aux juges de procéder à cette interprétation. 130 00:08:18,830 --> 00:08:23,290 C’est l’article 12 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation 131 00:08:23,490 --> 00:08:27,090 judiciaire qui a édicté cette obligation, pour les tribunaux, 132 00:08:27,290 --> 00:08:31,210 de s’adresser au corps législatif, toutes les fois qu’ils croiront 133 00:08:31,410 --> 00:08:36,570 nécessaire soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle. 134 00:08:37,490 --> 00:08:41,470 Ceci était l’une des pièces du dispositif de séparation absolue 135 00:08:41,670 --> 00:08:46,390 des pouvoirs voulu par cette fameuse loi, l’article 13 : "Ceux qui 136 00:08:46,590 --> 00:08:50,330 poursuivaient les tribunaux ne pourront prétendre directement 137 00:08:50,530 --> 00:08:54,290 ou indirectement prendre aucune part à l’exercice du pouvoir 138 00:08:54,490 --> 00:08:55,250 législatif". 139 00:08:55,450 --> 00:09:00,210 À l’époque, on ne riait pas, on raccourcissait vite le cou de 140 00:09:00,410 --> 00:09:01,370 celui qui protestait. 141 00:09:01,970 --> 00:09:03,270 Vous trouvez que le texte n’est pas clair ? 142 00:09:03,570 --> 00:09:05,970 Alors, demandez-nous comment il faut l’interpréter, mais surtout, 143 00:09:06,170 --> 00:09:10,390 vous n’y touchez pas, donc le juge n’y touchait pas, 144 00:09:10,590 --> 00:09:13,390 mais les choses ont évolué. 145 00:09:15,290 --> 00:09:18,910 Que se passait-il dans une telle hypothèse ? 146 00:09:19,870 --> 00:09:24,670 Dans un procès, si une question d’interprétation était soulevée, 147 00:09:26,070 --> 00:09:30,480 les magistrats devaient suspendre le cours du procès le temps d’en 148 00:09:30,680 --> 00:09:33,550 référer au législateur pour qu’il donne la réponse. 149 00:09:33,850 --> 00:09:37,510 C’était ce qu’on appelait le référé législatif. 150 00:09:38,510 --> 00:09:44,250 Vous imaginez volontiers l’encombrement du corps législatif et le 151 00:09:44,450 --> 00:09:46,810 ralentissement des procès qui ont pu s’ensuivre. 152 00:09:48,150 --> 00:09:50,950 Dès 1804, le système fut revu. 153 00:09:51,290 --> 00:09:55,910 Le Code civil a fait obligation au juge de statuer sans pouvoir 154 00:09:56,110 --> 00:09:59,870 refuser de le faire sous prétexte de l’obscurité ou de l’insuffisance 155 00:10:00,070 --> 00:10:01,690 de la loi, c’est l’article 4. 156 00:10:02,990 --> 00:10:08,250 Cet article reconnaît clairement au juge le pouvoir d’interpréter 157 00:10:08,450 --> 00:10:09,210 lui-même la loi. 158 00:10:09,410 --> 00:10:11,230 Il doit statuer alors que la loi est obscure. 159 00:10:11,430 --> 00:10:12,570 Il faut bien qu’il lui donne naissance. 160 00:10:14,330 --> 00:10:17,610 Un avatar du référé législatif a tout de même subsisté encore 161 00:10:17,810 --> 00:10:21,290 pendant quelque temps, mais seulement en cas de résistance, 162 00:10:21,490 --> 00:10:25,750 après deux cassations identiques dans une même affaire, 163 00:10:25,950 --> 00:10:30,490 alors qu’une troisième cour de renvoi, une troisième juridiction de renvoi 164 00:10:30,690 --> 00:10:34,290 a envie de statuer comme les deux premières juridictions dont les 165 00:10:34,490 --> 00:10:36,950 deux premiers arrêts ont déjà été cassés par la Cour de cassation. 166 00:10:37,850 --> 00:10:42,630 Dans un tel cas, il fallait en référer au législateur. 167 00:10:43,190 --> 00:10:48,050 Mais les derniers vestiges du référé législatif ont disparu lorsque 168 00:10:48,250 --> 00:10:52,950 la loi du 1er avril 1837 a décidé que sur second pourvoi, 169 00:10:53,150 --> 00:10:57,630 la Cour de cassation pouvait imposer une solution définitive en statuant 170 00:10:57,830 --> 00:11:02,070 toutes chambres réunies, la juridiction de renvoi étant 171 00:11:02,270 --> 00:11:07,290 alors obligée de statuer en droit comme l’avaient décidé les chambres 172 00:11:07,490 --> 00:11:10,150 réunies, chambres réunies qui portent aujourd’hui le nom d’assemblée 173 00:11:11,510 --> 00:11:12,270 plénière. 174 00:11:13,450 --> 00:11:17,430 Il reste que si l’interprétation de la loi n’est plus, 175 00:11:17,630 --> 00:11:21,010 et depuis longtemps, réservée au pouvoir législatif, 176 00:11:21,210 --> 00:11:24,370 elle ne lui est pas interdite. 177 00:11:24,810 --> 00:11:28,650 Tel est l’objet des lois interprétatives que nous avons 178 00:11:28,850 --> 00:11:31,750 déjà rencontrées au sujet de l’application de la loi dans le temps. 179 00:11:32,350 --> 00:11:36,050 La souveraineté du législateur lui permet certainement de voter 180 00:11:36,250 --> 00:11:40,810 une loi pour dire comment résoudre une difficulté d’interprétation 181 00:11:41,010 --> 00:11:44,110 posée par l’un de ses textes antérieurs. 182 00:11:44,590 --> 00:11:48,590 Le système a un très grand avantage parce qu’il permet de régler rapidement 183 00:11:48,790 --> 00:11:51,970 une question qui est apparue, sans devoir attendre, 184 00:11:52,650 --> 00:11:57,330 dans l’incertitude et pendant un temps indéterminé, que se forme 185 00:11:57,530 --> 00:11:58,890 une jurisprudence sur ce point. 186 00:12:00,610 --> 00:12:05,030 Nous avions déjà évoqué cet exemple en matière successorale, 187 00:12:07,190 --> 00:12:11,310 où une difficulté était apparue avec la loi du 3 décembre 2001 188 00:12:11,510 --> 00:12:14,810 sur la dévolution d’une institution en présence d’un conjoint, 189 00:12:15,010 --> 00:12:18,430 d’un ascendant dans une ligne et d’un ascendant dans un degré supérieur 190 00:12:18,630 --> 00:12:19,390 dans une autre ligne. 191 00:12:19,850 --> 00:12:20,610 Comment est-ce qu’on faisait ? 192 00:12:20,810 --> 00:12:22,690 On ne savait pas lire les nouveaux textes. 193 00:12:23,070 --> 00:12:27,910 Le législateur est intervenu en 2006 pour donner la réponse et 194 00:12:28,110 --> 00:12:32,150 il a donné beaucoup plus vite que ne l’aurait fait une jurisprudence 195 00:12:32,350 --> 00:12:35,950 qui se serait formée pour interpréter la loi, mais au bout de combien 196 00:12:36,150 --> 00:12:36,910 de temps. 197 00:12:37,110 --> 00:12:39,410 Au bout de 10 ans, de 15 ans, de 20 ans, de 30 ans ? 198 00:12:39,610 --> 00:12:46,010 C’est cet ordre de grandeur auquel nous pouvons songer pour la formation 199 00:12:46,210 --> 00:12:48,470 de véritables règles jurisprudentielles. 200 00:12:48,770 --> 00:12:52,190 Il reste que ce type de loi est assez rare. 201 00:12:52,570 --> 00:12:57,730 L’interprétation législative est aujourd’hui très marginale par 202 00:12:57,930 --> 00:13:02,190 rapport à l’interprétation principale qui est judiciaire. 203 00:13:04,590 --> 00:13:13,110 Un troisième interprète secondaire se trouve au sein du pouvoir exécutif. 204 00:13:13,430 --> 00:13:15,970 L’interprétation par le pouvoir exécutif est un phénomène, 205 00:13:16,330 --> 00:13:21,790 au contraire, en constant essor et elle prend deux formes. 206 00:13:21,990 --> 00:13:24,270 Nous avons, d’une part, les instructions circulaires 207 00:13:24,470 --> 00:13:26,770 ministérielles, et d’autre part, ce qu’on appelle les réponses 208 00:13:26,970 --> 00:13:27,730 ministérielles. 209 00:13:27,930 --> 00:13:31,570 Les instructions circulaires ministérielles sont des documents 210 00:13:31,770 --> 00:13:35,890 établis par les services d’un ministère sur la manière d’appliquer, 211 00:13:36,090 --> 00:13:39,430 et donc le cas échéant, d’interpréter des lois. 212 00:13:40,030 --> 00:13:44,070 Leurs destinataires sont les personnels d’une administration qui dépend 213 00:13:44,270 --> 00:13:45,150 de ce ministère. 214 00:13:45,790 --> 00:13:51,130 Ces circulaires ou instructions n’ont aucune portée juridique aux 215 00:13:51,330 --> 00:13:52,190 yeux des juges. 216 00:13:52,390 --> 00:13:54,710 La Cour de cassation décide, traditionnellement, 217 00:13:54,910 --> 00:13:59,450 qu’elles ne lient pas les tribunaux, mais qu’elles lient seulement les 218 00:13:59,650 --> 00:14:01,810 fonctionnaires auxquels elles sont adressées. 219 00:14:02,070 --> 00:14:06,410 Il n’empêche que ces instructions ou circulaires ministérielles ont 220 00:14:06,610 --> 00:14:07,670 une grande importance pratique. 221 00:14:07,870 --> 00:14:10,370 Vous avez des administrations qui sont persuadées qu’une loi n’est 222 00:14:10,570 --> 00:14:13,370 pas encore applicable tant qu’il n’y a pas eu de circulaire ou 223 00:14:13,570 --> 00:14:15,250 d’instructions pour leur expliquer ce qu’il faut faire. 224 00:14:15,690 --> 00:14:16,450 "On attend la circulaire". 225 00:14:18,210 --> 00:14:20,470 Vous pouvez toujours venir avec votre Code civil, article 1er, 226 00:14:20,670 --> 00:14:21,690 la loi est promulguée. 227 00:14:22,790 --> 00:14:25,770 Elle est entrée en vigueur, donc il faut l’appliquer. 228 00:14:27,070 --> 00:14:31,710 Mais en pratique, les administrations auront tendance à se référer à 229 00:14:31,910 --> 00:14:32,670 ce type de documents. 230 00:14:33,210 --> 00:14:36,790 J’ai apporté ici, pour vous montrer l’ampleur que ça peut prendre, 231 00:14:38,330 --> 00:14:41,150 l’instruction générale relative à l’état civil publiée au Journal 232 00:14:41,350 --> 00:14:42,110 officiel. 233 00:14:42,310 --> 00:14:45,630 Ce sont pas moins de 235 pages du Journal officiel. 234 00:14:45,830 --> 00:14:48,070 Une page du JO, c’est extrêmement important. 235 00:14:48,430 --> 00:14:49,950 C’est tout à fait considérable. 236 00:14:50,150 --> 00:14:55,590 On va dans un luxe de détails pour expliquer, à tous ceux qui tiennent 237 00:14:55,790 --> 00:15:00,030 l’état civil, comment faire, et donc interpréter la loi. 238 00:15:00,910 --> 00:15:04,510 Je prends un exemple au numéro 152 de cette instruction. 239 00:15:04,790 --> 00:15:08,530 C’est un passage relatif à la reconstitution administrative des 240 00:15:08,730 --> 00:15:09,890 actes d’état civil détruits. 241 00:15:10,930 --> 00:15:13,030 Vous pourrez le lire parce qu’on va vous le mettre avec un lien. 242 00:15:13,610 --> 00:15:18,310 Le numéro évoque quelques textes qui portent sur la destruction 243 00:15:18,510 --> 00:15:19,670 pour faits de guerre ou autres. 244 00:15:20,090 --> 00:15:23,450 Voilà que petit à petit, on développe le sens et on en vient 245 00:15:23,650 --> 00:15:27,110 à dire, dans l’instruction, qu’il convient d’assimiler aux 246 00:15:27,310 --> 00:15:31,350 sinistres, le vol ou la disparition fortuite d’un ou plusieurs registres. 247 00:15:31,550 --> 00:15:34,130 Vous voyez jusqu’où va l’interprétation, c’est tout à 248 00:15:34,330 --> 00:15:35,350 fait extraordinaire. 249 00:15:35,870 --> 00:15:39,870 En pratique, les services d’état civil appliqueront l’instruction, 250 00:15:40,070 --> 00:15:43,710 sauf à ce qu’un jour un procès conduise un juge à dire qu’il faut 251 00:15:43,910 --> 00:15:48,330 comprendre les textes autrement, mais seulement en cas de procès. 252 00:15:49,190 --> 00:15:53,710 On signalera tout de même que dans un objectif de sécurité juridique, 253 00:15:53,950 --> 00:15:57,530 le législateur contemporain a permis aux usagers de l’administration 254 00:15:58,150 --> 00:16:02,010 d’opposer, à celle-ci, les instructions, les directives, 255 00:16:02,210 --> 00:16:05,670 les circulaires qu’elle a pu prendre et publier, dès lors qu’elles ne 256 00:16:05,870 --> 00:16:10,890 sont pas illégales, et sur lesquelles les usagers ont pu établir des 257 00:16:11,090 --> 00:16:11,850 prévisions. 258 00:16:12,050 --> 00:16:14,440 Cela vaut en matière fiscale avec un article L. 259 00:16:14,640 --> 00:16:17,990 80 du Livre des procédures fiscales et ça vaut également dans d’autres 260 00:16:18,190 --> 00:16:20,190 domaines avec une loi de 1983. 261 00:16:20,750 --> 00:16:23,170 Mais, comprenons bien que ceci n’est qu’à sens unique. 262 00:16:23,670 --> 00:16:27,450 Ce sont les usagers qui peuvent se prévaloir contre l’administration 263 00:16:27,650 --> 00:16:31,370 de ces instructions circulaires, et non pas l’administration qui 264 00:16:31,570 --> 00:16:35,690 peut se prévaloir contre les usagers de ses propres instructions, 265 00:16:35,890 --> 00:16:39,070 parce qu’elles n’ont pas de valeur juridique. 266 00:16:39,570 --> 00:16:43,930 Le deuxième aspect, le deuxième moyen pour le pouvoir exécutif 267 00:16:44,130 --> 00:16:47,970 de se livrer à l’interprétation des règles de droit, 268 00:16:48,330 --> 00:16:52,090 ce sont les réponses ministérielles aux questions écrites des 269 00:16:52,290 --> 00:16:53,150 parlementaires. 270 00:16:53,650 --> 00:16:57,710 Lorsqu’un député ou un sénateur lui pose une question écrite, 271 00:16:58,110 --> 00:17:00,430 un ministre est tenu de lui répondre. 272 00:17:01,370 --> 00:17:05,930 Ses réponses sont établies par les services du ministère et elles 273 00:17:06,130 --> 00:17:09,350 sont ensuite publiées dans un journal officiel spécial qui est le Journal 274 00:17:09,550 --> 00:17:15,210 officiel Assemblée nationale question Q ou le Journal officiel du Sénat 275 00:17:15,410 --> 00:17:16,490 question Q. 276 00:17:17,210 --> 00:17:21,830 Lorsque la question porte sur un point de droit obscur, 277 00:17:22,430 --> 00:17:26,670 la réponse est donc le moyen de connaître l’interprétation des 278 00:17:26,870 --> 00:17:28,630 services ministériels sur le sujet. 279 00:17:29,370 --> 00:17:33,650 Ces réponses sont toujours données sous réserve de l’interprétation 280 00:17:33,850 --> 00:17:34,990 souveraine des tribunaux, c’est écrit, toujours. 281 00:17:36,050 --> 00:17:40,670 En effet, en droit, ces réponses n’ont pas de valeur particulière. 282 00:17:40,870 --> 00:17:44,950 Cependant, en pratique, elles jouent un rôle assez important. 283 00:17:45,550 --> 00:17:48,850 Lorsque les praticiens du droit, spécialement dans le monde des 284 00:17:49,050 --> 00:17:53,590 affaires, découvrent une difficulté d’interprétation d’un texte, 285 00:17:53,790 --> 00:17:57,290 il leur faut une réponse et une réponse le plus rapidement possible. 286 00:17:57,990 --> 00:18:01,150 Or, vous avez compris que l’interprétation judiciaire sera, 287 00:18:01,350 --> 00:18:03,250 par hypothèse, longue à venir. 288 00:18:03,530 --> 00:18:06,330 Il faudra attendre des années, voire des dizaines d’années. 289 00:18:06,730 --> 00:18:10,810 Ceci ne convient pas aux exigences de rapidité de la pratique des 290 00:18:11,010 --> 00:18:14,450 affaires, d’où le recours aux réponses ministérielles. 291 00:18:14,810 --> 00:18:15,570 Que fera-t-on ? 292 00:18:15,770 --> 00:18:19,930 On va faire poser la question au ministre par un parlementaire. 293 00:18:20,130 --> 00:18:24,350 Les organisations professionnelles ou syndicales se chargent de rédiger 294 00:18:24,550 --> 00:18:27,370 les questions et de les transmettre à un parlementaire pour qu’il les 295 00:18:27,570 --> 00:18:32,290 prenne à son compte et les pose la question au ministre. 296 00:18:33,450 --> 00:18:37,470 On va même lui suggérer, dans le travail préparatoire, 297 00:18:38,510 --> 00:18:40,610 les pistes de réponses que l’on souhaite évidemment, 298 00:18:40,810 --> 00:18:42,970 mais c’est le ministère qui va répondre. 299 00:18:44,530 --> 00:18:50,150 Les praticiens tiendront au moins cet élément pour asseoir la pratique 300 00:18:50,350 --> 00:18:53,370 qu’ils pourront adopter à l’avenir en pensant qu’au moins, 301 00:18:53,570 --> 00:18:55,370 ça repose sur une réponse ministérielle. 302 00:18:56,130 --> 00:18:59,590 Ce n’est pas très fiable, mais à leurs yeux, c’est tout de 303 00:18:59,790 --> 00:19:00,550 même mieux que rien. 304 00:19:01,410 --> 00:19:05,570 On remarquera que ce mécanisme n’est pas très éloigné du référé 305 00:19:05,770 --> 00:19:06,530 législatif. 306 00:19:06,990 --> 00:19:11,250 Le destinataire de la question écrite est en effet le responsable 307 00:19:11,450 --> 00:19:16,470 du département ministériel qui concrètement à élaborer ou à participer 308 00:19:17,470 --> 00:19:21,890 de très près à l’élaboration du texte sujet à interprétation. 309 00:19:22,130 --> 00:19:25,810 C’est évident s’il s’agit d’un décret, le texte est sorti de ce ministère. 310 00:19:26,190 --> 00:19:29,150 C’est vrai aussi s’il s’agit d’une loi parce que, très souvent, 311 00:19:29,350 --> 00:19:32,470 les lois sont issues de projets de loi préparés par des départements 312 00:19:32,670 --> 00:19:33,430 ministériels. 313 00:19:35,190 --> 00:19:39,090 Le ministre vient donner ensuite l’interprétation de ses services 314 00:19:39,290 --> 00:19:41,690 sur le projet de loi que les services avaient préparé. 315 00:19:41,990 --> 00:19:47,490 C’est pourquoi on parle volontiers, à ce sujet, de référé exécutif 316 00:19:47,690 --> 00:19:48,870 par référence. 317 00:19:49,070 --> 00:19:54,590 Attention, référé sans qu’il n’y ait de recours au juge, 318 00:19:54,790 --> 00:19:55,550 ça ne vient pas du juge. 319 00:19:56,390 --> 00:20:01,590 On parle encore de rescrit par référence au rescriptum romain 320 00:20:01,790 --> 00:20:06,650 par lequel l’empereur répondait par écrit à la demande de consultation 321 00:20:06,850 --> 00:20:10,050 d’un magistrat, d’un gouverneur ou d’un particulier.