1 00:00:06,510 --> 00:00:10,110 Dans un paragraphe 2, nous abordons maintenant les avantages 2 00:00:10,310 --> 00:00:13,570 et les inconvénients de la jurisprudence. 3 00:00:13,790 --> 00:00:17,650 La source jurisprudentielle présente l’intérêt d’être flexible, 4 00:00:18,050 --> 00:00:22,510 non figée, de se prêter assez facilement à des évolutions puisque 5 00:00:22,710 --> 00:00:26,730 les précédents ne sont pas obligatoires en France, les juges pourront ne 6 00:00:26,930 --> 00:00:31,290 pas les suivre et provoquer l’apparition de nouvelles habitudes 7 00:00:31,490 --> 00:00:34,980 de juger si les solutions qu’ils rendent, apparaissent meilleures, 8 00:00:35,180 --> 00:00:37,000 plus adaptées sur une question donnée. 9 00:00:37,200 --> 00:00:41,660 Ça permet aussi aux plaideurs et aux avocats de proposer une nouvelle 10 00:00:41,860 --> 00:00:42,620 solution. 11 00:00:42,820 --> 00:00:43,640 Tout cela est extrêmement bien. 12 00:00:44,800 --> 00:00:48,700 Mais toute médaille a son revers, et la jurisprudence présente les 13 00:00:48,900 --> 00:00:50,360 inconvénients de ses avantages. 14 00:00:50,720 --> 00:00:52,400 C’est l’insécurité juridique. 15 00:00:53,300 --> 00:00:57,980 Le droit jurisprudentiel est peu prévisible puisqu’il peut toujours 16 00:00:58,180 --> 00:00:58,940 évoluer. 17 00:00:59,140 --> 00:01:01,180 En outre, il manque de certitude. 18 00:01:01,380 --> 00:01:05,080 Quand peut-on considérer vraiment qu’une jurisprudence est établie ? 19 00:01:05,820 --> 00:01:08,500 Nous avons une très grande différence à cet égard avec la loi. 20 00:01:09,540 --> 00:01:14,000 Le comble est atteint avec le revirement de jurisprudence qui 21 00:01:14,200 --> 00:01:17,000 peut survenir à tout moment, comme ça, sans crier gare, 22 00:01:17,200 --> 00:01:18,740 déjouant les prévisions des parties. 23 00:01:19,640 --> 00:01:23,940 Par hypothèse, il s’opère dans un litige individuel qui s’est 24 00:01:24,140 --> 00:01:26,760 élevé sur des faits antérieurs à la décision. 25 00:01:27,360 --> 00:01:31,980 Le revirement est donc rétroactif et il atteint des justiciables 26 00:01:32,180 --> 00:01:34,720 qui n’ont pas été avertis à l’avance. 27 00:01:35,200 --> 00:01:38,280 Le comble de l’insécurité juridique est ici atteint. 28 00:01:38,600 --> 00:01:42,520 Quelle infériorité par rapport à la loi avec son savant règlement 29 00:01:42,720 --> 00:01:44,120 des conflits de lois dans le temps ! 30 00:01:44,860 --> 00:01:48,260 La nouvelle jurisprudence va s’appliquer à toutes les situations 31 00:01:48,460 --> 00:01:53,100 dont le juge, qui suivra cette jurisprudence, connaîtra à l’avenir, 32 00:01:53,300 --> 00:01:57,320 quelle que soit l’époque à laquelle ces situations se sont formées 33 00:01:57,520 --> 00:01:59,200 et ont produit leurs effets. 34 00:02:00,120 --> 00:02:02,320 On peut aussi reprocher à la jurisprudence son manque 35 00:02:02,520 --> 00:02:03,360 d’accessibilité. 36 00:02:03,560 --> 00:02:06,420 Il n’est pas facile de connaître la jurisprudence puisqu’il faut 37 00:02:06,620 --> 00:02:10,960 la dégager de solutions rendues dans des litiges individuels. 38 00:02:11,700 --> 00:02:15,140 On peut lui reprocher sa formation lente. 39 00:02:16,080 --> 00:02:20,520 Il faudra attendre de longues années après qu’une question est apparue 40 00:02:20,720 --> 00:02:24,180 pour voir s’établir, de façon à peu près certaine, 41 00:02:24,380 --> 00:02:28,040 la réponse que lui donne le juge si le législateur ne l’a pas donné. 42 00:02:28,940 --> 00:02:35,920 Par exemple, la loi du 26 mai 2004 a introduit un nouveau régime relatif 43 00:02:36,120 --> 00:02:37,300 aux donations entre époux. 44 00:02:37,560 --> 00:02:41,140 Jusqu’à cette loi, les donations entre époux étaient librement 45 00:02:41,340 --> 00:02:42,100 révocables. 46 00:02:42,300 --> 00:02:44,960 On considérait que le consentement entre époux était un peu particulier. 47 00:02:45,200 --> 00:02:47,340 Il fallait toujours pouvoir révoquer une donation entre époux. 48 00:02:47,540 --> 00:02:55,160 Terminé avec la loi du 26 mai 2004, à l’avenir, les donations entre époux, 49 00:02:55,360 --> 00:03:01,060 du moins portant sur les biens actuels, les biens présents ne sont plus 50 00:03:01,260 --> 00:03:02,320 librement révocables. 51 00:03:02,520 --> 00:03:05,940 Oui, mais à quelle donation ceci s’applique-t-il ? 52 00:03:06,200 --> 00:03:08,660 Celles qui seront consenties ultérieurement, c’est sûr. 53 00:03:08,860 --> 00:03:09,740 Mais pour le passé ? 54 00:03:12,320 --> 00:03:13,400 Le législateur n’a rien précisé. 55 00:03:13,800 --> 00:03:18,560 Il pouvait paraître logique que cela ne concerne que les nouvelles 56 00:03:18,760 --> 00:03:20,620 donations, mais il y a eu une controverse doctrinale. 57 00:03:20,980 --> 00:03:24,160 Certains ont soutenu que la règle s’appliquait immédiatement pour 58 00:03:24,360 --> 00:03:28,040 l’absence de révocabilité à l’avenir des donations déjà consenties 59 00:03:28,240 --> 00:03:29,000 antérieurement. 60 00:03:29,200 --> 00:03:30,380 Controverses, questions, difficultés d’interprétation, 61 00:03:33,500 --> 00:03:38,380 attendons la décision des magistrats le jour où ils seront saisis. 62 00:03:38,760 --> 00:03:40,780 Mais quand la Cour de cassation sera-t-elle saisie ? 63 00:03:40,980 --> 00:03:46,620 Dans 10 ans, dans 15 ans, quand une affaire aura été présentée 64 00:03:46,820 --> 00:03:49,100 en justice et sera allée jusqu’au bout de ce parcours. 65 00:03:49,440 --> 00:03:50,220 Mais c’est trop long ! 66 00:03:50,420 --> 00:03:52,380 Les praticiens avaient besoin de réponses. 67 00:03:52,580 --> 00:03:54,740 Il fallait savoir et vite. 68 00:03:56,340 --> 00:03:59,220 La jurisprudence est tout à fait inadaptée à cet égard. 69 00:04:00,300 --> 00:04:03,780 Il a fallu que le législateur intervienne pour donner plus vite 70 00:04:03,980 --> 00:04:04,740 la réponse. 71 00:04:04,940 --> 00:04:08,380 Ça a été l’objet de l’article 46 d’une loi du 23 juin 2006. 72 00:04:08,580 --> 00:04:13,940 Il reste que l’inconvénient le plus grave tient sans aucun doute 73 00:04:14,140 --> 00:04:19,080 au caractère nécessairement rétroactif ou rétrospectif des revirements 74 00:04:19,280 --> 00:04:24,780 de jurisprudence, dans la lignée nécessaire du phénomène jurisprudentiel 75 00:04:24,980 --> 00:04:28,880 qui intervient toujours sur des situations qui, par hypothèse, 76 00:04:29,080 --> 00:04:33,060 sont antérieures à la décision du juge. 77 00:04:33,560 --> 00:04:36,460 Des justiciables ont essayé, à l’époque contemporaine, 78 00:04:36,660 --> 00:04:41,660 d’échapper à cette rétroactivité en se prévalant d’un principe de 79 00:04:41,860 --> 00:04:42,620 sécurité juridique. 80 00:04:42,820 --> 00:04:44,960 Ils ont essayé, mais en vain. 81 00:04:46,100 --> 00:04:48,080 Deux arrêts très célèbres. 82 00:04:48,540 --> 00:04:51,580 Le premier de la première chambre civile de la Cour de cassation 83 00:04:51,780 --> 00:04:53,060 du 21 mars 2000. 84 00:04:54,660 --> 00:04:59,200 C’était une affaire de vente et la chose vendue était affectée 85 00:04:59,400 --> 00:05:02,580 d’un défaut, la vente était très certainement antérieure à 1993, 86 00:05:02,780 --> 00:05:07,220 un défaut rendant la chose impropre à l’usage auquel elle était destinée. 87 00:05:07,880 --> 00:05:11,900 L’acheteur disposait donc de cette action que beaucoup de gens connaissent 88 00:05:12,100 --> 00:05:13,840 qui est l’action en garantie des vices cachés. 89 00:05:14,740 --> 00:05:19,300 Cette action doit être intentée rapidement, dit l’article 748, 90 00:05:20,140 --> 00:05:20,920 dans un bref délai. 91 00:05:21,720 --> 00:05:23,540 L’acheteur laisse passer le délai. 92 00:05:23,740 --> 00:05:25,780 Il ne dispose plus de cette action, il ne peut plus l’intenter. 93 00:05:26,340 --> 00:05:27,840 Oui, mais ça ne fait rien. 94 00:05:28,820 --> 00:05:33,180 Il y a également un autre texte dans le Code civil qui est l’article 95 00:05:33,380 --> 00:05:39,480 1604 sur l’obligation de délivrance de la chose, le vendeur doit délivrer 96 00:05:39,680 --> 00:05:46,820 la chose, et une jurisprudence bien établie considérait que de 97 00:05:47,020 --> 00:05:50,380 cette obligation de délivrance, découlait une exigence de conformité. 98 00:05:50,600 --> 00:05:53,320 Pour délivrer la chose, encore faut-il que ce soit une 99 00:05:53,520 --> 00:05:55,740 chose conforme à celle qui a été commandée. 100 00:05:56,520 --> 00:06:01,560 La Cour de cassation a longtemps estimé que lorsque la chose délivrée 101 00:06:01,760 --> 00:06:05,980 présentait un défaut, la rendant impropre à son usage, 102 00:06:06,180 --> 00:06:09,500 un vice caché, elle n’était pas non plus conforme à ce qui avait 103 00:06:09,700 --> 00:06:10,460 été commandé. 104 00:06:10,660 --> 00:06:11,880 L’acheteur n’avait pas commandé une chose avec défaut. 105 00:06:12,620 --> 00:06:16,160 Donc option, possibilité pour l’acheteur de se placer sur le 106 00:06:16,360 --> 00:06:18,840 terrain du manquement à l’obligation de délivrance. 107 00:06:19,220 --> 00:06:21,220 Alors là, le délai n’est pas le même. 108 00:06:21,420 --> 00:06:25,440 Le délai, c’était le délai de droit commun entre commerçants et non 109 00:06:25,640 --> 00:06:26,760 commerçant à l’époque. 110 00:06:26,980 --> 00:06:30,080 10 ans pour agir, notre acheteur intente cette action. 111 00:06:30,320 --> 00:06:33,640 Seulement pas de chance, il y a eu un revirement de 112 00:06:33,840 --> 00:06:37,040 jurisprudence qui s’est produit en 1993 à la Cour de cassation 113 00:06:37,240 --> 00:06:40,200 qui a estimé que dans un cas pareil, il n’y avait plus d’options et 114 00:06:40,400 --> 00:06:43,020 que l’acheteur devait nécessairement se placer sur le terrain de la 115 00:06:43,220 --> 00:06:44,200 garantie des vices cachés. 116 00:06:44,400 --> 00:06:51,820 Alors, notre acheteur essaie quand même d’intenter son action sur 117 00:06:52,020 --> 00:06:54,580 le fondement du manquement à l’obligation de délivrance, 118 00:06:55,280 --> 00:06:56,740 mais il échoue. 119 00:06:57,600 --> 00:07:01,360 On lui applique la nouvelle jurisprudence. 120 00:07:01,820 --> 00:07:06,680 Il se pourvoit en cassation et il invoque l’article 6 de la Convention 121 00:07:06,880 --> 00:07:10,100 européenne des droits de l’homme, l’exigence d’un procès équitable. 122 00:07:11,380 --> 00:07:15,640 Il soutient, dans son pourvoi, que le principe de sécurité juridique 123 00:07:15,840 --> 00:07:19,800 a été méconnu, la Cour d’appel ayant opposé à l’action pour la 124 00:07:20,000 --> 00:07:23,260 déclarer irrecevable, une jurisprudence nouvelle ne 125 00:07:23,460 --> 00:07:27,380 permettant plus d’invoquer le défaut de conformité de la chose vendue 126 00:07:27,580 --> 00:07:30,480 afin d’échapper à l’exigence du bref délai. 127 00:07:31,760 --> 00:07:38,260 De cette façon, la Cour a méconnu le principe de sécurité juridique 128 00:07:38,460 --> 00:07:43,480 imposé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. 129 00:07:43,780 --> 00:07:47,800 C’est le pourvoi, mais le pourvoir est sèchement rejeté dans des termes 130 00:07:48,000 --> 00:07:51,500 qui sont restés célèbres : "Attendu que la sécurité juridique 131 00:07:51,700 --> 00:07:56,700 invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, 132 00:07:57,100 --> 00:08:00,500 l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans 133 00:08:00,700 --> 00:08:01,940 l’application de la loi". 134 00:08:02,140 --> 00:08:04,500 Voici qui est extrêmement intéressant comme formule. 135 00:08:05,320 --> 00:08:13,040 Nous avons une autre décision extraordinaire qui a été rendue 136 00:08:13,240 --> 00:08:14,400 le 9 octobre 2001. 137 00:08:15,280 --> 00:08:19,620 Il s’agissait ici de la responsabilité civile d’un médecin pour manquement 138 00:08:19,820 --> 00:08:21,540 à l’obligation d’information. 139 00:08:22,740 --> 00:08:26,220 Traditionnellement, la jurisprudence considérait que 140 00:08:26,420 --> 00:08:30,620 le médecin devait révéler, certes, les risques afférents à 141 00:08:30,820 --> 00:08:36,420 un traitement ou à une intervention, mais pas les risques exceptionnels, 142 00:08:36,880 --> 00:08:39,520 les risques fréquents, les risques courants et seulement 143 00:08:39,720 --> 00:08:40,480 ceux-là. 144 00:08:40,680 --> 00:08:44,060 Mais survient un revirement de jurisprudence en 1998. 145 00:08:44,880 --> 00:08:48,800 Désormais, dit la Cour de cassation, le médecin doit délivrer une 146 00:08:49,000 --> 00:08:52,680 information sur les risques, même exceptionnels, sur tous les 147 00:08:52,880 --> 00:08:57,360 risques graves, même s’ils ne se réalisent qu’exceptionnellement. 148 00:08:57,600 --> 00:09:00,940 L’année dernière, en Nouvelle-Papouasie, quelqu’un a 149 00:09:01,140 --> 00:09:03,720 eu un infarctus en prenant ce médicament, ça ne s’est jamais 150 00:09:03,920 --> 00:09:05,480 reproduit, mais je suis obligé de vous le dire. 151 00:09:07,140 --> 00:09:12,020 Voilà la nouvelle jurisprudence de 1998. 152 00:09:13,520 --> 00:09:19,440 Voici qu’une femme, qui avait accouché antérieurement à ce revirement, 153 00:09:19,640 --> 00:09:23,820 agit en justice parce que son gynécologue obstétricien qui avait 154 00:09:24,020 --> 00:09:29,100 diagnostiqué une présentation par le siège, en vue d’un accouchement 155 00:09:29,300 --> 00:09:33,520 difficile – il ne s’était pas trompé – mais il ne lui avait pas signalé 156 00:09:33,720 --> 00:09:41,480 un risque exceptionnel relatif à ce type d’accouchement par voie 157 00:09:41,680 --> 00:09:44,040 basse avec une présentation par le siège. 158 00:09:45,340 --> 00:09:48,000 Concrètement, l’enfant, à la suite des manœuvres qu’il 159 00:09:48,200 --> 00:09:51,740 avait fallu opérer lors de l’accouchement, était resté atteint 160 00:09:51,940 --> 00:09:55,300 d’un handicap, il ne pouvait pas bien se servir de l’un de ses bras 161 00:09:55,500 --> 00:10:00,780 et il avait une incapacité physique permanente de 25 %. 162 00:10:00,980 --> 00:10:02,560 Mais quand s’était produit l’accouchement ? 163 00:10:02,760 --> 00:10:05,260 C’était en 1974. 164 00:10:06,020 --> 00:10:09,180 Le médecin n’avait pas révélé ce risque qui était exceptionnel. 165 00:10:09,380 --> 00:10:13,140 À l’époque, l’obligation d’information ne portait pas sur les risques 166 00:10:13,340 --> 00:10:14,100 exceptionnels. 167 00:10:14,900 --> 00:10:22,160 Après 1998, cette femme et son enfant devenu majeur agissent pour 168 00:10:22,360 --> 00:10:27,700 réclamer réparation pour manquement à l’obligation d’information du 169 00:10:27,900 --> 00:10:28,660 médecin. 170 00:10:31,080 --> 00:10:34,740 Non, dit la Cour d’appel, ce n’est pas possible. 171 00:10:35,310 --> 00:10:38,620 À l’époque, le médecin n’était pas tenu de cette obligation 172 00:10:38,820 --> 00:10:41,460 d’information portant sur ce risque exceptionnel. 173 00:10:42,220 --> 00:10:43,520 Que fait la Cour de cassation ? 174 00:10:43,720 --> 00:10:48,140 Elle casse l’arrêt d’appel, elle le casse en commençant par 175 00:10:48,340 --> 00:10:51,560 rappeler cette jurisprudence nouvelle : "Attendu qu’un médecin ne peut 176 00:10:51,760 --> 00:10:54,660 être dispensé de son devoir d’information vis-à-vis de son 177 00:10:54,860 --> 00:10:57,740 patient par le seul fait qu’un risque grave ne se réalise 178 00:10:57,940 --> 00:11:00,320 qu’exceptionnellement", parfait, c’est la nouvelle solution, 179 00:11:00,520 --> 00:11:04,440 mais elle ajoute : "La responsabilité consécutive à la transgression 180 00:11:04,640 --> 00:11:08,640 de cette obligation peut être recherchée alors même qu’à l’époque 181 00:11:08,840 --> 00:11:13,060 des faits, la jurisprudence admettait qu’un médecin ne commet pas de 182 00:11:13,260 --> 00:11:17,440 faute s’il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels. 183 00:11:17,860 --> 00:11:23,440 En effet, l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme, 184 00:11:23,640 --> 00:11:28,500 à un moment donné, ne peut être différente selon l’époque des faits 185 00:11:28,700 --> 00:11:34,080 considérés, et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence 186 00:11:34,280 --> 00:11:35,040 figée". 187 00:11:35,240 --> 00:11:38,640 Même formule que dans l’arrêt de 2000 avec, en outre, 188 00:11:38,840 --> 00:11:43,200 cette idée relative à l’interprétation jurisprudentielle des normes. 189 00:11:46,360 --> 00:11:51,800 Il est certain que lorsque le juge se borne à interpréter des textes, 190 00:11:52,100 --> 00:11:57,640 il est bien difficile que son interprétation, à un moment donné, 191 00:11:57,840 --> 00:12:01,680 varie en fonction de la date des faits qui lui sont soumis. 192 00:12:01,880 --> 00:12:02,640 C’est exact. 193 00:12:02,840 --> 00:12:07,620 S’il est apparu nécessaire de faire évoluer cette interprétation des 194 00:12:07,820 --> 00:12:12,200 textes, elle va s’appliquer à tous les plaideurs qui viendront ensuite 195 00:12:12,400 --> 00:12:14,940 devant le juge, quelle que soit la date des faits. 196 00:12:15,140 --> 00:12:18,980 Oui, mais le juge se borne-t-il toujours à ce rôle ? 197 00:12:19,820 --> 00:12:22,020 On retrouve notre controverse. 198 00:12:23,060 --> 00:12:25,920 Effectivement, dans le premier des deux arrêts que je vous ai cités, 199 00:12:26,300 --> 00:12:30,700 le juge était dans son rôle d’interprétation des textes, 200 00:12:30,920 --> 00:12:34,740 article 1604, 1641, des textes sur l’avant. 201 00:12:35,880 --> 00:12:41,240 Mais il est très artificiel de dire que dans la deuxième affaire, 202 00:12:41,900 --> 00:12:45,660 le juge s’en est tenu à l’interprétation des textes puisque 203 00:12:45,860 --> 00:12:50,120 précisément, les textes ne disaient absolument rien sur l’obligation 204 00:12:50,320 --> 00:12:54,860 d’information du médecin, ni en 1974, ni en 1998, 205 00:12:55,100 --> 00:12:57,920 ni en 2001, quand la Cour de cassation s’est prononcée. 206 00:12:58,240 --> 00:13:02,160 Tout cela, c’est de la création jurisprudentielle en réalité. 207 00:13:03,020 --> 00:13:06,380 Dans de telles hypothèses, ne vaudrait-il pas mieux reconnaître 208 00:13:06,580 --> 00:13:13,060 la réalité et organiser l’application dans le temps des règles d’origine 209 00:13:13,260 --> 00:13:15,080 vraiment jurisprudentielles. 210 00:13:15,480 --> 00:13:18,800 C’est ainsi qu’en doctrine, quelques auteurs contemporains 211 00:13:19,000 --> 00:13:24,860 ont proposé, dans une optique de sécurité juridique, de limiter 212 00:13:25,060 --> 00:13:29,700 au moins la portée des revirements de jurisprudence à l’avenir, 213 00:13:30,480 --> 00:13:34,980 en particulier Christian Mouly qui avait écrit un article intéressant 214 00:13:35,180 --> 00:13:39,400 sur le revirement pour l’avenir en s’appuyant notamment sur ce 215 00:13:39,600 --> 00:13:43,740 qui se passe dans certains pays, spécialement aux États-Unis d’Amérique, 216 00:13:43,940 --> 00:13:47,560 une pratique aussi de la Cour de justice des Communautés européennes, 217 00:13:47,760 --> 00:13:51,340 de l’Union européenne aujourd’hui, voir de la Cour européenne des 218 00:13:51,540 --> 00:13:55,420 droits de l’homme qui, parfois, admettent que de nouvelles 219 00:13:55,620 --> 00:13:58,300 solutions ne s’appliqueront qu’à l’avenir. 220 00:13:59,340 --> 00:14:04,160 En 2004, le premier président de la Cour de cassation avait souhaité 221 00:14:04,360 --> 00:14:10,340 qu’un groupe de travail lui remette un rapport sur le sujet très précis, 222 00:14:10,640 --> 00:14:14,760 groupe de travail présidé par Monsieur Molfessis. 223 00:14:15,760 --> 00:14:23,260 Ce rapport a formulé des propositions 224 00:14:25,780 --> 00:14:30,840 pour certains revirements qui pourraient voir leurs effets modulés 225 00:14:31,040 --> 00:14:31,800 dans le temps. 226 00:14:32,400 --> 00:14:35,800 On peut lire un entretien entre le premier président de la Cour 227 00:14:36,000 --> 00:14:39,920 de cassation et le président de ce groupe de travail dans une revue 228 00:14:40,120 --> 00:14:44,560 dont vous trouverez les références, entretien d’ailleurs assez surréaliste 229 00:14:44,780 --> 00:14:47,790 puisque le premier président de la Cour de cassation définit ainsi 230 00:14:47,990 --> 00:14:50,960 le revirement de jurisprudence : "Il y a revirement de jurisprudence 231 00:14:51,160 --> 00:14:53,700 chaque fois que la Cour, à propos d’une affaire, 232 00:14:53,900 --> 00:14:59,020 varie dans l’interprétation de la loi qu’elle donnait jusqu’alors". 233 00:14:59,220 --> 00:15:03,120 Comme si la Cour de cassation s’était toujours limitée à l’interprétation 234 00:15:03,320 --> 00:15:04,080 de la loi. 235 00:15:04,860 --> 00:15:06,540 On est dans la fiction, parce qu’il n’y a pas que ça, 236 00:15:06,780 --> 00:15:08,280 on l’a dit tout à l’heure. 237 00:15:09,140 --> 00:15:13,620 Le mythe de la jurisprudence seulement interprétative de la loi, 238 00:15:14,260 --> 00:15:17,720 alors que précisément cette affaire de modulation dans le temps des 239 00:15:17,920 --> 00:15:23,660 revirements devient particulièrement importante lorsque la jurisprudence 240 00:15:23,860 --> 00:15:25,820 n’est pas dans le rôle de l’interprétation, mais qu’elle 241 00:15:26,020 --> 00:15:27,820 est créatrice de règles de droit. 242 00:15:28,540 --> 00:15:33,660 Cette proposition a fait grand bruit, mais elle n’a pas été accueillie 243 00:15:33,860 --> 00:15:37,400 dans l’unanimité, bien loin de là, avec parfois des critiques extrêmement 244 00:15:37,600 --> 00:15:41,280 vives, notamment un article de Monsieur Heuzé, dont vous trouverez 245 00:15:41,480 --> 00:15:42,500 la référence aussi. 246 00:15:43,680 --> 00:15:48,460 Très polémique également, un dénommé Pierre Sargos qui a 247 00:15:48,660 --> 00:15:52,620 écrit L’Horreur économique dans les relations de droit, 248 00:15:52,820 --> 00:15:56,220 libres propos sur le rapport sur les revirements de jurisprudence. 249 00:15:57,140 --> 00:16:01,420 Or, ce Monsieur Sargos, à l’époque, était président de 250 00:16:01,620 --> 00:16:03,320 la chambre sociale de la Cour de cassation. 251 00:16:03,700 --> 00:16:06,820 Ceci montre bien que même au sein de la Cour de cassation, 252 00:16:07,100 --> 00:16:08,760 il n’y avait pas d’unanimité sur le sujet. 253 00:16:09,820 --> 00:16:13,720 Il y a eu d’autres positions, par exemple celle de Gérard Cornu, 254 00:16:13,920 --> 00:16:16,300 plus modérée dans la forme, mais tout aussi catégorique : 255 00:16:16,500 --> 00:16:22,020 "Les revirements sont relativement rares et le remède, dit-il, 256 00:16:22,300 --> 00:16:23,400 serait pire que le mal". 257 00:16:24,860 --> 00:16:25,620 Quelle a été la suite ? 258 00:16:25,820 --> 00:16:29,940 Quasi concomitamment, la deuxième chambre civile de la 259 00:16:30,140 --> 00:16:34,700 Cour de cassation, le 8 juillet 2004, avait rendu une décision qui, 260 00:16:34,900 --> 00:16:39,320 avant même le rapport en question, se montrait accueillante à l’idée 261 00:16:39,520 --> 00:16:43,640 du revirement seulement pour l’avenir et éviter qu’une solution nouvelle 262 00:16:43,840 --> 00:16:47,700 ne soit appliquée, en tout cas à des instances en cours. 263 00:16:50,040 --> 00:16:54,760 Nous avons également eu quelques décisions d’autres chambres. 264 00:16:54,960 --> 00:17:00,020 La chambre commerciale a admis la limitation des revirements de 265 00:17:00,220 --> 00:17:05,400 jurisprudence dans le temps avec un arrêt de 2007, puis un autre de 2010. 266 00:17:05,880 --> 00:17:09,860 La chambre sociale s’est montrée très hostile dans un arrêt du 17 267 00:17:10,060 --> 00:17:10,960 décembre 2004. 268 00:17:12,220 --> 00:17:15,520 Elle n’a ici aucune concession. 269 00:17:16,020 --> 00:17:22,480 La première chambre civile a également 270 00:17:22,680 --> 00:17:26,460 accepté cette idée de modulation des effets de revirement de 271 00:17:26,660 --> 00:17:29,460 jurisprudence dans le temps avec deux arrêts de 2012. 272 00:17:30,520 --> 00:17:33,040 Quant à la deuxième chambre civile, il y avait eu l’arrêt de 2004, 273 00:17:33,240 --> 00:17:37,100 mais on peut en relever un du 3 février 2011 où elle refuse la 274 00:17:37,300 --> 00:17:40,680 modulation, en reprenant la formule qu’il n’y a pas de droit acquis 275 00:17:40,880 --> 00:17:42,400 à une jurisprudence figée. 276 00:17:42,940 --> 00:17:48,200 Je crois qu’on peut dire que si une tendance à admettre la faculté 277 00:17:48,400 --> 00:17:51,980 de moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence 278 00:17:52,180 --> 00:17:56,500 peut être relevée dans la jurisprudence justement, ce n’est certainement 279 00:17:56,700 --> 00:17:59,960 pas à tous les coups que cette faculté est utilisée, 280 00:18:00,160 --> 00:18:03,820 même par les formations juridictionnelles qui se reconnaissent 281 00:18:04,020 --> 00:18:04,780 cette faculté. 282 00:18:05,000 --> 00:18:06,620 Ça dépend. 283 00:18:06,820 --> 00:18:08,900 Et là, nous sommes un petit peu, il faut le reconnaître, 284 00:18:09,100 --> 00:18:10,340 dans l’incertitude. 285 00:18:12,900 --> 00:18:20,240 On s’est posé plusieurs questions en remarquant que cette situation, 286 00:18:20,840 --> 00:18:25,780 cette idée de revirement pour l’avenir seulement, repose sur une réalité 287 00:18:25,980 --> 00:18:27,440 particulièrement complexe. 288 00:18:27,720 --> 00:18:30,300 D’un côté, il est vrai que nous avons besoin de sécurité juridique, 289 00:18:30,500 --> 00:18:31,260 c’est tout à fait exact. 290 00:18:32,220 --> 00:18:36,580 Le caractère, à certains égards, très choquant du résultat obtenu 291 00:18:36,780 --> 00:18:41,060 dans l’affaire du médecin notamment, ça heurte le bon sens. 292 00:18:41,680 --> 00:18:45,000 Mais d’un autre côté, on peut relever que la sécurité 293 00:18:45,200 --> 00:18:50,060 juridique n’est pas toute la finalité du droit, il y a aussi d’autres 294 00:18:50,260 --> 00:18:53,300 fins du droit, notamment la recherche de ce qui est juste et de ce qui 295 00:18:53,500 --> 00:18:54,260 est bon. 296 00:18:54,720 --> 00:18:59,280 Si une solution apparaît mauvaise, si une autre apparaît plus adaptée, 297 00:19:00,020 --> 00:19:02,060 il ne faut pas hésiter à modifier la première. 298 00:19:02,660 --> 00:19:06,400 C’est tout l’intérêt de la jurisprudence qui se prête à des 299 00:19:06,600 --> 00:19:07,360 évolutions. 300 00:19:07,880 --> 00:19:10,960 C’est très bien tout cela, moduler les effets dans le temps 301 00:19:11,160 --> 00:19:12,740 du revirement, mais seulement pour l’avenir. 302 00:19:12,940 --> 00:19:17,200 Oui, mais si un plaideur combat une solution jurisprudentielle 303 00:19:17,400 --> 00:19:21,080 en montrant pertinemment qu’elle n’est pas bonne, qu’une autre solution 304 00:19:21,280 --> 00:19:25,600 serait meilleure, il gagne et il provoque le revirement. 305 00:19:25,800 --> 00:19:28,460 Il provoque le revirement et voilà qu’on ne lui appliquerait pas dans 306 00:19:28,660 --> 00:19:29,420 son affaire ? 307 00:19:29,720 --> 00:19:34,040 Plus personne n’ira jamais devant la Cour de cassation pour demander 308 00:19:34,240 --> 00:19:37,240 un revirement de jurisprudence, et la jurisprudence sera encore 309 00:19:37,440 --> 00:19:38,200 plus figée qu’avant. 310 00:19:38,700 --> 00:19:42,200 Donc ici, il y a une grosse difficulté. 311 00:19:42,660 --> 00:19:46,420 Certains suggèrent qu’au fond, le revirement pourrait quand même 312 00:19:46,620 --> 00:19:52,640 être appliqué dans l’affaire qui l’a provoqué, mais on ne l’appliquerait 313 00:19:52,840 --> 00:19:56,880 pas ensuite dans les autres affaires similaires dont le juge connaîtrait. 314 00:19:57,680 --> 00:20:02,730 Nous avons un grand problème d’égalité devant la règle de droit. 315 00:20:02,930 --> 00:20:04,900 Vous voyez combien tout cela est complexe.