1 00:00:00,000 --> 00:00:01,180 B. 2 00:00:01,380 --> 00:00:07,440 L’appréciation jurisprudentielle. 3 00:00:09,520 --> 00:00:12,140 En dehors des qualifications législatives, qui recouvrent tout 4 00:00:12,340 --> 00:00:15,120 de même un nombre assez important de contrats aujourd’hui, 5 00:00:15,960 --> 00:00:20,520 des qualifications législatives se sont multipliées, en dehors 6 00:00:20,720 --> 00:00:23,400 de ces qualifications législatives, le juge, depuis longtemps, 7 00:00:24,420 --> 00:00:29,000 reconnaît des contrats administratifs en vertu de critères qui sont 8 00:00:29,200 --> 00:00:31,120 jurisprudentiels. 9 00:00:31,380 --> 00:00:36,140 Le juge le fait depuis longtemps, il a recours à deux critères qui 10 00:00:36,340 --> 00:00:40,040 sont alternatifs, c’est-à-dire que soit l’un, soit l’autre peut 11 00:00:40,240 --> 00:00:43,360 être rempli pour faire un contrat administratif. 12 00:00:44,080 --> 00:00:49,360 Premier critère, le lien du contrat avec l’accomplissement d’un service 13 00:00:49,560 --> 00:00:54,620 public, et deuxième critère, l’existence au sein du contrat 14 00:00:54,820 --> 00:01:00,010 d’une clause qui implique un régime exorbitant du droit commun. 15 00:01:01,350 --> 00:01:02,110 1. 16 00:01:02,310 --> 00:01:05,390 Le lien du contrat avec l’accomplissement d’une mission 17 00:01:05,590 --> 00:01:06,390 de service public. 18 00:01:08,090 --> 00:01:12,210 Le critère du service public avait permis au juge, si vous vous souvenez 19 00:01:12,410 --> 00:01:15,590 de votre cours du premier semestre, dans les années 1900, 20 00:01:16,170 --> 00:01:20,070 de reconnaître le caractère administratif de certains litiges. 21 00:01:20,370 --> 00:01:23,710 Il y avait eu une sorte d’âge d’or du critère du service public pendant 22 00:01:23,910 --> 00:01:29,750 assez peu longtemps, dès le début du 20ᵉ siècle et plus 23 00:01:29,950 --> 00:01:31,990 précisément durant la décennie 1900. 24 00:01:33,490 --> 00:01:37,290 Je vous avais parlé de cet âge d’or du critère du service public 25 00:01:37,490 --> 00:01:42,790 qui a notamment donné lieu à l’un des arrêts les plus importants 26 00:01:42,990 --> 00:01:47,770 de cette époque, l’arrêt Thérond rendu par le Conseil d’État en 1910. 27 00:01:48,090 --> 00:01:53,890 Je vous rappelle un extrait de 28 00:01:54,090 --> 00:01:58,370 cette décision : "En traitant avec le sieur Thérond, la ville de 29 00:01:58,570 --> 00:02:02,990 Montpellier a agi en vue de l’hygiène et de la sécurité de la population 30 00:02:03,190 --> 00:02:06,670 et a eu dès lors pour but d’assurer un service public. 31 00:02:07,530 --> 00:02:12,250 Les difficultés pouvant résulter de l’inexécution ou de la mauvaise 32 00:02:12,450 --> 00:02:16,450 exécution de ce service sont de la compétence du Conseil d’État". 33 00:02:16,650 --> 00:02:22,330 Vous voyez ici, la ville de Montpellier avait traité entre guillemets avec 34 00:02:22,530 --> 00:02:26,410 le sieur Thérond, c’est-à-dire qu’ils avaient ensemble signé un 35 00:02:26,610 --> 00:02:30,770 contrat, contrat portant sur le service public de l’hygiène et 36 00:02:30,970 --> 00:02:31,730 de la sécurité. 37 00:02:31,930 --> 00:02:37,210 Si je ne dis pas de bêtises, c’était l’enlèvement des chiens 38 00:02:37,410 --> 00:02:38,530 errants. 39 00:02:39,670 --> 00:02:43,690 Ce contrat avait un lien avec le service public, avec l’exécution 40 00:02:43,890 --> 00:02:44,770 d’une mission de service public. 41 00:02:44,970 --> 00:02:48,610 Au contentieux, il relevait donc du juge administratif. 42 00:02:49,290 --> 00:02:54,670 Cette jurisprudence a temporairement disparu, vous vous souvenez que 43 00:02:54,870 --> 00:02:59,830 j’avais cité, je vais y revenir juste après, la décision Société 44 00:03:00,030 --> 00:03:05,910 des Granits porphyroïdes des Vosges au tout début de la décennie suivante, 45 00:03:06,110 --> 00:03:06,990 1910. 46 00:03:08,850 --> 00:03:12,490 Ce critère du service public a disparu pendant un certain temps. 47 00:03:13,270 --> 00:03:19,790 Il est réapparu, ce critère, de manière magistrale en 1956 avec 48 00:03:19,990 --> 00:03:23,790 deux décisions très importantes dont je vais vous parler maintenant. 49 00:03:24,530 --> 00:03:28,990 Je noterai, avant d’en venir à ces deux décisions, que dans la 50 00:03:29,190 --> 00:03:36,290 seconde moitié de la décennie 1950, il y a eu ce que l’on peut appeler 51 00:03:36,490 --> 00:03:38,870 un second âge d’or du critère du service public. 52 00:03:39,270 --> 00:03:42,970 Le critère du service public a fait un retour en force dans la 53 00:03:43,170 --> 00:03:46,630 jurisprudence du Conseil d’État et du Tribunal des conflits. 54 00:03:47,110 --> 00:03:51,390 Première décision très importante de 1956, les deux décisions sont 55 00:03:51,590 --> 00:03:56,030 rendues le même jour, 20 avril 1956, époux Bertin. 56 00:03:56,990 --> 00:04:01,090 En l’espèce, un accord verbal avait été conclu entre l’État et les 57 00:04:01,290 --> 00:04:05,190 époux Bertin, les époux Bertin étant chargés d’accueillir 58 00:04:05,390 --> 00:04:09,770 provisoirement, d’héberger et de nourrir des ressortissants soviétiques 59 00:04:09,970 --> 00:04:11,530 avant leur retour en URSS. 60 00:04:12,410 --> 00:04:15,570 Les époux devaient, je cite la décision, "toucher une somme 61 00:04:15,770 --> 00:04:17,950 forfaitaire de 30 francs par homme et par jour". 62 00:04:18,510 --> 00:04:19,710 Voilà les données du contrat. 63 00:04:21,390 --> 00:04:25,090 Ce contrat donne lieu à un litige, l’exécution de ce contrat donne 64 00:04:25,290 --> 00:04:29,570 lieu à un litige et est portée devant la juridiction administrative. 65 00:04:29,850 --> 00:04:32,030 En l’espèce, le Conseil d’État a jugé que, je cite, 66 00:04:32,770 --> 00:04:36,890 "le contrat a eu pour objet de confier aux intéressés l’exécution 67 00:04:37,090 --> 00:04:41,850 même du service public, cette circonstance suffit à elle 68 00:04:42,050 --> 00:04:46,310 seule à imprimer au contrat dont il s’agit le caractère d’un contrat 69 00:04:46,510 --> 00:04:47,270 administratif". 70 00:04:47,890 --> 00:04:54,190 Cela a un sens dans cette décision que le juge dise que cette circonstance 71 00:04:54,390 --> 00:04:58,270 suffit à elle seule à imprimer un caractère administratif au contrat. 72 00:04:58,610 --> 00:04:59,370 Pourquoi ? 73 00:04:59,650 --> 00:05:03,710 Parce que le contrat ne comportait pas de clauses particulières, 74 00:05:03,910 --> 00:05:08,230 de clauses qui ne relèvent pas du droit commun, ce qui était le 75 00:05:08,430 --> 00:05:12,250 sens de la jurisprudence Société des granits porphyroïdes des Vosges. 76 00:05:13,030 --> 00:05:17,990 Dans sa décision époux Bertin, le Conseil d’État opère une sorte 77 00:05:18,190 --> 00:05:21,050 de revirement de jurisprudence en disant que même s’il n’y a pas 78 00:05:21,250 --> 00:05:25,130 de clause spéciale dans le contrat, dès lors qu’il porte sur l’exécution 79 00:05:25,330 --> 00:05:29,930 même du service public, il est un contrat administratif. 80 00:05:30,130 --> 00:05:33,530 Donc, un contrat qui confie l’exécution d’une mission de service public 81 00:05:33,730 --> 00:05:34,850 est un contrat administratif. 82 00:05:35,190 --> 00:05:38,510 Quelques jours après, le Conseil d’État va préciser sa 83 00:05:38,710 --> 00:05:42,230 décision, va préciser sa jurisprudence époux Bertin. 84 00:05:42,430 --> 00:05:46,630 C’est une décision du 11 mai 1956, Société française des transports 85 00:05:46,830 --> 00:05:47,590 Gondrand Frères. 86 00:05:48,670 --> 00:05:53,530 Dans cette décision Gondrand Frères, le Conseil d’État explique qu’il 87 00:05:53,830 --> 00:05:57,690 ne suffit pas que le contrat soit passé pour la satisfaction des 88 00:05:57,890 --> 00:06:02,390 besoins du service public, l’administration doit concrètement 89 00:06:02,590 --> 00:06:06,550 confier l’exécution du service public à son cocontractant. 90 00:06:07,250 --> 00:06:09,790 Il doit y avoir une délégation du service public. 91 00:06:11,150 --> 00:06:15,130 Le Conseil d’État et le Tribunal des conflits assoupliront un peu 92 00:06:15,330 --> 00:06:20,470 cette jurisprudence plus tard en considérant que lorsqu’un contrat 93 00:06:20,670 --> 00:06:26,470 fait participer une personne privée à l’exécution d’une mission de 94 00:06:26,670 --> 00:06:30,310 service public, sans lui confier véritablement l’exécution de cette 95 00:06:30,510 --> 00:06:33,710 mission de service public, il y a quand même un caractère 96 00:06:33,910 --> 00:06:34,950 administratif dans ce contrat. 97 00:06:38,770 --> 00:06:43,350 Le fait qu’un cocontractant participe à l’exécution de la mission de 98 00:06:43,550 --> 00:06:46,570 service public permet d’en faire un contrat administratif. 99 00:06:49,670 --> 00:06:53,950 Pour terminer sur cet arrêt époux Bertin, j’évoquerai un point important. 100 00:06:55,490 --> 00:06:59,510 Ce critère jurisprudentiel est aujourd’hui moins utilisé 101 00:06:59,710 --> 00:07:00,470 qu’auparavant. 102 00:07:00,670 --> 00:07:01,430 Pourquoi ? 103 00:07:01,630 --> 00:07:04,430 Parce que, je vous l’ai dit dans une vidéo précédente, 104 00:07:05,470 --> 00:07:11,570 les contrats de concession de service public sont des contrats administratifs 105 00:07:11,770 --> 00:07:14,710 par détermination de la loi, c’est-à-dire que lorsqu’un contrat 106 00:07:14,910 --> 00:07:17,290 confie l’exécution d’une mission de service public à une personne 107 00:07:17,490 --> 00:07:21,550 privée, le contrat est administratif par qualification législative. 108 00:07:21,750 --> 00:07:25,310 Il n’y a plus besoin, pour un très grand nombre de contrats, 109 00:07:25,510 --> 00:07:27,490 d’avoir recours aux critères jurisprudentiels. 110 00:07:27,690 --> 00:07:28,730 Il suffit d’appliquer la loi. 111 00:07:29,050 --> 00:07:32,610 Pas besoin d’appliquer la jurisprudence Bertin, plus besoin d’appliquer 112 00:07:32,810 --> 00:07:33,890 la jurisprudence Bertin. 113 00:07:35,370 --> 00:07:39,070 Cependant, tous les contrats qui font participer une personne privée 114 00:07:39,270 --> 00:07:42,610 à une mission de service public, tous les contrats qui ont un lien 115 00:07:42,810 --> 00:07:46,870 avec une mission de service public, ne sont pas forcément des concessions 116 00:07:47,070 --> 00:07:53,290 de service public et ne sont pas qualifiés par la loi d’administratif. 117 00:07:53,930 --> 00:07:58,170 Et justement, une décision très récente permet de le comprendre, 118 00:07:59,210 --> 00:08:05,150 décision rendue par le Tribunal des conflits le 2 novembre 2020 119 00:08:05,350 --> 00:08:09,530 dans une décision Société Eveha contre INRAP. 120 00:08:10,270 --> 00:08:14,790 En l’espèce, un contrat avait été signé par la société Eveha qui 121 00:08:14,990 --> 00:08:17,790 était chargée de l’aménagement d’un quartier. 122 00:08:18,070 --> 00:08:23,290 Cette société privée avait demandé à un établissement public de réaliser 123 00:08:23,490 --> 00:08:30,290 des fouilles archéologiques sur l’un des terrains, qui était l’assiette 124 00:08:30,490 --> 00:08:31,530 de l’opération d’aménagement. 125 00:08:32,210 --> 00:08:35,910 Dans sa décision, le Tribunal des conflits a appliqué le critère 126 00:08:36,110 --> 00:08:37,330 de la jurisprudence Bertin. 127 00:08:37,550 --> 00:08:38,310 Pourquoi ? 128 00:08:38,510 --> 00:08:41,930 Parce qu’en l’occurrence, il ne s’agissait pas d’une concession. 129 00:08:44,510 --> 00:08:51,190 La société Eveha n’était pas une personne publique qui satisfaisait 130 00:08:51,390 --> 00:08:52,150 l’un de ses besoins. 131 00:08:52,350 --> 00:08:55,410 Ce n’était pas un contrat de la commande publique, c’était un contrat 132 00:08:55,610 --> 00:08:59,370 par lequel une personne privée faisait participer une personne 133 00:08:59,570 --> 00:09:03,770 publique à une activité qui relève du service public, celui des fouilles 134 00:09:03,970 --> 00:09:04,730 archéologiques. 135 00:09:04,930 --> 00:09:07,750 Puisque le contrat avait un lien avec l’exécution d’une mission 136 00:09:07,950 --> 00:09:11,630 de service public, il a été considéré, en vertu de la jurisprudence Bertin, 137 00:09:11,830 --> 00:09:13,630 comme un contrat administratif. 138 00:09:14,130 --> 00:09:19,550 Le critère de l’arrêt époux Bertin est moins appliqué, quasiment plus 139 00:09:19,750 --> 00:09:22,030 appliqué, puisqu’aujourd’hui, il y a des qualifications législatives, 140 00:09:22,230 --> 00:09:25,710 mais il demeure quand même, dans certains cas, appliqué lorsque 141 00:09:25,910 --> 00:09:29,870 le contrat fait participer à une mission de service public, 142 00:09:31,090 --> 00:09:34,770 l’un des cocontractants, mais ne relève pas de la qualification 143 00:09:34,970 --> 00:09:35,790 de concession. 144 00:09:37,730 --> 00:09:41,450 Deuxième décision très importante rendue le même jour, 145 00:09:42,310 --> 00:09:46,210 le 20 avril 1956, ministre de l’Agriculture contre consorts 146 00:09:46,410 --> 00:09:47,170 Grimouard. 147 00:09:48,330 --> 00:09:53,650 En l’espèce, le litige était né de l’exécution d’une loi de 1946 148 00:09:53,850 --> 00:09:57,150 relative à la reconstitution de la forêt française. 149 00:09:57,850 --> 00:10:00,790 Sur le fondement de cette loi, le ministre de l’Agriculture, 150 00:10:00,990 --> 00:10:04,690 qui était chargé des opérations de reboisement, a passé des contrats 151 00:10:04,890 --> 00:10:10,130 avec des propriétaires privés pour soumettre leur terrain à un régime 152 00:10:10,330 --> 00:10:11,250 forestier particulier. 153 00:10:12,070 --> 00:10:15,430 Ces contrats sont considérés par le juge, à l’époque, 154 00:10:16,130 --> 00:10:19,970 comme des contrats nécessaires à l’exécution d’une mission de 155 00:10:20,170 --> 00:10:20,930 service public. 156 00:10:21,150 --> 00:10:26,770 En l’occurrence, il ne s’agissait pas de faire participer l’un des 157 00:10:26,970 --> 00:10:31,730 cocontractants à une mission de service public, l’État ne se 158 00:10:31,930 --> 00:10:36,930 déchargeait pas de l’opération de reboisement sur des particuliers. 159 00:10:37,470 --> 00:10:42,430 Cependant, les contrats passés avec les propriétaires étaient 160 00:10:42,630 --> 00:10:47,330 des préalables nécessaires aux opérations de reboisement. 161 00:10:47,770 --> 00:10:50,530 Il s’agissait donc de contrats administratifs. 162 00:10:52,310 --> 00:10:57,710 D’une manière générale, constituent des contrats administratifs 163 00:10:57,910 --> 00:11:03,030 les contrats dont la passation est une modalité d’exécution d’un 164 00:11:03,230 --> 00:11:06,670 service public, même si le contrat ne confie pas l’exécution d’une 165 00:11:06,870 --> 00:11:07,630 mission de service public. 166 00:11:08,710 --> 00:11:14,390 Un exemple pour vous préciser la chose, en dehors de ces contrats qui 167 00:11:14,590 --> 00:11:17,730 participent au reboisement de la France, mais qui ne font pas participer 168 00:11:17,930 --> 00:11:21,210 les personnes cocontractantes à l’exécution du service public, 169 00:11:22,290 --> 00:11:26,170 les contrats de subvention avec des entreprises en difficulté. 170 00:11:26,450 --> 00:11:30,090 Ces contrats sont passés pour préserver l’emploi. 171 00:11:30,530 --> 00:11:34,510 Ce sont des contrats qui participent à l’exécution d’une mission de 172 00:11:34,710 --> 00:11:39,190 service public, mais ces contrats de subvention ne confient pas un 173 00:11:39,390 --> 00:11:41,110 service public à l’une des parties. 174 00:11:41,710 --> 00:11:43,630 Ce n’est pas l’objet de ce type de contrat. 175 00:11:43,910 --> 00:11:48,390 En revanche, la signature de ce contrat s’intègre dans l’exécution 176 00:11:48,590 --> 00:11:51,410 plus générale d’une mission de service public. 177 00:11:52,910 --> 00:11:55,350 C’était le premier critère, le premier critère matériel, 178 00:11:55,550 --> 00:12:02,670 celui du lien du contrat avec l’accomplissement d’une mission 179 00:12:02,870 --> 00:12:03,630 de service public. 180 00:12:03,890 --> 00:12:09,130 Voyons le deuxième critère matériel, la présence d’une clause qui implique 181 00:12:09,330 --> 00:12:11,550 l’application d’un régime exorbitant. 182 00:12:13,230 --> 00:12:18,870 Je précise ici rapidement que, je l’ai déjà dit, ces deux critères, 183 00:12:19,070 --> 00:12:22,410 le service public et la clause qui implique l’application d’un 184 00:12:22,610 --> 00:12:25,250 régime exorbitant, sont alternatifs. 185 00:12:26,630 --> 00:12:30,710 Soit l’un, soit l’autre, doit être rempli pour que le contrat 186 00:12:30,910 --> 00:12:33,970 soit administratif, mais il n’y a pas besoin de remplir les deux 187 00:12:34,170 --> 00:12:34,930 à la fois. 188 00:12:35,130 --> 00:12:39,910 En revanche, si aucun des deux n’est rempli, le contrat n’est 189 00:12:40,110 --> 00:12:41,530 pas administratif. 190 00:12:42,690 --> 00:12:46,290 Même si un contrat signé par une personne publique n’a pas de lien 191 00:12:46,490 --> 00:12:49,310 direct avec l’exécution d’une mission de service public, il peut encore 192 00:12:49,510 --> 00:12:50,270 être administratif. 193 00:12:50,470 --> 00:12:56,250 C’est le sens de la jurisprudence appliquée encore aujourd’hui sous 194 00:12:56,450 --> 00:13:00,330 une forme un peu particulière, Société des granits porphyroïdes 195 00:13:00,530 --> 00:13:03,430 des Vosges du 31 juillet 1912. 196 00:13:04,390 --> 00:13:08,130 La jurisprudence, vous le savez parce que je vous en ai déjà parlé, 197 00:13:08,330 --> 00:13:09,910 cette décision est ancienne. 198 00:13:11,470 --> 00:13:14,930 Le litige portait, vous le savez aussi, sur l’exécution d’un contrat de 199 00:13:15,130 --> 00:13:19,350 livraison de pavés destinés aux voies de circulation de la commune 200 00:13:19,550 --> 00:13:20,310 de Lille. 201 00:13:20,790 --> 00:13:24,330 Dans cette affaire, le Conseil d’État a estimé que le contrat 202 00:13:24,530 --> 00:13:30,390 ne contenait pas de clause donnant un caractère administratif aux 203 00:13:30,590 --> 00:13:36,330 relations entre la commune et la 204 00:13:36,530 --> 00:13:43,230 société, alors même que le contrat participait à l’exécution d’une 205 00:13:43,430 --> 00:13:44,190 mission de service public. 206 00:13:44,710 --> 00:13:49,310 Autrement dit, si l’affaire avait eu lieu après 1956, on aurait appliqué 207 00:13:49,510 --> 00:13:52,930 le critère Bertin ou le critère Grimouard, et le contrat aurait 208 00:13:53,130 --> 00:13:53,970 été administratif. 209 00:13:54,430 --> 00:13:58,450 Dans Société des granits porphyroïdes des Vosges, non, le contrat n’est 210 00:13:58,650 --> 00:14:01,450 pas considéré comme administratif, même s’il a un lien avec un service 211 00:14:01,650 --> 00:14:14,990 public parce qu’il ne comporte 212 00:14:15,190 --> 00:14:19,340 pas de clause qui fait naître des relations exorbitantes du droit commun. 213 00:14:19,540 --> 00:14:20,300 La notion de clause exorbitante du droit commun, cette notion a 214 00:14:20,500 --> 00:14:23,210 longtemps manqué de définition et elle a été définie, 215 00:14:23,410 --> 00:14:26,150 de manière assez vague tout de même, mais quand même, dans une décision 216 00:14:26,350 --> 00:14:30,530 commune de Stains, rendue par la section du contentieux le 20 octobre 217 00:14:30,730 --> 00:14:31,490 1950. 218 00:14:32,010 --> 00:14:35,970 On n’avait pas de définition entre Société des granits porphyroïdes 219 00:14:36,170 --> 00:14:38,490 des Vosges et l’arrêt commune de Stains. 220 00:14:39,550 --> 00:14:41,610 L’arrêt commune de Stains nous dit la chose suivante : 221 00:14:42,210 --> 00:14:47,450 "La clause est exorbitante lorsqu’elle a pour objet de conférer aux partis 222 00:14:47,650 --> 00:14:51,150 des droits ou de mettre à leur charge des obligations, 223 00:14:51,570 --> 00:14:56,650 étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement 224 00:14:56,850 --> 00:15:00,690 consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et 225 00:15:00,890 --> 00:15:01,650 commerciales". 226 00:15:01,850 --> 00:15:04,620 C’est une manière très alambiquée de dire la chose suivante. 227 00:15:05,570 --> 00:15:09,690 La clause exorbitante du droit commun est une clause qui serait 228 00:15:10,730 --> 00:15:15,690 illégale ou inhabituelle dans un contrat privé, dans des relations 229 00:15:15,890 --> 00:15:18,850 contractuelles de droit commun relevant du Code civil. 230 00:15:20,390 --> 00:15:24,210 Je répète, clause illégale ou clause inhabituelle. 231 00:15:24,410 --> 00:15:29,250 Autrement dit, lorsque dans un contrat passé par une personne 232 00:15:29,450 --> 00:15:31,630 publique, parce qu’il doit s’agir d’une personne publique, 233 00:15:32,650 --> 00:15:35,230 lorsqu’un contrat est passé entre une personne publique et une personne 234 00:15:35,430 --> 00:15:40,150 privée et qu’il figure au sein de ce contrat une clause qu’on 235 00:15:40,350 --> 00:15:43,910 n’a pas l’habitude de voir dans un contrat civil, soit parce qu’elle 236 00:15:44,610 --> 00:15:47,810 est inusuelle, soit parce qu’elle est carrément illégale, 237 00:15:48,690 --> 00:15:54,170 cela indique que la personne publique a voulu faire naître des relations 238 00:15:54,370 --> 00:15:55,410 de droit public. 239 00:15:56,250 --> 00:16:01,930 Le contrat est dans ce cas-là administratif, il relève du droit 240 00:16:02,130 --> 00:16:06,030 public et du juge administratif en cas de contentieux. 241 00:16:07,730 --> 00:16:14,550 Voici quelques exemples de clauses qui ont permis de qualifier des 242 00:16:14,750 --> 00:16:16,330 contrats d’administratifs. 243 00:16:17,810 --> 00:16:22,690 Une clause qui donne un pouvoir de contrôle et de sanction à 244 00:16:22,890 --> 00:16:27,830 l’administration sur son cocontractant, l’administration peut surveiller 245 00:16:28,030 --> 00:16:31,610 l’exécution du contrat par son cocontractant et lui infliger les 246 00:16:31,810 --> 00:16:32,570 sanctions. 247 00:16:32,770 --> 00:16:37,190 Lorsqu’une telle clause apparaît dans un contrat, il est administratif. 248 00:16:38,330 --> 00:16:44,390 De même, la clause qui prévoit que la comptabilité du cocontractant 249 00:16:44,590 --> 00:16:49,090 de l’administration peut être contrôlée par elle, c’est une clause inusuelle 250 00:16:49,290 --> 00:16:52,770 dans un contrat de droit privé et qui fait naître entre les parties 251 00:16:52,970 --> 00:16:54,630 des relations de droit public. 252 00:16:55,490 --> 00:16:59,610 De même pour la clause qui permet de contrôler les tarifs pratiqués 253 00:16:59,810 --> 00:17:02,850 par le cocontractant de l’administration, clause inhabituelle. 254 00:17:03,050 --> 00:17:06,550 De même pour la clause qui permet à l’administration de résilier 255 00:17:06,750 --> 00:17:11,430 ou de modifier le contrat sans le consentement de son cocontractant, 256 00:17:12,210 --> 00:17:17,190 clause qui permet encore à l’administration d’octroyer une 257 00:17:17,390 --> 00:17:19,310 exonération fiscale à son cocontractant. 258 00:17:19,890 --> 00:17:23,710 Une exonération fiscale est non seulement inhabituelle dans un 259 00:17:23,910 --> 00:17:26,090 contrat de droit privé, mais elle est même illégale dans 260 00:17:26,290 --> 00:17:27,210 un contrat de droit privé. 261 00:17:27,810 --> 00:17:30,090 Vous le voyez, ce genre de clauses sont soit inhabituelles, 262 00:17:30,290 --> 00:17:32,230 soit carrément illégales dans des contrats de droit privé, 263 00:17:32,430 --> 00:17:38,430 elles donnent une teinte administrative au contrat puisqu’elles font naître, 264 00:17:38,630 --> 00:17:44,610 ces clauses, des rapports exorbitants du droit commun, en dehors des 265 00:17:44,810 --> 00:17:45,910 relations civiles. 266 00:17:47,310 --> 00:17:51,530 Il y a cependant une hypothèse, et cette hypothèse vous la connaissez 267 00:17:51,730 --> 00:17:55,490 déjà en réalité, il y a une hypothèse très importante dans laquelle une 268 00:17:55,690 --> 00:17:59,710 clause exorbitante n’a strictement aucune conséquence sur la qualification 269 00:17:59,910 --> 00:18:00,670 du contrat. 270 00:18:00,870 --> 00:18:06,950 C’est celle qui est insérée dans un contrat entre un SPIC et un 271 00:18:07,150 --> 00:18:07,910 de ses usagers. 272 00:18:08,550 --> 00:18:13,650 Le caractère privé de la relation SPIC usager n’est jamais remis en cause, 273 00:18:14,010 --> 00:18:23,470 il l’emporte sur tout et il l’emporte notamment sur la clause exorbitante 274 00:18:23,670 --> 00:18:24,430 du droit commun. 275 00:18:24,630 --> 00:18:29,950 C’est une décision que j’ai déjà cité, Conseil d’État section 1961, 276 00:18:30,150 --> 00:18:31,690 Établissements Campanon-Rey. 277 00:18:33,370 --> 00:18:36,270 La notion de clause exorbitante du droit commun posait plusieurs 278 00:18:36,470 --> 00:18:42,690 difficultés, notamment une importante, les clauses inusuelles en droit 279 00:18:42,890 --> 00:18:48,230 privé n’en sont pas moins envisageables en droit privé puisque les parties 280 00:18:48,430 --> 00:18:51,270 sont libres de déterminer le contenu de leurs obligations. 281 00:18:52,190 --> 00:18:54,630 Je ne vous parle pas des clauses qui sont carrément illégales, 282 00:18:54,830 --> 00:18:59,450 ces clauses, c’est leur définition même, ne peuvent pas figurer dans 283 00:18:59,650 --> 00:19:01,570 des contrats entre des personnes privées. 284 00:19:01,770 --> 00:19:06,170 En revanche, une clause simplement inusuelle est simplement inusuelle, 285 00:19:06,370 --> 00:19:09,470 elle est possible dans un contrat privé. 286 00:19:09,910 --> 00:19:13,630 D’ailleurs, dans les faits, les clauses que l’on considérait 287 00:19:13,830 --> 00:19:17,950 auparavant comme inusuelles se sont développées en droit privé. 288 00:19:18,250 --> 00:19:24,250 Il y a de nombreux écrits de la doctrine civiliste qui s’interrogent 289 00:19:24,450 --> 00:19:28,030 sur la présence de certaines clauses que l’on ne voyait pas dans les 290 00:19:28,230 --> 00:19:30,250 contrats civils auparavant. 291 00:19:31,830 --> 00:19:37,050 Il existe des clauses exorbitantes du droit commun dans des contrats 292 00:19:37,250 --> 00:19:39,010 de droit commun, ce qui pose un problème. 293 00:19:39,210 --> 00:19:42,670 Comment distinguer sur cette base les contrats administratifs des 294 00:19:42,870 --> 00:19:46,450 contrats privés, puisqu’on peut trouver dans les deux des clauses 295 00:19:48,350 --> 00:19:49,530 inusuelles en droit commun. 296 00:19:50,930 --> 00:19:55,130 Le Tribunal des conflits est intervenu et a reformulé la notion de clause 297 00:19:55,330 --> 00:20:01,750 exorbitante du droit commun, dans une décision du 13 octobre 2014, 298 00:20:02,330 --> 00:20:03,850 AXA France IARD. 299 00:20:04,950 --> 00:20:13,250 Le juge utilise dorénavant la notion, quelque peu longue à prononcer, 300 00:20:13,450 --> 00:20:17,030 clauses, qui notamment par les prérogatives reconnues à la personne 301 00:20:17,230 --> 00:20:21,370 publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, 302 00:20:21,610 --> 00:20:25,450 dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant 303 00:20:25,650 --> 00:20:26,410 des contrats administratifs. 304 00:20:27,070 --> 00:20:29,650 En toute rigueur, il faudrait dire ça à chaque fois que l’on veut 305 00:20:29,850 --> 00:20:31,410 parler de clause exorbitante du droit commun. 306 00:20:31,830 --> 00:20:35,850 Évidemment, on ne vous en voudra pas si vous dites encore aujourd’hui 307 00:20:36,050 --> 00:20:40,650 clause exorbitante du droit commun, dès lors que vous savez que cela 308 00:20:40,850 --> 00:20:42,690 n’est plus l’expression utilisée. 309 00:20:42,890 --> 00:20:45,050 Je ferai deux remarques sur cette expression. 310 00:20:45,910 --> 00:20:51,750 D’abord, le caractère exorbitant de la clause n’est plus pertinent. 311 00:20:52,230 --> 00:20:55,550 En effet, le Tribunal des conflits, dans sa décision, parle de clause 312 00:20:55,750 --> 00:21:01,310 qui implique qu’il relève, le contrat, du régime exorbitant 313 00:21:01,510 --> 00:21:02,610 des contrats administratifs. 314 00:21:02,810 --> 00:21:06,010 Ce n’est donc pas la clause qui est exorbitante, c’est le régime 315 00:21:06,210 --> 00:21:11,770 qui est applicable au contrat dans lequel figure une clause particulière. 316 00:21:12,430 --> 00:21:16,330 Le critère n’est plus celui de la clause exorbitante, mais celui 317 00:21:16,530 --> 00:21:21,790 de la clause qui donne un caractère exorbitant au régime applicable 318 00:21:21,990 --> 00:21:22,750 au contrat. 319 00:21:23,530 --> 00:21:25,810 C’est le régime qui est exorbitant et non plus la clause, 320 00:21:27,050 --> 00:21:27,830 première remarque. 321 00:21:28,050 --> 00:21:36,470 Deuxième remarque, l’intérêt général était jusque-là implicitement lié 322 00:21:36,670 --> 00:21:37,630 à la clause exorbitante. 323 00:21:38,050 --> 00:21:40,430 Pourquoi y a-t-il des clauses exorbitantes dans les contrats 324 00:21:40,630 --> 00:21:41,390 administratifs ? 325 00:21:42,050 --> 00:21:47,150 Parce que l’administration chargée d’une mission d’intérêt général, 326 00:21:48,390 --> 00:21:53,330 qui passe des contrats dans l’exécution de cette mission d’intérêt général, 327 00:21:53,530 --> 00:21:57,310 insère des clauses qui lui permettent d’exécuter au mieux cette mission. 328 00:21:57,730 --> 00:21:59,850 C’est ça le but de la clause exorbitante du droit commun, 329 00:22:00,290 --> 00:22:04,610 donc la clause exorbitante dans le contrat manifeste la satisfaction 330 00:22:04,810 --> 00:22:09,030 de l’intérêt général, permet, facilite la poursuite de 331 00:22:09,230 --> 00:22:09,990 l’intérêt général. 332 00:22:10,330 --> 00:22:14,510 L’intérêt général était jusque-là implicitement prévu dans la notion 333 00:22:14,710 --> 00:22:17,030 même de clause exorbitante du droit commun. 334 00:22:17,530 --> 00:22:22,930 Mais l’intérêt général devient un critère explicite avec la décision 335 00:22:23,130 --> 00:22:30,290 à AXA France IARD puisque la clause doit être prévue dans l’intérêt 336 00:22:30,490 --> 00:22:35,410 général et dans l’intérêt général, elle doit impliquer que le contrat 337 00:22:35,610 --> 00:22:38,120 relève du régime exorbitant des contrats administratifs. 338 00:22:39,670 --> 00:22:44,010 Dorénavant, un contrat est administratif si en son sein l’intérêt 339 00:22:44,210 --> 00:22:47,910 général se manifeste très clairement par une clause qui donne à 340 00:22:48,110 --> 00:22:51,570 l’administration un pouvoir particulier, pouvoir de contrôle, 341 00:22:51,770 --> 00:22:53,850 pouvoir de sanction, pouvoir de direction, 342 00:22:54,050 --> 00:22:58,790 qui permet à l’administration de vérifier que son cocontractant 343 00:22:58,990 --> 00:23:03,910 s’acquitte correctement de ses obligations, obligations en lien 344 00:23:04,110 --> 00:23:07,330 avec la satisfaction de l’intérêt général. 345 00:23:07,530 --> 00:23:11,590 L’intérêt général est donc maintenant un critère explicite avec la 346 00:23:11,790 --> 00:23:12,830 jurisprudence AXA France IARD.