1 00:00:05,460 --> 00:00:08,622 Nous venons de voir le premier alinéa du nouvel article 1102. 2 00:00:08,666 --> 00:00:11,555 Passons maintenant au deuxième alinéa de ce même article, 3 00:00:11,600 --> 00:00:15,466 donc, une nouveauté de 2016 ainsi rédigée : 4 00:00:15,600 --> 00:00:19,466 "La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles 5 00:00:19,510 --> 00:00:21,240 qui intéressent l'ordre public". 6 00:00:21,240 --> 00:00:26,444 Encore une fois, cette notion d'ordre public fait partie de celles qui ne sont pas définies. 7 00:00:26,880 --> 00:00:28,888 Encore une fois, toute définition est dangereuse. 8 00:00:29,150 --> 00:00:31,260 On ne définit que quand c'est vraiment nécessaire. 9 00:00:31,540 --> 00:00:34,177 Quand ce n'est pas nécessaire,  on laisse aux juristes, 10 00:00:34,222 --> 00:00:40,177 on laisse aux interprètes le soin de tenter une définition de ces concepts difficiles. 11 00:00:40,310 --> 00:00:42,444 Donc, il va falloir ici parler de l'ordre public, 12 00:00:42,488 --> 00:00:44,666 cette notion d'ordre public qui bloque,  13 00:00:44,750 --> 00:00:48,400 qui est une borne à la liberté contractuelle 14 00:00:48,533 --> 00:00:51,688 et nous en profiterons aussi pour parler des bonnes mœurs  15 00:00:51,911 --> 00:00:56,711 puisque l'article 6 du Code civil qui date de 1804, 16 00:00:56,711 --> 00:00:58,577 mais, qui est toujours en vigueur aujourd'hui,  17 00:00:58,800 --> 00:01:02,755 continue à mettre sur le même plan l'ordre public et les bonnes mœurs. 18 00:01:02,850 --> 00:01:08,000 D'abord, l'ordre public et puis, après, les bonnes mœurs, les limites à la liberté contractuelle. 19 00:01:09,333 --> 00:01:16,844 Ce deuxième alinéa de l'article 802 peut être mis aussi en regard avec l'article 1162 nouveau 20 00:01:16,888 --> 00:01:22,311 - toujours dans l'ordonnance de 2016 -  du Code civil qui est ainsi rédigé : 21 00:01:22,660 --> 00:01:27,825 "Le contrat ne peut déroger à l'ordre public" - ça recommence - 22 00:01:27,911 --> 00:01:31,020 "ni par ses stipulations, ni par son but, 23 00:01:31,410 --> 00:01:35,000 que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties". 24 00:01:35,580 --> 00:01:36,510 C'est une redite. 25 00:01:37,350 --> 00:01:40,400 On voit bien que le législateur insiste sur la chose. 26 00:01:40,444 --> 00:01:42,980 C'est donc quelque chose d'important dans le droit français. 27 00:01:43,022 --> 00:01:47,560 Cela l'a été avant 2016 et ça continue à l'être après 2016. 28 00:01:49,466 --> 00:01:51,511 Dès qu'un certain nombre de matières 29 00:01:51,555 --> 00:01:57,720 qui intéressent la population en général sont hors d'atteinte de la volonté des particuliers,  30 00:01:57,777 --> 00:02:03,200 même quand des particuliers font des contrats, là aussi, ce n'est pas nouveau. 31 00:02:03,244 --> 00:02:04,590 Cela ne date pas de 2016. 32 00:02:04,790 --> 00:02:07,150 Cela ne date pas non plus de 1804. 33 00:02:07,350 --> 00:02:09,130 Cela remonte à l'antiquité romaine. 34 00:02:09,200 --> 00:02:11,070 Vous commencez à vous en douter. 35 00:02:12,030 --> 00:02:15,244 La seule chose que les codes modernes aient fait,  36 00:02:15,333 --> 00:02:19,733 le Code de 1804 qui est continué par la réforme de 2016,  37 00:02:19,860 --> 00:02:25,511 c'est de donner une étiquette à une chose qui existait déjà en fait dans l'Antiquité. 38 00:02:25,600 --> 00:02:32,888 On a désormais nommé un concept qui était encore innommé chez les juristes romains. 39 00:02:33,240 --> 00:02:38,800 Alors, je vous ai donné quelques textes,  quelques illustrations qui montrent 40 00:02:38,888 --> 00:02:43,466 que les Romains aussi plaçaient un certain nombre de questions 41 00:02:43,644 --> 00:02:45,333 hors d'atteinte des particuliers,  42 00:02:45,377 --> 00:02:48,900 hors d'atteinte des contrats conclus par les particuliers. 43 00:02:49,380 --> 00:02:55,688 Le premier texte qu'il y a sous ce deuxième alinéa de l'article 1102 44 00:02:55,777 --> 00:02:59,555 ou qui concerne ce deuxième alinéa du nouvel article 1102, 45 00:02:59,700 --> 00:03:02,133 c'est un texte de Papinien extrêmement bref. 46 00:03:02,266 --> 00:03:06,622 Mais, là aussi, à partir du 12e siècle,  quand a enseigné le droit romain,  47 00:03:06,711 --> 00:03:11,911 c'est une phrase très brève de Papinien  qui va avoir une très grande importance. 48 00:03:12,310 --> 00:03:19,066 Et c'est une phrase qui a été insérée par les compilateurs de Justinien au Livre II Titre 14 49 00:03:19,066 --> 00:03:20,488 que vous connaissez déjà. 50 00:03:20,488 --> 00:03:23,400 Livre II Titre 14, c'est le fameux titre sur les pactes, 51 00:03:23,610 --> 00:03:26,755 titre très important dans l'histoire du droit des obligations 52 00:03:26,800 --> 00:03:31,600 entre le Moyen-Âge et les codifications  modernes, les codifications contemporaines. 53 00:03:31,670 --> 00:03:33,466 Voilà ce qu'écrit Papinien : 54 00:03:33,600 --> 00:03:43,475 "le droit public ne peut être changé  par les pactes des particuliers". 55 00:03:43,600 --> 00:03:50,266 Il est probable que dans l'acception,  dans la phrase originelle de Papinien, 56 00:03:50,666 --> 00:03:54,755 Papinien ne voulait pas faire une sorte de principe, ne voulait pas écrire,  57 00:03:54,800 --> 00:03:57,330 définir une sorte de principe général. 58 00:03:57,640 --> 00:04:00,222 Il entendait droit public au sens étroit. 59 00:04:00,330 --> 00:04:03,390 Le droit public signifie souvent le droit pénal. 60 00:04:03,690 --> 00:04:08,222 On ne peut pas, par des pactes particuliers,  faire en sorte que le droit pénal,  61 00:04:08,444 --> 00:04:10,488 les procès publics comme on les appelait, 62 00:04:10,488 --> 00:04:15,244 c'est-à-dire les procès répressifs,  soient mis hors jeu ou soient modifiés. 63 00:04:15,440 --> 00:04:18,270 Donc, c'était ça sans doute qu'il avait en tête quand il a écrit cette phrase. 64 00:04:18,355 --> 00:04:22,088 Mais, peu importe, les compilateurs de Justinien l'ont sorti du contexte 65 00:04:22,140 --> 00:04:27,244 pour la mettre dans un titre consacré en général au pacte. 66 00:04:27,288 --> 00:04:30,311 Et c'est comme ça qu'on l'a compris au Moyen-Âge 67 00:04:30,400 --> 00:04:33,570 et c'est une des sources historiques de la théorie de l'ordre public. 68 00:04:33,600 --> 00:04:34,950 Lui, il ne parle pas d'ordre public. 69 00:04:34,970 --> 00:04:38,800 Il dit : "le droit public ne peut pas être changé par un pacte de particulier". 70 00:04:38,933 --> 00:04:39,688 Mais, quand même,  71 00:04:39,680 --> 00:04:45,422 on n'est pas très loin finalement de ce que nous dit ici l'article 1102, alinéa 2 72 00:04:45,555 --> 00:04:48,355 et ce que répète l'article 1162. 73 00:04:48,630 --> 00:04:51,570 Puis, j'ai continué ces illustrations. 74 00:04:51,644 --> 00:04:54,890 J'ai mis deux autres textes qui concernent le droit du mariage,  75 00:04:54,933 --> 00:04:58,350 le droit du mariage romain qui ne peut pas être changé. 76 00:04:58,400 --> 00:05:01,822 Il y a des règles du mariage qui ne sont pas dans une loi,  77 00:05:01,866 --> 00:05:06,311 qui ne sont même pas sanctionnées par des actions particulières dans l'Édit du préteur,  78 00:05:06,311 --> 00:05:09,066 mais dont on considérait qu'elles  devaient toujours s'appliquer 79 00:05:09,155 --> 00:05:13,911 et qu'on ne pouvait pas mettre hors jeu par des conventions particulières. 80 00:05:14,210 --> 00:05:20,266 Vous avez une constitution de l'Empereur Alexandre Sévère de 223 de notre ère 81 00:05:20,577 --> 00:05:22,666 et vous avez un texte de Paul. 82 00:05:22,820 --> 00:05:25,200 Le juriste Paul était contemporai des Sévère. 83 00:05:25,270 --> 00:05:27,911 Donc, ce sont deux textes du début du 3e siècle. 84 00:05:28,400 --> 00:05:33,066 Paul a probablement été Préfet du prétoire, d'ailleurs, à l'époque d'Alexandre Sévère. 85 00:05:33,066 --> 00:05:36,666 On ne sait pas exactement quand,  mais il a été un très haut personnage. 86 00:05:36,755 --> 00:05:40,133 Il a peut-être été Préfet du prétoire après la mort d'Ulpien,  87 00:05:40,577 --> 00:05:43,066 justement mort en 223 de notre ère. 88 00:05:43,111 --> 00:05:45,777 Donc, deux textes probablement contemporains,  89 00:05:45,822 --> 00:05:49,511 mais qui parlent de deux situations différentes. 90 00:05:49,710 --> 00:05:54,977 Constitution de l'Empereur du 2 février 223, inséré au Code Justinien,  91 00:05:55,511 --> 00:05:59,466 au Livre VIII Titre 38 des stipulations sans effet, 92 00:05:59,600 --> 00:06:03,555 c'est-à-dire des stipulations inutiles qui ne sont pas sanctionnables en justice. 93 00:06:04,010 --> 00:06:06,755 L'Empereur Alexandre Sévère  Auguste à Menophile,  94 00:06:06,800 --> 00:06:08,870 c'était le destinataire de la Constitution. 95 00:06:10,580 --> 00:06:13,520 Son nom est grec - c'est un nom à consonance grecque. 96 00:06:13,820 --> 00:06:17,733 C'est probablement un particulier qui a demandé à l'empereur de fixer la règle de droit. 97 00:06:17,777 --> 00:06:19,380 C'est un rescrit, comme on dit. 98 00:06:19,422 --> 00:06:23,030 Rappelez-vous, la technique du rescrit, c'est une législation à la demande. 99 00:06:23,300 --> 00:06:28,088 Mais, cette législation à la demande qui concerne un cas très particulier a vocation 100 00:06:28,080 --> 00:06:29,111 - parce qu'on les considère,  101 00:06:29,111 --> 00:06:33,155 on considère les constitutions impériales comme des précédents juridiques - 102 00:06:33,244 --> 00:06:36,933 à être appliquées à toutes les situations du même genre. 103 00:06:37,430 --> 00:06:40,311 "Il a été admis de toute antiquité", dit l'empereur - ici, 104 00:06:40,355 --> 00:06:43,066  ce sont les bureaux impériaux qui rédigent ces actes évidemment. 105 00:06:43,220 --> 00:06:47,090 "Il a été admis de toute antiquité un argument par l'histoire". 106 00:06:47,290 --> 00:06:49,777 C'est une chose qui se pratique depuis toujours. 107 00:06:49,790 --> 00:06:50,311 Vous voyez. 108 00:06:50,311 --> 00:06:51,710 Ce n'est pas fondé dans la loi. 109 00:06:51,910 --> 00:06:54,390 Ce n'est pas fondé dans l'Édit du préteur. 110 00:06:54,590 --> 00:06:59,155 C'est comme ça que ça s'est toujours fait et c'est cela, cette considération-là 111 00:06:59,155 --> 00:07:01,955 qui sert de justification à la constitution impériale. 112 00:07:01,950 --> 00:07:04,450 Que les mariages sont libres. 113 00:07:04,577 --> 00:07:05,930 Donc, là, on parle de mariage. 114 00:07:06,170 --> 00:07:12,177 Donc, il est constant que ne sont pas valables les pactes en vertu desquels 115 00:07:12,440 --> 00:07:16,711 il ne serait pas permis de divorcer et que ne sont pas tenues 116 00:07:16,750 --> 00:07:21,466 pour valides des stipulations par lesquelles des peines sont prononcées 117 00:07:21,600 --> 00:07:24,410 contre celui qui aurait fait un divorce. 118 00:07:24,620 --> 00:07:27,377 C'est un peu énigmatique, mais on voit très bien ce qui s'est passé. 119 00:07:28,010 --> 00:07:32,488 Deux époux avaient contracté mariage et à Rome,  120 00:07:33,333 --> 00:07:37,250 le divorce était très facile - pas très facile, mais a été facile. 121 00:07:37,460 --> 00:07:40,577 Le divorce était parfaitement admis dans le droit romain 122 00:07:40,622 --> 00:07:45,288 et le divorce est encore largement documenté dans les compilations de Justinien. 123 00:07:45,380 --> 00:07:49,511 Donc, le divorce, il n'y a aucun  empêchement, ni de nature religieuse  124 00:07:49,600 --> 00:07:51,688 ni de nature morale aux divorcés. 125 00:07:51,733 --> 00:07:53,911 C'est une chose qui est commune  dans la société romaine,  126 00:07:53,911 --> 00:07:56,930 surtout dans les hautes classes de la population romaine, d'ailleurs. 127 00:07:57,511 --> 00:07:59,377 Donc, il a été admis que les mariages sont libres 128 00:07:59,422 --> 00:08:05,750 et le principe de la liberté du mariage au fond rejaillit sur la liberté du divorce. 129 00:08:05,950 --> 00:08:09,511 Et ce qui s'était passé, c'est que deux époux avaient contracté mariage,  130 00:08:09,555 --> 00:08:13,955 mais, au moment de contracter mariage,  ils avaient décidé qu'ils ne divorceraient pas. 131 00:08:14,170 --> 00:08:18,080 Ils avaient renoncé par un pacte, donc, par une convention particulière. 132 00:08:18,400 --> 00:08:21,955 Ils avaient renoncé à la faculté qu'ils avaient l'un et l'autre 133 00:08:22,000 --> 00:08:24,890 - l'homme comme la femme - de demander le divorce. 134 00:08:25,090 --> 00:08:27,600 Et pour être sûr que ça ne se passerait pas, 135 00:08:27,688 --> 00:08:31,190 ils avaient prévu par ce pacte des peines, une clause pénale. 136 00:08:31,288 --> 00:08:35,670 Ils ont dit : "si l'un d'entre nous demande le divorce, il paiera à l'autre tant" 137 00:08:35,670 --> 00:08:38,450 - une somme qui était contractuelle, une convention. 138 00:08:39,022 --> 00:08:43,400 Si on est libre de contracter, pourquoi ne serait-on pas libre de décider 139 00:08:43,420 --> 00:08:46,666 qu'on ne divorcera pas et que si quelqu'un divorce,  140 00:08:46,711 --> 00:08:47,730 si quelqu'un demande divorce,  141 00:08:47,733 --> 00:08:53,066 il devra payer une indemnité en argent au conjoint dont il veut divorcer. 142 00:08:53,111 --> 00:08:54,622 Donc, c'est ce qui s'était passé. 143 00:08:54,990 --> 00:08:56,300 Il y a eu un procès. 144 00:08:56,311 --> 00:08:57,260 On ne sait pas exactement. 145 00:08:57,288 --> 00:08:58,220 On ne connaît rien du procès. 146 00:08:58,222 --> 00:09:00,650 On sait qu'il y a eu un procès et à l'occasion de ce procès,  147 00:09:00,711 --> 00:09:03,380 on demande à l'empereur de fixer la règle du droit. 148 00:09:03,422 --> 00:09:07,866 Et l'empereur répond : "non, puisque les mariages sont libres, implicitement" 149 00:09:07,866 --> 00:09:11,377 - l'empereur ne le dit pas expressément - "les divorces sont libres". 150 00:09:11,511 --> 00:09:14,400 Et un pacte, même parfaitement valable, par ailleurs,  151 00:09:14,400 --> 00:09:18,400 un pacte qui déroge à cette règle de toute antiquité, 152 00:09:18,400 --> 00:09:21,733 à cette règle ancienne  du mariage, n'est pas valide. 153 00:09:21,822 --> 00:09:26,133 Et autrement dit, si quelqu'un, si un des deux époux, en l'occurrence, là, demande le divorce, 154 00:09:26,311 --> 00:09:30,666 l'autre époux ne pourra pas le poursuivre en paiement de l'indemnité 155 00:09:30,755 --> 00:09:33,440 prévue par la clause pénale de leur convention. 156 00:09:33,511 --> 00:09:36,890 Donc, vous voyez, il ne parle pas d'ordre public ni de droit public. 157 00:09:37,100 --> 00:09:41,290 L'étiquette n'existe pas dans l'Antiquité, mais la chose est déjà là. 158 00:09:41,333 --> 00:09:43,466 C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de règles 159 00:09:43,555 --> 00:09:47,511 qu'on ne peut pas changer par des conventions particulières 160 00:09:47,820 --> 00:09:51,200 et il y a un autre texte juste dessous, un texte de Paul, 161 00:09:51,288 --> 00:09:56,444 donc, contemporain, tiré des réponses de Paul et qui, lui, ce texte-là,  162 00:09:56,444 --> 00:10:02,500 a été inséré au Livre 45 Digeste Titre  premier des obligations par mots. 163 00:10:02,533 --> 00:10:07,644 C'est un énorme titre, un très gros titre du Digeste et c'est la stipulation. 164 00:10:07,644 --> 00:10:11,822 Les obligations par paroles, les obligations verbales, les obligations par mots, 165 00:10:11,866 --> 00:10:14,044 toutes ces expressions sont quasi-synonymes. 166 00:10:14,622 --> 00:10:19,511 C'est la stipulation dans laquelle l'obligation du promettant naît du prononcé 167 00:10:19,600 --> 00:10:21,760 de certaines paroles prévues par le droit. 168 00:10:22,280 --> 00:10:26,800 Et là, c'est un autre cas qui concerne le droit du mariage, finalement. 169 00:10:27,155 --> 00:10:31,644 Deux personnes s'étaient mariées, une Titia et un Gaius. 170 00:10:31,733 --> 00:10:33,290 Gaius et Titia s'étaient mariés. 171 00:10:33,520 --> 00:10:38,580 Titia, la femme, donc, l'épouse,  avait un fils d'un précédent mariage. 172 00:10:38,933 --> 00:10:42,133 Et Gaius avait aussi une famille, notamment, une fille. 173 00:10:42,220 --> 00:10:47,866 Et au moment du mariage, les deux époux avaient prévu le mariage de leurs deux enfants. 174 00:10:47,955 --> 00:10:54,133 Vous voyez, l'un a une fille, l'autre a un garçon. 175 00:10:54,220 --> 00:10:57,333 Ils disent : "quand ils seront en âge de se marier, nous les marierons". 176 00:10:57,644 --> 00:11:04,870 Et si jamais, entre-temps, l'un de nous abandonne cette idée, 177 00:11:05,022 --> 00:11:07,060 il paiera aussi une indemnité. 178 00:11:07,111 --> 00:11:10,720 Si jamais ce mariage ne se fait pas du fait de l'un des deux époux, 179 00:11:10,920 --> 00:11:16,888 nonobstant le pacte, nonobstant le contrat,  bien, il paiera aussi une indemnité. 180 00:11:17,050 --> 00:11:18,940 Puis, l'incident est arrivé. 181 00:11:19,380 --> 00:11:26,577 Le mari Gaius est mort, alors qu'il était encore marié à Titia. 182 00:11:26,780 --> 00:11:31,066 Et par la suite, sa fille, c'était la fille de Gaius  qui avait été promise en quelque sorte 183 00:11:31,155 --> 00:11:34,355 par la convention des parents au fils de Titia. 184 00:11:34,800 --> 00:11:37,600 Bien, la fille refuse de l'épouser 185 00:11:37,733 --> 00:11:45,200 et on se demandait si les héritiers du père,  les héritiers du décédé, les héritiers de Gaius  186 00:11:45,288 --> 00:11:49,777 pouvaient être poursuivis en justice en paiement de l'indemnité 187 00:11:49,860 --> 00:11:52,488 qu'ils s'étaient engagés à payer, 188 00:11:52,620 --> 00:11:57,155 si jamais le mariage ne se faisait pas du fait de l'un des cocontractants,  189 00:11:57,200 --> 00:11:58,220 en l'occurrence, c'était la fille. 190 00:11:58,222 --> 00:12:00,844 Vous voyez, il y a une certaine incertitude juridique. 191 00:12:00,930 --> 00:12:04,533 Et là, on a demandé au juriste, 192 00:12:04,577 --> 00:12:10,355 on lui a demandé de donner son avis et il dit : "on répond". 193 00:12:10,355 --> 00:12:11,911 C'est-à-dire, moi, je réponds. 194 00:12:12,133 --> 00:12:15,640 Je demande si les héritiers de Gaius sont tenus par la stipulation, 195 00:12:15,940 --> 00:12:17,688 on répond, c'est-à-dire moi, Paul, 196 00:12:17,822 --> 00:12:20,444 je réponds à la consultation qu'on m'a demandée 197 00:12:20,577 --> 00:12:23,770 en mettant mon autorité de  jurisconsulte dans la balance. 198 00:12:23,770 --> 00:12:30,133 On répond qu'à celui qui agit en vertu de la stipulation qui est invoquée, il faut,  199 00:12:30,355 --> 00:12:32,488 parce qu'elle a été faite contre les bonnes mœurs 200 00:12:32,577 --> 00:12:34,311 - vous voyez, on voit apparaître les bonnes mœurs là - 201 00:12:34,400 --> 00:12:36,755 opposer l'exception de mauvais dol,  202 00:12:36,888 --> 00:12:39,644 puisque cela a été considéré comme déshonnête,  203 00:12:39,688 --> 00:12:45,500 que les mariages fussent enchaînés par le lien d'une peine, qu'il soit futur ou déjà contracté. 204 00:12:45,810 --> 00:12:50,311 Donc, Paul est tout à fait d'accord au fond avec la Constitution d'Alexandre Sévère. 205 00:12:50,311 --> 00:12:55,200 Il dit : "on ne peut pas enchaîner,  limiter le droit du mariage" 206 00:12:55,288 --> 00:13:00,844 - mais, il s'agit d'un mariage et non pas d'un divorce - "par une convention particulière". 207 00:13:01,120 --> 00:13:04,933 Voilà deux textes qui concernent le droit du mariage ou du divorce finalement,  208 00:13:05,022 --> 00:13:09,066 mais, qu'aujourd'hui, nous interpréterions finalement 209 00:13:09,244 --> 00:13:14,620 comme une atteinte de convention que nous considérions aujourd'hui 210 00:13:14,844 --> 00:13:18,622 porter atteinte à ce qu'on appelle maintenant l'ordre public. 211 00:13:18,800 --> 00:13:22,177 Donc, voilà pour ces illustrations romaines. 212 00:13:22,222 --> 00:13:23,377 On pourrait en trouver d'autres. 213 00:13:23,470 --> 00:13:28,355 J'avais mis un texte aussi concernant le droit des personnes protégées, le droit des mineurs, 214 00:13:28,444 --> 00:13:29,740 mais je peux le laisser de côté. 215 00:13:29,940 --> 00:13:31,030 C'est pour votre information. 216 00:13:31,111 --> 00:13:32,933 Vous pouvez le lire vous-mêmes. 217 00:13:33,288 --> 00:13:39,422 Donc, voilà ce qui concerne l'ordre public. 218 00:13:40,355 --> 00:13:44,200 Maintenant, nous pouvons passer aux bonnes mœurs, autre notion, 219 00:13:44,266 --> 00:13:47,555 autre concept non défini par le législateur finalement,  220 00:13:47,600 --> 00:13:51,244 mais, qui est toujours en vigueur parce qu'au début du Code civil,  221 00:13:51,466 --> 00:13:55,866 vous avez toujours cet article 6 qui est ainsi rédigé : 222 00:13:56,044 --> 00:13:58,755 "on ne peut déroger par des conventions particulières" 223 00:13:58,844 --> 00:14:03,288 - une convention qui était tellement fréquente dans l'ancienne rédaction du Code civil - 224 00:14:06,133 --> 00:14:11,280 "aux lois qui intéressent l'ordre public" - ça,  on vient d'en parler - "et les bonnes mœurs". 225 00:14:11,410 --> 00:14:17,111 Il est possible qu'à l'avenir, quand on continuera à réformer le Code civil, 226 00:14:17,333 --> 00:14:20,800 qu'on supprime cet article 6 parce que la notion de bonnes mœurs,  227 00:14:20,844 --> 00:14:24,577 évidemment, personne n'arrive à en donner une définition très claire. 228 00:14:24,577 --> 00:14:28,230 Mais, surtout c'est une définition extrêmement controversée. 229 00:14:28,450 --> 00:14:33,022 Il n'y a aucune unanimité dans la société sur ce que sont justement ces bonnes mœurs. 230 00:14:33,110 --> 00:14:36,000 Là, tout dépend finalement de toutes sortes,  231 00:14:36,088 --> 00:14:41,430 de trop de facteurs pour que ça soit une catégorie utilisable. 232 00:14:41,466 --> 00:14:45,555 Donc, c'est beaucoup trop flou, beaucoup trop contesté, beaucoup trop divers. 233 00:14:45,550 --> 00:14:49,911 Il y a trop de différences dans la définition des bonnes mœurs pour que ça reste à l'avenir. 234 00:14:49,955 --> 00:14:51,240 Mais, enfin, pour l'instant,  235 00:14:51,377 --> 00:14:54,177 c'est toujours du droit positif et puisque c'est dans le Code civil,  236 00:14:54,222 --> 00:14:56,888 puisque l'article 6 existe, on peut, à la limite,  237 00:14:56,933 --> 00:15:01,644 les avocats peuvent au fond invoquer l'article 6 238 00:15:01,688 --> 00:15:05,250 pour faire déclarer par un tribunal qu'une convention est nulle,  239 00:15:05,333 --> 00:15:08,222 qu'un contrat est nul, parce qu'il porte atteinte aux bonnes mœurs. 240 00:15:08,580 --> 00:15:17,733 J'ai mis quelques textes romains dessous sous l'article 1102 alinéa 2, un texte de Papinien,  241 00:15:17,822 --> 00:15:20,044 d'abord tiré des questions de Papinien,  242 00:15:20,088 --> 00:15:26,000 et inséré dans le Digeste, au Livre 22 Titre I, le titre sur les usures, 243 00:15:26,044 --> 00:15:28,920 donc, les intérêts et les fruits. 244 00:15:29,780 --> 00:15:31,910 Voilà ce que dit Papinien. 245 00:15:32,000 --> 00:15:36,990 Cela ressemble vraiment à une sorte d'exposé général, de principe général. 246 00:15:37,350 --> 00:15:40,977 Il convient d'observer en général,  oui, en général, on sent bien que là,  247 00:15:41,066 --> 00:15:47,333 il y a une volonté de définir une règle applicable à tous les cas de figure. 248 00:15:47,640 --> 00:15:49,466 Il convient d'observer en général 249 00:15:49,688 --> 00:15:54,355 que ne reçoit pas exécution l'action de bonne foi qui est demandée,  250 00:15:54,444 --> 00:15:56,444 contrairement aux bonnes mœurs. 251 00:15:56,480 --> 00:15:58,088 Vous voyez, là, il n'explique pas de quoi il s'agit,  252 00:15:58,133 --> 00:16:02,977 mais, il dit ce qui est demandé, les actions en justice, les actions personnelles en justice 253 00:16:03,022 --> 00:16:09,155 qui vont contre les bonnes mœurs doivent être repoussées quand la partie en justice, 254 00:16:09,155 --> 00:16:11,644 le justiciable, demande la délivrance d'une action,  255 00:16:11,688 --> 00:16:16,933 si on fait valoir au préteur, par exemple,  dans la phase par-devant le tribunal, le prêteur, 256 00:16:16,933 --> 00:16:20,400 on fait valoir que sa demande est contraire aux bonnes mœurs, 257 00:16:20,400 --> 00:16:27,822 dans ce cas-là, le préteur, en s'appuyant sur des opinions comme celles de Papinien ici, 258 00:16:27,911 --> 00:16:30,622 peut refuser de donner une action. 259 00:16:31,170 --> 00:16:35,777 Et cette notion de bonnes mœurs trouve son origine, 260 00:16:36,977 --> 00:16:41,511 notamment, dans le Digeste, dans une condiction 261 00:16:41,910 --> 00:16:44,266 - cette action personnelle, cette action en justice -  262 00:16:45,911 --> 00:16:51,333 spéciale qui a été façonnée au début de l'Empire romain,  263 00:16:51,860 --> 00:17:00,150 qu'on appelait la condiction pour une cause honteuse ou injuste. 264 00:17:00,350 --> 00:17:01,770 De quoi s'agissait-il ? 265 00:17:01,980 --> 00:17:09,022 Il s'agissait d'une action en justice,  mais, qui a été très largement étendue. 266 00:17:09,244 --> 00:17:13,155 La condiction est une vieille action en justice du droit romain. 267 00:17:13,155 --> 00:17:16,533 Elle remontait à l'extrême fin du 3e siècle de notre ère,  268 00:17:16,577 --> 00:17:19,244 au cours de l'année 200 avant Jésus-Christ. 269 00:17:19,240 --> 00:17:20,690 Donc, c'est du droit romain ancien. 270 00:17:21,060 --> 00:17:27,377 La condiction était - on en a déjà parlé - l'action typique du droit des obligations. 271 00:17:27,440 --> 00:17:31,733 C'était l'action qui sanctionnait, notamment,  la stipulation et le contrat de prêt,  272 00:17:31,777 --> 00:17:33,244 donc, deux opérations lourdes :  273 00:17:33,333 --> 00:17:36,390 une opération formaliste et une opération réelle. 274 00:17:36,780 --> 00:17:39,360 Et ça, c'était la condiction sous la République. 275 00:17:39,560 --> 00:17:41,600 Et il me semble qu'au début de l'Empire, 276 00:17:41,866 --> 00:17:48,977 les juristes romains aient approuvé l'idée que l'on puisse donner une condiction 277 00:17:50,355 --> 00:17:56,577 à un demandeur dans des cas autres que la stipulation ou le contrat de prêt. 278 00:17:56,577 --> 00:17:59,466 Autrement dit, pour sanctionner d'autres litiges,  279 00:17:59,466 --> 00:18:02,933 finalement, d'autres intérêts que ceux du stipulant,  280 00:18:02,970 --> 00:18:08,222 du créancier d'un contrat de stipulation ou que ceux du prêteur 281 00:18:08,266 --> 00:18:13,511 dans le cas - prêteur avec un accent circonflexe - du prêt de consommation.