1 00:00:05,080 --> 00:00:09,740 Voyons maintenant notre dernier fait justificatif, l'état de nécessité. 2 00:00:10,340 --> 00:00:14,480 Il se retrouve à l'article 122-7 du Code pénal et la rédaction de 3 00:00:14,680 --> 00:00:20,460 cet article doit être analysée avec beaucoup de détails puisqu'il 4 00:00:20,660 --> 00:00:25,180 se rapproche et emprunte énormément au cas de légitime défense et à 5 00:00:25,380 --> 00:00:26,140 la contrainte. 6 00:00:26,340 --> 00:00:30,540 Il a été notamment appliqué par les juges très longtemps mais sa 7 00:00:30,740 --> 00:00:31,860 consécration est tardive. 8 00:00:32,200 --> 00:00:38,240 C'est seulement avec le Code pénal de 1992 qu'on arrive à l'intégrer 9 00:00:38,440 --> 00:00:40,480 dans le Code pénal. 10 00:00:40,760 --> 00:00:44,720 Mais il existait déjà en matière de la jurisprudence et notamment 11 00:00:44,920 --> 00:00:52,480 avec l'affaire Louise Ménard, une décision du 4 mars 1898 où 12 00:00:52,680 --> 00:01:01,280 le "bon juge" Magnaud va considérer que Louise Ménard, une mère de 13 00:01:01,480 --> 00:01:06,720 famille qui a volé du pain pour nourrir son enfant, va pouvoir 14 00:01:06,920 --> 00:01:12,800 bénéficier de l'état de nécessité afin d'être relaxée. 15 00:01:13,000 --> 00:01:18,460 Mais cette analyse, puisque l'état 16 00:01:18,660 --> 00:01:22,520 de nécessité n'existait pas, va être fondée sur la contrainte 17 00:01:22,720 --> 00:01:23,480 morale. 18 00:01:23,840 --> 00:01:28,420 C'est en première instance que le fondement de contrainte morale 19 00:01:28,620 --> 00:01:36,920 va être bénéfique pour relaxer cette mère de famille et en deuxième 20 00:01:37,120 --> 00:01:43,120 instance, ça va être sur l'absence d'intention que va être fondée 21 00:01:43,360 --> 00:01:47,180 la décision judiciaire pour confirmer la relaxe. 22 00:01:47,380 --> 00:01:52,300 Mais c'est déjà un premier pas sur la réflexion de l'état de 23 00:01:52,500 --> 00:01:56,380 nécessité, même s'il n'apparaît pas clairement dans cette décision. 24 00:01:56,720 --> 00:02:01,020 Et c'est la première décision qui évoque un peu le contexte, 25 00:02:01,360 --> 00:02:04,860 les circonstances dans lesquelles on peut appliquer l'état de nécessité, 26 00:02:05,100 --> 00:02:09,460 sans véritablement être mobilisé comme fondement puisqu'il n'existe pas. 27 00:02:09,680 --> 00:02:14,680 Donc il faut attendre deux autres arrêts plus tard où on voit l'évolution 28 00:02:14,880 --> 00:02:18,340 et la consécration de la cause d'irresponsabilité et son régime 29 00:02:18,540 --> 00:02:20,120 vraiment développé. 30 00:02:20,320 --> 00:02:23,420 Ce sont notamment l'affaire Regina et l'affaire Lesage, 31 00:02:23,920 --> 00:02:29,940 donc la Cour d'appel de Colmar du 6 décembre 1957 avec l'affaire 32 00:02:30,140 --> 00:02:35,120 Regina et la chambre criminelle du 28 juin 1958 avec l'affaire 33 00:02:35,320 --> 00:02:39,320 Lesage qui vont proposer la consécration de la cause 34 00:02:39,520 --> 00:02:44,700 d'irresponsabilité d'état de nécessité avec son régime véritablement 35 00:02:44,900 --> 00:02:46,020 développé. 36 00:02:46,620 --> 00:02:50,900 Puis finalement, c'est le Code en 1992 qui consacre les développements 37 00:02:51,100 --> 00:02:54,720 jurisprudentiels qui ont été exposés jusqu'à maintenant. 38 00:02:55,340 --> 00:03:00,620 Finalement le Code dans cet article 122-7 va regrouper notamment les 39 00:03:00,820 --> 00:03:06,500 conditions qui sont nécessaires pour établir et admettre l'état 40 00:03:06,700 --> 00:03:07,460 de nécessité. 41 00:03:07,660 --> 00:03:13,360 Les conditions tiennent notamment au danger actuel ou imminent qui 42 00:03:13,560 --> 00:03:16,960 permet de justifier l'acte infractionnel. 43 00:03:17,620 --> 00:03:22,400 Donc ce danger actuel ou imminent qui pousse l'agent à commettre 44 00:03:22,600 --> 00:03:27,500 une infraction va être apprécié souverainement par les juges de fond. 45 00:03:27,760 --> 00:03:32,140 Il faut que l'agent se trouve alors dans une situation de danger sans 46 00:03:32,340 --> 00:03:35,240 sa faute. 47 00:03:35,440 --> 00:03:41,220 Cette condition tenant à la nécessité de l'acte accompli, donc un acte 48 00:03:41,420 --> 00:03:46,800 unique pour éviter le danger actuel ou imminent, il faut qu'il soit 49 00:03:47,000 --> 00:03:51,980 analysé de façon proportionnelle entre les moyens employés et la 50 00:03:52,180 --> 00:03:53,560 gravité de la menace. 51 00:03:53,820 --> 00:03:58,780 Ici encore une fois, la menace va être analysée et il 52 00:03:58,980 --> 00:04:03,380 doit porter cette analyse sur la personne qui réalise l'infraction 53 00:04:03,580 --> 00:04:08,560 ou soit sur une autre personne qui se sent menacée ou un bien. 54 00:04:08,920 --> 00:04:14,660 Donc le danger également doit être un danger actuel, imminent mais 55 00:04:14,860 --> 00:04:18,300 suffisamment grave pour justifier l'infraction. 56 00:04:18,720 --> 00:04:26,060 Donc cela également s'apprécie également de façon souveraine par 57 00:04:26,260 --> 00:04:30,900 les juges et en réalité ils le font de façon très sévère. 58 00:04:31,360 --> 00:04:34,340 Quelles sont les conséquences de l'état de nécessité ? 59 00:04:34,540 --> 00:04:36,900 C'est notamment l'absence de responsabilité pénale, 60 00:04:37,160 --> 00:04:41,340 donc encore une fois pas de culpabilité, pas de responsabilité, 61 00:04:41,540 --> 00:04:46,860 pas de peine et il faut analyser que la personne ne s'est pas retrouvée 62 00:04:47,060 --> 00:04:50,540 dans la situation d'état de nécessité qui l'a poussée à commettre 63 00:04:50,740 --> 00:04:52,080 l'infraction par sa faute. 64 00:04:57,220 --> 00:05:03,340 Analysons maintenant quelques cas spécifiques qui nous évoquent l'état 65 00:05:03,540 --> 00:05:09,520 de nécessité mais qui ont été rédigés de façon très spécifique et qui 66 00:05:09,720 --> 00:05:15,780 vont consacrer un cas vraiment spécial de l'état de nécessité 67 00:05:15,980 --> 00:05:18,140 et ça concerne notamment les lanceurs d'alerte. 68 00:05:18,420 --> 00:05:23,360 Les lanceurs d'alerte, c'est un nouveau cas qui permet 69 00:05:23,560 --> 00:05:29,060 que lorsqu'un individu transgresse des obligations notamment de discrétion 70 00:05:29,260 --> 00:05:34,880 et de hiérarchie afin de rendre publique une information d'intérêt 71 00:05:35,080 --> 00:05:38,020 général, par exemple dans les cas de corruption, de pollution 72 00:05:38,220 --> 00:05:42,780 environnementale, de santé publique, on va pouvoir exonérer, 73 00:05:43,140 --> 00:05:50,320 justifier l'acte infractionnel, dévoiler ces informations et considérer 74 00:05:50,520 --> 00:05:53,760 que la personne n'est pas responsable pénalement. 75 00:05:54,020 --> 00:06:05,200 Alors cette figure de lanceur d'alerte a été définie et apportée par la 76 00:06:05,400 --> 00:06:11,660 loi du 9 décembre 2016 qui est 77 00:06:11,860 --> 00:06:16,740 la loi Sapin 2 dans son article 6 et il se retrouve aujourd'hui 78 00:06:16,940 --> 00:06:20,300 dans l'article 122-9 du Code pénal. 79 00:06:21,900 --> 00:06:28,120 Ensuite on a vu des développements et des précisions faites par une 80 00:06:28,320 --> 00:06:35,260 directive européenne du 25 septembre 2019 qui a amélioré la condition 81 00:06:35,460 --> 00:06:38,340 et les définitions apportées par la loi et finalement, 82 00:06:38,540 --> 00:06:42,980 c'est la loi du 21 mars 2022 qui vient renforcer la protection des 83 00:06:43,180 --> 00:06:43,940 lanceurs d'alerte. 84 00:06:44,140 --> 00:06:49,460 Donc finalement lorsqu'on regarde l'article qui ressort de ces 85 00:06:49,660 --> 00:06:54,180 évolutions, l'article 122-9 qui a été inséré dans le code comme 86 00:06:54,380 --> 00:06:59,360 une cause d'exonération spécifique des lanceurs d'alerte, 87 00:06:59,560 --> 00:07:02,480 qui se rapproche un peu de l'état de nécessité mais de façon très 88 00:07:02,680 --> 00:07:06,900 spécifique pour les lanceurs d'alerte, on voit que la lecture est quand 89 00:07:07,100 --> 00:07:07,860 même très difficile. 90 00:07:08,200 --> 00:07:11,560 Donc c'est un grand progrès, un grand progrès démocratique parce 91 00:07:11,760 --> 00:07:16,840 qu'il permet de protéger les personnes qui vont divulguer des informations 92 00:07:17,040 --> 00:07:23,460 qui concernent l'intérêt général et l'intérêt de tous. 93 00:07:23,880 --> 00:07:28,640 Mais dans sa rédaction, malgré la volonté législative de 94 00:07:28,840 --> 00:07:35,000 consacrer cette protection, elle nous laisse quelques critiques. 95 00:07:35,280 --> 00:07:43,120 Donc déjà il n'y a pas une véritable définition des lanceurs d'alerte. 96 00:07:43,320 --> 00:07:47,740 Pour trouver la définition des lanceurs d'alerte, il faut un renvoi 97 00:07:47,940 --> 00:07:54,120 à l'article 6 de la loi Sapin 2 qui apporte la définition. 98 00:07:55,080 --> 00:08:00,040 Et on constate à la lecture que seulement les personnes physiques 99 00:08:00,240 --> 00:08:04,340 sont concernées par cette protection des lanceurs d'alerte. 100 00:08:04,540 --> 00:08:09,520 Les personnes morales sont exclues et dans ce sens-là, on se pose 101 00:08:09,720 --> 00:08:15,220 la question si des associations ou des groupements consolidés qui 102 00:08:15,420 --> 00:08:19,680 divulguent des informations qui concernent un intérêt général ne 103 00:08:19,880 --> 00:08:23,360 seront pas protégés par le statut des lanceurs d'alerte. 104 00:08:23,900 --> 00:08:27,540 Également, on voit que la personne doit révéler des secrets ou 105 00:08:27,740 --> 00:08:30,720 informations de façon sans contrepartie financière. 106 00:08:30,940 --> 00:08:35,720 Et là, on voit bien que c'est la bonne foi du lanceur d'alerte qui 107 00:08:35,920 --> 00:08:42,240 va être analysée lorsqu'on évalue ce fait justificatif. 108 00:08:42,620 --> 00:08:48,600 Les lanceurs d'alerte peuvent également être employés ou pas de l'organisme 109 00:08:48,800 --> 00:08:49,560 qu'ils dénoncent. 110 00:08:49,760 --> 00:08:56,000 Et là, on voit un véritable effort pour trouver un équilibre sur cette 111 00:08:56,200 --> 00:09:00,020 protection et couvrir la totalité des personnes physiques qui pourraient 112 00:09:00,220 --> 00:09:01,400 être concernées par la question. 113 00:09:02,660 --> 00:09:06,860 Finalement, à la lecture de l'article, on voit que le lanceur d'alerte 114 00:09:07,060 --> 00:09:11,040 peut être protégé à deux moments selon deux hypothèses. 115 00:09:11,240 --> 00:09:16,700 Soit le lanceur d'alerte a divulgué un secret protégé, soit il a soustrait 116 00:09:16,900 --> 00:09:20,840 ou recelé les documents ou tout autre support contenant des 117 00:09:21,040 --> 00:09:25,060 informations dont il a eu connaissance de manière licite et les a, 118 00:09:25,260 --> 00:09:26,840 par la suite, divulgués. 119 00:09:27,060 --> 00:09:31,460 Face à ces deux situation, le lanceur d'alerte pourra être 120 00:09:31,660 --> 00:09:37,300 protégé, mais à condition que la divulgation soit nécessaire et 121 00:09:37,500 --> 00:09:42,880 proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et qu'il intervienne 122 00:09:43,080 --> 00:09:47,500 dans le respect des conditions des signalements qui ont été exposés 123 00:09:47,700 --> 00:09:52,360 et détaillés par la loi de 2022. 124 00:09:54,160 --> 00:09:59,080 Cette loi de 2022, la loi du 21 mars 2022 qui renforce la protection 125 00:09:59,280 --> 00:10:03,000 des lanceurs d'alerte, établit comme une espèce de hiérarchie 126 00:10:03,200 --> 00:10:04,520 dans les signalements. 127 00:10:04,960 --> 00:10:10,220 On voit également que cette loi va venir apporter et intégrer un 128 00:10:10,420 --> 00:10:14,600 concept qui avait été négligé auparavant par la législation qui 129 00:10:14,800 --> 00:10:17,180 est le concept de facilitateur. 130 00:10:17,520 --> 00:10:27,020 Il permet de protéger également la personne qui va porter une aide 131 00:10:27,220 --> 00:10:28,440 à un lanceur d'alerte. 132 00:10:28,740 --> 00:10:34,780 Dans ce sens-là, cette évolution et ce complément qu'apporte la 133 00:10:34,980 --> 00:10:42,040 loi de 2022 se présentent très salutaires pour reconnaître les 134 00:10:42,240 --> 00:10:43,100 faits justificatifs. 135 00:10:44,800 --> 00:10:49,280 À côté de tous ces faits justificatifs qu'on vient de voir, 136 00:10:49,660 --> 00:10:52,760 on a également des faits justificatifs prétoriens. 137 00:10:52,980 --> 00:10:59,020 Ces faits justificatifs prétoriens sont assez précis en matière de 138 00:10:59,220 --> 00:11:02,740 droit de la défense et en matière de protestation politique. 139 00:11:03,400 --> 00:11:06,280 La Cour de cassation, depuis quelques années, 140 00:11:06,640 --> 00:11:11,300 prend en compte des causes de justification qui sont prises en 141 00:11:11,500 --> 00:11:12,700 considération par les juges. 142 00:11:12,900 --> 00:11:16,400 C'est-à-dire que ce sont des faits justificatifs qui ont été développés 143 00:11:16,600 --> 00:11:20,440 par les magistrats sans aucun support législatif. 144 00:11:20,860 --> 00:11:25,900 Les juges regardent un peu les contextes de l'infraction et en 145 00:11:26,100 --> 00:11:28,560 regard des circonstances justificatives, ils arrivent à 146 00:11:28,760 --> 00:11:32,120 identifier ce qu'on appelle un mobile légitime à la commission 147 00:11:32,320 --> 00:11:33,080 de l'infraction. 148 00:11:33,440 --> 00:11:37,060 Ce mobile légitime de la commission de l'infraction permet de sortir 149 00:11:37,260 --> 00:11:41,280 du terrain de la responsabilité et excuser et exonérer la 150 00:11:41,480 --> 00:11:42,240 responsabilité. 151 00:11:42,440 --> 00:11:46,900 Les cas sont nombreux, mais on peut identifier deux faits 152 00:11:47,100 --> 00:11:49,960 justificatifs prétoriens très clairement. 153 00:11:51,140 --> 00:11:54,900 Comme vous le voyez bien, on est dans un terrain d'interprétation 154 00:11:55,100 --> 00:11:59,480 judiciaire qui pose des problèmes, notamment en matière du principe 155 00:11:59,680 --> 00:12:03,600 de légalité criminelle et du principe d'indifférence du mobile. 156 00:12:03,960 --> 00:12:08,320 Mais finalement, les magistrats développent ce cas de justification 157 00:12:08,520 --> 00:12:12,180 et l'appliquent de façon répétée. 158 00:12:12,380 --> 00:12:15,100 Donc le premier cas, c'est la justification fondée sur 159 00:12:15,300 --> 00:12:19,540 l'exercice des droits de la défense et c'est notamment en matière du 160 00:12:19,740 --> 00:12:24,780 droit de travail lorsqu'il y a un conflit, on voit bien qu'il 161 00:12:24,980 --> 00:12:27,520 y a un conflit entre la chambre sociale et la chambre criminelle 162 00:12:27,720 --> 00:12:33,860 qui concerne le cas où un salarié 163 00:12:34,060 --> 00:12:38,640 a volé des documents à son employeur dans le but de les produire devant 164 00:12:38,840 --> 00:12:41,700 les juridictions prudhommales pour contester un licenciement. 165 00:12:41,900 --> 00:12:45,760 Lorsqu'on est dans cette hypothèse, on a vu qu'il y a un conflit 166 00:12:45,960 --> 00:12:49,000 d'interprétation entre la chambre sociale et la chambre criminelle. 167 00:12:49,200 --> 00:12:52,500 La chambre sociale, depuis l'arrêt du 12 décembre 1998, 168 00:12:53,340 --> 00:12:58,660 admet sans aucun problème la recevabilité des documents volés 169 00:12:58,860 --> 00:12:59,620 par le salarié. 170 00:13:00,380 --> 00:13:04,120 La chambre criminelle, en revanche, considère que puisqu'il 171 00:13:04,320 --> 00:13:07,300 y a un vol de documents, on peut mobiliser et appliquer 172 00:13:07,500 --> 00:13:13,860 l'infraction de vol de documents et arriver à une condamnation pénale. 173 00:13:14,320 --> 00:13:21,660 Mais deux arrêts du 11 mai 2004 de la chambre criminelle vont mettre 174 00:13:21,860 --> 00:13:25,000 terme à ces conflits qui existaient entre la chambre sociale et la 175 00:13:25,200 --> 00:13:30,660 chambre criminelle et vont finalement admettre les vols mais sans toutefois 176 00:13:30,860 --> 00:13:31,620 condamner. 177 00:13:31,820 --> 00:13:35,200 Donc les juges voient dans les vols de documents une possibilité 178 00:13:35,400 --> 00:13:41,140 de rétablir un déséquilibre entre les duels judiciaires qui opposent 179 00:13:41,340 --> 00:13:42,840 les salariés et l'employeur. 180 00:13:43,080 --> 00:13:51,260 Donc il justifie les vols des documents puisqu'il s'agit de les voler pour 181 00:13:53,140 --> 00:13:55,880 sa défense en cas d'un licenciement. 182 00:13:56,080 --> 00:13:58,000 Les conditions sont très strictes. 183 00:13:58,200 --> 00:14:02,000 Donc il faut savoir que cette hypothèse s'applique seulement pour les cas 184 00:14:02,200 --> 00:14:08,080 de licenciement, c'est-à-dire en cas d'un litige devant le tribunal 185 00:14:08,280 --> 00:14:09,040 des prud'hommes. 186 00:14:11,140 --> 00:14:16,160 On peut les mobiliser même si le licenciement n'a pas encore eu 187 00:14:16,360 --> 00:14:20,800 lieu mais qu'il y a un projet et on connaît ce projet de licenciement. 188 00:14:21,000 --> 00:14:24,160 Il faut également que les documents soient évalués comme nécessaires, 189 00:14:24,840 --> 00:14:29,420 et strictement nécessaires pour l'exercice des droits de la défense 190 00:14:29,620 --> 00:14:30,380 dans le litige. 191 00:14:30,580 --> 00:14:38,460 Alors le fondement de cette justification, c'est le fait de 192 00:14:38,660 --> 00:14:42,880 rétablir un déséquilibre qui existe en matière de la défense entre 193 00:14:43,080 --> 00:14:46,380 l'employé et l'employeur. 194 00:14:46,740 --> 00:14:51,080 Et dans ce cadre-là, également les cas en particulier, 195 00:14:51,600 --> 00:14:56,180 les magistrats peuvent considérer qu'en effet, il y a eu vol mais 196 00:14:56,380 --> 00:14:58,640 il n'y a pas lieu à condamnation pénale. 197 00:14:59,080 --> 00:15:07,720 L'autre justification fondée sur une interprétation prétorienne, 198 00:15:07,920 --> 00:15:12,540 sur une interprétation des magistrats, c'est celle qui concerne les 199 00:15:12,740 --> 00:15:13,500 protestations politiques. 200 00:15:13,700 --> 00:15:21,000 Ici, on va considérer que l'infraction a été établie mais qu'elle a été 201 00:15:21,200 --> 00:15:26,100 effectuée avec un mobile légitime en matière politique qui est fondée 202 00:15:26,300 --> 00:15:30,620 sur l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 203 00:15:30,820 --> 00:15:33,820 notamment en matière d'expression de la protestation politique. 204 00:15:35,240 --> 00:15:38,860 Dans cette matière, la chambre criminelle a développé ces faits 205 00:15:39,060 --> 00:15:43,840 justificatifs fondés sur la liberté d'expression, notamment en matière 206 00:15:44,040 --> 00:15:47,300 politique et c'est lorsque l'infraction devient un outil d'expression 207 00:15:47,500 --> 00:15:48,260 militante. 208 00:15:48,460 --> 00:15:52,260 Alors, la construction jurisprudentielle se fonde sur 209 00:15:52,460 --> 00:15:58,640 un mobile militant, un mobile politique et les cas les plus illustratifs 210 00:15:58,840 --> 00:16:05,440 de cette justification nous montrent les affaires qui concernent les Femens. 211 00:16:05,900 --> 00:16:13,640 Donc, dans ces affaires, les femmes qui manifestent cette 212 00:16:13,840 --> 00:16:20,020 liberté d'expression dans le cadre de leur mobilisation politique 213 00:16:20,220 --> 00:16:27,020 sont excusées du délit d'exhibition sexuelle qui est à l'article 222-32. 214 00:16:27,400 --> 00:16:32,810 Par exemple, on a l'affaire de la chambre criminelle du 9 janvier 215 00:16:33,010 --> 00:16:41,830 2019 où une Femen a commis des 216 00:16:42,030 --> 00:16:48,610 actes de mobilisation et des protestations politiques au sein 217 00:16:48,810 --> 00:16:54,350 d'une église et on voit dans cet arrêt que le mobile militant n'était 218 00:16:54,550 --> 00:16:55,310 pas accueilli. 219 00:16:55,910 --> 00:17:02,130 Mais cette décision va être la première à poser les contours de 220 00:17:02,330 --> 00:17:06,130 cette justification fondée sur l'expression d'une protestation 221 00:17:06,330 --> 00:17:10,550 politique d'un mobile politique puisque la Cour de cassation va 222 00:17:10,750 --> 00:17:16,270 mettre en confrontation la liberté d'expression et le droit d'exercer 223 00:17:16,470 --> 00:17:23,190 la religion des fidèles qui assistaient à l'office dans l'église. 224 00:17:23,770 --> 00:17:30,030 C'est la première fois où la Cour de cassation va exposer un raisonnement 225 00:17:30,230 --> 00:17:37,230 en matière de proportionnalité des deux droits fondamentaux qui 226 00:17:37,430 --> 00:17:38,190 s'opposent. 227 00:17:38,610 --> 00:17:43,830 Également, cette réflexion qui a été initiée par la chambre criminelle 228 00:17:44,030 --> 00:17:48,450 en 2019 va se poursuivre avec une décision de la Cour européenne 229 00:17:48,650 --> 00:17:53,670 des droits de l'homme Bouton contre France du 13 octobre 2022 où la 230 00:17:53,870 --> 00:17:57,350 Cour européenne va sanctionner la France parce qu'elle n'a pas 231 00:17:57,550 --> 00:18:01,250 mis en balance les intérêts qui étaient en conflit, c'est-à-dire 232 00:18:01,590 --> 00:18:05,970 la liberté d'expression et la liberté de conscience religieuse. 233 00:18:06,670 --> 00:18:09,710 Donc elle considère que la mise en balance des intérêts en conflit 234 00:18:09,910 --> 00:18:16,550 n'est pas adéquate et que la peine qu'ils ont pensé pour la militante 235 00:18:16,750 --> 00:18:20,930 a été disproportionnée puisque la peine d'emprisonnement avec 236 00:18:21,130 --> 00:18:24,550 sursis qui a été prononcée contre la Femen était complètement 237 00:18:24,750 --> 00:18:28,770 disproportionnée par rapport aux droits fondamentaux en conflit. 238 00:18:30,570 --> 00:18:36,070 Avant cette décision qui marque 239 00:18:36,270 --> 00:18:40,730 cette condamnation de la France, il y a une autre décision du 26 240 00:18:40,930 --> 00:18:45,230 février 2020 de la chambre criminelle qui évoque un peu la même situation 241 00:18:45,430 --> 00:18:49,590 mais cette fois-ci la manifestation politique a lieu au musée Grévin. 242 00:18:49,790 --> 00:18:54,510 Ici la Cour va retenir l'application de l'article d'exhibition sexuelle 243 00:18:54,710 --> 00:18:59,210 mais décide finalement de l'écarter et relaxer la prévenue en raison 244 00:18:59,410 --> 00:19:01,430 de la protection de la liberté d'expression. 245 00:19:01,790 --> 00:19:06,910 Cela revient finalement à admettre le fait justificatif pour des raisons 246 00:19:07,110 --> 00:19:10,930 militantes donc on voit bien que le mobile militant a été retenu 247 00:19:11,130 --> 00:19:17,290 et pour le faire, la Cour de cassation opère un contrôle de proportionnalité 248 00:19:17,490 --> 00:19:21,990 entre deux intérêts protégés, la liberté de manifester, 249 00:19:22,230 --> 00:19:25,850 un engagement politique et l'attentat à la pudeur. 250 00:19:26,190 --> 00:19:31,390 Donc ici on peut quand même évoquer quelques critiques donc il y a 251 00:19:31,590 --> 00:19:35,370 quand même une incertitude parce que cette situation et cette évaluation 252 00:19:35,570 --> 00:19:41,130 faite par les magistrats ne relève pas véritablement d'un texte législatif 253 00:19:41,330 --> 00:19:44,950 et ce qui pourrait être contraire au principe de légalité criminelle 254 00:19:45,150 --> 00:19:48,310 comme on l'avait dit précédemment. 255 00:19:48,590 --> 00:19:52,830 Mais l'application de ces cas de faits justificatifs se développe 256 00:19:53,030 --> 00:19:56,470 et se développe de plus en plus et c'est ce qu'on voit également 257 00:19:56,670 --> 00:20:02,690 dans les affaires des décrocheurs de tableaux où le portrait du président 258 00:20:02,890 --> 00:20:05,370 Macron dans les mairies a été décroché. 259 00:20:05,610 --> 00:20:10,550 Donc ces affaires démontrent également une nouvelle façon de l'application 260 00:20:10,750 --> 00:20:16,170 du mobile militant pour retenir un fait justificatif. 261 00:20:16,650 --> 00:20:22,030 Donc dans ce contexte des affaires des décrocheurs, on a par exemple 262 00:20:22,230 --> 00:20:27,810 la décision de la chambre criminelle du 22 septembre 2021 où en réalité, 263 00:20:28,010 --> 00:20:33,130 plusieurs arrêts sont rendus sur le sujet et la Cour refuse le bénéfice 264 00:20:33,330 --> 00:20:35,670 d'état de nécessité car les conditions n'étaient pas réunies. 265 00:20:35,870 --> 00:20:39,350 Mais bizarrement, la Cour admet la reconnaissance de faits 266 00:20:39,550 --> 00:20:42,550 justificatifs sur le fondement d'un mobile militant sur la base 267 00:20:42,750 --> 00:20:45,530 d'un argument d'atteinte disproportionnée à la liberté 268 00:20:45,730 --> 00:20:46,550 d'expression. 269 00:20:49,010 --> 00:20:55,150 Le 29 mars 2023 suit une autre décision de la chambre criminelle 270 00:20:55,350 --> 00:20:59,810 où la Cour se prononce en faveur de la relaxe et dans cet arrêt, 271 00:21:00,010 --> 00:21:03,410 la Cour de cassation vise directement l'article 10 de la Convention 272 00:21:03,610 --> 00:21:06,930 européenne des droits de l'homme et elle opère un contrôle de 273 00:21:07,130 --> 00:21:07,890 proportionnalité. 274 00:21:08,090 --> 00:21:11,910 Ici le raisonnement pour pouvoir développer ces faits justificatifs 275 00:21:12,110 --> 00:21:18,890 se fonde sur un raisonnement moins sur la légalité et sur un texte 276 00:21:19,090 --> 00:21:23,650 légal et plus sur un raisonnement fondé sur un contrôle de 277 00:21:23,850 --> 00:21:29,510 proportionnalité où deux droits fondamentaux ont à être évalués 278 00:21:29,710 --> 00:21:37,850 et à faire la balance des intérêts entre le conflit de ces deux droits 279 00:21:38,050 --> 00:21:39,250 qui s'opposent. 280 00:21:40,270 --> 00:21:45,110 Finalement la décision qui tranche la question, c'est la décision 281 00:21:45,310 --> 00:21:52,250 de 18 mai 2022 parce que dans cette décision, la chambre criminelle 282 00:21:52,450 --> 00:21:56,750 de la Cour de cassation tranche définitivement la question en opérant 283 00:21:56,950 --> 00:21:59,950 un contrôle de proportionnalité et on voit la chambre criminelle 284 00:22:00,150 --> 00:22:04,810 opérer véritablement le contrôle des proportionnalités entre la 285 00:22:05,010 --> 00:22:07,130 peine et la liberté d'expression. 286 00:22:07,330 --> 00:22:12,030 Ce qui ressort de cette évolution et de cette créativité 287 00:22:12,230 --> 00:22:15,890 jurisprudentielle, c'est qu'on peut se demander s'il s'agit d'un 288 00:22:16,090 --> 00:22:19,410 fait justificatif ou plutôt d'une exception dans la conventionnalité. 289 00:22:19,670 --> 00:22:25,190 On voit en tous les cas comment la Cour de cassation va changer 290 00:22:25,390 --> 00:22:30,410 dans sa méthode de raisonnement et opère un contrôle de 291 00:22:30,610 --> 00:22:35,830 proportionnalité afin de mettre en place un fait justificatif prétorien 292 00:22:36,250 --> 00:22:40,010 tout à fait nouveau et sans fondement législatif de base. 293 00:22:40,350 --> 00:22:46,230 Mais il va se fonder sur l'article 10 de la Convention européenne 294 00:22:46,430 --> 00:22:53,990 des droits de l'homme pour opérer le contrôle de proportionnalité. 295 00:22:54,230 --> 00:22:59,470 Donc les contentieux en matière de militants politiques Femens 296 00:22:59,670 --> 00:23:04,390 et des décrocheurs finalement nous illustrent comment la Cour et les 297 00:23:04,590 --> 00:23:08,450 magistrats vont opérer un contrôle de proportionnalité à chaque fois 298 00:23:08,650 --> 00:23:13,470 que l'application de la loi pénale entre potentiellement en concurrence 299 00:23:13,670 --> 00:23:15,010 avec un droit fondamental.