1 00:00:04,980 --> 00:00:10,060 Alors voyons maintenant ces conditions qui nous permettent de retenir 2 00:00:10,260 --> 00:00:13,100 les agissements susceptibles d'engager la responsabilité pénale de la 3 00:00:13,300 --> 00:00:14,060 personne morale. 4 00:00:14,260 --> 00:00:16,380 Donc la première condition, c'est que l'infraction doit avoir 5 00:00:16,580 --> 00:00:19,400 été commise par l'organe représentant de la personne morale. 6 00:00:19,740 --> 00:00:23,460 C'est-à-dire qu'il faut qu'on démontre qu'il s'agit d'une responsabilité 7 00:00:23,660 --> 00:00:24,420 pénale dite réflexe. 8 00:00:24,620 --> 00:00:25,380 C'est ou par représentation ou par ricochet. 9 00:00:25,580 --> 00:00:30,700 C'est-à-dire que c'est une infraction 10 00:00:30,900 --> 00:00:35,120 qui a été commise par une personne physique, un organe ou un représentant, 11 00:00:35,340 --> 00:00:38,140 mais pour le compte de la personne morale. 12 00:00:38,480 --> 00:00:41,920 Alors, la première question qu'on se pose, c'est qui sont ces organes 13 00:00:42,120 --> 00:00:42,880 et représentants. 14 00:00:43,080 --> 00:00:46,200 Alors, les organes, c'est notamment les représentants légaux comme 15 00:00:46,400 --> 00:00:49,800 les présidents, les gérants, les conseils d'administration, 16 00:00:50,260 --> 00:00:51,700 l'Assemblée générale. 17 00:00:51,900 --> 00:00:55,260 Et les représentants, ce sont notamment les personnes 18 00:00:55,460 --> 00:00:59,520 physiques qui ont le pouvoir légal ou statutaire d'agir au nom de 19 00:00:59,720 --> 00:01:02,700 la personne morale, c'est-à-dire le directeur général, 20 00:01:02,900 --> 00:01:05,600 l'administrateur provisoire ou l'administrateur judiciaire. 21 00:01:06,460 --> 00:01:10,380 Ils sont normalement ceux qui peuvent engager le patrimoine de la personne 22 00:01:10,580 --> 00:01:11,340 morale. 23 00:01:11,540 --> 00:01:15,820 Mais la définition fait débat et la jurisprudence adopte une conception 24 00:01:16,020 --> 00:01:21,340 plus large encore en jugeant parfois qu'un délégataire de pouvoir au 25 00:01:21,540 --> 00:01:25,100 sens qu'il lui donne habituellement est un représentant. 26 00:01:26,120 --> 00:01:30,980 En tout état de cause, un simple salarié non décisionnaire 27 00:01:31,180 --> 00:01:36,000 ni ayant un pouvoir de direction ne peut pas engager la responsabilité 28 00:01:36,200 --> 00:01:41,420 pénale de la personne morale car il ne peut pas agir pour le compte 29 00:01:41,620 --> 00:01:42,700 de cette personne morale. 30 00:01:44,300 --> 00:01:48,060 La deuxième condition, ce sont les personnes physiques 31 00:01:48,260 --> 00:01:51,700 qui ont reçu une délégation de pouvoir de la part des organes 32 00:01:51,900 --> 00:01:52,660 de la personne morale. 33 00:01:52,860 --> 00:01:56,160 Alors ici, on voit encore une fois la notion de délégation. 34 00:01:56,440 --> 00:01:59,980 Le délégataire de pouvoir d'une personne physique appartenant à 35 00:02:00,180 --> 00:02:03,860 une autre entreprise pourraient donc engager la responsabilité 36 00:02:04,060 --> 00:02:07,860 d'une personne ou d'une société à laquelle il n'appartient pas. 37 00:02:08,620 --> 00:02:12,280 Les juges sont cependant tenus de préciser que les négligences 38 00:02:12,480 --> 00:02:16,760 ou imprudences ont été commises par des organes ou des représentants 39 00:02:16,960 --> 00:02:17,880 de la personne morale. 40 00:02:18,300 --> 00:02:24,800 Et là, c'est une position qui est assez fluctuante. 41 00:02:25,040 --> 00:02:28,740 C'était un peu la position initiale de la Cour de cassation depuis 42 00:02:28,940 --> 00:02:33,920 sa décision du 18 janvier 2002 qui faisait une exigence. 43 00:02:34,120 --> 00:02:41,080 C'est-à-dire que la Cour de cassation exigeait complètement que la négligence 44 00:02:41,280 --> 00:02:46,360 ou l'imprudence ait été commise par des organes ou les représentants 45 00:02:46,560 --> 00:02:47,320 de la personne morale. 46 00:02:47,720 --> 00:02:53,100 Mais il y a eu des fluctuations et des changements et c'est à partir 47 00:02:53,300 --> 00:02:59,940 notamment d'un arrêt du 20 juin 2006 que la Cour de cassation va 48 00:03:00,140 --> 00:03:03,540 admettre qu'il n'était pas nécessaire finalement d'identifier complètement 49 00:03:03,740 --> 00:03:08,600 la personne physique quand l'infraction ne pouvait qu'être imputable à 50 00:03:08,800 --> 00:03:13,100 la personne morale à laquelle elle résulte de la politique commerciale 51 00:03:13,300 --> 00:03:15,250 de la société ou dès lorsque, et ça, c'est la formule qu'emploie 52 00:03:15,450 --> 00:03:20,120 la Cour de cassation, dès lors que "cette infraction 53 00:03:20,320 --> 00:03:24,160 n'a pu être commise pour le compte de la société que par ses organes 54 00:03:24,360 --> 00:03:25,120 ou représentants". 55 00:03:25,320 --> 00:03:28,560 Donc dans cet arrêt, l'arrêt du 20 juin 2006, 56 00:03:29,220 --> 00:03:33,800 la Cour de cassation sanctionne ce qu'on appelle la faute diffuse. 57 00:03:34,380 --> 00:03:38,000 C'est-à-dire que c'est une faute qui se manifeste par un défaut 58 00:03:38,200 --> 00:03:42,000 d'organisation ou de fonctionnement mais qui ne peut être rattachée 59 00:03:42,200 --> 00:03:44,160 à un organe ou représentant. 60 00:03:46,000 --> 00:03:51,640 Dans ce sens-là, elle admet l'atténuation et assouplit l'exigence 61 00:03:51,840 --> 00:03:57,200 de preuves en matière d'un organe ou représentant qui devait précisément 62 00:03:57,400 --> 00:04:02,620 être identifié comme à la source de la négligence ou de l'imprudence. 63 00:04:03,080 --> 00:04:08,040 Donc la règle de l'article 121-2 qui exigeait la présence d'un organe 64 00:04:08,240 --> 00:04:11,300 ou représentant pour retenir la responsabilité pénale de la personne 65 00:04:11,500 --> 00:04:15,720 morale, ici, va être contournée par la Cour de cassation afin de 66 00:04:15,920 --> 00:04:19,800 pouvoir imputer l'infraction à la personne morale et éviter la 67 00:04:20,000 --> 00:04:24,440 difficulté probatoire qui mènerait vers l'impunité de la personne morale. 68 00:04:24,900 --> 00:04:30,700 Mais la doctrine a pensé que cette jurisprudence resterait limitée 69 00:04:30,900 --> 00:04:34,580 aux infractions non intentionnelles et aux droit pénal des affaires 70 00:04:34,780 --> 00:04:38,400 car dans d'autres domaines, la Cour de cassation a maintenu 71 00:04:38,600 --> 00:04:41,720 quand même l'exigence de l'identification de l'organe ou 72 00:04:41,920 --> 00:04:45,660 du représentant comme on le voit par exemple dans l'arrêt du 1er 73 00:04:45,860 --> 00:04:50,380 avril 2008 où les juges de fond ont été censurés car ils avaient 74 00:04:50,580 --> 00:04:54,220 imputé un abus de confiance à une société sans rechercher si le délit 75 00:04:54,420 --> 00:04:57,180 avait été effectivement commis pour le compte de cette société 76 00:04:57,380 --> 00:04:58,900 par un des organes représentants. 77 00:04:59,260 --> 00:05:04,920 Mais la Cour de cassation, plus tard, a étendu son raisonnement 78 00:05:05,120 --> 00:05:09,260 à des infractions intentionnelles et c'est là où on voit qu'elle 79 00:05:09,460 --> 00:05:11,520 élargit cet assouplissement. 80 00:05:11,720 --> 00:05:18,760 Donc la Cour de cassation va élargir 81 00:05:18,960 --> 00:05:22,160 l'interprétation qui était assez critiquable notamment à partir 82 00:05:22,360 --> 00:05:27,480 d'une décision du 25 juin 2008 où elle considère qu'une infraction 83 00:05:27,680 --> 00:05:32,360 intentionnelle de droit commun permet d'admettre notamment cette 84 00:05:32,560 --> 00:05:38,040 possibilité de ne pas identifier l'organe ou les représentants. 85 00:05:38,280 --> 00:05:39,700 Elle le formule ainsi. 86 00:05:39,900 --> 00:05:44,240 "Dans le cadre de la politique commerciale des sociétés en cause 87 00:05:44,440 --> 00:05:48,440 et qu'ils ne peuvent dès lors avoir été commis pour le compte de ces 88 00:05:48,640 --> 00:05:50,980 sociétés que par les organes ou représentants". 89 00:05:51,240 --> 00:05:56,380 Ici on voit l'application notamment de la présomption à des délits 90 00:05:56,580 --> 00:05:57,540 de droit commun. 91 00:06:00,740 --> 00:06:04,980 On voit aussi comment la responsabilité de la personne morale acquiert 92 00:06:05,180 --> 00:06:09,100 une espèce d'autonomie pénale puisqu'elle peut être engagée sans 93 00:06:09,300 --> 00:06:13,120 finalement avoir besoin d'opérer l'identification de la personne 94 00:06:13,320 --> 00:06:15,240 physique, organe ou représentant. 95 00:06:16,200 --> 00:06:21,400 Dans les années 2010, la Cour de cassation va aller encore 96 00:06:21,600 --> 00:06:26,700 plus loin que dans l'arrêt qu'on vient de voir du 25 juin 2008 puisque 97 00:06:26,900 --> 00:06:32,400 dans les années 2010, il n'y avait aucune personne physique 98 00:06:33,320 --> 00:06:37,980 précisément identifiée ou désignée, et elle retient quand même la 99 00:06:38,180 --> 00:06:40,180 responsabilité pénale de la personne morale. 100 00:06:40,560 --> 00:06:45,300 Donc on voit une espèce de consécration de la responsabilité pénale directe 101 00:06:45,500 --> 00:06:48,800 des personnes morales ou de la théorie de la faute diffuse, 102 00:06:49,380 --> 00:06:52,880 c'est-à-dire que la responsabilité qui ne serait plus subordonnée 103 00:06:53,080 --> 00:06:56,220 à la preuve de l'implication de l'organe ou des représentants. 104 00:06:56,420 --> 00:06:59,620 Donc comme on le voit bien, cette espèce de responsabilité 105 00:06:59,820 --> 00:07:03,420 automatique de la personne morale sans avoir besoin d'identifier 106 00:07:03,620 --> 00:07:08,680 l'organe ou les représentants, donc la personne physique organe 107 00:07:08,880 --> 00:07:11,120 ou représentant qui agit pour les comptes de la personne morale, 108 00:07:11,320 --> 00:07:19,200 est réellement critiquable parce qu'elle n'applique pas la lettre 109 00:07:19,400 --> 00:07:25,060 de la loi de l'article 121-2 et sa lecture reste très très floue. 110 00:07:25,260 --> 00:07:32,460 Donc la Cour de cassation a reproché à des cours d'appel de ne pas avoir 111 00:07:32,660 --> 00:07:38,780 précisé parfois par l'intermédiaire de qui l'infraction avait été commise 112 00:07:38,980 --> 00:07:43,120 et si cette personne était un organe ou un représentant dans d'autres 113 00:07:43,320 --> 00:07:47,700 arrêts postérieurs à la date de 2010. 114 00:07:48,280 --> 00:07:53,180 Donc on va voir que dans les derniers arrêts, à partir des années 2011 115 00:07:53,380 --> 00:07:58,920 et 2012, la Cour de cassation va amorcer un revirement des 116 00:07:59,120 --> 00:07:59,880 jurisprudences. 117 00:08:00,080 --> 00:08:04,320 Donc elle va écouter les critiques qu'on a adressées à cette lecture 118 00:08:04,520 --> 00:08:07,400 trop automatique de l'article 121-2. 119 00:08:07,600 --> 00:08:13,500 Et elle consacre finalement à partir de l'arrêt du 11 avril 2012 le 120 00:08:13,700 --> 00:08:18,460 refus explicite d'une amputation directe d'une infraction à une 121 00:08:18,660 --> 00:08:19,420 personne morale. 122 00:08:19,620 --> 00:08:25,520 Donc depuis ces arrêts de 2011 et 2012, la Cour de cassation impose aux 123 00:08:25,720 --> 00:08:29,600 juridictions de fond un contrôle relatif aux personnes physiques 124 00:08:29,800 --> 00:08:34,460 auteurs de l'infraction dont seuls qui ont la qualité d'organe ou 125 00:08:34,660 --> 00:08:38,520 représentant peuvent servir de vecteurs d'imputation de l'infraction 126 00:08:38,720 --> 00:08:39,730 à la personne morale. 127 00:08:39,930 --> 00:08:46,280 Conclusion de cette évolution jurisprudentielle, aujourd'hui 128 00:08:46,480 --> 00:08:51,580 il est important d'établir quel organe ou le représentant a 129 00:08:51,780 --> 00:08:56,680 effectivement commis l'acte et a eu conscience de commettre une 130 00:08:56,880 --> 00:09:01,660 infraction ou a manqué à un respect d'une obligation légale et 131 00:09:01,860 --> 00:09:05,480 réglementaire ou a commis une faute délibérée. 132 00:09:05,680 --> 00:09:09,620 Tout ça pour le compte de la personne morale. 133 00:09:10,080 --> 00:09:15,920 Donc aujourd'hui, l'exigence de la condition de l'article 121-2 134 00:09:16,120 --> 00:09:20,180 de préciser la personne physique, organe ou représentant qui a commis 135 00:09:20,380 --> 00:09:23,700 l'infraction pour le compte de la personne morale est maintenue 136 00:09:23,900 --> 00:09:24,660 et exigée. 137 00:09:24,860 --> 00:09:29,580 La seule exception se présente en matière de dirigeant de fait 138 00:09:29,780 --> 00:09:34,240 et notamment par rapport aux salariés et aux préposés puisqu'ils n'ont 139 00:09:34,440 --> 00:09:37,140 pas le pouvoir de représentation des personnes morales.