1 00:00:06,000 --> 00:00:06,760 Bonjour. 2 00:00:08,120 --> 00:00:11,160 Deuxième forme d'abus de droit après l'acte fictif, 3 00:00:11,440 --> 00:00:14,880 version assez caricaturale et basique de l'abus de droit et en pratique 4 00:00:15,080 --> 00:00:18,820 relativement peu fréquente, c'est la forme frauduleuse, 5 00:00:19,100 --> 00:00:23,160 c'est l'abus de droit par fraude à la loi et voyons donc les 6 00:00:23,360 --> 00:00:26,620 difficultés, notamment l'identification de ce type d'abus de droit dans un B. 7 00:00:27,020 --> 00:00:30,790 Alors je n'ai pas cité expressément l'article L. 8 00:00:30,990 --> 00:00:34,840 64 du LPF jusqu'à présent, je vous donne les éléments essentiels 9 00:00:35,040 --> 00:00:38,260 relatifs à la définition de cette deuxième forme d'abus de droit. 10 00:00:39,140 --> 00:00:40,490 Donc l'article L. 11 00:00:40,690 --> 00:00:45,960 64 conduit à autoriser l'administration et même d'ailleurs à l'obliger 12 00:00:46,160 --> 00:00:50,880 à quelques égards, à considérer comme lui étant inopposables les 13 00:00:51,080 --> 00:00:53,820 actes de droit privé, un contrat le plus souvent, 14 00:00:54,480 --> 00:00:57,820 qui, je cite la loi, "recherchant le bénéfice d'une 15 00:00:58,020 --> 00:01:01,540 application littérale des textes", cette idée donc de se conformer 16 00:01:04,020 --> 00:01:08,960 à la lettre de la loi, ou de décision, ajoute l'article L. 17 00:01:09,580 --> 00:01:12,040 64, "à l'encontre des objectifs poursuivis par leur auteur, 18 00:01:13,220 --> 00:01:16,080 ces actes n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui 19 00:01:16,280 --> 00:01:19,600 d'atténuer ou d'éluder même les charges fiscales que l'intéressé, 20 00:01:19,800 --> 00:01:24,980 si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement 21 00:01:25,180 --> 00:01:25,940 supportées". 22 00:01:26,140 --> 00:01:29,760 Alors ce qu'il faut retenir de cette définition, c'est que comme 23 00:01:29,960 --> 00:01:33,660 le résume le Conseil d'État régulièrement, deux critères sont 24 00:01:33,860 --> 00:01:36,480 attachés par le législateur à cette fraude à la loi. 25 00:01:36,820 --> 00:01:39,600 Un critère dit objectif et un critère dit subjectif. 26 00:01:39,960 --> 00:01:44,400 Le critère dit objectif, c'est le critère consistant à constater 27 00:01:44,600 --> 00:01:49,780 la violation de l'esprit de la loi, c'est-à-dire la violation de 28 00:01:49,980 --> 00:01:54,140 l'intention qu'avait le législateur en mettant en œuvre une disposition 29 00:01:54,340 --> 00:01:58,420 et en lui attachant des conséquences fiscales. 30 00:02:00,500 --> 00:02:03,620 Nous allons prendre un exemple dans une seconde, donc je renvoie 31 00:02:03,820 --> 00:02:06,320 à l'exemple qui va venir dans une seconde, mais avant cela, 32 00:02:06,520 --> 00:02:10,160 précisons le deuxième critère qui est le critère dit subjectif, 33 00:02:10,420 --> 00:02:12,840 c'est le critère du but exclusivement fiscal. 34 00:02:13,260 --> 00:02:16,520 But exclusivement fiscal, donc là, il s'agit pour la peine 35 00:02:16,720 --> 00:02:20,260 non pas d'apprécier objectivement ce que le texte de loi avait comme 36 00:02:20,460 --> 00:02:24,200 intention et donc caractériser le cas échéant une violation de 37 00:02:24,400 --> 00:02:28,160 cette intention, mais l'idée est de caractériser finalement l'intention 38 00:02:28,360 --> 00:02:32,180 du contribuable, le fait que le contribuable, en réalisant l'acte 39 00:02:32,380 --> 00:02:35,370 en question, souhaitait exclusivement payer moins d'impôts, 40 00:02:35,570 --> 00:02:39,640 concrètement, plutôt que poursuivre d'autres buts économiques parallèlement 41 00:02:39,840 --> 00:02:40,740 ou essentiellement. 42 00:02:40,940 --> 00:02:43,520 Alors c'est là donc qu'il y a une forme de subjectivité puisqu'il 43 00:02:43,720 --> 00:02:47,480 s'agit de sonder les reins et les cœurs, bref de supposer, 44 00:02:47,700 --> 00:02:50,420 de deviner, il ne s'agit pas d'entrer dans le cerveau bien entendu du 45 00:02:50,620 --> 00:02:54,200 contribuable mais de supposer à travers des éléments de preuve 46 00:02:54,400 --> 00:02:58,180 que c'était bien l'unique intention du contribuable que de payer moins 47 00:02:58,380 --> 00:02:59,140 d'impôts. 48 00:02:59,340 --> 00:03:04,280 Alors il se trouve que c'est le premier problème que soulève justement 49 00:03:04,480 --> 00:03:07,040 cette référence à l'intérêt exclusivement fiscal, 50 00:03:07,780 --> 00:03:11,740 c'est une difficulté de preuve qui se trouve illustrée par un 51 00:03:11,940 --> 00:03:14,600 certain nombre de décisions, j'en citerai une seule assez connue, 52 00:03:14,800 --> 00:03:17,580 même s'il ne s'agit pas d'un grand arrêt mais cela portait sur un 53 00:03:17,780 --> 00:03:20,420 cas qui avait été très médiatisé, c'était il y a pas mal d'années, 54 00:03:20,620 --> 00:03:23,860 c'était une affaire qui concernait les héritiers de Romy Schneider, 55 00:03:24,220 --> 00:03:27,800 la célèbre actrice, donc c'est un arrêt du 21 avril 1989, 56 00:03:28,040 --> 00:03:32,460 société Cinécustodia, une situation à l'époque relativement 57 00:03:32,660 --> 00:03:34,280 classique et qui existe d'ailleurs toujours aujourd'hui, 58 00:03:34,480 --> 00:03:37,660 qui avait conduit l'actrice à signer un contrat avec une entreprise 59 00:03:37,860 --> 00:03:41,220 installée à l'étranger, qui en gros percevait les cachets 60 00:03:41,420 --> 00:03:48,340 qu'elle devait normalement toucher au titre de films réalisés en cours 61 00:03:48,540 --> 00:03:51,240 d'année, sauf que précisément, ce n'est pas elle qui touchait 62 00:03:51,440 --> 00:03:54,660 le cachet, c'était la société avec laquelle elle avait contracté, 63 00:03:55,060 --> 00:03:58,620 charge ensuite à cette société de la rémunérer, et ce d'une manière 64 00:03:58,820 --> 00:04:02,640 régulière, sous forme en quelque sorte de salaires ou en tout cas 65 00:04:02,840 --> 00:04:05,420 avec un rythme régulier, là où bien entendu les cachets 66 00:04:05,620 --> 00:04:08,000 de l'actrice étaient, eux, perçus de manière irrégulière 67 00:04:08,200 --> 00:04:09,500 en fonction des tournages. 68 00:04:09,700 --> 00:04:12,720 Alors il se trouve, et je simplifie un petit peu les faits, 69 00:04:12,920 --> 00:04:15,380 et je me concentre sur le point essentiel pour vous faire comprendre 70 00:04:15,580 --> 00:04:19,620 la démarche du juge, l'une des conséquences attachées 71 00:04:19,820 --> 00:04:23,200 à cette manière de faire qui en soi n'était pas illicite, 72 00:04:23,420 --> 00:04:29,540 c'est que le fait donc d'étaler en quelque sorte la rémunération 73 00:04:29,740 --> 00:04:33,340 de l'actrice là où en principe, les cachets tombaient seulement 74 00:04:33,540 --> 00:04:37,180 à certains moments et certaines années notamment, c'est qu'au bout 75 00:04:37,380 --> 00:04:39,740 du compte, le montant payé au titre de l'impôt sur le revenu pouvait 76 00:04:39,940 --> 00:04:40,700 être moindre. 77 00:04:40,940 --> 00:04:45,160 En effet, on l'a évoqué rapidement mais vous le savez sans doute déjà, 78 00:04:45,360 --> 00:04:52,300 le principe en France depuis à peu près les fondations de l'impôt 79 00:04:52,500 --> 00:04:55,240 sur le revenu, c'est que c'est un barème progressif qui trouve 80 00:04:55,440 --> 00:04:59,700 à être appliqué et donc ce barème progressif implique pour dire les 81 00:04:59,900 --> 00:05:06,440 choses très simplement que gagner 1 000 une année et 0 l'année suivante 82 00:05:06,640 --> 00:05:11,080 va conduire à une imposition supérieure au cas dans lequel où on gagnerait 83 00:05:11,280 --> 00:05:13,220 500 la première année et 500 la deuxième année. 84 00:05:13,420 --> 00:05:16,560 C'est l'effet mécanique du barème progressif qui fait qu'au-delà 85 00:05:16,760 --> 00:05:21,000 d'un certain seuil, le taux augmente et donc le plus souvent, 86 00:05:21,200 --> 00:05:24,520 sur 1 000 vous êtes globalement plus imposé que sur deux fois 500. 87 00:05:25,140 --> 00:05:29,400 Et donc on le comprend en étalant justement le versement des 88 00:05:29,600 --> 00:05:33,600 rémunérations à Romy Schneider, la conséquence pouvait être que, 89 00:05:33,800 --> 00:05:37,120 au titre de certaines années, eh bien Romy Schneider se voyait 90 00:05:37,320 --> 00:05:40,660 plutôt moins imposée que ce qu'elle aurait dû payer si elle avait touché 91 00:05:40,860 --> 00:05:41,820 directement les cachets. 92 00:05:42,360 --> 00:05:45,920 Il y avait donc un intérêt fiscal attaché donc à cette opération, 93 00:05:46,120 --> 00:05:46,880 à ce contrat. 94 00:05:47,080 --> 00:05:50,820 Alors est-ce que pour autant, est-ce que pour autant il y avait 95 00:05:51,020 --> 00:05:56,920 la violation des dispositions de la loi relative donc à l'abus de 96 00:05:57,120 --> 00:05:59,380 droit et en particulier, c'était le sujet principal, 97 00:05:59,760 --> 00:06:03,420 il y avait-il donc violation de ce critère subjectif, 98 00:06:03,620 --> 00:06:07,480 il y avait-il un but exclusivement fiscal derrière ce contrat, 99 00:06:07,680 --> 00:06:10,320 ce qui aurait permis donc à l'administration d'écarter le contrat, 100 00:06:10,520 --> 00:06:14,180 de faire comme s'il n'existait pas et donc finalement de réécrire 101 00:06:14,380 --> 00:06:18,300 la situation économique comme elle aurait dû être en l'absence du contrat. 102 00:06:18,660 --> 00:06:22,340 C'est ce que l'administration avait considéré et le Conseil d'État 103 00:06:22,540 --> 00:06:25,720 lui donne tort puisqu'en effet, le Conseil d'État se laisse convaincre 104 00:06:25,920 --> 00:06:29,560 par les héritiers, en l'occurrence de l'actrice, que, derrière ce 105 00:06:29,760 --> 00:06:33,160 montage juridique, il y avait certes peut-être et même très certainement 106 00:06:33,360 --> 00:06:36,840 un intérêt fiscal mais pas exclusivement un intérêt fiscal. 107 00:06:37,720 --> 00:06:41,440 Il y avait aussi d'autres intérêts potentiels, une réalité économique 108 00:06:41,640 --> 00:06:45,240 finalement à l'opération, notamment le fait que justement, 109 00:06:45,440 --> 00:06:48,300 en termes de vie quotidienne, cela facilitait la vie de l'actrice 110 00:06:48,500 --> 00:06:53,160 et que surtout, la société rendait d'autres services à l'actrice en 111 00:06:53,360 --> 00:06:58,180 lui commandant ses taxis, ses hôtels et autres services rendus 112 00:06:58,380 --> 00:07:03,400 donc à Romy Schneider et donc finalement, une sorte de réalité 113 00:07:03,600 --> 00:07:07,940 économique à l'opération et divers intérêts véritables qui pouvaient 114 00:07:08,140 --> 00:07:13,500 justifier que cette forme de contrat, en tout cas ce contenu contractuel, 115 00:07:13,900 --> 00:07:15,540 ait été privilégié. 116 00:07:15,740 --> 00:07:20,120 Bref, un but qui n'était pas exclusivement fiscal et donc 117 00:07:20,320 --> 00:07:23,020 l'administration ne parvient pas à prouver l'abus de droit. 118 00:07:24,040 --> 00:07:27,980 Alors il se trouve que à l'inverse dans un certain nombre de situations 119 00:07:28,180 --> 00:07:32,500 l'administration parvient et c'est le cas en pratique le plus fréquent, 120 00:07:32,700 --> 00:07:38,280 à prouver l'abus de droit du fait de l'absence de rationalité économique 121 00:07:38,480 --> 00:07:40,640 complète derrière l'opération économique. 122 00:07:40,880 --> 00:07:44,160 Alors c'est un certain nombre de cas notamment dans lesquels des 123 00:07:44,360 --> 00:07:47,920 sociétés sont créées dans des États étrangers pour bénéficier, 124 00:07:48,120 --> 00:07:50,480 et nous reviendrons sur cette notion et nous l'avons déjà évoquée, 125 00:07:50,680 --> 00:07:53,540 mais des stipulations, des conventions fiscales bilatérales 126 00:07:53,740 --> 00:07:56,900 signées par les États en question, qui au bout du compte justement 127 00:07:57,100 --> 00:08:01,480 conduisent à un certain nombre d'économies d'impôts grâce donc 128 00:08:01,680 --> 00:08:05,020 à ce phénomène qu'on qualifie de Treaty Shopping, de chalandage 129 00:08:05,220 --> 00:08:09,360 fiscal qui consiste donc à identifier des États dans lesquels vont être 130 00:08:09,560 --> 00:08:14,960 implantées des entreprises ou en tout cas des entités juridiques 131 00:08:15,160 --> 00:08:18,440 afin de faire transiter un certain nombre de flux financiers pour 132 00:08:18,640 --> 00:08:21,540 en tirer des conséquences fiscales favorables. 133 00:08:22,080 --> 00:08:25,440 Alors il se trouve qu'un certain nombre d'arrêts illustrent ce type 134 00:08:25,640 --> 00:08:29,960 d'opérations, je citerai simplement une série d'arrêts rendus en 2004, 135 00:08:30,160 --> 00:08:33,520 2005 et notamment un arrêt de 2004 société La Pléiade, un arrêt du 136 00:08:33,720 --> 00:08:37,640 Conseil d'État du 18 février 2004 qui illustre cette situation qui 137 00:08:37,840 --> 00:08:41,420 avait conduit de nombreux investisseurs français, parfois des entreprises 138 00:08:41,620 --> 00:08:43,580 donc celle que je viens de citer que vous connaissez sans doute, 139 00:08:43,780 --> 00:08:46,300 aujourd'hui filiale je crois du groupe Gallimard, qui donc avait 140 00:08:46,500 --> 00:08:50,060 un certain nombre de liquidités et plutôt que de placer ces liquidités 141 00:08:50,260 --> 00:08:53,280 directement en France en achetant des titres d'entreprises pour faire 142 00:08:53,480 --> 00:08:59,480 fructifier un portefeuille boursier, avait, mal conseillée 143 00:08:59,680 --> 00:09:04,180 vraisemblablement, avait choisi finalement d'investir dans des 144 00:09:04,380 --> 00:09:08,580 titres boursiers via une entité installée au Luxembourg puisque 145 00:09:08,780 --> 00:09:13,880 à l'époque, un régime fiscal propre Luxembourg faisait qu'il était 146 00:09:14,080 --> 00:09:19,320 possible donc lorsqu'une entreprise était localisée au Luxembourg et 147 00:09:19,520 --> 00:09:22,940 qu'elle répondait un certain nombre de critères, eh bien il était possible 148 00:09:23,140 --> 00:09:26,620 que cette société finalement, lorsqu'elle vendait, 149 00:09:26,820 --> 00:09:30,280 elle revendait des titres avec une plus-value, elle n'était pas 150 00:09:30,480 --> 00:09:35,020 taxée du tout au Luxembourg et ensuite, les dividendes revenaient en France 151 00:09:35,220 --> 00:09:38,480 dans l'hypothèse où les actionnaires étaient français et sans être taxés 152 00:09:38,680 --> 00:09:42,720 non plus du fait de la directive mère-fille que l'on a déjà évoquée 153 00:09:42,920 --> 00:09:47,360 ultérieurement qui fait que, en Europe, seul le pays de source 154 00:09:47,560 --> 00:09:51,300 donc du dividende, en tout cas de l'opération économique qui donne 155 00:09:51,500 --> 00:09:54,460 lieu au versement ensuite d'un dividende peut taxer une entreprise 156 00:09:54,660 --> 00:09:57,680 sans qu'ensuite, la distribution à ses actionnaires présents dans 157 00:09:57,880 --> 00:10:00,500 un autre État membre puisse donner lieu à une nouvelle taxation dans 158 00:10:00,700 --> 00:10:03,140 l'État donc de résidence de l'actionnaire. 159 00:10:03,340 --> 00:10:09,220 Donc concrètement, en investissant dans des titres par ce passage, 160 00:10:09,420 --> 00:10:12,840 si vous voulez, par une société luxembourgeoise, une économie d'impôt 161 00:10:13,040 --> 00:10:13,800 était réalisée. 162 00:10:14,000 --> 00:10:17,080 Or le Conseil d'État a constaté après l'administration qu'il n'y 163 00:10:17,280 --> 00:10:20,680 avait aucune sorte de rationalité économique à passer par le Luxembourg 164 00:10:20,880 --> 00:10:24,580 puisqu'en fait, ces sociétés installées au Luxembourg étaient des sortes 165 00:10:24,780 --> 00:10:27,480 de coquilles vides qui servaient simplement de véhicules aux 166 00:10:27,680 --> 00:10:31,800 investissements mais qui n'avaient aucune sorte véritablement d'expertise 167 00:10:32,000 --> 00:10:35,120 locale, il n'y avait pas d'employés véritablement encore une fois qui 168 00:10:35,320 --> 00:10:40,240 travaillaient et donc il n'y avait pas d'autre intérêt économique 169 00:10:40,440 --> 00:10:42,960 à passer par le Luxembourg que celui consistant à réaliser une 170 00:10:43,160 --> 00:10:43,920 économie d'impôt. 171 00:10:44,120 --> 00:10:48,900 Et donc dans ce type d'hypothèse, c'est une forme d'artificialité 172 00:10:49,100 --> 00:10:51,800 qui est constatée et ce mot est très important car il est très 173 00:10:52,000 --> 00:10:54,920 fréquemment employé et qui caractérise, je le disais, et je le répète, 174 00:10:55,120 --> 00:10:59,400 assez bien les situations véritablement problématiques, artificialité dans 175 00:10:59,600 --> 00:11:04,400 le sens où aucune raison économique, aucune rationalité économique ne 176 00:11:04,600 --> 00:11:07,280 permet d'expliquer le montage contractuel, la création d'une 177 00:11:07,480 --> 00:11:10,880 entreprise dans tel ou tel pays si ce n'est justement le fait de 178 00:11:11,080 --> 00:11:17,040 bénéficier de textes de loi ou d'un traité le cas échéant de manière 179 00:11:17,240 --> 00:11:22,260 donc à réaliser une économie d'impôt mais sans qu'aucune autre explication, 180 00:11:22,460 --> 00:11:26,740 sans qu'aucun autre motif ne soit susceptible d'expliquer cela. 181 00:11:26,940 --> 00:11:29,840 Alors je termine avec ce point de l'artificialité puisque là, 182 00:11:30,040 --> 00:11:32,900 je l'ai dit un peu rapidement, c'est implicite, mais le Conseil 183 00:11:33,100 --> 00:11:37,520 d'État le constate, l'avantage de la caractérisation du caractère 184 00:11:37,720 --> 00:11:40,320 purement artificiel donc sans rationalité économique d'un montage 185 00:11:40,520 --> 00:11:42,760 tel que celui que je viens de décrire, c'est qu'en réalité, 186 00:11:43,160 --> 00:11:46,200 il conduit le Conseil d'État à estimer que les deux critères, 187 00:11:46,400 --> 00:11:50,240 le critère objectif et le critère subjectif, sont remplis puisque 188 00:11:50,440 --> 00:11:54,480 s'il y a de l'artificialité, par hypothèse, cela signifie que 189 00:11:54,680 --> 00:11:57,400 le motif ne peut être que fiscal du point de vue du contribuable, 190 00:11:57,600 --> 00:12:01,640 et ça signifie aussi qu'il y a nécessairement une violation de 191 00:12:01,840 --> 00:12:05,980 l'esprit des textes qui sont mobilisés dans l'opération puisque, 192 00:12:06,180 --> 00:12:10,100 dit le Conseil d'État, le législateur ou globalement le 193 00:12:10,300 --> 00:12:14,660 rédacteur d'un texte qui a un certain nombre de conséquences fiscales, 194 00:12:14,860 --> 00:12:20,480 ne peut jamais a priori avoir prévu que son dispositif trouve à s'appliquer 195 00:12:20,680 --> 00:12:24,520 à des opérations artificielles, à des personnes juridiques qui 196 00:12:24,720 --> 00:12:27,380 ne sont là que pour les besoins de la cause et qui n'ont pas de 197 00:12:27,580 --> 00:12:28,480 véritable activité. 198 00:12:28,680 --> 00:12:32,900 Et dès lors, l'artificialité permet de présumer remplis encore une 199 00:12:33,100 --> 00:12:36,520 fois les deux critères que je viens de citer. 200 00:12:36,720 --> 00:12:43,580 Alors il se trouve que cette question de la violation de l'esprit d'un 201 00:12:43,780 --> 00:12:46,880 texte rapporté au cas de figure que je viens d'évoquer, 202 00:12:47,080 --> 00:12:49,980 c'est-à-dire la violation finalement de l'esprit d'une convention fiscale, 203 00:12:50,180 --> 00:12:53,900 n'est pas toujours absolument évident, n'a pas toujours en tout cas été 204 00:12:54,100 --> 00:12:58,020 absolument évident dans la mesure notamment où il n'est pas toujours 205 00:12:58,220 --> 00:13:00,680 évident d'interroger l'esprit d'une convention. 206 00:13:01,380 --> 00:13:05,320 Alors je passe brièvement sur ce point mais qui aujourd'hui ne fait 207 00:13:05,520 --> 00:13:08,840 plus tellement débat mais qui a suscité des débats tout à fait 208 00:13:09,040 --> 00:13:12,520 passionnants, c'est donc depuis un arrêt qu'on peut noter qui est 209 00:13:12,720 --> 00:13:15,580 un arrêt important, un arrêt de section du 25 octobre du Conseil 210 00:13:15,780 --> 00:13:20,900 d'État du 25 octobre 2017 Verdannet que, en effet, le Conseil d'État 211 00:13:21,100 --> 00:13:25,960 n'a plus de difficulté à considérer que la violation de l'esprit d'une 212 00:13:26,160 --> 00:13:29,940 convention peut conduire à l'identification d'un abus de droit, 213 00:13:30,140 --> 00:13:33,680 en 2004 dans l'arrêt que j'ai cité tout à l'heure, société La Pléiade, 214 00:13:33,880 --> 00:13:38,220 la chose est restée plus implicite dirais-je puisque, en réalité, 215 00:13:38,420 --> 00:13:43,460 il n'y a pas eu à passer par la question de l'éventuelle violation 216 00:13:43,660 --> 00:13:46,860 encore une fois de l'esprit d'une convention, c'est le montage en 217 00:13:47,060 --> 00:13:51,040 tant que tel consistant à installer une société au Luxembourg qui avait 218 00:13:51,240 --> 00:13:54,800 été considéré comme conduisant à la qualification d'abus de droit. 219 00:13:55,000 --> 00:13:58,300 Alors avec l'affaire Verdannet, la chose est un peu plus sophistiquée 220 00:13:58,500 --> 00:14:00,700 puisque justement, la question est directement posée, 221 00:14:00,900 --> 00:14:06,220 je résume très brièvement l'affaire, cette affaire trouve sa source 222 00:14:06,420 --> 00:14:11,600 dans une sorte d'incongruité qui a consisté pour le Conseil d'État 223 00:14:11,800 --> 00:14:14,800 français d'une part et son homologue luxembourgeois qui est la Cour 224 00:14:15,000 --> 00:14:18,400 administrative du Luxembourg, à produire une interprétation, 225 00:14:18,600 --> 00:14:22,560 deux interprétations divergentes du même texte, à savoir la convention 226 00:14:22,760 --> 00:14:24,910 fiscale bilatérale signée entre la France et le Luxembourg donc 227 00:14:25,110 --> 00:14:27,570 c'est encore le Luxembourg qui est en cause dans cette affaire, 228 00:14:27,770 --> 00:14:32,490 puisqu'en effet, en 1994, le Conseil d'État estime que les 229 00:14:32,690 --> 00:14:36,730 stipulations de la convention fiscale bilatérale conduisent à considérer 230 00:14:36,930 --> 00:14:40,790 que lorsqu'une société, une entreprise détient des biens 231 00:14:40,990 --> 00:14:44,810 immobiliers dans l'autre État donc une société française détient des 232 00:14:45,010 --> 00:14:48,910 biens immobiliers au Luxembourg ou l'inverse, les revenus attachés 233 00:14:49,110 --> 00:14:54,330 à ces biens immobiliers doivent être qualifiés de revenu d'entreprise 234 00:14:54,530 --> 00:14:58,070 et pas comme des revenus immobiliers, et la conséquence de cela, 235 00:14:58,450 --> 00:15:02,130 c'est que, et c'est ce que prévoient l'immense majorité des conventions 236 00:15:02,330 --> 00:15:04,770 fiscales bilatérales, face à un revenu immobilier, 237 00:15:04,970 --> 00:15:08,270 en principe, la convention estime que seul l'État de source donc 238 00:15:08,470 --> 00:15:11,250 là où est installé l'immeuble, peut taxer ledit flux, 239 00:15:11,450 --> 00:15:13,690 alors qu'en revanche, lorsqu'il s'agit d'un revenu 240 00:15:13,890 --> 00:15:18,090 d'entreprise, seul l'État de résidence de l'entreprise peut taxer, 241 00:15:18,290 --> 00:15:21,210 en l'absence d'établissement stable, peut taxer ce revenu. 242 00:15:21,410 --> 00:15:26,950 Bref si vous me suivez, le Conseil d'État estime que le 243 00:15:27,150 --> 00:15:29,570 revenu immobilier d'une entreprise doit être assimilé à un revenu 244 00:15:29,770 --> 00:15:33,290 d'entreprise, tandis qu'en 2002 dans un arrêt La Costa, 245 00:15:33,490 --> 00:15:37,590 la Cour de Luxembourg dit exactement l'inverse et interprète le même 246 00:15:37,790 --> 00:15:41,250 traité dans un sens opposé en estimant que bien que ce soit une entreprise 247 00:15:41,450 --> 00:15:44,010 qui bénéficie de ce revenu, ce revenu tiré d'un immeuble doit 248 00:15:44,210 --> 00:15:46,710 être assimilé à un revenu immobilier donc être taxé le cas échéant 249 00:15:46,910 --> 00:15:48,090 uniquement par l'État de source. 250 00:15:48,290 --> 00:15:52,150 Et donc divergence d'interprétations a conduit à une situation assez 251 00:15:52,350 --> 00:15:56,410 troublante, situation qui voulait que, au lendemain donc de la décision 252 00:15:56,610 --> 00:16:02,010 de 2002, les sociétés luxembourgeoises ayant des biens immobiliers, 253 00:16:02,210 --> 00:16:04,510 étant propriétaires de biens immobiliers en France et tirant 254 00:16:04,710 --> 00:16:07,610 des revenus de ces biens immobiliers, en louant le bien immobilier ou 255 00:16:07,810 --> 00:16:09,810 en le vendant, donc en réalisant une plus-value par exemple, 256 00:16:10,530 --> 00:16:14,010 ne soient pas imposables en France puisque le Conseil d'État a estimé 257 00:16:14,210 --> 00:16:17,710 que c'étaient des revenus d'entreprise susceptibles uniquement d'être 258 00:16:17,910 --> 00:16:20,750 imposés au Luxembourg tandis que le Luxembourg n'imposait pas non 259 00:16:20,950 --> 00:16:22,950 plus ses revenus, estimant que c'étaient des revenus immobiliers 260 00:16:23,150 --> 00:16:24,950 qui auraient dû le cas échant être taxés en France. 261 00:16:25,150 --> 00:16:28,110 Et c'est donc une situation assez troublante de double non-imposition 262 00:16:29,010 --> 00:16:31,870 qui est née donc de cette divergence de jurisprudence. 263 00:16:32,070 --> 00:16:35,610 Alors disons-le tout de suite, le problème a été résolu mais après 264 00:16:35,810 --> 00:16:38,350 plusieurs années seulement puisque c'est seulement en 2007 donc cinq 265 00:16:38,550 --> 00:16:41,910 ans plus tard que la convention bilatérale a été amendée par les 266 00:16:42,110 --> 00:16:44,630 deux États pour tenir compte de cette situation et en réalité pour 267 00:16:44,830 --> 00:16:47,390 s'aligner sur la position jurisprudentielle que la Cour de 268 00:16:47,590 --> 00:16:49,410 Luxembourg avait fait prévaloir. 269 00:16:49,610 --> 00:16:53,550 Mais dans l'intervalle, ce sont en réalité des milliards 270 00:16:53,750 --> 00:16:59,130 d'euros qui ont été investis dans l'immobilier en France via le 271 00:16:59,330 --> 00:17:05,730 Luxembourg, parfois sans que le droit n'y puisse rien et notamment 272 00:17:05,930 --> 00:17:08,550 des investissements beaucoup venaient de l'étranger, des États-Unis 273 00:17:08,750 --> 00:17:12,330 notamment, ou des sociétés, des fonds de pension par exemple 274 00:17:12,530 --> 00:17:16,110 achetaient des bâtiments en France grâce à une société luxembourgeoise 275 00:17:16,310 --> 00:17:20,510 donc par laquelle ou par lesquels les capitaux transitaient, 276 00:17:20,710 --> 00:17:23,810 sauf qu'à partir du moment où la société luxembourgeoise avait une 277 00:17:24,010 --> 00:17:26,930 réelle activité, que les biens étaient effectivement gérés du 278 00:17:27,130 --> 00:17:31,070 Luxembourg, là pour la peine, aucune parade n'a été trouvée par 279 00:17:31,270 --> 00:17:35,310 l'administration, et en effet, ces sociétés ont pu donc bénéficier 280 00:17:35,510 --> 00:17:37,950 de revenus en franchise d'impôt. 281 00:17:38,150 --> 00:17:41,150 En revanche, certains ont été un peu moins habiles si je puis dire 282 00:17:41,350 --> 00:17:45,110 et ce fut le cas de Monsieur Verdannet puisque là, il s'agissait d'un 283 00:17:45,310 --> 00:17:47,570 investisseur français qui avait un peu d'argent de côté, 284 00:17:47,770 --> 00:17:50,690 qui souhaitait acheter un bien immobilier en France et qui donc 285 00:17:50,890 --> 00:17:55,990 vraisemblablement mal conseillé, a fait ce choix de monter en quelque 286 00:17:56,190 --> 00:18:01,130 sorte une coquille vide au Luxembourg juste pour faire transiter les 287 00:18:01,330 --> 00:18:04,250 capitaux afin d'acheter le bien immobilier mais sans que la société 288 00:18:04,450 --> 00:18:07,510 ait d'autres réalités et d'autre activité véritable que simplement 289 00:18:07,710 --> 00:18:11,970 la conduite de l'opération et ensuite donc la possibilité de bénéficier 290 00:18:12,170 --> 00:18:13,290 de revenus en franchise d'impôt. 291 00:18:13,490 --> 00:18:16,010 Et donc dans cette opération effectivement, le Conseil d'État 292 00:18:16,210 --> 00:18:21,630 a estimé que l'artificialité complète du montage faisait présumer non 293 00:18:21,830 --> 00:18:26,350 seulement bien sûr que le critère subjectif était rempli, 294 00:18:26,550 --> 00:18:28,570 but exclusivement fiscal, il n'y avait pas d'autre raison 295 00:18:28,770 --> 00:18:32,750 de passer par le Luxembourg, et que, et c'est dit de manière 296 00:18:32,950 --> 00:18:38,650 tout à fait expresse et explicite pour la première fois par le Conseil 297 00:18:38,850 --> 00:18:44,190 d'État que le fait également de passer par un montage artificiel 298 00:18:44,390 --> 00:18:47,250 pour au bout du compte bénéficier de l'application de la convention 299 00:18:47,450 --> 00:18:51,150 bilatérale entre les deux pays conduisant à cette situation de 300 00:18:51,350 --> 00:18:54,850 double non-imposition, cela contrevenait également à l'esprit 301 00:18:55,050 --> 00:18:55,810 finalement du traité. 302 00:18:56,010 --> 00:18:59,270 Alors ce qui n'était pas absolument évident car vous le savez sans doute, 303 00:18:59,470 --> 00:19:04,330 les traités bilatéraux sont négociés par les deux États sans qu'il y 304 00:19:04,530 --> 00:19:08,750 ait la moindre publication de travaux préparatoires ou de négociations 305 00:19:08,950 --> 00:19:11,890 du contenu des négociations et donc il n'est pas du tout évident 306 00:19:12,090 --> 00:19:15,990 d'identifier quel a pu être l'objectif poursuivi par les signataires. 307 00:19:16,190 --> 00:19:19,910 Et puis il y a même un risque potentiel pour une juridiction d'attacher 308 00:19:20,110 --> 00:19:23,550 un objectif à la convention qui ne serait pas en phase avec ce 309 00:19:23,750 --> 00:19:26,790 que la juridiction suprême de l'autre État considérerait. 310 00:19:26,990 --> 00:19:30,290 Mais, et c'est là donc que le Conseil d'État a eu cette idée que j'ai 311 00:19:30,490 --> 00:19:34,330 suggérée tout à l'heure, qui est assez habile en tout cas, 312 00:19:34,530 --> 00:19:37,530 consistant à dire que dans tous les cas, c'est une présomption, 313 00:19:37,730 --> 00:19:41,990 dans tous les cas, les deux signataires n'ont pas pu souhaiter s'entendre 314 00:19:42,190 --> 00:19:45,470 en signant une convention fiscale bilatérale pour accorder un quelconque 315 00:19:45,670 --> 00:19:49,430 bénéfice à des entités purement artificielles et donc comme je 316 00:19:49,630 --> 00:19:52,710 le disais, l'artificialité d'après le Conseil d'État, permet de présumer 317 00:19:52,910 --> 00:19:55,310 que le critère encore une fois de violation de l'esprit du texte 318 00:19:55,510 --> 00:19:58,910 est respecté, y compris pour des textes de type conventionnel pour 319 00:19:59,110 --> 00:20:02,210 lesquels il est difficile d'avoir un accès finalement à l'intention 320 00:20:02,410 --> 00:20:04,790 des rédacteurs, là où évidemment avec les textes de loi, 321 00:20:04,990 --> 00:20:06,390 les choses sont plus faciles. 322 00:20:06,590 --> 00:20:10,310 Au bout du compte donc, ces critères, ces deux critères 323 00:20:10,510 --> 00:20:20,910 sont mobilisés pour identifier des situations où le critère subjectif 324 00:20:21,110 --> 00:20:25,070 et le critère objectif seront identifiés et permettront de conduire 325 00:20:25,270 --> 00:20:27,210 à la qualification d'abus de droit par fraude à la loi. 326 00:20:27,410 --> 00:20:30,430 Alors reste un cas particulier comme nous le verrons la prochaine 327 00:20:30,630 --> 00:20:34,630 fois, qui renvoie à la question de savoir si un tel abus de droit 328 00:20:34,830 --> 00:20:39,550 peut être reproché à un contribuable qui se plierait non pas à une loi 329 00:20:39,750 --> 00:20:43,550 ou à une convention au mépris de l'esprit des auteurs de ces deux 330 00:20:43,750 --> 00:20:50,330 textes, mais se fierait aux prévisions d'une source administrative, 331 00:20:50,530 --> 00:20:53,330 c'est-à-dire une doctrine, notamment une doctrine publiée, 332 00:20:53,530 --> 00:20:56,880 peut-on reprocher un abus de droit, en gros un abus de doctrine à un 333 00:20:57,080 --> 00:20:57,870 contribuable ? 334 00:20:58,070 --> 00:20:59,590 C'est ce que nous verrons la prochaine fois.