1 00:00:05,420 --> 00:00:06,180 Bonjour. 2 00:00:07,700 --> 00:00:11,140 Pour achever la présentation de la Convention européenne des droits 3 00:00:11,340 --> 00:00:13,390 de l'homme comme source du droit fiscal, envisageons maintenant, 4 00:00:13,590 --> 00:00:17,420 et c'est un paragraphe 2, l'article premier du premier protocole 5 00:00:17,620 --> 00:00:20,480 additionnel, donc l'article 1P1 pour les intimes, et j'emploierai 6 00:00:20,680 --> 00:00:22,040 cette expression pour gagner du temps. 7 00:00:23,320 --> 00:00:26,360 Expliquons cette notion de protocole additionnel. 8 00:00:26,560 --> 00:00:28,420 En réalité, la Convention européenne des droits de l'homme, 9 00:00:28,780 --> 00:00:31,600 comme un certain nombre d'autres traités internationaux, 10 00:00:32,020 --> 00:00:34,780 a connu un certain nombre de modifications sous la forme qu'on 11 00:00:34,980 --> 00:00:38,420 pourrait qualifier d'avenants si l'on était en matière contractuelle. 12 00:00:38,900 --> 00:00:41,860 En matière de conventions internationales, c'est la notion 13 00:00:42,060 --> 00:00:45,460 de protocole additionnel qui est parfois retenue, et c'est le cas 14 00:00:45,660 --> 00:00:46,420 pour la Convention. 15 00:00:46,620 --> 00:00:49,020 Or, le premier de ces protocoles additionnels, le premier de ces 16 00:00:49,220 --> 00:00:53,520 avenants si vous préférez, a été signé dès 1952 et a donc 17 00:00:53,860 --> 00:00:58,340 été intégré à la Convention qui, je le rappelle, trouve à s'appliquer 18 00:00:58,540 --> 00:01:02,500 en France depuis 1974 puisque la France a ratifié relativement 19 00:01:02,700 --> 00:01:06,580 tardivement la Convention européenne, et donc les protocoles additionnels 20 00:01:06,780 --> 00:01:09,540 qui y sont incorporés. 21 00:01:10,020 --> 00:01:13,700 Il se trouve que ce premier protocole additionnel compte un article premier, 22 00:01:13,900 --> 00:01:18,080 et c'est celui qui nous intéresse, qui vient offrir une garantie à 23 00:01:18,280 --> 00:01:20,760 l'ensemble des propriétaires, à l'ensemble des détenteurs d'un bien. 24 00:01:20,980 --> 00:01:24,420 C'est donc le droit au respect de ces biens que consacre cet article 25 00:01:24,620 --> 00:01:25,380 1P1. 26 00:01:25,580 --> 00:01:29,640 Je le cite brièvement, mais les expressions qu'emploie 27 00:01:29,840 --> 00:01:32,760 la Convention, ou le protocole plus exactement, sont importantes : 28 00:01:33,000 --> 00:01:35,860 "Toute personne physique ou morale" – les entreprises sont concernées 29 00:01:36,060 --> 00:01:38,840 au même titre que les particuliers – "a droit au respect de ses biens. 30 00:01:39,160 --> 00:01:43,780 Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, 31 00:01:43,980 --> 00:01:45,700 et dans les conditions prévues par la loi et par les principes 32 00:01:45,900 --> 00:01:49,600 généraux du droit international" – point essentiel – "les dispositions 33 00:01:49,800 --> 00:01:52,480 précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États 34 00:01:52,680 --> 00:01:54,720 de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer 35 00:01:54,920 --> 00:01:57,280 l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer 36 00:01:57,480 --> 00:02:01,720 le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." Bref, 37 00:02:01,920 --> 00:02:06,380 on le voit, la lettre même de l'article 1P1 se réfère à la matière fiscale 38 00:02:06,600 --> 00:02:09,580 et suggère donc une forme d'applicabilité en matière fiscale 39 00:02:09,780 --> 00:02:11,800 qu'il faut préciser en évoquant… 40 00:02:12,120 --> 00:02:15,320 l'invocabilité de l'article 1P1 lorsqu'on se met du côté du 41 00:02:15,520 --> 00:02:19,600 contribuable, et l'applicabilité plus généralement, lorsqu'on voit 42 00:02:19,800 --> 00:02:20,560 ça d'en haut. 43 00:02:21,340 --> 00:02:23,600 On verra ensuite concrètement les modalités d'application de cet 44 00:02:23,800 --> 00:02:29,460 article pour voir les garanties que cet article offre au contribuable. 45 00:02:29,780 --> 00:02:30,540 A. 46 00:02:31,920 --> 00:02:34,220 L'invocabilité de l'article 1P1. 47 00:02:35,240 --> 00:02:42,040 Je le suggérais, l'application est en principe tout à fait évidente 48 00:02:42,240 --> 00:02:47,300 en matière fiscale, même si, comme l'indique l'article 1P1, 49 00:02:48,160 --> 00:02:54,080 cet article n'entend pas interdire aux États de prélever des impôts. 50 00:02:54,860 --> 00:02:59,100 Néanmoins, il prévoit que lorsque l'État prélève des impôts, 51 00:02:59,300 --> 00:03:02,840 c'est tout de même au regard d'un certain nombre de principes et 52 00:03:03,040 --> 00:03:05,760 qu'un certain nombre de conditions doivent être respectées pour que 53 00:03:05,960 --> 00:03:10,100 les lois fiscales soient conformes à l'exigence de respect dû au bien. 54 00:03:10,700 --> 00:03:12,860 Il se trouve que l'interprétation que la Cour européenne des droits 55 00:03:13,060 --> 00:03:19,680 de l'homme et que les juridictions nationales font de cet article 56 00:03:19,880 --> 00:03:23,320 1P1 conduit finalement à mettre en valeur les notions, 57 00:03:23,520 --> 00:03:26,420 que j'ai soulignées et qui sont dans l'article, d'utilité publique 58 00:03:26,620 --> 00:03:29,580 et d'intérêt général avec, pour le dire simplement, 59 00:03:30,020 --> 00:03:32,420 cette idée qu'on va préciser dans un instant selon laquelle il appartient 60 00:03:32,620 --> 00:03:37,660 en réalité à tout juge soucieux 61 00:03:37,860 --> 00:03:38,620 du respect de la CEDH, ce qui est évidemment le cas de 62 00:03:38,820 --> 00:03:41,040 la Cour de Strasbourg, mais également de l'ensemble des 63 00:03:41,240 --> 00:03:43,400 juridictions internes, qui sont toutes juges de droit 64 00:03:43,600 --> 00:03:48,140 commun de la CEDH et qui sont donc toutes volontiers appelées à vérifier 65 00:03:48,340 --> 00:03:53,980 qu'une loi, quelle qu'elle soit, est bien conforme aux exigences 66 00:03:54,180 --> 00:03:58,880 de la CEDH, l'ensemble de ces juges doit pouvoir vérifier que toute 67 00:03:59,080 --> 00:04:02,700 loi fiscale, pour ce qui nous intéresse, est bien justifiée par 68 00:04:02,900 --> 00:04:06,150 l'intérêt général, par l'utilité publique, dans les hypothèses où 69 00:04:06,350 --> 00:04:09,450 elle vient porter atteinte aux biens des particuliers comme des 70 00:04:09,650 --> 00:04:14,030 entreprises, et en particulier lorsqu'elle vient porter atteinte 71 00:04:14,230 --> 00:04:17,550 à leurs biens à travers le prélèvement d'impôts. 72 00:04:17,750 --> 00:04:20,050 Autrement dit, et c'est ce point sur lequel je vais insister, 73 00:04:20,550 --> 00:04:23,610 le champ d'application, l'applicabilité de l'article 1P1 74 00:04:23,810 --> 00:04:28,950 en matière fiscale est extrêmement large, il concerne toutes les atteintes 75 00:04:29,150 --> 00:04:33,330 à la propriété et l'impôt en constitue évidemment une. 76 00:04:33,830 --> 00:04:37,550 Citons simplement à ce titre un avis contentieux du Conseil d'État 77 00:04:37,750 --> 00:04:47,210 du 12 avril 2002, société financière Labeyrie ; cet avis contentieux 78 00:04:47,410 --> 00:04:53,450 d'assemblée du 12 avril 2002 vient confirmer ce que je vous ai indiqué 79 00:04:53,650 --> 00:05:01,930 à l'instant, c'est-à-dire cette possibilité pour tout contribuable 80 00:05:02,130 --> 00:05:05,590 de soulever, à l'occasion d'un litige contre un acte d'imposition, 81 00:05:05,790 --> 00:05:09,730 contre un acte en matière fiscale en général, l'éventuelle contrariété 82 00:05:10,190 --> 00:05:14,010 de cet acte avec la Convention, et plus exactement la contrariété 83 00:05:14,210 --> 00:05:20,750 de la loi sur laquelle l'acte s'appuie avec les exigences de l'article 1P1. 84 00:05:20,950 --> 00:05:25,530 Et il se trouve, et c'est le point intéressant, que la jurisprudence 85 00:05:25,730 --> 00:05:27,090 de Strasbourg, comme la jurisprudence interne, ont même eu tendance à 86 00:05:27,290 --> 00:05:31,710 élargir encore le champ d'application de cet article 1P1. 87 00:05:31,910 --> 00:05:36,840 En effet, il concerne – et c'est les mots mêmes employés par l'article 88 00:05:37,040 --> 00:05:41,790 — les biens dont on est propriétaire – les deux expressions sont employées. 89 00:05:42,050 --> 00:05:45,130 Donc, l'argent que j'ai dans la poche et que le fisc veut me prendre, 90 00:05:45,330 --> 00:05:46,730 j'en suis assurément propriétaire. 91 00:05:46,950 --> 00:05:49,530 Lorsque le fisc me prend cet argent, il n'y a pas de doute, 92 00:05:49,990 --> 00:05:53,050 l'article 1P1 trouve à s'appliquer et le juge pourra vérifier que 93 00:05:53,250 --> 00:05:55,930 la loi sur le fondement de laquelle on me prend de l'argent est bien 94 00:05:56,990 --> 00:06:00,710 conforme aux exigences d'utilité publique et d'intérêt général qui 95 00:06:00,910 --> 00:06:01,670 doivent la porter. 96 00:06:02,010 --> 00:06:05,730 Mais au-delà, il se trouve que la CEDH a une vision de la notion 97 00:06:05,930 --> 00:06:10,570 de bien plus large que celle du législateur français et du législateur 98 00:06:10,770 --> 00:06:12,310 de nombreux États membres du Conseil de l'Europe. 99 00:06:13,090 --> 00:06:16,210 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et également 100 00:06:16,410 --> 00:06:19,370 la jurisprudence d'un certain nombre de juridictions internes vient 101 00:06:19,570 --> 00:06:24,630 protéger un certain nombre de situations que le droit interne 102 00:06:24,830 --> 00:06:30,990 ne prévoit pas, ne protège pas, en allant trouver un bien dans 103 00:06:31,190 --> 00:06:34,770 quelque chose d'assez fugace, en l'absence même d'un titre de 104 00:06:34,970 --> 00:06:39,150 propriété, en l'absence même d'un contrôle au sens juridique ou au 105 00:06:39,350 --> 00:06:41,630 sens physique à certains égards de certains éléments, 106 00:06:42,150 --> 00:06:45,130 et donc une forme de patrimonialisation d'un certain nombre d'éléments 107 00:06:45,770 --> 00:06:46,950 très fugaces. 108 00:06:49,590 --> 00:06:52,070 Je ne résiste pas complètement au plaisir de vous citer un arrêt 109 00:06:52,270 --> 00:06:54,470 que je trouve extrêmement intéressant, qui n'est pas un arrêt fiscal, 110 00:06:54,670 --> 00:06:57,510 mais qui aide à comprendre ensuite la jurisprudence fiscale, 111 00:06:57,710 --> 00:07:00,510 je crois : un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme 112 00:07:00,710 --> 00:07:09,990 du 30 novembre 2004. 113 00:07:10,510 --> 00:07:14,870 C'est un arrêt Öneryildiz contre Turquie, qui est reproduit aux 114 00:07:15,070 --> 00:07:17,870 grands arrêts de la CEDH publiés par les PUF. 115 00:07:18,490 --> 00:07:21,430 Dans cet arrêt de 2004 qui concerne la Turquie, la Cour européenne 116 00:07:21,630 --> 00:07:23,490 des droits de l'homme est venue accorder sa protection… 117 00:07:24,490 --> 00:07:29,250 c'était l'histoire abominable du demandeur turc qui non seulement 118 00:07:32,090 --> 00:07:40,470 avait perdu une partie de sa famille, mais aussi sa maison et nombre 119 00:07:40,670 --> 00:07:41,430 de ses biens dans un glissement de terrain. 120 00:07:41,630 --> 00:07:42,590 Encore une fois, c'était une situation assez apocalyptique, 121 00:07:42,790 --> 00:07:45,470 mais il se trouve, et c'est le point intéressant, que cette personne 122 00:07:45,670 --> 00:07:49,570 et sa famille étaient squatteurs, c'est-à-dire occupaient sans aucun 123 00:07:49,770 --> 00:07:53,130 titre de propriété un terrain public, en l'occurrence, sur lequel une 124 00:07:53,330 --> 00:07:55,290 sorte de bidonville était né. 125 00:07:55,490 --> 00:07:58,750 Et donc, lorsque, à l'occasion de ce glissement de terrain, 126 00:07:59,110 --> 00:08:01,970 cette personne a tout perdu, et notamment ses biens, 127 00:08:03,130 --> 00:08:05,710 a priori le droit turc ne le protégeait pas et le droit interne français 128 00:08:05,910 --> 00:08:10,470 ne l'aurait pas plus protégé, dans la mesure où il était occupant 129 00:08:10,670 --> 00:08:14,650 sans titre, où il n'avait aucun titre de propriété à faire valoir. 130 00:08:15,290 --> 00:08:17,970 Néanmoins, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la 131 00:08:18,170 --> 00:08:20,590 Turquie, et au bout du compte a permis l'indemnisation de cette 132 00:08:20,790 --> 00:08:24,670 personne, en estimant qu'elle pouvait se prévaloir d'un bien auquel il 133 00:08:24,870 --> 00:08:29,250 avait été porté atteinte, et ce bien tenait simplement, 134 00:08:29,450 --> 00:08:32,070 non pas à une propriété, bien sûr, mais tenait simplement 135 00:08:32,270 --> 00:08:38,330 à l'espérance légitime de voir sa situation perdurer. 136 00:08:39,710 --> 00:08:44,850 C'est donc un simple espoir, une simple espérance qui constitue 137 00:08:45,050 --> 00:08:47,050 ici un bien et qui est protégée. 138 00:08:47,350 --> 00:08:50,090 On protège l'espérance sur le fondement de la CEDH. 139 00:08:51,030 --> 00:08:57,030 Pas un délire, pas un fantasme, mais une espérance légitime – c'est 140 00:08:57,230 --> 00:08:58,670 l'adjectif qu'ajoute la Cour. 141 00:08:59,170 --> 00:09:03,250 Et cette légitimité tient essentiellement au fait que l'espoir 142 00:09:03,450 --> 00:09:04,850 vient du comportement de l'administration. 143 00:09:05,050 --> 00:09:09,070 C'est l'État et ses fonctionnaires qui, par leur comportement, 144 00:09:09,270 --> 00:09:13,450 leurs actions, leurs paroles, ont fait naître la légitimité de 145 00:09:13,650 --> 00:09:14,410 l'espoir. 146 00:09:14,610 --> 00:09:19,050 Mais même sur cet aspect de légitimité, il y a un élément très intéressant 147 00:09:19,250 --> 00:09:21,630 dans cette décision turque, c'est qu'en l'espèce, 148 00:09:21,830 --> 00:09:25,230 l'État n'avait rien signé du tout et ne s'était engagé à rien à l'égard 149 00:09:25,430 --> 00:09:26,190 de ce monsieur. 150 00:09:26,390 --> 00:09:30,230 L'État s'était simplement contenté de ne pas agir. 151 00:09:30,970 --> 00:09:35,010 Concrètement, la personne en question voyait passer régulièrement des 152 00:09:35,210 --> 00:09:39,970 policiers sous ses fenêtres, qui jamais ne lui ont rappelé qu'il 153 00:09:40,170 --> 00:09:42,370 n'avait rien à faire là, ne lui ont jamais suggéré qu'il 154 00:09:42,570 --> 00:09:45,950 devait décamper et qu'il allait peut-être être expulsé. 155 00:09:46,150 --> 00:09:50,230 En gros, c'est une sorte d'inaction de l'administration, de passivité 156 00:09:50,430 --> 00:09:53,890 de l'administration face à cette situation, qui, d'après la CEDH, 157 00:09:54,270 --> 00:10:00,010 a rendu légitime aux yeux du requérant son espérance de voir cette situation 158 00:10:00,210 --> 00:10:00,970 perdurer. 159 00:10:01,350 --> 00:10:03,770 J'insiste parce que ce point est très important et, je crois, 160 00:10:03,970 --> 00:10:04,730 assez contre-intuitif. 161 00:10:05,190 --> 00:10:09,510 Cette simple espérance, validée par une sorte de légitimation 162 00:10:09,710 --> 00:10:13,010 par le comportement de l'administration, constitue un 163 00:10:13,210 --> 00:10:16,150 bien qui entre dans le champ d'application de la CEDH et qui 164 00:10:16,350 --> 00:10:20,230 doit donc être protégé par les États sur le fondement de la CEDH, 165 00:10:20,430 --> 00:10:22,470 à travers en l'espèce une indemnisation en cas d'atteinte. 166 00:10:23,230 --> 00:10:26,530 Il se trouve que cette jurisprudence a fait des petits, si je puis dire, 167 00:10:26,730 --> 00:10:29,790 en matière fiscale, et notamment du côté du Conseil d'État, 168 00:10:29,990 --> 00:10:32,990 puisque la jurisprudence de la CEDH en matière fiscale est très 169 00:10:33,190 --> 00:10:35,030 peu développée, même sur le terrain de l'article 1P1. 170 00:10:35,230 --> 00:10:39,070 Il y a quelques décisions, mais la CEDH ne souhaite pas jusqu'à 171 00:10:39,270 --> 00:10:41,670 présent s'investir énormément dans la matière fiscale. 172 00:10:41,870 --> 00:10:44,510 En revanche, rien n'interdit, bien au contraire, aux juridictions 173 00:10:44,710 --> 00:10:50,850 internes de s'appuyer sur les dispositions de la Convention, 174 00:10:51,290 --> 00:10:55,190 de son protocole additionnel et sur la jurisprudence de la Cour 175 00:10:55,390 --> 00:10:59,850 de Strasbourg pour l'étendre et tirer des garanties, 176 00:11:00,070 --> 00:11:03,590 soit nouvelles, soit appropriées aux situations nationales. 177 00:11:04,210 --> 00:11:07,250 Et c'est ce que le Conseil d'État n'hésite pas à faire depuis quelques 178 00:11:07,450 --> 00:11:08,210 années. 179 00:11:08,870 --> 00:11:13,830 Il se trouve qu'un certain nombre des décisions assez intéressantes 180 00:11:14,030 --> 00:11:17,550 ont permis de valider cette capacité qu'a notamment le Conseil d'État 181 00:11:17,750 --> 00:11:21,710 français à aller au-delà de ce qu'a jugé la CEDH, notamment en 182 00:11:21,910 --> 00:11:27,950 reconnaissant la nature de bien au sens de la CEDH, là où auparavant 183 00:11:28,150 --> 00:11:30,310 aucune protection n'était fournie par le droit, notamment le droit 184 00:11:30,510 --> 00:11:31,270 constitutionnel. 185 00:11:31,510 --> 00:11:35,670 Je veux citer au moins un exemple auquel on a fait un peu référence 186 00:11:35,870 --> 00:11:43,050 implicitement, qui est celui des promesses faites par le législateur 187 00:11:43,250 --> 00:11:49,210 qui, à certains égards, 188 00:11:49,410 --> 00:11:50,170 n'était pas protégé jusqu'à ce que le Conseil d'État décide de 189 00:11:50,370 --> 00:11:53,990 s'en saisir sur le fondement de la Convention pour leur accorder 190 00:11:54,190 --> 00:11:54,950 des droits. 191 00:11:55,150 --> 00:11:58,290 Mais avant de voir ce point, je veux terminer simplement au 192 00:11:58,490 --> 00:12:03,590 titre de l'invocabilité de l'article 1P1 pour dire qu'outre cette large 193 00:12:03,790 --> 00:12:08,470 ouverture à des éléments qui ne constituent pas des biens en droit 194 00:12:08,670 --> 00:12:11,490 interne, mais qui vont être assimilés à des biens au sens de la CEDH, 195 00:12:12,030 --> 00:12:17,330 ce large champ d'application est d'autant élargi que, 196 00:12:18,130 --> 00:12:22,690 par ricochet, le fait de pouvoir invoquer l'article 1P1 permet aux 197 00:12:22,890 --> 00:12:24,690 contribuables d'invoquer d'autres articles de la Convention. 198 00:12:25,310 --> 00:12:28,350 En effet, je pense à un article en particulier, et c'est le seul 199 00:12:28,550 --> 00:12:31,390 qui nous intéressera ici, qui est l'article 14 de la Convention, 200 00:12:31,930 --> 00:12:34,710 qui vient proscrire toute discrimination. 201 00:12:34,970 --> 00:12:37,710 La formule est extrêmement large : "La jouissance des droits et libertés 202 00:12:37,910 --> 00:12:41,290 reconnus par la présente Convention" – ce qui inclut les droits et libertés 203 00:12:41,490 --> 00:12:44,150 reconnus par les protocoles additionnels, donc notamment l'article 204 00:12:44,350 --> 00:12:47,490 1P1 – "doit l'être, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, 205 00:12:47,690 --> 00:12:49,350 la race, la couleur, la langue, la religion ou toute 206 00:12:49,550 --> 00:12:50,310 autre situation". 207 00:12:50,510 --> 00:12:53,230 Donc, concrètement, dès lors que vous entrez dans le champ de la 208 00:12:53,430 --> 00:13:00,130 Convention, qu'un droit protégé par la Convention est susceptible 209 00:13:00,330 --> 00:13:03,830 d'être évoqué, par exemple le droit au respect des biens, 210 00:13:04,030 --> 00:13:08,550 article 1P1, ce droit doit de plus s'exercer sans discrimination. 211 00:13:08,750 --> 00:13:12,030 Et donc, toute personne doit être traitée également sans discrimination 212 00:13:12,230 --> 00:13:15,910 au titre du bien en question, ce qui signifie concrètement qu'un 213 00:13:16,110 --> 00:13:20,050 contribuable qui estime qu'une loi fiscale porte atteinte à ses 214 00:13:20,250 --> 00:13:25,570 biens peut non seulement contester cette loi fiscale sur le fondement 215 00:13:25,770 --> 00:13:29,130 de l'article 1P1, en ce qu'elle serait dépourvue de justification 216 00:13:29,330 --> 00:13:33,450 d'intérêt général, mais peut en plus invoquer l'éventuel caractère 217 00:13:33,650 --> 00:13:34,750 discriminatoire de cette loi. 218 00:13:35,870 --> 00:13:38,830 Je le dis tout de suite, pour retomber sur quelque chose 219 00:13:39,030 --> 00:13:41,770 qui ressemble fort à la jurisprudence constitutionnelle relative au principe 220 00:13:41,970 --> 00:13:45,910 d'égalité, et je vous citerai ultérieurement une ou deux références 221 00:13:46,250 --> 00:13:50,430 à cet égard, notons simplement à ce stade que l'avis contentieux 222 00:13:50,630 --> 00:13:55,490 Ferrandini de 2002, que je citais tout à l'heure, est venu également 223 00:13:55,690 --> 00:13:59,450 reconnaître par principe que tout contribuable qui rentre dans le 224 00:13:59,650 --> 00:14:03,130 champ de l'application de l'article 1P1 peut aussi invoquer l'article 14, 225 00:14:03,330 --> 00:14:07,110 et donc une éventuelle discrimination, à condition toutefois que cette 226 00:14:07,310 --> 00:14:12,610 discrimination soit invoquée par rapport à la situation d'autres 227 00:14:12,810 --> 00:14:13,570 contribuables. 228 00:14:13,770 --> 00:14:15,890 On parle d'une invocabilité horizontale, c'est-à-dire entre 229 00:14:16,090 --> 00:14:16,850 contribuables. 230 00:14:17,050 --> 00:14:19,070 En revanche, parce que c'était le cas dans cette affaire de 2002, 231 00:14:19,470 --> 00:14:22,310 il n'est pas possible aux contribuables de se plaindre de ne pas être traités 232 00:14:22,510 --> 00:14:25,570 de la même manière que l'administration fiscale, en l'occurrence était 233 00:14:25,770 --> 00:14:28,290 en cause une question d'intérêt de retard et d'intérêt moratoire. 234 00:14:28,910 --> 00:14:31,690 Selon que vous deviez de l'argent à l'administration fiscale ou selon 235 00:14:31,890 --> 00:14:38,410 qu'elle vous devait de l'argent, les taux d'intérêt – intérêt moratoire 236 00:14:38,610 --> 00:14:42,110 ou intérêt de retard – n'étaient pas les mêmes à l'époque. 237 00:14:43,290 --> 00:14:46,710 La situation a évolué depuis, le législateur a aligné ses taux 238 00:14:46,910 --> 00:14:48,750 pour qu'ils soient aujourd'hui équivalents. 239 00:14:49,210 --> 00:14:52,210 Mais à l'époque, il y avait une potentielle discrimination. 240 00:14:52,670 --> 00:14:54,710 Le Conseil d'État a estimé que cette discrimination ne pouvait 241 00:14:54,910 --> 00:14:59,650 pas être invoquée dans la mesure où elle renvoyait à une comparaison 242 00:14:59,850 --> 00:15:02,690 verticale entre l'État et un contribuable, et pas horizontale 243 00:15:02,890 --> 00:15:03,650 entre deux contribuables. 244 00:15:04,270 --> 00:15:07,030 C'est donc ce qu'il faut en tirer : les comparaisons de situations 245 00:15:07,230 --> 00:15:09,730 entre contribuables sont toujours possibles sur le fondement de l'article 246 00:15:09,930 --> 00:15:10,690 14 de la CEDH. 247 00:15:11,070 --> 00:15:14,490 Donc, concrètement, cela signifie qu'aujourd'hui tout contribuable 248 00:15:14,690 --> 00:15:17,790 a la possibilité d'invoquer non seulement, face à toute situation 249 00:15:17,990 --> 00:15:21,350 fiscale, une éventuelle violation de l'article 1P1, mais également 250 00:15:21,550 --> 00:15:25,950 de suggérer que cette violation est aussi liée à une situation 251 00:15:26,150 --> 00:15:28,950 de discrimination, parce que le contribuable en question s'estime 252 00:15:29,150 --> 00:15:32,450 traité de manière différente et sans justification d'un autre 253 00:15:32,650 --> 00:15:33,410 contribuable. 254 00:15:33,610 --> 00:15:38,670 C'est donc une manière d'importer sur le terrain CEDH tout le contentieux 255 00:15:38,870 --> 00:15:41,390 de l'égalité, de la violation éventuelle du principe d'égalité 256 00:15:41,590 --> 00:15:44,870 que l'on a déjà évoqué, sur le terrain constitutionnel 257 00:15:46,110 --> 00:15:48,530 avec les vicissitudes que j'ai évoquées également. 258 00:15:49,210 --> 00:15:53,170 On verra la prochaine fois la manière dont le Conseil d'État, 259 00:15:53,370 --> 00:15:56,170 et la Cour de cassation, mais d'une manière plus discrète, 260 00:15:56,370 --> 00:15:59,810 applique concrètement aujourd'hui ces différentes exigences, 261 00:16:00,010 --> 00:16:03,730 pour voir qu'on y trouve aujourd'hui une source extrêmement intéressante 262 00:16:03,930 --> 00:16:08,010 qui permet potentiellement au contribuable de faire valoir un 263 00:16:08,210 --> 00:16:10,590 certain nombre de droits, là où le terrain constitutionnel 264 00:16:10,790 --> 00:16:11,950 est parfois plus glissant.