1 00:00:04,480 --> 00:00:10,720 Nous abordons à présent le dernier chapitre de tous ces développements 2 00:00:10,920 --> 00:00:14,280 consacrés au principe directeur du procès civil. 3 00:00:15,160 --> 00:00:20,500 Chapitre 4 : le principe de licéité de la preuve et sa conciliation 4 00:00:20,700 --> 00:00:22,080 avec le droit à la preuve. 5 00:00:22,380 --> 00:00:35,140 Le principe de licéité de la preuve est implicitement contenu dans 6 00:00:35,340 --> 00:00:38,340 quatre mots de l'article 9 du Code de procédure civile. 7 00:00:38,980 --> 00:00:43,520 Je vous rappelle que l'article 9 du Code de procédure civile dispose : 8 00:00:44,120 --> 00:00:49,140 "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les 9 00:00:49,620 --> 00:00:51,400 faits nécessaires au succès de ses prétentions". 10 00:00:51,800 --> 00:00:54,980 Les quatre mots en question, c'est "conformément à la loi", 11 00:00:55,180 --> 00:01:00,380 puisque la jurisprudence a interprété ces mots en précisant les conditions 12 00:01:00,580 --> 00:01:02,320 de licéité de la preuve. 13 00:01:02,520 --> 00:01:05,780 Quels sont les éléments de preuve qui ne seront pas admis au débat, 14 00:01:05,980 --> 00:01:09,940 qui seront déclarés donc irrecevables, parce qu'ils seront considérés 15 00:01:10,140 --> 00:01:11,340 comme illicites ? 16 00:01:12,340 --> 00:01:15,980 Peu ou prou, les conditions de licéité de la preuve sont toutes 17 00:01:16,180 --> 00:01:19,780 rattachables à l'une des trois exigences suivantes. 18 00:01:20,220 --> 00:01:25,380 Soit à l'exigence de loyauté dans l'obtention de la preuve, 19 00:01:26,700 --> 00:01:29,980 soit au devoir de respecter la vie privée d'autrui, 20 00:01:30,180 --> 00:01:36,380 soit enfin à l'obligation de ne pas révéler une information couverte 21 00:01:36,580 --> 00:01:38,320 par un secret juridiquement protégé. 22 00:01:39,180 --> 00:01:42,840 Ici, je dois faire une petite remarque d'ordre terminologique. 23 00:01:43,200 --> 00:01:46,800 J'ai défini la licéité de façon très large. 24 00:01:47,240 --> 00:01:51,800 Pour moi, la licéité c'est le fait, pour un élément de preuve, 25 00:01:52,000 --> 00:01:58,680 d'être conforme à la loi, donc cela englobe toutes les exigences 26 00:01:58,880 --> 00:02:05,500 que doit respecter un élément de 27 00:02:05,700 --> 00:02:06,540 preuve pour être recevable. 28 00:02:06,820 --> 00:02:11,060 Ça englobe notamment l'exigence de loyauté, et puis toutes celles 29 00:02:11,260 --> 00:02:12,980 que j'ai citées, la vie privée, les secrets, etc. 30 00:02:14,160 --> 00:02:17,640 Il arrive que le mot "licéité" soit entendu dans un sens plus étroit. 31 00:02:17,840 --> 00:02:22,640 Et je suis obligée de le préciser parce que c'est notamment dans 32 00:02:22,840 --> 00:02:25,580 ce sens plus étroit que le mot “licéité” est entendu, 33 00:02:25,780 --> 00:02:28,620 dans un arrêt dont on parlera parce qu'il est très important, 34 00:02:28,820 --> 00:02:33,120 qui est un arrêt d'assemblée plénière du 22 décembre 2023, 35 00:02:33,320 --> 00:02:38,560 dans lequel le mot "licéité" est entendu comme différent du mot 36 00:02:38,760 --> 00:02:39,520 "loyauté". 37 00:02:39,720 --> 00:02:42,000 C'est-à-dire qu'une preuve licite, ce n'est pas la même chose qu'une 38 00:02:42,200 --> 00:02:47,100 preuve loyale pour la Cour de cassation dans cet arrêt d'assemblée plénière. 39 00:02:47,300 --> 00:02:50,280 Il y a d'ailleurs une partie de la doctrine qui adhère à cette 40 00:02:50,480 --> 00:02:52,700 distinction entre preuve licite et preuve loyale, mais ce n'est 41 00:02:52,900 --> 00:02:59,000 pas du tout unanimement reçu en doctrine cette acception étroite 42 00:02:59,200 --> 00:02:59,960 du mot "licéité". 43 00:03:00,160 --> 00:03:02,740 Mais comme il se trouve que l'assemblée plénière l'a adoptée, 44 00:03:02,940 --> 00:03:03,980 il faut la connaître. 45 00:03:04,180 --> 00:03:07,560 Donc dans ce sens-là, "licite" c'est plus étroit et ça 46 00:03:07,760 --> 00:03:10,800 veut dire "conforme à un texte exprès de loi". 47 00:03:11,220 --> 00:03:13,840 Il se trouve que pour la vie privée, c'est l'article 9 du Code civil 48 00:03:14,040 --> 00:03:18,320 qui énonce qu'il faut respecter la vie privée, donc un élément 49 00:03:18,520 --> 00:03:20,140 de preuve ne peut pas porter atteinte à la vie privée. 50 00:03:21,200 --> 00:03:25,080 Il se trouve que chaque secret est juridiquement protégé par hypothèse 51 00:03:25,280 --> 00:03:27,220 et toujours prévu par un texte. 52 00:03:27,420 --> 00:03:32,060 Donc tout cela peut être regroupé dans la catégorie des exigences 53 00:03:32,260 --> 00:03:33,020 de licéité. 54 00:03:33,220 --> 00:03:36,760 En revanche, l'exigence de loyauté dans l'obtention de la preuve, 55 00:03:36,960 --> 00:03:39,760 il n'y a pas de loi particulière qui l'énonce. 56 00:03:42,240 --> 00:03:44,680 C'est un principe qui a été dégagé par la jurisprudence. 57 00:03:44,880 --> 00:03:48,700 Et par conséquent, ça n'est pas regroupé pour ces auteurs et pour 58 00:03:48,900 --> 00:03:52,480 l'assemblée plénière dans la catégorie des exigences de licéité. 59 00:03:52,680 --> 00:03:57,280 Et c'est la raison pour laquelle on peut dire qu'une preuve licite 60 00:03:57,480 --> 00:04:00,020 et une preuve loyale ou, à l'inverse, une preuve illicite 61 00:04:00,220 --> 00:04:02,460 et une preuve déloyale, ça n'est pas la même chose. 62 00:04:03,300 --> 00:04:07,980 Dans la suite des développements, j'emploierai néanmoins toujours 63 00:04:08,180 --> 00:04:12,860 le sens large de "licéité" puisqu'il me paraît légitime, et surtout, 64 00:04:13,060 --> 00:04:15,820 je ne vois pas l'utilité de la distinction opérée par l'assemblée 65 00:04:16,020 --> 00:04:17,660 plénière, ça me paraît juste compliquer les choses. 66 00:04:18,280 --> 00:04:22,220 Donc j'emploierai le sens "licéité", conforme à la loi, que cette loi 67 00:04:22,420 --> 00:04:25,360 soit expressément écrite quelque part ou qu'elle résulte d'une norme 68 00:04:25,560 --> 00:04:26,320 jurisprudentielle. 69 00:04:28,220 --> 00:04:34,500 Je pourrais, dans ce chapitre 4, me contenter de décrire le contenu 70 00:04:34,700 --> 00:04:37,960 de ces conditions de licéité de la preuve telles que je les ai 71 00:04:38,160 --> 00:04:41,660 énumérées jusqu'à présent, mais depuis une dizaine d'années, 72 00:04:41,860 --> 00:04:46,280 il faut signaler dans le même temps une autre tendance jurisprudentielle 73 00:04:46,480 --> 00:04:50,400 qui va dans le sens inverse, c'est-à-dire qui conduit à admettre 74 00:04:50,600 --> 00:04:53,400 des preuves alors même qu'elles sont illicites. 75 00:04:53,860 --> 00:04:55,820 Dans quelles circonstances ? 76 00:04:56,020 --> 00:05:01,800 Lorsque la partie qui produit la preuve illicite a absolument besoin 77 00:05:02,000 --> 00:05:05,720 de la produire pour pouvoir établir ce qu'elle allègue. 78 00:05:06,300 --> 00:05:12,060 Autrement dit, lorsque c'est absolument nécessaire, la production de cette 79 00:05:14,000 --> 00:05:17,300 preuve illicite est absolument nécessaire pour ses droits de la 80 00:05:17,500 --> 00:05:18,260 défense. 81 00:05:18,460 --> 00:05:21,760 Ses droits de la défense, qu'on appelle aujourd'hui dans 82 00:05:21,960 --> 00:05:24,380 cette hypothèse particulière son "droit à la preuve", 83 00:05:24,840 --> 00:05:31,780 sont jugés supérieurs dans certaines circonstances à l'exigence de licéité 84 00:05:31,980 --> 00:05:32,740 de la preuve. 85 00:05:32,940 --> 00:05:37,380 Il faut donc commencer par décrire l'émergence de ce "droit à la preuve" 86 00:05:37,580 --> 00:05:39,600 — je le mets entre guillemets parce que l'expression est désormais 87 00:05:39,800 --> 00:05:44,340 consacrée —, dans la section 1, et puis il faudra décrire la façon 88 00:05:44,540 --> 00:05:49,640 dont ce droit à la preuve peut infléchir ou non les diverses exigences 89 00:05:49,840 --> 00:05:52,540 de licéité de la preuve, ce sera la section 2. 90 00:05:52,740 --> 00:05:56,320 Section 1 : l'émergence d'un droit à la preuve. 91 00:05:58,540 --> 00:06:00,460 Ce mouvement est né dans les années 2000. 92 00:06:00,660 --> 00:06:04,820 Au début, quand la Cour de cassation estimait qu'une preuve illicite 93 00:06:05,020 --> 00:06:10,300 devait néanmoins être admise au débat, c'était au motif que la preuve 94 00:06:10,500 --> 00:06:13,540 était essentielle aux droits de la défense de la partie qui l'invoquait 95 00:06:13,740 --> 00:06:17,780 ou aux besoins de la défense, parfois elle disait, 96 00:06:17,980 --> 00:06:21,120 et toujours à condition que la production de la preuve soit 97 00:06:21,320 --> 00:06:23,180 proportionnée à ce but légitime. 98 00:06:23,400 --> 00:06:26,880 Le but légitime étant l'exercice des droits de la défense ou les 99 00:06:27,080 --> 00:06:27,840 besoins de la défense. 100 00:06:30,240 --> 00:06:33,600 La Cour européenne des droits de l'homme à la première employé 101 00:06:33,800 --> 00:06:37,540 l'expression "droit à la preuve" pour admettre la production en 102 00:06:37,740 --> 00:06:38,760 justice d'une preuve illicite. 103 00:06:39,420 --> 00:06:43,560 C'était le 10 octobre 2006 dans une décision de la Cour européenne 104 00:06:43,760 --> 00:06:46,620 des droits de l'homme, qui est une décision L.L. 105 00:06:47,300 --> 00:06:48,060 contre France. 106 00:06:48,320 --> 00:06:52,860 Il s'agissait d'une affaire de divorce pour faute. 107 00:06:53,200 --> 00:06:59,440 L'épouse voulait démontrer l'alcoolisme pathologique de son mari violent. 108 00:06:59,640 --> 00:07:05,120 Et à cette fin, entre autres éléments de preuve, elle avait produit un 109 00:07:05,320 --> 00:07:10,240 compte rendu opératoire faisant état de l'ablation de la rate de 110 00:07:10,440 --> 00:07:13,500 son mari, pour prouver qu'il était alcoolique. 111 00:07:14,100 --> 00:07:18,140 La pièce avait été admise par le juge français et la décision de 112 00:07:18,340 --> 00:07:20,140 divorce en reproduisait même quelques extraits. 113 00:07:21,320 --> 00:07:24,440 Après avoir épuisé les voies de recours internes françaises, 114 00:07:24,640 --> 00:07:30,080 l'époux avait saisi la Cour européenne des droits de l'homme estimant 115 00:07:30,280 --> 00:07:35,540 qu'il y avait eu une atteinte à l'article 8 de la Convention européenne 116 00:07:35,740 --> 00:07:39,780 des droits de l'homme, une atteinte à son droit au respect 117 00:07:39,980 --> 00:07:40,740 de sa vie privée. 118 00:07:41,880 --> 00:07:44,680 Et la Cour européenne des droits de l'homme avait constaté effectivement 119 00:07:44,880 --> 00:07:48,720 une ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant, 120 00:07:48,920 --> 00:07:52,000 donc de l'époux, garantie par le paragraphe 1 de l'article 8 de 121 00:07:52,200 --> 00:07:52,960 la Convention. 122 00:07:53,320 --> 00:07:57,200 Ensuite, elle avait estimé que l'ingérence était justifiée au 123 00:07:57,400 --> 00:08:00,600 regard du paragraphe 2 de l'article 8. 124 00:08:00,800 --> 00:08:03,420 Le paragraphe 2 de l'article 8, c'est celui qui estime "qu'il peut 125 00:08:03,620 --> 00:08:07,580 y avoir une ingérence dans une société démocratique" dans tel 126 00:08:08,420 --> 00:08:09,180 ou tel but. 127 00:08:09,380 --> 00:08:13,700 Donc pour la Cour européenne des droits de l'homme, en l'occurrence, 128 00:08:13,900 --> 00:08:17,920 il pouvait y avoir une ingérence dès lors que cette ingérence, 129 00:08:18,120 --> 00:08:23,280 je cite l'arrêt, "était destinée à la protection des droits et libertés 130 00:08:23,480 --> 00:08:31,180 d'autrui — c'est le paragraphe 2 de l'article 8 —, en l'occurrence 131 00:08:31,380 --> 00:08:35,180 le droit à la preuve du conjoint aux fins de faire triompher ses 132 00:08:35,380 --> 00:08:36,140 prétentions". 133 00:08:36,580 --> 00:08:39,440 "L'ingérence était destinée à la protection des droits et libertés 134 00:08:39,640 --> 00:08:42,700 d'autrui, en l'occurrence le droit à la preuve du conjoint aux fins 135 00:08:42,900 --> 00:08:44,100 de faire triompher ses prétentions". 136 00:08:44,300 --> 00:08:46,620 C'est le paragraphe 40 de l'arrêt du 10 octobre 2006. 137 00:08:46,820 --> 00:08:50,000 Toutefois, elle considère ensuite dans un troisième temps, 138 00:08:50,200 --> 00:08:53,700 dans lequel elle apprécie le rapport de proportionnalité entre la violation 139 00:08:53,900 --> 00:08:57,540 de l'article 8 et le but légitime poursuivi par cette violation, 140 00:08:57,740 --> 00:09:01,940 elle estime que l'atteinte était disproportionnée parce que l'alcoolisme 141 00:09:02,140 --> 00:09:05,020 était suffisamment prouvé par d'autres éléments de preuve. 142 00:09:05,220 --> 00:09:07,880 Donc ce n'était pas la peine, en plus, d'ajouter une atteinte 143 00:09:08,080 --> 00:09:09,660 au droit au respect de la vie privée. 144 00:09:11,260 --> 00:09:14,260 Néanmoins, on voit apparaître l'expression "droit à la preuve" 145 00:09:14,460 --> 00:09:18,420 de cette façon dans l'arrêt de 2006, mais le seul texte de la Convention 146 00:09:18,620 --> 00:09:21,180 européenne des droits de l'homme qui est cité, c'est l'article 8 147 00:09:21,380 --> 00:09:23,960 puisqu'il s'agit de savoir si la France a, oui ou non, 148 00:09:24,160 --> 00:09:27,160 violé l'article 8 de la Convention européenne et droits de l'homme. 149 00:09:28,360 --> 00:09:34,560 Dans un second arrêt du 13 mai 2008, c'est un arrêt N.N. 150 00:09:34,760 --> 00:09:35,520 et T.A. 151 00:09:35,720 --> 00:09:41,800 contre Belgique, 13 mai 2008, la Cour européenne et droits de 152 00:09:42,000 --> 00:09:45,240 l'homme rattache le droit à la preuve au droit fondamental à un 153 00:09:45,440 --> 00:09:48,360 procès équitable prévu par l'article 6.1 de la Convention européenne 154 00:09:48,560 --> 00:09:49,320 des droits de l'homme. 155 00:09:49,520 --> 00:09:52,800 Là, elle fait application à l'article 6.1, avec la formule suivante. 156 00:09:53,000 --> 00:10:00,880 Elle évoque le droit d'une partie à un procès de se voir offrir une 157 00:10:01,080 --> 00:10:06,660 possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves. 158 00:10:15,640 --> 00:10:21,020 C'est là pour elle une manifestation du principe d'égalité des armes. 159 00:10:22,140 --> 00:10:25,180 La Cour européenne des droits de l'homme n'a plus jamais réemployé 160 00:10:25,380 --> 00:10:28,200 l'expression "droit à la preuve" en tant que telle, qu'on trouve 161 00:10:28,400 --> 00:10:30,260 dans l'arrêt de 2006 et uniquement dans l'arrêt de 2006. 162 00:10:30,740 --> 00:10:35,400 Mais ensuite, elle l'a en quelque sorte intégrée au principe d'égalité 163 00:10:35,600 --> 00:10:36,360 des armes. 164 00:10:36,560 --> 00:10:42,420 Chacun, chaque partie doit être mise en mesure d'avoir une possibilité 165 00:10:42,620 --> 00:10:46,020 raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves. 166 00:10:49,200 --> 00:10:52,320 Elle admet aujourd'hui qu'il existe un conflit entre deux droits 167 00:10:52,520 --> 00:10:56,060 fondamentaux, le droit au respect de la vie privée d'une part et 168 00:10:56,260 --> 00:10:58,120 le droit au procès équitable d'autre part. 169 00:10:58,640 --> 00:11:01,000 Conflit qui est donc résolu grâce à la mise en œuvre du contrôle 170 00:11:01,200 --> 00:11:02,140 de proportionnalité. 171 00:11:03,560 --> 00:11:07,820 La Cour de cassation a décidé de reprendre cette expression présente 172 00:11:08,020 --> 00:11:12,200 dans l'arrêt de 2006 et de l'utiliser, plutôt que d'utiliser l'expression 173 00:11:12,400 --> 00:11:14,280 "droit de la défense" ou "besoins de la défense" qu'elle utilisait 174 00:11:14,480 --> 00:11:15,240 jusqu'alors. 175 00:11:15,440 --> 00:11:20,900 C'est ce qui s'est passé lorsque la première chambre civile a rendu 176 00:11:21,100 --> 00:11:25,360 un arrêt le 5 avril 2012, numéro 11-14.177. 177 00:11:26,240 --> 00:11:30,160 Numéro 11-14.177, civile première, 5 avril 2012. 178 00:11:32,460 --> 00:11:35,860 Il s'agissait d'une lettre qui avait été produite. 179 00:11:36,080 --> 00:11:41,180 Il était opposé à la production de cette lettre que la production 180 00:11:41,380 --> 00:11:44,860 était attentatoire à la vie privée, puisque la lettre contenait des 181 00:11:45,060 --> 00:11:47,380 éléments touchant à l'intimité de l'une des parties. 182 00:11:49,100 --> 00:11:58,600 Donc les juges du fond avaient rejeté la production de la lettre 183 00:11:58,800 --> 00:12:02,580 au motif que la lettre portait atteinte à la vie privée. 184 00:12:03,100 --> 00:12:08,860 La Cour de cassation casse l'arrêt en reprochant au juge du fond "de 185 00:12:09,060 --> 00:12:12,400 n'avoir pas recherché si la production litigieuse, la production de la lettre, 186 00:12:12,600 --> 00:12:17,960 n'était pas indispensable à l'exercice 187 00:12:18,160 --> 00:12:23,260 du droit à la preuve du demandeur et proportionnée aux intérêts 188 00:12:23,460 --> 00:12:24,920 antinomiques en présence". 189 00:12:25,760 --> 00:12:29,600 Elle reproche au juge du fond de n'avoir pas recherché si la production 190 00:12:29,800 --> 00:12:33,100 litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve 191 00:12:33,300 --> 00:12:37,720 du demandeur et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. 192 00:12:37,920 --> 00:12:41,160 Les intérêts antinomiques en présence, c'est d'une part le droit à la preuve, 193 00:12:41,360 --> 00:12:43,240 d'autre part le droit au respect de la vie privée. 194 00:12:43,440 --> 00:12:46,700 Et tout cela, au visa de l'article 9 du Code civil et de l'article 195 00:12:46,900 --> 00:12:48,440 8 de la Convention européenne et droit de l'homme, vie privée donc, 196 00:12:48,640 --> 00:12:52,400 et d'autre part de l'article 6-1 de la Convention européenne et 197 00:12:52,600 --> 00:12:53,820 droit de l'homme, donc droit au procès équitable. 198 00:12:55,360 --> 00:12:57,480 Cet arrêt a été salué comme un grand arrêt. 199 00:12:57,680 --> 00:13:00,760 On voit que la Cour de cassation adopte la méthode de la Cour européenne 200 00:13:00,960 --> 00:13:01,720 des droits de l'homme. 201 00:13:02,060 --> 00:13:03,580 Elle procède en trois étapes. 202 00:13:03,780 --> 00:13:06,420 Y a-t-il une atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale ? 203 00:13:06,620 --> 00:13:09,160 Oui, il y a une atteinte au droit au respect de la vie privée. 204 00:13:09,960 --> 00:13:14,550 Si oui, cette atteinte est-elle justifiée par un but légitime ? 205 00:13:14,750 --> 00:13:17,220 Oui, c'est le droit à la preuve. 206 00:13:17,820 --> 00:13:22,100 Troisième étape : si oui, l'atteinte est-elle proportionnée 207 00:13:22,300 --> 00:13:23,300 à ce but légitime ? 208 00:13:23,500 --> 00:13:26,740 Il faut qu'il y ait un rapport de proportionnalité entre l'atteinte 209 00:13:26,940 --> 00:13:30,280 à la vie privée et l'exercice du droit à la preuve. 210 00:13:32,660 --> 00:13:37,300 Voilà comment depuis 2012, la Cour de cassation relativise 211 00:13:37,500 --> 00:13:42,960 les exigences de licéité de la preuve grâce à l'invocation du 212 00:13:43,160 --> 00:13:43,920 droit à la preuve. 213 00:13:44,120 --> 00:13:46,380 Mais elle le fait de façon inégale selon les exigences. 214 00:13:46,680 --> 00:13:49,480 Inégale et, peut-on dire, fluctuante. 215 00:13:49,780 --> 00:13:54,400 C'est ce qu'on va voir à présent dans la section 2 puisqu'il s'agit 216 00:13:54,600 --> 00:13:59,520 de déterminer quelles sont exactement les exigences de licéité qui peuvent 217 00:13:59,720 --> 00:14:01,480 céder face au droit à la preuve.