1 00:00:05,240 --> 00:00:09,120 Dixième leçon : le juge national, juge de droit commun du droit 2 00:00:09,319 --> 00:00:10,079 de l’Union européenne. 3 00:00:11,060 --> 00:00:14,240 Primauté et effet direct, effet direct et primauté sont 4 00:00:14,440 --> 00:00:17,200 donc des caractéristiques spécifiques du droit de 5 00:00:17,400 --> 00:00:22,040 l’Union européenne, et la conséquence en est, comme la 6 00:00:22,240 --> 00:00:27,000 Cour de justice l’a construit dans sa jurisprudence depuis 7 00:00:27,200 --> 00:00:31,460 les arrêts, ces deux arrêts fondateurs, van Gend en Loos et Costa, 8 00:00:31,720 --> 00:00:36,680 la conséquence en est que le juge national est avant tout 9 00:00:36,880 --> 00:00:41,120 le juge du droit de l’Union européenne. La doctrine nous 10 00:00:41,320 --> 00:00:44,180 dit qu’il est le juge de droit commun du droit de 11 00:00:44,380 --> 00:00:45,140 l’Union européenne. 12 00:00:45,340 --> 00:00:47,880 Je dis la doctrine, car la Cour de justice emploie très 13 00:00:48,080 --> 00:00:49,060 rarement l'expression. 14 00:00:51,200 --> 00:00:54,700 Le Conseil d’État l’a davantage employée que la 15 00:00:54,900 --> 00:00:56,800 Cour de justice, comme dans l’affaire Madame Perreux, 16 00:00:57,000 --> 00:00:59,720 lorsqu’il a évoqué le juge de droit commun du droit 17 00:00:59,920 --> 00:01:02,020 communautaire que constitue le Conseil d’État. 18 00:01:03,660 --> 00:01:06,300 Néanmoins, si l’expression n’est pas utilisée 19 00:01:06,500 --> 00:01:09,540 communément par la Cour de justice de l’Union européenne, 20 00:01:09,840 --> 00:01:14,800 l’idée est bien là : le juge de droit commun de l’Union, 21 00:01:15,460 --> 00:01:18,100 c’est le juge national, c’est lui le premier juge. 22 00:01:19,000 --> 00:01:22,940 Si une entreprise a une difficulté, 23 00:01:23,140 --> 00:01:27,790 si un contribuable a un contentieux, qui saisissent-ils ? 24 00:01:27,990 --> 00:01:32,060 Le juge national, le juge commercial, le juge administratif ou 25 00:01:32,260 --> 00:01:35,140 encore le juge pénal, s’il s’agit d’un prévenu et 26 00:01:35,340 --> 00:01:38,340 d’une question de mandat d’arrêt européen, par exemple. 27 00:01:38,600 --> 00:01:42,320 Ils vont devant le juge national, quel qu’il soit, et celui-ci devra, 28 00:01:42,520 --> 00:01:46,920 le cas échéant, appliquer ou du moins interpréter le droit 29 00:01:47,120 --> 00:01:48,740 de l’Union européenne qui sera invoqué devant lui. 30 00:01:48,960 --> 00:01:53,620 C’est donc cela dont il s’agit ici, ce qui va nous intéresser 31 00:01:53,820 --> 00:01:55,300 aujourd’hui dans cette leçon. 32 00:01:56,180 --> 00:02:01,140 Car le juge national se voit confier par le traité – c’est 33 00:02:01,580 --> 00:02:05,020 la traduction de la coopération loyale consacrée 34 00:02:05,220 --> 00:02:09,680 par l’article 4, paragraphe 3, du TUE – le soin d’appliquer 35 00:02:09,880 --> 00:02:12,260 le droit de l’Union européenne, de le faire respecter et, 36 00:02:12,459 --> 00:02:15,020 mieux encore, dit l’article 19 du TUE cette fois, 37 00:02:15,320 --> 00:02:19,960 "de garantir une protection juridictionnelle effective", 38 00:02:20,160 --> 00:02:23,080 laquelle est de surcroît, selon l’article 47 de la Charte, 39 00:02:23,280 --> 00:02:24,640 "un droit fondamental". 40 00:02:25,240 --> 00:02:28,720 Et c’est bien cela qui retient aujourd’hui notre attention : 41 00:02:29,600 --> 00:02:31,260 cette protection juridictionnelle effective 42 00:02:31,459 --> 00:02:34,040 qui doit être garantie par le 43 00:02:34,239 --> 00:02:37,920 juge national, ce qui n’est pas, 44 00:02:38,120 --> 00:02:43,000 d’ailleurs, sans poser, le cas échéant, la question 45 00:02:43,200 --> 00:02:47,480 du dialogue que ce juge national entretient avec la 46 00:02:47,679 --> 00:02:49,780 Cour de justice au moyen du renvoi préjudiciel. 47 00:02:50,080 --> 00:02:55,040 Mais débutons par la protection juridictionnelle effective. 48 00:02:56,540 --> 00:02:57,340 I. La protection 49 00:02:57,540 --> 00:02:58,580 juridictionnelle effective. 50 00:03:00,360 --> 00:03:04,180 En vertu de l’article 19 TUE, les États membres sont tenus 51 00:03:04,380 --> 00:03:09,140 de prévoir "les voies de 52 00:03:09,340 --> 00:03:11,780 recours nécessaires pour assurer une protection 53 00:03:11,980 --> 00:03:13,280 juridictionnelle effective". 54 00:03:13,840 --> 00:03:15,640 Il faut donc une protection juridictionnelle effective, 55 00:03:16,180 --> 00:03:21,140 et cette tâche revient aux juges nationaux, nous dit la 56 00:03:21,880 --> 00:03:25,400 Cour de justice, dans une jurisprudence constante. 57 00:03:26,220 --> 00:03:29,600 D’autant que l’article 19 est, 58 00:03:29,820 --> 00:03:34,780 ce faisant, depuis un arrêt sur les juges portugais de 59 00:03:35,380 --> 00:03:40,220 2018 affaire C-64/16, la concrétisation de la 60 00:03:40,420 --> 00:03:41,760 valeur de l’État de droit. 61 00:03:41,980 --> 00:03:44,960 Il ne saurait y avoir d’État de droit sans un juge 62 00:03:45,160 --> 00:03:48,680 national qui garantisse la protection juridictionnelle effective. 63 00:03:49,120 --> 00:03:52,020 Et mieux encore, il faut que, pour qu’il y ait un juge 64 00:03:52,220 --> 00:03:55,280 national au sens de l’article 19 garantissant une 65 00:03:55,480 --> 00:03:58,740 protection juridictionnelle effective, ce juge présente des 66 00:03:58,940 --> 00:04:00,400 garanties d’indépendance suffisantes. 67 00:04:00,600 --> 00:04:03,260 Le droit de l’Union protège ainsi l’indépendance des 68 00:04:03,459 --> 00:04:05,900 juridictions nationales, comme en témoigne toute la 69 00:04:06,100 --> 00:04:09,860 jurisprudence sur les juges polonais, à partir de l’arrêt 70 00:04:10,060 --> 00:04:14,100 Commission c/ Pologne , affaire C-619/18 et bien d’autres. 71 00:04:14,580 --> 00:04:18,120 Ceci étant dit, quels sont donc les pouvoirs du juge 72 00:04:18,320 --> 00:04:20,640 national pour garantir cette protection juridictionnelle 73 00:04:20,839 --> 00:04:22,220 effective ? A. 74 00:04:22,420 --> 00:04:24,140 Les pouvoirs du juge national. 75 00:04:26,740 --> 00:04:28,580 La protection juridictionnelle effective 76 00:04:28,780 --> 00:04:32,000 fonde le pouvoir du juge de faire tout ce qui est 77 00:04:32,200 --> 00:04:35,040 nécessaire pour tirer les conséquences qui sont celles 78 00:04:35,240 --> 00:04:36,000 du droit de l’Union européenne. 79 00:04:36,220 --> 00:04:39,340 C’est en somme la leçon de l’arrêt Simmenthal, affaire 80 00:04:39,539 --> 00:04:42,720 C-106/77 de 1978. 81 00:04:43,560 --> 00:04:48,460 C’est pourquoi il existe une protection garantie au 82 00:04:48,659 --> 00:04:53,419 bénéfice des justiciables, 83 00:04:55,420 --> 00:05:00,380 et cette protection peut être classée selon une logique 84 00:05:01,300 --> 00:05:03,140 temporelle – c’est une proposition que je fais, 85 00:05:04,780 --> 00:05:09,000 une vision personnelle, mais qui permet de comprendre. 86 00:05:09,380 --> 00:05:12,120 Il y a d’abord, 1, ce que j’appelle la protection provisoire. 87 00:05:12,320 --> 00:05:13,520 Dans l’affaire Factortame, 88 00:05:14,340 --> 00:05:18,800 affaire C-213/89, la Cour de justice nous dit que, 89 00:05:19,000 --> 00:05:21,660 pour assurer l’effectivité du droit de l’Union européenne, 90 00:05:21,900 --> 00:05:26,040 il faut conférer au juge national les pouvoirs 91 00:05:26,240 --> 00:05:28,100 d’adopter les mesures provisoires nécessaires, 92 00:05:28,300 --> 00:05:29,060 le cas échéant. 93 00:05:29,380 --> 00:05:32,000 Dans l’affaire Factortame, il s’agissait du juge britannique, 94 00:05:32,200 --> 00:05:34,700 auquel on demandait, pour faire respecter le droit 95 00:05:34,900 --> 00:05:37,840 communautaire de l’époque, de suspendre l’application d’une loi, 96 00:05:38,039 --> 00:05:40,440 ce qu’il ne pouvait pas faire en vertu du droit britannique. 97 00:05:40,800 --> 00:05:44,740 La Cour de justice a décidé, dans cet arrêt, que pour 98 00:05:44,940 --> 00:05:47,380 garantir l’effectivité du droit de l’Union européenne, 99 00:05:47,580 --> 00:05:51,640 le juge national pouvait disposer, le cas échéant, du pouvoir de 100 00:05:51,840 --> 00:05:55,220 suspendre une disposition législative, sous certaines conditions. 101 00:05:56,020 --> 00:05:58,200 Et c’est bien l’effectivité du droit de l’Union 102 00:05:58,400 --> 00:06:00,140 européenne qui le permet et le justifie. 103 00:06:01,180 --> 00:06:05,960 Une fois cela posé, à quelle 104 00:06:06,180 --> 00:06:07,000 conclusion arrive-t-on ? 105 00:06:07,200 --> 00:06:10,200 Au fait que le juge national dispose, de manière plus générale – 106 00:06:10,400 --> 00:06:15,200 c'est l’affaire Zuckerfabrik C-143/88 et l’affaire Atlanta 107 00:06:15,900 --> 00:06:20,859 C-465/93 –, du pouvoir d’adopter toutes les mesures 108 00:06:21,180 --> 00:06:24,880 provisoires pour garantir une protection juridictionnelle effective, 109 00:06:25,080 --> 00:06:27,520 dès lors que cela est nécessaire. 110 00:06:28,440 --> 00:06:31,420 Ensuite, 2, il y a une protection que je qualifie 111 00:06:31,620 --> 00:06:36,380 ici d’immédiate, en ce sens 112 00:06:36,580 --> 00:06:39,040 que le juge national tire tout de suite les 113 00:06:39,240 --> 00:06:44,000 conséquences de l’éventuelle méconnaissance du droit de 114 00:06:44,200 --> 00:06:44,960 l’Union européenne. 115 00:06:45,159 --> 00:06:48,740 En réalité, derrière cette protection immédiate se cache 116 00:06:48,940 --> 00:06:51,360 l’office du juge national lorsqu’il est saisi au fond 117 00:06:51,560 --> 00:06:53,840 d’une question portant sur le droit de l’Union européenne. 118 00:06:54,840 --> 00:06:57,380 On peut, ce faisant, décomposer son pouvoir en 119 00:06:57,580 --> 00:07:02,340 deux grands temps : ce qu’il 120 00:07:04,400 --> 00:07:07,760 fait en règle générale et la plupart du temps, depuis 121 00:07:07,960 --> 00:07:12,719 l’arrêt Murphy de 1988 affaire 157/86, 122 00:07:13,120 --> 00:07:14,980 c’est l’interprétation conforme. 123 00:07:15,220 --> 00:07:18,240 On l’oublie, mais l’interprétation conforme est 124 00:07:18,440 --> 00:07:19,660 le premier des pouvoirs du juge national. 125 00:07:20,960 --> 00:07:23,500 Lorsqu’il est saisi d’une affaire dans laquelle est 126 00:07:23,700 --> 00:07:25,820 invoquée une disposition de droit de l’Union européenne, 127 00:07:26,020 --> 00:07:28,740 le juge national s’efforcera, dans toute la mesure du possible, 128 00:07:29,660 --> 00:07:33,280 d’interpréter le droit de l'Union européenne et 129 00:07:33,479 --> 00:07:36,080 d'assurer que l'application qu'il doit faire de la mesure 130 00:07:36,280 --> 00:07:39,060 nationale soit conforme à l'interprétation donnée. 131 00:07:39,260 --> 00:07:41,740 C’est pour cela qu’on parle d’interprétation conforme du 132 00:07:41,940 --> 00:07:43,660 droit national – conforme à quoi ? 133 00:07:44,160 --> 00:07:45,220 Au droit de l’Union européenne. 134 00:07:45,560 --> 00:07:48,360 Autrement dit, on applique le droit national, mais dans une 135 00:07:48,560 --> 00:07:52,480 substance qui est largement conforme au droit de l’Union 136 00:07:52,680 --> 00:07:55,420 européenne, comme on le voit dans l’affaire Dominguez, 137 00:07:56,500 --> 00:07:59,800 affaire C-282/10, arrêt important. 138 00:08:00,000 --> 00:08:03,280 Cette interprétation conforme doit être menée aussi 139 00:08:03,479 --> 00:08:07,280 longtemps qu’elle n’est pas contra legem, c’est-à-dire 140 00:08:07,580 --> 00:08:11,980 qu’on ne peut aller jusqu’à distordre le sens du droit national. 141 00:08:15,500 --> 00:08:17,460 L’interprétation conforme, c’est donc ce qui se passe la 142 00:08:17,659 --> 00:08:20,300 plupart du temps : vous lisez un arrêt de la Cour de cassation, 143 00:08:20,560 --> 00:08:22,340 du Conseil d’État ou d’une autre juridiction, peu importe, 144 00:08:22,539 --> 00:08:24,260 et vous voyez des dispositions de l’Union 145 00:08:24,460 --> 00:08:29,219 européenne interprétées pour appliquer le droit national. 146 00:08:30,080 --> 00:08:35,039 Cela garantit une protection immédiate du droit de l’Union 147 00:08:35,400 --> 00:08:37,799 européenne. Contra legem 148 00:08:38,000 --> 00:08:40,740 c'est-à-dire qu'il y a à un moment une limite : si 149 00:08:40,940 --> 00:08:44,140 l’interprétation conduit à retenir une solution 150 00:08:44,960 --> 00:08:47,830 contraire au sens même, à la formulation même du 151 00:08:48,030 --> 00:08:49,260 texte national, que faire ? 152 00:08:49,460 --> 00:08:52,420 C’est là qu’on bascule dans une autre logique dans la 153 00:08:52,620 --> 00:08:55,500 protection immédiate, celle de la non-application 154 00:08:55,700 --> 00:08:56,500 de la disposition nationale. 155 00:08:57,040 --> 00:08:58,920 Et ça c’est l'arrêt Simmenthal de la Cour de justice : 156 00:09:00,540 --> 00:09:05,500 si la disposition nationale est contraire ou incompatible 157 00:09:06,120 --> 00:09:10,200 avec le droit de l’Union européenne, elle doit être écartée, 158 00:09:11,040 --> 00:09:12,560 elle ne doit pas être appliquée. 159 00:09:13,000 --> 00:09:16,220 C’est ce que nous dit la Cour de justice depuis notamment 160 00:09:16,420 --> 00:09:19,140 l’arrêt Simmenthal et bien d’autres : c’est la primauté. 161 00:09:19,340 --> 00:09:21,520 C’est là que la primauté joue pleinement. Vous aurez 162 00:09:21,720 --> 00:09:24,400 compris qu’on écarte l’application du droit national, 163 00:09:24,600 --> 00:09:28,440 puisqu’il est incompatible avec le droit de l’Union européenne. 164 00:09:29,460 --> 00:09:32,320 Cette obligation pèse sur les juridictions nationales, 165 00:09:32,520 --> 00:09:33,980 mais en réalité sur tous les organes de l’État, et même 166 00:09:34,180 --> 00:09:34,940 sur les particuliers. 167 00:09:35,140 --> 00:09:39,260 La protection immédiate peut donc aller jusqu’à 168 00:09:39,780 --> 00:09:41,400 l’inapplication de la disposition nationale. 169 00:09:41,880 --> 00:09:44,820 Enfin, il y a ce que j’appelle la protection postérieure, 170 00:09:45,020 --> 00:09:45,940 c’est-à-dire une fois que le mal est fait. 171 00:09:47,060 --> 00:09:48,680 Que se passe-t-il alors ? 172 00:09:48,880 --> 00:09:52,060 On peut, notamment lorsqu’il y a des sommes d’argent en 173 00:09:52,260 --> 00:09:54,800 jeu – et ça c’est la conséquence de l’inapplication –, 174 00:09:55,120 --> 00:09:58,200 demander la récupération des sommes indûment versées. 175 00:09:58,700 --> 00:10:01,620 C’est souvent le cas en matière fiscale : vous payez un impôt, 176 00:10:01,820 --> 00:10:04,420 qui s’avère incompatible avec le droit de l’Union européenne. 177 00:10:04,860 --> 00:10:08,480 On écarte l’application de la loi nationale ayant prévu cet impôt, 178 00:10:08,680 --> 00:10:09,860 mais cela ne suffit pas. 179 00:10:10,080 --> 00:10:11,980 Ce que vous voudriez, c’est récupérer la somme 180 00:10:12,180 --> 00:10:14,500 payée indûment, en violation du droit de l’Union européenne. 181 00:10:14,700 --> 00:10:18,340 Cela s’appelle la récupération, ou encore la répétition de 182 00:10:18,540 --> 00:10:20,480 l’indu ou le remboursement. 183 00:10:20,680 --> 00:10:22,660 Plus simplement, c’est le droit au remboursement. 184 00:10:23,640 --> 00:10:26,980 Il y a aussi une autre question de réparation : 185 00:10:27,280 --> 00:10:30,580 lorsque le mal est fait, c’est-à-dire lorsqu’un 186 00:10:30,780 --> 00:10:33,500 dommage est causé, et plus précisément lorsqu’un dommage 187 00:10:33,700 --> 00:10:36,660 est causé par une violation du droit de l’Union européenne. 188 00:10:36,860 --> 00:10:37,660 Que se passe-t-il ? 189 00:10:37,860 --> 00:10:39,100 Que peut-on faire ? 190 00:10:41,180 --> 00:10:45,200 La Cour de justice nous dit, depuis des arrêts de principe 191 00:10:45,400 --> 00:10:46,920 Francovich et Bonifaci, 192 00:10:47,220 --> 00:10:52,040 affaires C-6/90 et C-9/90, 193 00:10:52,240 --> 00:10:56,140 tels que précisés par les arrêts de 1996 Brasserie du 194 00:10:56,340 --> 00:10:59,840 Pêcheur et Factortame affaires C-46/93,ce sont des 195 00:11:00,040 --> 00:11:03,000 arrêts de principe, que la violation suffisamment 196 00:11:03,200 --> 00:11:06,100 caractérisée d’une règle du droit de l’Union, qui 197 00:11:06,300 --> 00:11:11,060 consacre un droit au profit des particuliers, donne droit 198 00:11:11,260 --> 00:11:15,780 à réparation s’il y a un dommage et un lien de 199 00:11:15,980 --> 00:11:17,420 causalité entre la violation et le dommage. 200 00:11:17,620 --> 00:11:20,680 Autrement dit, ces arrêts consacrent le principe d’une 201 00:11:20,880 --> 00:11:24,180 responsabilité de l’État membre du fait d’une 202 00:11:24,380 --> 00:11:27,660 violation du droit de l’Union européenne. Trois conditions à cela 1, 203 00:11:27,860 --> 00:11:29,740 la violation doit être suffisamment caractérisée, 204 00:11:30,040 --> 00:11:31,940 c’est-à-dire présenter un certain degré de gravité ; 205 00:11:32,340 --> 00:11:36,660 2, la disposition du droit de l’Union violée doit conférer 206 00:11:36,860 --> 00:11:40,120 des droits aux particuliers ; 3, il doit exister un lien de 207 00:11:40,320 --> 00:11:42,740 causalité entre la violation et le dommage causé. 208 00:11:44,100 --> 00:11:47,420 Voilà les conditions dégagées par la Cour de justice de 209 00:11:47,620 --> 00:11:51,200 l’Union européenne, qui ont mis du temps à être reprises en France, 210 00:11:51,520 --> 00:11:54,560 notamment lorsqu’il s’est agi de réparer les violations 211 00:11:54,760 --> 00:11:56,640 causées par le législateur. 212 00:11:57,040 --> 00:12:01,220 Celles-ci étaient reconnues par l’arrêt Brasserie du Pêcheur, 213 00:12:01,420 --> 00:12:05,060 mais n’étaient pas admises en France, du moins jusqu’à l’arrêt 214 00:12:05,680 --> 00:12:10,080 Gardedieu de 2007, qui a enfin reconnu qu’il puisse y 215 00:12:10,280 --> 00:12:11,820 avoir responsabilité de l’État du fait d’une 216 00:12:12,020 --> 00:12:14,500 violation d’une convention internationale par la France, 217 00:12:14,700 --> 00:12:16,580 donc le droit de l’Union européenne. 218 00:12:17,720 --> 00:12:21,660 Les arrêts nous conduisent à souligner que, de Brasserie 219 00:12:21,860 --> 00:12:24,480 du Pêcheur et Factortame, la Cour de justice a admis 220 00:12:24,680 --> 00:12:27,520 qu’une responsabilité puisse être engagée du fait de la 221 00:12:27,720 --> 00:12:29,240 violation par le législateur national. 222 00:12:30,200 --> 00:12:33,500 Puis, dans un autre arrêt très important, Köbler de 2003, 223 00:12:33,900 --> 00:12:36,720 affaire C-224/01, cette fois c'est la violation 224 00:12:36,920 --> 00:12:39,780 suffisamment caractérisée par une juridiction suprême 225 00:12:39,980 --> 00:12:43,740 nationale qui peut causer un préjudice et donner lieu à réparation. 226 00:12:44,000 --> 00:12:46,100 Voici ce que nous dit la Cour de justice. 227 00:12:46,900 --> 00:12:49,440 Ces protections sont donc, comme vous l’aurez vu, 228 00:12:50,260 --> 00:12:51,400 également postérieures. 229 00:12:57,740 --> 00:13:02,580 Ce qui nous conduit à une autre question, celle, 230 00:13:02,780 --> 00:13:04,920 4, de l’invocabilité. 231 00:13:05,180 --> 00:13:10,140 On parle aussi de justiciabilité, 232 00:13:10,720 --> 00:13:14,260 et c’est ce que je voudrais maintenant vous exposer. 233 00:13:18,220 --> 00:13:20,760 Il y a parfois une confusion : on dit que l’effet direct, 234 00:13:20,960 --> 00:13:23,360 c’est l’aptitude d’une disposition à être invoquée 235 00:13:23,560 --> 00:13:25,240 par un justiciable devant le juge national. 236 00:13:25,660 --> 00:13:27,940 C’est une définition trop large, un peu trop large. 237 00:13:28,400 --> 00:13:31,440 En réalité, la question que je pose ici est celle de 238 00:13:31,640 --> 00:13:34,700 l’invocabilité : la disposition est invoquée par 239 00:13:34,900 --> 00:13:37,360 un justiciable devant le juge national, mais pour obtenir quoi ? 240 00:13:38,900 --> 00:13:39,660 Une protection. 241 00:13:40,380 --> 00:13:42,220 Il y a donc un lien entre l’invocabilité de la 242 00:13:42,420 --> 00:13:44,420 disposition et la protection qu’on entend obtenir. 243 00:13:44,620 --> 00:13:46,700 Et c’est là qu’on retrouve une gradation. 244 00:13:49,800 --> 00:13:53,060 La première des invocabilités, la plus commune, est celle de 245 00:13:53,260 --> 00:13:54,140 l’interprétation conforme. 246 00:13:55,000 --> 00:13:58,640 Le justiciable peut invoquer les dispositions du droit de 247 00:13:58,840 --> 00:14:02,320 l’Union pour que le juge national procède à une 248 00:14:02,520 --> 00:14:03,280 interprétation conforme. 249 00:14:03,560 --> 00:14:05,980 Non seulement il le peut, mais en réalité, il le doit : 250 00:14:06,280 --> 00:14:07,440 c’est la première chose qu’il doit faire. 251 00:14:08,320 --> 00:14:11,280 Et il le doit pour toutes les dispositions du droit de 252 00:14:11,480 --> 00:14:15,720 l’Union européenne, qu’elles soient d’effet direct ou non, 253 00:14:15,920 --> 00:14:18,100 ou même qu’elles soient contraignantes ou non. 254 00:14:18,300 --> 00:14:20,800 Toutes sont susceptibles d’être invoquées devant le 255 00:14:21,000 --> 00:14:23,860 juge national en vue d’être interprétées. C’est ce que 256 00:14:24,060 --> 00:14:24,820 nous dit la Cour de justice. 257 00:14:26,800 --> 00:14:31,040 Ce n’est que si l’interprétation conforme 258 00:14:31,240 --> 00:14:33,300 n’est plus possible, que si elle conduirait à une 259 00:14:33,500 --> 00:14:37,580 solution contra legem, qu’alors on passe dans une 260 00:14:37,780 --> 00:14:39,640 logique d’invocabilité d’exclusion. 261 00:14:41,240 --> 00:14:44,340 Le but du justiciable est alors d’obtenir, comme 262 00:14:44,540 --> 00:14:48,320 protection immédiate, l’écartement de la 263 00:14:48,520 --> 00:14:52,560 disposition nationale contraire à la disposition du 264 00:14:52,760 --> 00:14:53,540 droit de l’Union invoquée. 265 00:14:55,180 --> 00:14:57,800 Lorsque l’interprétation conforme n’est pas possible, 266 00:14:58,000 --> 00:15:00,480 c’est donc la question de la compatibilité qui se pose, 267 00:15:00,680 --> 00:15:02,000 affaire Bauer, C-579/16. 268 00:15:04,840 --> 00:15:08,400 La Cour de justice est très claire, que ce soit dans l’arrêt Dominguez, 269 00:15:08,600 --> 00:15:12,700 affaire C-282/10 ou l’affaire Popławski, C-573/17, 270 00:15:12,900 --> 00:15:17,200 eh bien la Cour de justice nous dit que cette 271 00:15:17,400 --> 00:15:20,420 invocabilité d’exclusion ne vaut que pour les 272 00:15:20,620 --> 00:15:21,480 dispositions d’effet direct. 273 00:15:22,600 --> 00:15:27,040 Seules celles-ci peuvent donner lieu à invocabilité 274 00:15:27,240 --> 00:15:30,180 d’exclusion, c’est-on écarte l’application de la loi 275 00:15:30,380 --> 00:15:33,240 nationale ou de la disposition nationale contraire. 276 00:15:33,440 --> 00:15:37,220 C’est ce que nous explique la Cour de justice dans sa jurisprudence, 277 00:15:37,560 --> 00:15:42,520 laquelle, quoique parfois discutée, 278 00:15:44,460 --> 00:15:47,720 est à mon sens très claire sur ces exigences. 279 00:15:48,440 --> 00:15:50,420 Avant-dernière forme d’invocabilité : 280 00:15:52,020 --> 00:15:56,980 l’invocabilité de substitution, 281 00:15:58,940 --> 00:16:01,320 par laquelle le justiciable demande à appliquer, 282 00:16:01,520 --> 00:16:06,260 à la place du droit national, la disposition du droit de 283 00:16:06,460 --> 00:16:08,460 l’Union européenne, soit qu’il n’y ait pas de droit national, 284 00:16:08,740 --> 00:16:10,800 soit que celui-ci soit incompatible avec le droit de l’Union. 285 00:16:11,440 --> 00:16:13,860 C’est typiquement l’affaire 286 00:16:14,060 --> 00:16:18,000 Becker 8/81 : une directive 287 00:16:18,200 --> 00:16:22,960 TVA prévoit une exonération, mais le droit allemand ne l’a 288 00:16:25,500 --> 00:16:26,260 pas transposée. 289 00:16:27,060 --> 00:16:29,700 Le justiciable invoque donc 290 00:16:29,900 --> 00:16:34,660 la directive pour obtenir son 291 00:16:37,160 --> 00:16:41,920 application, la substitution au droit national défaillant, 292 00:16:42,120 --> 00:16:45,140 et bénéficier de l’exonération. 293 00:16:45,560 --> 00:16:49,140 Cette invocabilité de substitution ne vaut, 294 00:16:49,340 --> 00:16:52,880 elle aussi, que pour les dispositions du droit de 295 00:16:53,080 --> 00:16:53,840 l’Union d’effet direct. 296 00:16:57,120 --> 00:17:01,460 Enfin, dernière forme d’invocabilité : celle qui vise à obtenir 297 00:17:01,660 --> 00:17:06,599 réparation des préjudices causés, c’est-à-dire l’invocabilité 298 00:17:06,800 --> 00:17:09,780 en vue de mettre en cause la responsabilité de l’État. 299 00:17:10,160 --> 00:17:13,079 Comme nous l’avons vu, cette responsabilité, 300 00:17:13,280 --> 00:17:16,740 consacrée par la jurisprudence, est pratique lorsque le 301 00:17:16,940 --> 00:17:19,880 dommage est causé par une violation du droit de l’Union 302 00:17:20,080 --> 00:17:21,480 européenne. Le justiciable a 303 00:17:21,680 --> 00:17:24,460 donc droit à obtenir 304 00:17:24,660 --> 00:17:27,640 réparation du préjudice subi. 305 00:17:28,319 --> 00:17:32,700 Une précision s’impose : 306 00:17:32,900 --> 00:17:37,660 quelles dispositions du droit de l’Union peut-on invoquer à 307 00:17:38,020 --> 00:17:41,960 l’appui de cette demande 308 00:17:42,160 --> 00:17:43,940 d’indemnisation ? On peut 309 00:17:44,140 --> 00:17:48,240 invoquer celles qui consacrent des droits au 310 00:17:48,440 --> 00:17:51,100 profit des particuliers, sans qu’il soit nécessaire 311 00:17:51,300 --> 00:17:52,060 qu’elles soient d’effet direct. 312 00:17:52,540 --> 00:17:53,900 C’est une subtilité. 313 00:17:54,160 --> 00:17:57,960 Dans l’affaire Francovich et Bonifaci de 1991, était 314 00:17:58,160 --> 00:18:02,340 invoquée une directive prévoyant l’obligation pour 315 00:18:02,540 --> 00:18:04,040 les États membres de mettre en place un fonds 316 00:18:04,240 --> 00:18:05,420 d’indemnisation pour les travailleurs. 317 00:18:06,000 --> 00:18:07,980 L’Italie n’avait pas prévu ces fonds. 318 00:18:09,500 --> 00:18:12,140 La disposition de la directive n’était pas d’effet direct, 319 00:18:12,340 --> 00:18:15,380 puisqu’elle nécessitait une intervention de l’État italien, 320 00:18:15,580 --> 00:18:19,520 il y avait une condition posée, non une disposition inconditionnelle. 321 00:18:21,080 --> 00:18:24,340 Néanmoins, elle créait bien un droit – droit à un fonds 322 00:18:24,540 --> 00:18:27,640 d’indemnisation – et, à ce titre, a donné lieu à 323 00:18:27,840 --> 00:18:29,320 réparation dans le cas d'espèce. 324 00:18:29,540 --> 00:18:33,880 Autrement dit, l’invocabilité de réparation concerne les 325 00:18:36,240 --> 00:18:39,460 dispositions du droit de l’Union qui consacrent des 326 00:18:39,660 --> 00:18:42,480 droits subjectifs au profit des particuliers. 327 00:18:42,840 --> 00:18:47,720 On peut ainsi distinguer les types d’invocabilité : 328 00:18:47,920 --> 00:18:51,680 les dispositions du droit de l’Union européenne peuvent 329 00:18:51,880 --> 00:18:54,020 être invoquées par les justiciables en vue de 330 00:18:54,220 --> 00:18:54,980 garantir une protection. 331 00:18:56,960 --> 00:18:59,460 La nature de cette invocabilité dépend de la 332 00:18:59,660 --> 00:19:00,420 protection recherchée. 333 00:19:00,620 --> 00:19:03,820 Selon la protection souhaitée, on peut invoquer certaines 334 00:19:04,020 --> 00:19:06,740 dispositions : celles d’effet direct, 335 00:19:06,940 --> 00:19:11,760 l’invocabilité d’exclusion et 336 00:19:11,960 --> 00:19:14,720 de substitution ; celles qui consacrent des droits, 337 00:19:14,920 --> 00:19:19,240 invocabilité de réparation ; ou toutes les dispositions, 338 00:19:19,440 --> 00:19:22,540 l’invocabilité d’interprétation conforme.