1 00:00:00,000 --> 00:00:04,960 II. La primauté du droit de 2 00:00:05,280 --> 00:00:08,600 l'Union européenne. 3 00:00:08,799 --> 00:00:11,080 Une fois que le droit de l’Union européenne produit 4 00:00:11,280 --> 00:00:15,420 des effets dans l’ordre juridique national – des 5 00:00:15,620 --> 00:00:20,000 effets juridiques, bien entendu –, se pose la question des 6 00:00:20,200 --> 00:00:22,920 rapports que les dispositions du droit de l’Union 7 00:00:23,120 --> 00:00:26,360 européenne produisent avec le droit national. 8 00:00:28,580 --> 00:00:31,860 Cette question est souvent 9 00:00:32,060 --> 00:00:35,980 résumée par le principe de primauté, tel que la Cour de justice 10 00:00:36,180 --> 00:00:38,220 l’a consacré dans l’arrêt Costa de 1964. 11 00:00:39,980 --> 00:00:42,740 Indéniablement, cette primauté constitue le 12 00:00:42,940 --> 00:00:45,900 principe qui régit les rapports normatifs entre 13 00:00:46,100 --> 00:00:48,220 dispositions du droit de l’Union européenne et 14 00:00:48,420 --> 00:00:50,140 dispositions du droit national. 15 00:00:51,120 --> 00:00:54,120 Un principe que l’on conçoit, en première approximation, 16 00:00:54,320 --> 00:00:58,360 comme étant de nature hiérarchique : oui, le droit de l’Union 17 00:00:58,560 --> 00:01:00,040 européenne prime le droit national, 18 00:01:00,720 --> 00:01:05,679 du moins dans un certain nombre de situations. 19 00:01:06,900 --> 00:01:11,160 Alors, quel est le fondement de cette primauté, avant de 20 00:01:11,360 --> 00:01:15,130 comprendre la manière dont ces rapports normatifs sont réglés ? 21 00:01:15,330 --> 00:01:20,279 A. La nature spécifique et originale. 22 00:01:23,580 --> 00:01:26,740 Car c’est bien la spécificité de l’Union européenne – et 23 00:01:26,940 --> 00:01:30,600 elle seule – qui fonde le principe de la primauté, 24 00:01:30,800 --> 00:01:33,280 tel que, du moins, la Cour de justice l’a dégagé dans sa 25 00:01:33,480 --> 00:01:35,840 jurisprudence. Car la 26 00:01:36,040 --> 00:01:38,700 primauté est un principe jurisprudentiel – disons-le 27 00:01:39,160 --> 00:01:43,380 d’emblée –, il n’est pas consacré expressément par les traités. 28 00:01:43,820 --> 00:01:46,940 Et la tentative qui fut celle du projet de traité 29 00:01:47,140 --> 00:01:49,360 établissant une Constitution pour l’Europe, avec un 30 00:01:49,560 --> 00:01:54,320 article 1-6 qui prévoyait explicitement la primauté, 31 00:01:54,840 --> 00:01:59,440 eh bien, cette solution de consacrer la primauté dans le 32 00:01:59,640 --> 00:02:02,500 droit primaire de l’Union n’est pas celle qu’a retenue 33 00:02:02,700 --> 00:02:03,460 le droit positif. 34 00:02:03,660 --> 00:02:07,080 On n’en trouve donc nulle trace dans les traités de 35 00:02:07,280 --> 00:02:08,039 manière explicite. 36 00:02:08,280 --> 00:02:10,740 C’est donc dans la jurisprudence de la Cour de 37 00:02:10,940 --> 00:02:15,700 justice que se trouve l’origine de la primauté, 38 00:02:16,400 --> 00:02:21,360 qui est donc, 1, un principe jurisprudentiel. Un principe 39 00:02:22,060 --> 00:02:27,020 jurisprudentiel que la Cour de justice a dégagé à partir 40 00:02:27,220 --> 00:02:32,080 de l’arrêt Costa, et ceci selon un raisonnement 41 00:02:33,860 --> 00:02:36,220 purement inductif. 42 00:02:36,600 --> 00:02:39,940 C’est-à-dire que la Cour met en évidence les 43 00:02:40,140 --> 00:02:42,580 caractéristiques qui sont celles, à l’époque, de la Communauté : 44 00:02:42,780 --> 00:02:45,380 une Communauté instituée pour une durée illimitée, 45 00:02:45,600 --> 00:02:49,040 dotée d’institutions propres, d’une personnalité, d’une 46 00:02:49,239 --> 00:02:52,560 capacité juridique, de pouvoirs réels, 47 00:02:52,760 --> 00:02:56,440 avec des limitations de compétences pour les États. 48 00:02:57,160 --> 00:03:00,060 Pour toute cette série de raisons que vous trouvez 49 00:03:00,260 --> 00:03:04,840 égrenées dans l’arrêt Costa contre ENEL, la Cour nous dit 50 00:03:05,040 --> 00:03:09,400 qu’il y a une impossibilité – je cite l’arrêt Costa – pour 51 00:03:09,600 --> 00:03:12,700 les États de "faire prévaloir, contre un ordre juridique 52 00:03:12,899 --> 00:03:16,220 accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure 53 00:03:16,420 --> 00:03:20,420 unilatérale ultérieure, qui ne pourrait ainsi leur 54 00:03:20,619 --> 00:03:21,379 être opposable". 55 00:03:21,579 --> 00:03:25,960 Autrement dit, il résulte de l’ensemble de ces éléments – 56 00:03:26,160 --> 00:03:29,580 ajoute l’arrêt Costa –, "qu'issu d’une source autonome, 57 00:03:29,780 --> 00:03:33,140 le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature 58 00:03:33,339 --> 00:03:34,500 spécifique originale, 59 00:03:37,760 --> 00:03:41,680 se voir judiciairement opposé un texte interne quel qu’il soit, 60 00:03:41,940 --> 00:03:46,120 sans perdre son caractère communautaire et sans que 61 00:03:46,320 --> 00:03:50,120 soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même". 62 00:03:50,320 --> 00:03:54,900 Voilà la justification de la primauté telle que la Cour de 63 00:03:55,100 --> 00:03:59,860 justice l’a dégagée depuis 1964 et qu’elle n’a cessé de 64 00:04:00,060 --> 00:04:03,340 répéter par la suite, comme la Cour le rappelle 65 00:04:03,540 --> 00:04:04,560 dans son avis 2/13. 66 00:04:06,500 --> 00:04:10,900 Et c’est donc le fait qu’un texte de droit de l’Union européenne, 67 00:04:11,100 --> 00:04:13,760 une disposition du droit de l’Union européenne, ne peut 68 00:04:13,959 --> 00:04:17,180 se voir judiciairement opposé – donc devant le 69 00:04:17,380 --> 00:04:20,839 juge – un texte interne quel qu’il soit, une disposition 70 00:04:21,039 --> 00:04:25,000 de droit interne, sans compromettre la nature même 71 00:04:25,200 --> 00:04:26,400 du droit de l’Union européenne. 72 00:04:26,599 --> 00:04:31,400 Et c’est cela qui explique encore aujourd’hui la primauté, 73 00:04:31,599 --> 00:04:36,359 dont la Cour de justice tire les conséquences ultimes dans 74 00:04:36,580 --> 00:04:41,500 l’arrêt Simmenthal, arrêt de principe de 1978 affaire 106/77, 75 00:04:41,700 --> 00:04:46,460 en disant que il ne saurait 76 00:04:47,380 --> 00:04:52,340 ici être question de remettre 77 00:04:53,580 --> 00:04:58,160 en cause les bases mêmes de la Communauté, à l’époque de 78 00:04:58,360 --> 00:05:02,140 l’Union aujourd’hui , en faisant que dans un État, 79 00:05:02,340 --> 00:05:05,920 on appliquerait telles dispositions nationales, 80 00:05:06,120 --> 00:05:08,580 alors que, dans d’autres, on ne les appliquerait pas, 81 00:05:08,780 --> 00:05:13,200 au motif qu’elles seraient contraires, incompatibles avec le droit 82 00:05:13,400 --> 00:05:14,159 de l’Union européenne. 83 00:05:14,359 --> 00:05:17,440 L’idée de cette condition que Pescatore disait 84 00:05:17,640 --> 00:05:20,800 existentielle du droit de l’Union européenne, c’est 85 00:05:21,000 --> 00:05:24,380 tout simplement l’idée que la 86 00:05:24,580 --> 00:05:29,340 primauté est la condition pour qu’on ait un droit qui 87 00:05:29,840 --> 00:05:31,520 soit le même d’un État membre à l’autre. 88 00:05:32,240 --> 00:05:35,960 Quel serait donc ce droit si, en France, on appliquait la directive, 89 00:05:36,159 --> 00:05:39,560 mais qu’en Allemagne on ne le ferait pas, puisque, 90 00:05:39,760 --> 00:05:41,780 ici, elle ne primerait pas ? 91 00:05:41,979 --> 00:05:45,720 C’est tout simplement la spécificité du droit de 92 00:05:45,920 --> 00:05:48,660 l’Union qui constitue le fondement de la primauté. 93 00:05:49,280 --> 00:05:52,780 Et celle-ci trouve désormais 94 00:05:52,979 --> 00:05:57,739 un allié de taille dans les constitutions nationales. 95 00:05:58,400 --> 00:05:59,420 2. La reconnaissance 96 00:05:59,620 --> 00:06:02,220 constitutionnelle de la primauté. 97 00:06:02,940 --> 00:06:06,880 Cela n’était pas intuitif, 98 00:06:07,080 --> 00:06:11,120 et disons-le, à l’origine, dans les États fondateurs, 99 00:06:11,320 --> 00:06:14,660 vous ne trouviez pas de disposition consacrant 100 00:06:14,860 --> 00:06:16,140 expressément la primauté. 101 00:06:16,360 --> 00:06:19,680 Au gré des élargissements, certains États ont 102 00:06:19,880 --> 00:06:23,400 introduit – comme en Slovaquie, par exemple, ou comme en 103 00:06:23,599 --> 00:06:26,360 Roumanie – le principe de primauté dans leur 104 00:06:26,560 --> 00:06:29,740 constitution en ce qui concerne le droit de l’Union 105 00:06:29,940 --> 00:06:31,160 européenne. En France, 106 00:06:31,360 --> 00:06:36,120 on se cantonne à l’article 55, qui dit simplement, à l’origine, 107 00:06:36,820 --> 00:06:38,820 que les traités 108 00:06:39,020 --> 00:06:43,780 internationaux ont un effet 109 00:06:43,979 --> 00:06:45,560 supérieur à celle des lois. 110 00:06:45,760 --> 00:06:49,220 Mais cela n’est pas propre au droit de l’Union européenne : 111 00:06:49,420 --> 00:06:51,320 ce sont tous les traités internationaux. Ce n’est pas 112 00:06:51,520 --> 00:06:54,560 de la primauté, c’est autre chose – ce sont les 113 00:06:54,760 --> 00:06:58,240 obligations internationales qui, en vertu de la Constitution française, 114 00:06:58,440 --> 00:07:01,720 lient les pouvoirs publics français. 115 00:07:02,520 --> 00:07:05,400 Mais si l’on y regarde de plus près, 116 00:07:05,599 --> 00:07:10,140 c’est souvent la jurisprudence, dans la plupart des États, 117 00:07:10,340 --> 00:07:15,099 qui a tiré de la constitution, plus ou moins explicite, 118 00:07:15,299 --> 00:07:18,180 la reconnaissance d’une primauté du droit de l’Union 119 00:07:18,380 --> 00:07:19,820 européenne. Et c’est ce qui 120 00:07:20,020 --> 00:07:24,780 s’est passé en France, où, au départ, la question de 121 00:07:24,979 --> 00:07:28,060 la primauté était incarnée 122 00:07:31,440 --> 00:07:35,860 par l’article 55 – c'était la jurisprudence IVG de 1975 123 00:07:36,060 --> 00:07:39,500 dans laquelle le Conseil constitutionnel refusait 124 00:07:39,840 --> 00:07:44,799 d’être juge de l’article 55 pour les lois et renvoyait 125 00:07:45,120 --> 00:07:48,560 donc au juge ordinaire le soin d’apprécier le respect 126 00:07:48,760 --> 00:07:53,020 de l’article 55, c’est-à-dire d’assurer que les traités 127 00:07:53,219 --> 00:07:57,979 aient une force supérieure aux lois, 128 00:07:58,280 --> 00:07:59,200 même postérieures. 129 00:07:59,400 --> 00:08:02,700 Mais cela, c’est l’article 55, c’est le droit international. 130 00:08:02,900 --> 00:08:07,280 Il faut attendre le traité de Maastricht et la consécration, 131 00:08:07,479 --> 00:08:11,700 dans la Constitution française, d’un titre XV sur la 132 00:08:11,900 --> 00:08:13,920 participation de la France à l’Union européenne – et plus 133 00:08:14,120 --> 00:08:18,780 précisément l’article 88-1 –, qui consacre le principe de 134 00:08:18,979 --> 00:08:21,400 la participation de la France à l’Union européenne. 135 00:08:21,599 --> 00:08:25,860 Principe duquel on a tiré, peu à peu, progressivement, 136 00:08:26,060 --> 00:08:27,520 du moins dans la jurisprudence du Conseil 137 00:08:27,719 --> 00:08:32,480 constitutionnel, l’idée selon laquelle le droit national – 138 00:08:33,059 --> 00:08:38,020 qu’il soit législatif ou, a fortiori, réglementaire – 139 00:08:38,600 --> 00:08:42,039 doit respecter le droit de l’Union européenne, qui s’impose. 140 00:08:42,240 --> 00:08:46,980 On retrouve donc, à la fois 141 00:08:47,180 --> 00:08:50,280 dans la jurisprudence constitutionnelle et dans la 142 00:08:50,480 --> 00:08:53,860 jurisprudence administrative et judiciaire, le principe de 143 00:08:54,060 --> 00:08:57,760 cette primauté, qui résulte, en droit français, de 144 00:08:57,960 --> 00:08:59,900 l’article 88-1 de la Constitution. 145 00:09:00,100 --> 00:09:04,840 Se pose alors la question de la régulation, B, des 146 00:09:05,040 --> 00:09:06,920 rapports normatifs. 147 00:09:07,800 --> 00:09:09,120 B. La régulation des rapports 148 00:09:09,320 --> 00:09:10,080 normatifs. Une fois que l’on 149 00:09:10,280 --> 00:09:12,460 a dit que la primauté existe en vertu du droit de l’Union, 150 00:09:12,660 --> 00:09:16,500 en vertu du droit constitutionnel, que fait-on ? 151 00:09:16,940 --> 00:09:19,720 Bien, c’est réguler les rapports entre dispositions 152 00:09:19,920 --> 00:09:21,440 du droit de l’Union et dispositions de droit 153 00:09:21,640 --> 00:09:24,220 national – plus exactement, lorsqu’il y a une 154 00:09:24,420 --> 00:09:27,200 incompatibilité entre les dispositions de ces deux droits, 155 00:09:27,400 --> 00:09:28,160 que fait-on ? 156 00:09:28,360 --> 00:09:32,500 Quelle est la règle de conflit normatif qui conduit 157 00:09:32,700 --> 00:09:35,300 à tirer les conséquences de cette incompatibilité ? 158 00:09:36,420 --> 00:09:39,580 La question a été résolue très largement par la Cour de 159 00:09:39,780 --> 00:09:43,700 justice dans un premier temps, puis assimilée par les 160 00:09:43,900 --> 00:09:46,780 juridictions nationales – ce qui a quand même conduit à 161 00:09:46,980 --> 00:09:49,460 une opposition sur laquelle il faut revenir. 162 00:09:49,660 --> 00:09:54,420 C’est le fait que l’on ne va pas raisonner de la même 163 00:09:54,620 --> 00:09:56,960 manière selon que le droit national est de valeur 164 00:09:57,880 --> 00:09:59,220 infraconstitutionnelle ou, au contraire, de valeur 165 00:09:59,420 --> 00:10:01,020 constitutionnelle. Alors, 166 00:10:01,220 --> 00:10:03,720 si l’on débute 1, par le droit national de valeur 167 00:10:03,920 --> 00:10:08,440 infraconstitutionnelle, à cet égard, très tôt, à partir de l’arrêt 168 00:10:08,640 --> 00:10:13,000 Costa contre ENEL et de bien d’autres arrêts, la Cour a 169 00:10:13,200 --> 00:10:15,620 itérativement jugé que le droit de l’Union européenne 170 00:10:15,820 --> 00:10:17,820 prime le droit national, quel qu’il soit. 171 00:10:18,280 --> 00:10:23,040 Bien entendu, ici la loi – et notamment la loi postérieure –, 172 00:10:23,240 --> 00:10:26,680 a fortiori, les actes réglementaires, les mesures administratives, 173 00:10:26,880 --> 00:10:29,080 et, dans une certaine mesure, les conventions entre 174 00:10:29,280 --> 00:10:30,040 personnes privées, etc., 175 00:10:31,080 --> 00:10:32,540 la Cour de justice a toujours été très claire. 176 00:10:32,740 --> 00:10:37,100 Ce sont les juges nationaux qui, à cet égard, ont eu des 177 00:10:37,300 --> 00:10:41,560 postures qui ont évolué en fonction de leur tradition juridique. 178 00:10:41,820 --> 00:10:44,900 Si en Allemagne et en Italie, 179 00:10:45,100 --> 00:10:49,860 le caractère dualiste de ces ordres juridiques a fait qu’un temps, 180 00:10:50,060 --> 00:10:54,200 les juges nationaux ont résisté, en quelque sorte, à cette primauté, 181 00:10:54,400 --> 00:10:59,160 exigeant que, en réalité, le droit communautaire de 182 00:10:59,360 --> 00:11:02,960 l’époque ne produise un effet supérieur que par la loi qui 183 00:11:03,160 --> 00:11:06,080 avait ratifié le traité et avait donc une force de loi – 184 00:11:06,840 --> 00:11:07,600 tout au plus. 185 00:11:07,800 --> 00:11:12,480 Finalement, ces juridictions 186 00:11:13,840 --> 00:11:18,720 italienne et allemande se sont rangées à l’idée que le 187 00:11:18,920 --> 00:11:21,740 droit communautaire et aujourd’hui, le droit de l’Union a une 188 00:11:21,940 --> 00:11:23,820 valeur supérieure aux lois nationales. 189 00:11:24,020 --> 00:11:27,500 Il faut attendre quand même l’arrêt Simmenthal de 1978 190 00:11:27,700 --> 00:11:31,360 pour que les cours constitutionnelles nationales 191 00:11:31,560 --> 00:11:32,520 en tirent toutes les conséquences. 192 00:11:32,720 --> 00:11:36,100 Car l’arrêt Simmenthal – je vous le rappelle – nous dit 193 00:11:36,300 --> 00:11:38,620 que "le juge national a l’obligation d’assurer le 194 00:11:38,820 --> 00:11:41,140 plein effet des normes du droit de l’Union en laissant, 195 00:11:41,340 --> 00:11:44,020 au besoin, inappliquée, de sa propre autorité, 196 00:11:44,220 --> 00:11:47,580 toute disposition contraire de la législation nationale, 197 00:11:47,780 --> 00:11:51,020 même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre 198 00:11:51,220 --> 00:11:53,580 l’élimination préalable de celle-ci par voie législative 199 00:11:53,780 --> 00:11:57,240 ou par d’autres procédés constitutionnels". Voilà ce 200 00:11:57,440 --> 00:11:58,520 que dit l’arrêt Simmenthal. 201 00:12:00,100 --> 00:12:04,500 En France, l’arrêt jurisprudence IVG du Conseil 202 00:12:04,700 --> 00:12:09,460 constitutionnel avait indiqué 203 00:12:09,660 --> 00:12:12,620 aux juridictions ordinaires de tirer les conséquences de 204 00:12:12,820 --> 00:12:16,100 la primauté, ce que la Cour de cassation a fait assez vite, 205 00:12:16,300 --> 00:12:17,920 puisque, depuis l’arrêt Jacques Vabre de 1975, 206 00:12:18,120 --> 00:12:21,300 il y a une primauté du droit – à l’époque 207 00:12:21,500 --> 00:12:24,800 communautaire – sur les lois nationales postérieures. 208 00:12:25,000 --> 00:12:27,100 Pour le Conseil d’État, cela a été un peu plus tard : 209 00:12:27,300 --> 00:12:32,060 après une jurisprudence dite des semoules de 1968, 210 00:12:32,260 --> 00:12:36,320 le Conseil d’État a procédé à un revirement dans l’arrêt 211 00:12:36,520 --> 00:12:40,500 Nicolo de 1989, estimant que 212 00:12:40,700 --> 00:12:44,900 les traités avaient une force supérieure aux lois, 213 00:12:45,100 --> 00:12:46,500 même postérieures. 214 00:12:47,620 --> 00:12:50,000 On n’a donc ici guère de 215 00:12:50,200 --> 00:12:54,960 doute quant au fait que la primauté s’impose aux 216 00:12:55,500 --> 00:12:59,440 dispositions législatives, fussent-elles postérieures. 217 00:12:59,640 --> 00:13:04,360 Qu’en est-il maintenant des dispositions, 2, qui ont une 218 00:13:04,560 --> 00:13:05,740 valeur constitutionnelle ? 219 00:13:05,940 --> 00:13:09,650 Et c’est là que la question se pose aujourd’hui avec le 220 00:13:09,850 --> 00:13:10,610 plus d’intensité. 221 00:13:12,530 --> 00:13:16,650 Car soit on raisonne dans une logique absolutiste : 222 00:13:16,850 --> 00:13:19,990 l’interniste constitutionnaliste vous dira 223 00:13:20,190 --> 00:13:22,650 que la norme juridique suprême de l’État, c’est la 224 00:13:22,850 --> 00:13:25,550 Constitution donc la Constitution prime dans tous les cas. 225 00:13:25,750 --> 00:13:28,290 Et l’européaniste vous dira le contraire : il dira que la 226 00:13:28,490 --> 00:13:32,310 norme supérieure, c’est le traité et le droit de l’Union 227 00:13:32,510 --> 00:13:33,810 européenne – tout le droit de l’Union européenne. 228 00:13:34,670 --> 00:13:39,310 On peut raisonner ainsi, et ce raisonnement conduit à 229 00:13:39,510 --> 00:13:40,590 une impasse très rapide. 230 00:13:41,610 --> 00:13:43,870 Et il faut donc raisonner peut-être autrement, 231 00:13:44,070 --> 00:13:47,130 et c’est la proposition que je fais : un raisonnement plus circulaire, 232 00:13:47,330 --> 00:13:52,090 en disant qu’il n’y a pas 233 00:13:53,010 --> 00:13:55,110 véritablement de hiérarchie entre le droit 234 00:13:55,310 --> 00:13:57,570 constitutionnel national et le droit de l’Union européenne. 235 00:13:57,770 --> 00:14:02,150 Il y a une équivalence – une équivalence, au demeurant, 236 00:14:02,350 --> 00:14:05,850 reconnue, si l’on prend le droit français, par le 237 00:14:06,050 --> 00:14:10,130 Conseil constitutionnel, puisque le traité de Lisbonne 238 00:14:10,330 --> 00:14:13,530 a fait l’objet d’un contrôle 239 00:14:13,730 --> 00:14:18,490 préalable en 2009 par le Conseil constitutionnel, 240 00:14:18,690 --> 00:14:20,930 qui nous a dit dans quelles conditions ce traité était 241 00:14:21,130 --> 00:14:23,270 compatible avec la Constitution et inversement. 242 00:14:23,470 --> 00:14:27,830 Et après quelques légères révisions constitutionnelles, 243 00:14:28,030 --> 00:14:32,790 on peut donc partir d’une prémisse : c’est que les traités sont 244 00:14:32,990 --> 00:14:34,930 conformes à la Constitution française. 245 00:14:35,390 --> 00:14:37,670 Cette prémisse en tête, la question est la suivante : 246 00:14:37,870 --> 00:14:42,630 que faire dans une hypothèse très concrète où le droit de 247 00:14:42,830 --> 00:14:47,550 l’Union méconnaît ou entre en conflit, en quelque sorte, avec des 248 00:14:47,750 --> 00:14:50,830 dispositions de droit constitutionnel ? Alors, 249 00:14:51,030 --> 00:14:53,810 bien sûr, la jurisprudence de la Cour de justice nous dit, 250 00:14:54,010 --> 00:14:57,590 de longue date, que c’est un texte interne, quel qu’il 251 00:14:57,790 --> 00:15:01,230 soit – et donc, dans quelques affaires comme l’affaire 252 00:15:01,430 --> 00:15:05,530 Fransson C-617/10 ou d’autres 253 00:15:05,730 --> 00:15:09,450 encore –, la Cour semble nous dire que le droit de l’Union 254 00:15:09,650 --> 00:15:11,310 européenne – tout le droit de l’Union européenne, droit 255 00:15:11,510 --> 00:15:15,910 dérivé compris – prime le droit constitutionnel national. 256 00:15:16,530 --> 00:15:21,130 Alors, cette vision-là peut entraîner un conflit, 257 00:15:21,330 --> 00:15:22,850 un conflit assez classique. 258 00:15:24,370 --> 00:15:28,330 Concrètement, est-ce qu’un règlement peut méconnaître 259 00:15:28,530 --> 00:15:29,690 une constitution nationale ? 260 00:15:29,890 --> 00:15:30,650 Voilà la question posée. 261 00:15:31,670 --> 00:15:34,850 La Cour de justice dira oui si elle est dans cette situation-là, 262 00:15:35,050 --> 00:15:37,090 mais elle ne l’a jamais dit véritablement ouvertement. 263 00:15:37,290 --> 00:15:40,250 Et parfois, on cite des arrêts dans lesquels on dit 264 00:15:40,450 --> 00:15:43,070 que la Cour de justice a fait primer la constitution nationale. 265 00:15:43,450 --> 00:15:48,170 En réalité, elle a interprété le droit de l’Union 266 00:15:48,370 --> 00:15:52,230 européenne en ce sens qu’il s’oppose ou qu’il doit 267 00:15:52,430 --> 00:15:55,010 s’opposer à une disposition, fût-elle constitutionnelle. 268 00:15:56,150 --> 00:15:58,930 Ce qui se passe, c’est que les jurisprudences des cours 269 00:15:59,130 --> 00:16:00,870 constitutionnelles – à commencer par l’Allemagne, 270 00:16:01,070 --> 00:16:05,330 l’Italie, et plus tardivement la France, notamment – ont 271 00:16:05,530 --> 00:16:08,090 dégagé des limites constitutionnelles à l’intégration. 272 00:16:08,290 --> 00:16:12,250 Autrement dit la primauté joue en règle générale, 273 00:16:12,450 --> 00:16:13,890 mais il y a une limite constitutionnelle, il y a un 274 00:16:14,090 --> 00:16:16,850 point de rupture qui intervient. 275 00:16:17,050 --> 00:16:19,290 Et là, la Cour constitutionnelle nationale 276 00:16:19,490 --> 00:16:22,390 se reconnaît le pouvoir, le cas échéant, de laisser 277 00:16:22,590 --> 00:16:27,350 inappliqué mais la disposition du droit de 278 00:16:28,030 --> 00:16:32,450 l’Union européenne du règlement, d'une directive, dans des cas limites. 279 00:16:33,070 --> 00:16:34,370 Alors, ces cas limites… 280 00:16:34,570 --> 00:16:39,490 Que ce soit la jurisprudence Solange de la Cour allemande 281 00:16:39,770 --> 00:16:42,110 ou la jurisprudence Granital 282 00:16:42,310 --> 00:16:47,070 de l’Italie, on nous a indiqué que, dans l’état actuel des choses, 283 00:16:47,690 --> 00:16:51,490 ces limites constitutionnelles sont 284 00:16:51,690 --> 00:16:52,930 levées – en tout cas, les réserves sont levées –, 285 00:16:53,130 --> 00:16:56,390 aussi longtemps que l’Union européenne respecte les 286 00:16:56,590 --> 00:16:58,870 principes constitutionnels fondamentaux, et notamment 287 00:16:59,070 --> 00:17:01,570 les droits fondamentaux, parce qu’il y a une équivalence. 288 00:17:01,770 --> 00:17:02,990 Tout se règle par équivalence. 289 00:17:03,310 --> 00:17:05,450 Mais il y a quand même d’autres limites qui ont été 290 00:17:05,650 --> 00:17:06,430 dégagées par les cours. 291 00:17:06,630 --> 00:17:09,609 Et je dirais qu’il y a notamment deux grandes limites. 292 00:17:09,849 --> 00:17:12,369 La première est liée à l’identité constitutionnelle 293 00:17:12,569 --> 00:17:14,990 nationale. Oui, il y a des 294 00:17:15,190 --> 00:17:18,010 cours constitutionnelles qui ont dégagé, comme en 295 00:17:18,210 --> 00:17:21,490 Allemagne ou comme en France, à partir de la jurisprudence 296 00:17:21,690 --> 00:17:26,450 de 2004 loi sur l’économie numérique des limites 297 00:17:26,650 --> 00:17:30,610 constitutionnelles : on ne saurait porter atteinte à 298 00:17:30,810 --> 00:17:33,190 l’identité constitutionnelle, en l’occurrence, par exemple, 299 00:17:33,390 --> 00:17:34,150 de la France. 300 00:17:35,670 --> 00:17:37,630 Et là, il y a une réserve qui joue. 301 00:17:38,190 --> 00:17:43,150 Mais cette réserve, en pratique, n’a jamais été appliquée jusqu’au bout, 302 00:17:43,350 --> 00:17:48,310 comme on le voit en France avec la QPC Air France de 2021. 303 00:17:51,130 --> 00:17:56,090 Et lorsqu’elle a été soulevée, cela a rendu compte qu’elle 304 00:17:56,630 --> 00:17:58,610 avait un équivalent, parce que l’article 4 du 305 00:17:58,810 --> 00:18:01,510 traité sur l’Union européenne reconnaît le principe de 306 00:18:01,710 --> 00:18:02,610 l’identité nationale. 307 00:18:06,590 --> 00:18:07,970 Et donc, il y a une corrélation entre l'identité 308 00:18:08,170 --> 00:18:09,450 nationale et l’identité constitutionnelle, 309 00:18:10,470 --> 00:18:14,730 corrélation dont la Cour de justice, le cas échéant, est juge, 310 00:18:14,930 --> 00:18:16,990 comme on le voit dans l’affaire Coman, affaire C-673/16. 311 00:18:17,190 --> 00:18:21,950 L’autre limite ou réserve est 312 00:18:24,410 --> 00:18:28,090 ce que la Cour allemande – et cela est propre à la 313 00:18:28,290 --> 00:18:29,450 jurisprudence constitutionnelle allemande – 314 00:18:29,650 --> 00:18:30,410 a appelé l’ultra vires. 315 00:18:30,850 --> 00:18:33,450 L’ultra vires, c’est l’hypothèse dans laquelle l’exercice, 316 00:18:33,650 --> 00:18:36,670 par les institutions de l’Union européenne, de leurs 317 00:18:36,870 --> 00:18:38,690 compétences conduit à 318 00:18:38,890 --> 00:18:42,470 méconnaître le principe de démocratie, 319 00:18:42,670 --> 00:18:47,130 parce qu’on va au-delà des compétences qui ont été 320 00:18:47,330 --> 00:18:48,990 attribuées à l’Union européenne. 321 00:18:49,190 --> 00:18:51,290 Et en dépassant les compétences attribuées à 322 00:18:51,490 --> 00:18:53,710 l’Union européenne, on serait ultra vires. 323 00:18:54,050 --> 00:18:57,070 En réalité, il y a une affaire de 2020 dans laquelle 324 00:18:57,270 --> 00:19:02,030 la Cour allemande, affaire PSPP , a pour la première fois – et 325 00:19:02,230 --> 00:19:05,050 une unique fois, au demeurant –, constaté qu’un acte, 326 00:19:05,270 --> 00:19:07,690 en l’occurrence, de la Banque centrale européenne pouvait 327 00:19:07,890 --> 00:19:12,590 être partiellement ultra vires, après qu’elle a posé une 328 00:19:12,790 --> 00:19:14,390 question préjudicielle à la Cour de justice sur ce point. 329 00:19:14,870 --> 00:19:18,090 Donc, il peut y avoir des conflits, comme on l’a vu dans l’affaire PSPP, 330 00:19:18,370 --> 00:19:21,270 mais qui ont été très vite résolus, parce que le point de 331 00:19:21,470 --> 00:19:25,530 désaccord a été dénoué extrêmement rapidement grâce 332 00:19:25,730 --> 00:19:30,470 à des jurisprudences constructives, fondées sur l’idée d’équivalence. 333 00:19:31,590 --> 00:19:35,750 Et à cet égard, la France n’est pas en reste, avec deux 334 00:19:35,950 --> 00:19:40,210 arrêts essentiels : l’arrêt Arcelor de 2007 – équivalence 335 00:19:40,410 --> 00:19:42,150 en matière de protection des droits fondamentaux –, 336 00:19:42,410 --> 00:19:47,110 et l’affaire French Data Network de 2021, où, 337 00:19:47,310 --> 00:19:51,090 cette fois, c’est la question de la remise en cause, 338 00:19:51,290 --> 00:19:53,990 au nom des objectifs de valeur constitutionnelle. 339 00:19:54,310 --> 00:19:56,950 En tout cas, il y a des moyens de rapprochement qui 340 00:19:57,150 --> 00:20:00,670 fonctionnent grâce à cette théorie de l’équivalence.