1 00:00:05,220 --> 00:00:05,980 Bonjour. 2 00:00:06,690 --> 00:00:09,720 Continuons notre étude de l’acte anormal de gestion avec une troisième 3 00:00:09,920 --> 00:00:15,600 illustration classique évolutive de ces situations dans lesquelles 4 00:00:15,800 --> 00:00:20,910 l’administration va contester le comportement jugé anormal d’une 5 00:00:21,110 --> 00:00:23,640 entreprise et les charges liées à ce comportement. 6 00:00:24,210 --> 00:00:29,100 Le cas évolutif de la prise de risque est assez intéressant puisqu’une 7 00:00:29,730 --> 00:00:33,240 jurisprudence relativement récente est revenue sur un principe assez 8 00:00:33,440 --> 00:00:37,890 ancien et aussi contesté, la jurisprudence relativement récente 9 00:00:38,090 --> 00:00:38,850 date de 2016. 10 00:00:39,050 --> 00:00:42,590 C’est un arrêt du Conseil d’État de section du 13 juillet 2016, 11 00:00:42,790 --> 00:00:46,740 Société Monte Paschi Banques, une banque italienne. 12 00:00:47,970 --> 00:00:51,090 La question s’était posée de savoir si restait possible, 13 00:00:51,290 --> 00:00:56,820 comme cela était le cas précédemment, de contester parfois une pratique 14 00:00:57,020 --> 00:00:59,820 de l’entreprise qui consiste en une prise de risque, 15 00:01:00,150 --> 00:01:04,320 ce qui en soi est au cœur de la pratique des entreprises et de 16 00:01:04,520 --> 00:01:06,960 la vie des affaires, mais prise de risques suffisamment 17 00:01:07,470 --> 00:01:12,750 importants pour être jugée excessive et pour que les charges attachées 18 00:01:12,950 --> 00:01:14,880 à cette prise de risque ne soient pas déductibles. 19 00:01:15,300 --> 00:01:19,080 Tout cela avait été inauguré par un arrêt de 1990 dans une affaire 20 00:01:19,280 --> 00:01:22,860 Loiseau assez amusante finalement, où l’administration avait reproché 21 00:01:23,060 --> 00:01:25,830 à un militaire reconverti en agent de change d’avoir promis monts 22 00:01:26,030 --> 00:01:28,230 et merveilles à ses clients pour essayer d’attirer la clientèle, 23 00:01:28,500 --> 00:01:31,560 en leur indiquant que dans tous les cas de figure, l’argent placé 24 00:01:31,760 --> 00:01:34,830 auprès de son entreprise et investi, s’il ne leur rapportait pas ce 25 00:01:35,030 --> 00:01:39,360 qui était espéré conduirait à une forme d’indemnisation par ladite 26 00:01:39,560 --> 00:01:40,390 entreprise de ses clients. 27 00:01:40,590 --> 00:01:43,500 C’était une opération marketing tout à fait sympathique pour les 28 00:01:43,700 --> 00:01:46,200 clients, mais qui s’est révélée très coûteuse à l’entreprise. 29 00:01:46,590 --> 00:01:51,570 L’administration, ça peut sembler extrêmement désagréable pour le 30 00:01:51,770 --> 00:02:00,690 pauvre entrepreneur, est arrivé alors qu’il n’y avait plus grand-chose 31 00:02:00,900 --> 00:02:06,330 à imposer car l’entreprise n’était pas très florissante, 32 00:02:06,660 --> 00:02:11,070 mais en plus, les sommes que cet agent de change avait remboursées, 33 00:02:11,270 --> 00:02:15,360 avait offert à ses clients en guise d’indemnisation ont été considérées 34 00:02:15,560 --> 00:02:19,770 par l’administration comme des charges anormales, car liées à 35 00:02:19,970 --> 00:02:23,400 une pratique commerciale excessivement risquée qui n’auraient pas dû être 36 00:02:23,600 --> 00:02:24,360 engagées. 37 00:02:24,560 --> 00:02:27,540 Ces sommes ont été réintégrées de sorte que le pauvre entrepreneur 38 00:02:27,740 --> 00:02:30,930 a été taxé sur des sommes qu’il n’a jamais gagnées puisqu’il a 39 00:02:31,130 --> 00:02:34,230 dû au contraire les verser à ses clients. 40 00:02:34,800 --> 00:02:39,750 Outre la sévérité de cette jurisprudence, on comprend l’esprit 41 00:02:40,560 --> 00:02:44,730 qui consiste à discipliner les entreprises pour ne pas que les 42 00:02:44,930 --> 00:02:47,520 caisses de l’État soient appauvries du fait de comportements complètement 43 00:02:47,720 --> 00:02:51,000 irrationnels ou erratiques de certaines entreprises. 44 00:02:51,200 --> 00:02:55,230 Néanmoins, cette jurisprudence devait justement se conjuguer avec 45 00:02:55,430 --> 00:02:58,170 une autre jurisprudence qui peut sembler peut-être parfois troublante, 46 00:02:58,500 --> 00:03:03,630 liée au fait que des charges engagées dans l’intérêt de l’entreprise, 47 00:03:03,900 --> 00:03:06,930 mais conduisant parfois à des condamnations, notamment des 48 00:03:07,130 --> 00:03:11,610 condamnations civiles, puissent continuer d’être déduites. 49 00:03:11,810 --> 00:03:17,340 En effet, c’est un arrêt assez intéressant, Philippe du 7 janvier 50 00:03:17,540 --> 00:03:23,640 2000 du Conseil d’État qui illustre cela, des commerçants qui, 51 00:03:23,840 --> 00:03:25,530 pour la peine, s’étaient livrés à un certain nombre d’escroqueries 52 00:03:25,800 --> 00:03:29,460 auprès de clients dans le but d’accroître leurs revenus. 53 00:03:30,090 --> 00:03:33,600 Sur le plan pénal, disons-le tout de suite, les éventuelles condamnations 54 00:03:33,800 --> 00:03:37,410 pénales de l’entreprise à amende ne sont pas déductibles du résultat 55 00:03:37,610 --> 00:03:38,370 de l’entreprise. 56 00:03:38,570 --> 00:03:40,190 C’est une disposition de la loi. 57 00:03:40,390 --> 00:03:44,100 C’est un des alinéas de l’article 39 du Code général des impôts qui 58 00:03:44,300 --> 00:03:48,930 exclut que les condamnations à l’amende pénale ou celles que 59 00:03:49,130 --> 00:03:54,270 l’Autorité de la concurrence peut édicter, ces condamnations pécuniaires 60 00:03:54,470 --> 00:03:55,350 ne sont pas déductibles. 61 00:03:55,550 --> 00:03:59,880 En revanche, les condamnations civiles, le fait que des indemnités doivent 62 00:04:00,080 --> 00:04:09,870 être versées car la pratique illicite n’a pas fonctionné, ces condamnations 63 00:04:10,070 --> 00:04:11,400 civiles ne constituent pas, d’après l’arrêt Philippe, 64 00:04:12,870 --> 00:04:17,820 des charges non déductibles car elles sont liées à des actes de 65 00:04:18,020 --> 00:04:21,090 gestion qui étaient illicites, mais qui n’étaient pas pour autant 66 00:04:21,290 --> 00:04:23,040 engagés contre l’intérêt de l’entreprise. 67 00:04:23,240 --> 00:04:25,320 C’était même plutôt favorable a priori à l’intérêt de l’entreprise. 68 00:04:25,520 --> 00:04:28,260 Amoralisme du droit fiscal, si vous le souhaitez, 69 00:04:28,530 --> 00:04:31,560 mais il y a la conjonction de ces jurisprudences sur la prise de 70 00:04:31,760 --> 00:04:37,740 risque et sur les pratiques risquées qui troublaient parfois les 71 00:04:37,940 --> 00:04:38,700 commentateurs. 72 00:04:38,900 --> 00:04:44,070 Cet arrêt Monte Paschi de 2016 est venu résumer la manière dont 73 00:04:44,270 --> 00:04:47,190 les choses devaient désormais être comprises en lien avec certaines 74 00:04:47,390 --> 00:04:50,130 pratiques risquées des entreprises. 75 00:04:50,330 --> 00:04:53,280 L’idée, désormais, c’est que l’administration, c’est ce que 76 00:04:53,480 --> 00:04:58,920 le Conseil d’État affirme clairement, ne peut plus se prononcer sur l’ampleur 77 00:04:59,120 --> 00:05:01,840 des risques pris par l’entreprise, donc il ne revient pas à 78 00:05:02,040 --> 00:05:04,270 l’administration de contester, le cas échéant, une prise de risque 79 00:05:04,470 --> 00:05:05,230 excessive. 80 00:05:05,950 --> 00:05:10,090 Ce serait une forme d’immixtion trop importante, considère le Conseil 81 00:05:10,290 --> 00:05:13,990 d’État, dans la gestion des entreprises. 82 00:05:14,560 --> 00:05:19,180 En revanche, dans un cas particulier, reste qu’il n’est pas possible 83 00:05:19,380 --> 00:05:24,100 de déduire les charges engagées en lien avec des opérations risquées. 84 00:05:24,300 --> 00:05:28,660 C’est le cas des détournements de fonds qui ont été rendus possibles 85 00:05:28,900 --> 00:05:35,140 par les comportements un peu légers d’une entreprise, soit un comportement 86 00:05:35,340 --> 00:05:38,680 clairement délibéré de la part d’un dirigeant de l’entreprise 87 00:05:38,920 --> 00:05:42,130 ou simplement une carence manifeste dans le contrôle. 88 00:05:42,330 --> 00:05:44,620 C’était ce qui était en cause dans l’affaire Monte Paschi. 89 00:05:45,160 --> 00:05:51,280 Le cas de figure, c’est lorsqu’un agent, un employé de la banque 90 00:05:51,480 --> 00:05:54,340 en espèce ou de toute autre entreprise part avec la Caisse, 91 00:05:54,540 --> 00:06:00,250 est-ce que la perte liée à cette situation est ou non déductible 92 00:06:00,450 --> 00:06:02,100 en tant que charges du point de vue de l’entreprise ? 93 00:06:02,300 --> 00:06:03,460 La réponse de principe est oui. 94 00:06:03,790 --> 00:06:07,660 La réponse de principe est oui, sauf s’il apparaît, aux yeux de 95 00:06:07,860 --> 00:06:12,370 l’administration, que cette pratique n’a été rendue possible que par 96 00:06:12,570 --> 00:06:16,330 le défaut de contrôle, par le manque de réactivité de 97 00:06:16,530 --> 00:06:20,530 l’entreprise qui, de ce fait, a pris une forme de risque excessif 98 00:06:20,740 --> 00:06:22,990 en n’étant pas assez soucieuse de la manière dont ses employés 99 00:06:24,010 --> 00:06:27,880 pouvaient agir et piocher dans la caisse le cas échéant. 100 00:06:28,420 --> 00:06:33,850 Il se trouve que cette jurisprudence liée au détournement de fonds est 101 00:06:34,050 --> 00:06:37,570 assez intéressante parce qu’elle trouve potentiellement un point 102 00:06:37,770 --> 00:06:38,740 d’impact dans des situations diverses. 103 00:06:39,550 --> 00:06:45,310 L’administration la sollicite, de temps en temps, dans des cas 104 00:06:45,510 --> 00:06:48,370 qui restent différents de celui du détournement de fonds pur et 105 00:06:48,570 --> 00:06:50,740 simple que je viens d’évoquer dans l’arrêt Monte Paschi, 106 00:06:50,940 --> 00:06:54,310 qui trouve à être réglé si l’administration parvient à prouver 107 00:06:54,510 --> 00:06:58,420 la carence manifeste dans les contrôles opérés sur les employés. 108 00:06:59,320 --> 00:07:02,920 On pense à une affaire immédiatement que vous avez peut-être en tête 109 00:07:03,120 --> 00:07:06,940 aujourd’hui encore, l’affaire Kerviel du nom de cet ancien trader de 110 00:07:07,140 --> 00:07:10,090 la Société Générale qui, en se livrant à des investissements 111 00:07:10,290 --> 00:07:15,880 complètement déraisonnables qui censément visaient à rapporter 112 00:07:16,080 --> 00:07:19,390 de l’argent à son employeur, mais qui l’a conduit à des pertes 113 00:07:19,690 --> 00:07:21,940 qui dépassaient les 5 milliards d’euros. 114 00:07:22,300 --> 00:07:24,790 La question s’est posée de savoir, du point de vue de l’administration, 115 00:07:24,990 --> 00:07:27,130 s’il était possible, pour la Société générale, 116 00:07:27,330 --> 00:07:29,050 de déduire les sommes en question. 117 00:07:29,250 --> 00:07:31,780 Où les choses sont devenues un peu complexes, c’est que les 118 00:07:31,980 --> 00:07:37,510 juridictions pénales ont jugé et condamné le trader en question, 119 00:07:37,710 --> 00:07:44,520 Jérôme Kerviel, mais a aussi constaté, en dernier lieu, la juridiction du fond, 120 00:07:44,720 --> 00:07:49,060 la Cour d’appel de Paris, que les comportements dudit trader 121 00:07:49,260 --> 00:07:53,170 avaient aussi pour partie, comme cause, le défaut de contrôle, 122 00:07:53,370 --> 00:07:58,900 la carence manifeste de la Société générale, dans le suivi des opérations 123 00:07:59,290 --> 00:08:01,380 menées par un certain nombre de ses employés. 124 00:08:01,580 --> 00:08:04,840 Immédiatement, l’administration s’est dit : "Cela ressemble fort 125 00:08:05,040 --> 00:08:08,560 à la jurisprudence Monte Paschi", et à réclamer à la Société générale 126 00:08:09,070 --> 00:08:14,320 qu’elle réintègre dans son résultat les cinq milliards qui sont 127 00:08:14,520 --> 00:08:17,710 effectivement partis en fumée, mais qui n’auraient pas dû partir 128 00:08:17,910 --> 00:08:22,540 en fumée si les contrôles adéquats avaient été mis en place, 129 00:08:23,140 --> 00:08:24,340 donc un litige s’est noué. 130 00:08:24,540 --> 00:08:27,490 À l’heure où je vous parle, je ne sais pas ce qu’il en est 131 00:08:28,420 --> 00:08:33,430 de cette affaire qui, à ma connaissance, n’est pas encore 132 00:08:33,850 --> 00:08:36,100 jugée ou peut-être que l’administration a abandonné le redressement. 133 00:08:36,300 --> 00:08:39,760 Je ne suis pas capable de vous le dire, mais en tout cas, cela a été médiatisé, 134 00:08:39,960 --> 00:08:42,490 c’est pour ça que je vous rapporte cette affaire. 135 00:08:43,540 --> 00:08:46,810 On peut supposer, nous le verrons si l’affaire vient à être jugée, 136 00:08:47,010 --> 00:08:52,870 que le juge ne donne pas nécessairement raison du tout à la Société générale 137 00:08:53,070 --> 00:08:55,600 dans la mesure où on n’est pas dans le cas exact Monte Paschi. 138 00:08:55,910 --> 00:08:57,850 Il n’y a pas de détournement de fonds dans cette histoire. 139 00:08:58,090 --> 00:09:02,110 Il n’y a pas de comportement qui se voulait contraire à l’intérêt 140 00:09:02,310 --> 00:09:03,070 de l’entreprise. 141 00:09:03,270 --> 00:09:06,400 Au contraire, justement, le trader cherchait à satisfaire 142 00:09:06,600 --> 00:09:08,680 l’intérêt de l’entreprise, de sorte qu’il n’est pas du tout 143 00:09:08,920 --> 00:09:12,490 évident que même s’il y a eu défaut de contrôle, ce défaut de contrôle 144 00:09:12,690 --> 00:09:15,910 puisse être assimilé à celui qui permet un détournement de fonds, 145 00:09:16,180 --> 00:09:18,180 comme dans la jurisprudence susmentionnée. 146 00:09:18,380 --> 00:09:24,640 Bref, cette notion, cette référence à l’intérêt de l’entreprise derrière 147 00:09:24,840 --> 00:09:28,390 la notion d’acte anormal de gestion est d’une souplesse relativement 148 00:09:28,590 --> 00:09:31,330 importante et vise des cas de figure assez différents. 149 00:09:31,530 --> 00:09:35,020 Il n’empêche que, j’en viens au second paragraphe, elle repose 150 00:09:35,220 --> 00:09:38,560 sur un critère, le critère de l’intérêt de l’entreprise, qui me semble 151 00:09:38,770 --> 00:09:42,820 subjectif et en cela relativement critiquable, disons-le en quelques 152 00:09:43,020 --> 00:09:44,710 mots dans un second paragraphe. 153 00:09:48,070 --> 00:09:51,670 Je le répète, le fait qu’il y ait une forme de souplesse derrière 154 00:09:51,870 --> 00:09:53,610 la notion d’acte anormal de gestion se comprend très bien. 155 00:09:53,810 --> 00:09:58,960 Il s’agit de donner une sorte d’arme à l’administration fiscale pour 156 00:09:59,160 --> 00:10:02,160 faire face à des situations inattendues, inenvisageables parfois 157 00:10:02,520 --> 00:10:06,150 et de discipliner les pratiques des contribuables dans un sens 158 00:10:06,350 --> 00:10:10,290 qui peut sembler relativement compréhensible au regard des exigences 159 00:10:10,490 --> 00:10:13,710 d’équité et d’égalité de traitement des entreprises. 160 00:10:13,910 --> 00:10:17,490 Néanmoins, à mon sens, je me permets aussi d’être assez 161 00:10:17,690 --> 00:10:20,790 subjectif et de vous donner un avis que vous pouvez ne pas partager, 162 00:10:21,120 --> 00:10:24,000 mais cette référence à l’intérêt de l’entreprise me semble tout 163 00:10:24,200 --> 00:10:25,320 à fait problématique. 164 00:10:25,520 --> 00:10:26,280 Pourquoi ? 165 00:10:26,480 --> 00:10:29,430 D’abord parce qu’il implique que sur le terrain de la preuve, 166 00:10:29,850 --> 00:10:35,880 une énorme subjectivité soit systématiquement présente puisque 167 00:10:36,120 --> 00:10:40,920 l’administration devra prouver que l’entreprise est allée contre 168 00:10:41,120 --> 00:10:43,530 son intérêt et de même, l’entreprise de leur montrer que 169 00:10:43,730 --> 00:10:45,360 c’était bien son intérêt que de faire ce qu’elle a fait. 170 00:10:46,500 --> 00:10:50,610 Comment prouver qu’on poursuivait bien l’intérêt de son entreprise 171 00:10:50,970 --> 00:10:53,160 en réalisant un certain nombre d’actes ? 172 00:10:53,360 --> 00:10:54,330 C’est assez difficile. 173 00:10:54,690 --> 00:10:58,170 Reprenons un exemple idiot que j’évoquais précédemment. 174 00:10:58,470 --> 00:11:02,550 Si je pars pendant une semaine au soleil aux frais de mon entreprise, 175 00:11:03,210 --> 00:11:07,350 je pourrai tenter de justifier qu’il est bien dans l’intérêt de 176 00:11:07,550 --> 00:11:11,960 mon entreprise que d’avoir un dirigeant bronzé et en pleine forme car, 177 00:11:13,110 --> 00:11:16,500 les chiffres le prouvent à mon retour de vacances, j’ai permis 178 00:11:17,550 --> 00:11:22,140 à mon entreprise de gagner des parts de chiffre d’affaires et 179 00:11:22,340 --> 00:11:26,490 des parts de marché croissant, ce qui n’est pas forcément complètement 180 00:11:26,690 --> 00:11:27,600 faux et invraisemblable. 181 00:11:28,770 --> 00:11:33,900 En se référant à l’intérêt de l’entreprise, on va nécessairement 182 00:11:34,100 --> 00:11:38,070 sur des terrains extrêmement subjectifs et difficiles en terme de preuve 183 00:11:38,610 --> 00:11:44,040 car tout cela repose sur une compréhension de ce qui est bon 184 00:11:44,240 --> 00:11:45,180 ou mauvais pour une entreprise. 185 00:11:45,380 --> 00:11:49,550 Tout ça n’est pas très simple à attester de manière objective. 186 00:11:49,750 --> 00:11:55,590 Au-delà de ça, il y a même un problème juridique, je vais vous paraître 187 00:11:55,790 --> 00:12:00,090 peut-être excessif en disant cela, mais je crois que ce critère de 188 00:12:00,290 --> 00:12:02,580 l’intérêt de l’entreprise pose un vrai problème au regard, 189 00:12:04,380 --> 00:12:07,770 assez frontalement, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 190 00:12:08,100 --> 00:12:13,830 et des principes tout à fait basiques selon lesquels, aux termes de l’article 191 00:12:14,030 --> 00:12:16,560 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de 192 00:12:16,760 --> 00:12:21,330 son article 5, la liberté consiste à faire ce qui ne nuit pas à autrui. 193 00:12:22,470 --> 00:12:26,430 Tout le système juridique français, depuis 1789, est fondé sur cette 194 00:12:26,630 --> 00:12:28,890 idée selon laquelle l’État, la loi, l’administration, 195 00:12:29,930 --> 00:12:35,160 le juge, ne peuvent interdire qu’au nom de la défense des intérêts 196 00:12:35,360 --> 00:12:36,120 d’autrui. 197 00:12:36,320 --> 00:12:38,910 En revanche, en principe, dans un système libéral comme le 198 00:12:39,110 --> 00:12:42,420 système français, il n’est pas envisageable de défendre à quelqu’un 199 00:12:42,620 --> 00:12:45,960 de faire quelque chose qui nuit à son propre intérêt car chacun 200 00:12:46,160 --> 00:12:48,960 est normalement maître de la définition de ce qui est son intérêt propre. 201 00:12:49,160 --> 00:12:52,890 Or, vous le comprenez bien, la notion d’acte anormal de gestion 202 00:12:53,090 --> 00:12:55,740 en se référant à la notion d’intérêt de l’entreprise, conduit 203 00:12:55,940 --> 00:12:59,160 l’administration, puis le juge, à venir expliquer à l’entreprise 204 00:12:59,360 --> 00:13:05,610 qu’elle sait mieux que lui ce qui 205 00:13:05,810 --> 00:13:06,570 est bon ou mauvais pour elle. 206 00:13:06,770 --> 00:13:08,490 C’est tout de même assez troublant. 207 00:13:09,330 --> 00:13:14,070 Cela fait référence à un arrêt que vous connaissez bien, 208 00:13:14,270 --> 00:13:18,180 peut-être que vous voyez le lien intuitivement, l’affaire dite du 209 00:13:18,380 --> 00:13:21,720 lancer de nains et l’arrêt de 1995 Morsang-sur-Orge du Conseil d’État où, 210 00:13:22,110 --> 00:13:28,530 de manière très troublante, vient interdire une activité éminemment 211 00:13:29,070 --> 00:13:32,130 pour le moins troublante et sans doute assez pathétique, 212 00:13:32,330 --> 00:13:35,910 mais non pas au nom de la préservation de l’ordre public entendue comme 213 00:13:36,110 --> 00:13:42,000 la sauvegarde de la manière dont autrui peut être choqué potentiellement 214 00:13:42,200 --> 00:13:46,290 d’une activité, mais au nom de la défense du nain contre lui-même, 215 00:13:47,070 --> 00:13:50,850 de cette idée selon laquelle le nain lancé dans cette boîte de 216 00:13:51,050 --> 00:13:54,360 nuit se porterait atteinte à lui-même, à sa propre dignité en se livrant 217 00:13:54,560 --> 00:13:55,320 à cette activité. 218 00:13:56,160 --> 00:13:58,890 Il y a derrière cela quelque chose d’assez troublant, c’est que le 219 00:13:59,090 --> 00:14:01,470 Conseil d’État prétend savoir mieux que le nain lui-même ce qui est 220 00:14:01,670 --> 00:14:03,810 bon pour lui, ce qui est contraire ou pas à sa propre dignité. 221 00:14:04,010 --> 00:14:08,610 C’est le même genre de point de vue très profondément antilibéral, 222 00:14:08,810 --> 00:14:13,410 au sens philosophique du terme, paternaliste, qui se profile derrière 223 00:14:13,610 --> 00:14:14,760 cette notion d’acte anormal de gestion. 224 00:14:15,840 --> 00:14:18,780 Tout cela peut vous sembler assez théorique, vous avez raison, 225 00:14:19,020 --> 00:14:21,940 on est assez détaché de problématiques très pratiques. 226 00:14:22,140 --> 00:14:24,690 Il n’empêche qu’il n’est pas interdit de s’interroger sur la pertinence 227 00:14:25,020 --> 00:14:31,980 de ce critère et de considérer qu’un critère plus adéquat pourrait 228 00:14:32,180 --> 00:14:37,230 être développé, c’est la notion d’anormalité que je retrouve là, 229 00:14:37,500 --> 00:14:40,650 la référence aux usages, la référence aux pratiques, 230 00:14:40,850 --> 00:14:44,190 la référence à ce qui se fait ou ne se fait pas, qui peut donc être 231 00:14:44,520 --> 00:14:47,070 plus facilement attestée de manière objective. 232 00:14:47,270 --> 00:14:52,500 Est-ce que c’est la pratique courante des entreprises que de partir une 233 00:14:52,700 --> 00:14:55,200 semaine en vacances au soleil ou pas ? 234 00:14:56,280 --> 00:15:00,040 Voilà le genre de questions qui pourrait se poser. 235 00:15:00,340 --> 00:15:04,590 Et là, l’administration pourrait, c’est une proposition que je fais, 236 00:15:05,110 --> 00:15:08,890 plus volontiers contester telle ou telle pratique d’entreprise 237 00:15:09,400 --> 00:15:13,870 au regard du caractère exceptionnel souvent non justifiable de cette 238 00:15:14,070 --> 00:15:14,830 exceptionnalité. 239 00:15:15,030 --> 00:15:17,200 L’entreprise pourra aussi montrer que ça ne se fait peut-être pas, 240 00:15:17,620 --> 00:15:23,530 mais qu’il y a quelque chose d’innovant, qui permet globalement 241 00:15:23,730 --> 00:15:27,280 d’avoir un sens économique. 242 00:15:28,690 --> 00:15:34,330 Le rapport à l’intérêt de l’entreprise reste intrinsèquement subjectif, 243 00:15:34,530 --> 00:15:36,940 donc problématique, là où, de manière plus objective, 244 00:15:37,300 --> 00:15:40,090 une comparaison avec les pratiques courantes dans un domaine donné 245 00:15:40,290 --> 00:15:44,200 pourrait trouver à être utilisée, mise en œuvre. 246 00:15:45,160 --> 00:15:46,990 Je le dis tout de suite, comme on le verra ultérieurement, 247 00:15:47,190 --> 00:15:51,160 cette notion d’usage de la profession apparaît dans la loi fiscale s’agissant 248 00:15:51,700 --> 00:15:53,680 en l’occurrence de la constitution des provisions. 249 00:15:54,280 --> 00:15:58,060 Pour la question des provisions, il y a cette référence à l’usage. 250 00:15:58,330 --> 00:16:01,690 De même pour les durées d’amortissement, autre point technique 251 00:16:01,890 --> 00:16:04,090 que l’on verra plus tard, c’est l’usage professionnel qui 252 00:16:04,290 --> 00:16:07,540 est en cause, de sorte qu’il ne serait pas aberrant de s’écarter 253 00:16:07,740 --> 00:16:11,890 de ce critère pour le moins subjectif de l’intérêt de l’entreprise. 254 00:16:12,090 --> 00:16:14,410 Voilà donc pour la notion d’acte anormal de gestion.