1 00:00:05,670 --> 00:00:11,550 Petit 3 : La nature de l’autorisation d’occuper le domaine public. 2 00:00:13,920 --> 00:00:17,610 Par nature de l’autorisation, j’entends la nature administrative 3 00:00:17,810 --> 00:00:20,070 ou privée de l’acte qui la contient. 4 00:00:21,910 --> 00:00:25,870 Vous comprenez bien l’enjeu qu’il y a derrière cette question. 5 00:00:26,070 --> 00:00:28,240 Il s’agit de déterminer le juge compétent. 6 00:00:29,260 --> 00:00:34,540 Si l’acte qui contient l’autorisation est administratif, alors le contentieux 7 00:00:34,740 --> 00:00:39,310 qui lui sera relatif relèvera de la compétence du juge administratif. 8 00:00:40,360 --> 00:00:44,560 Si en revanche, l’acte possède une nature privée, alors les tribunaux 9 00:00:44,760 --> 00:00:46,600 judiciaires seront compétents. 10 00:00:48,520 --> 00:00:53,560 Vous êtes en droit de vous demander s’il est vraiment utile de discuter 11 00:00:53,760 --> 00:00:57,310 de cette nature dès lors qu’il paraît évident que nous sommes 12 00:00:57,510 --> 00:01:01,360 ici en présence d’une question éminemment administrative qui ne 13 00:01:01,560 --> 00:01:04,510 peut donc intéresser que le juge administratif. 14 00:01:05,320 --> 00:01:08,800 Mais justement, méfiez-vous des évidences. 15 00:01:09,130 --> 00:01:11,530 Vous allez voir que ce n’est pas aussi simple. 16 00:01:12,880 --> 00:01:18,820 Bien sûr, il n’y a aucune question quant à la nature administrative 17 00:01:19,020 --> 00:01:22,690 de l’acte unilatéral contenant une autorisation d’occuper le domaine 18 00:01:22,890 --> 00:01:23,650 public. 19 00:01:23,850 --> 00:01:28,210 Lorsqu’un maire prend un arrêté qui autorise quelqu’un à occuper 20 00:01:28,410 --> 00:01:32,470 le domaine public, alors l’acte est un acte administratif unilatéral. 21 00:01:34,060 --> 00:01:36,790 Mais si la nature administrative de l’acte unilatéral ne pose pas 22 00:01:36,990 --> 00:01:40,810 de problème, celle des concessions domaniales, des contrats qui 23 00:01:41,010 --> 00:01:44,350 contiennent une autorisation d’occupation, est plus délicate. 24 00:01:46,360 --> 00:01:52,180 En effet, au début du 20e siècle, le juge judiciaire a pris l’habitude 25 00:01:52,630 --> 00:01:56,410 de considérer certaines concessions domaniales comme étant des contrats 26 00:01:56,610 --> 00:02:01,060 de droit privé, qu’il soumettait donc à un régime de droit privé 27 00:02:01,900 --> 00:02:06,310 en appliquant notamment le régime des baux commerciaux normalement 28 00:02:06,510 --> 00:02:10,300 prohibé à cette époque par le juge administratif sur le domaine public. 29 00:02:10,500 --> 00:02:15,170 Quelles concessions domaniales étaient concernées ? 30 00:02:17,030 --> 00:02:22,100 Il s’agissait des sous-concessions domaniales conclues entre deux 31 00:02:22,300 --> 00:02:23,330 personnes privées. 32 00:02:24,890 --> 00:02:25,650 Je m’explique. 33 00:02:26,690 --> 00:02:31,010 Pensez à un premier contrat unissant une personne publique et une personne 34 00:02:31,210 --> 00:02:36,470 privée par lequel la première autorise la seconde à occuper une partie 35 00:02:36,670 --> 00:02:37,430 de son domaine public. 36 00:02:37,630 --> 00:02:42,570 Puis, imaginez que cette personne privée, avec l’accord du propriétaire 37 00:02:42,770 --> 00:02:48,330 public, autorise une autre personne privée à sous-occuper une partie 38 00:02:48,530 --> 00:02:50,370 du domaine public qu’elle occupe déjà. 39 00:02:51,630 --> 00:02:55,740 Vous constatez qu’on a bien un contrat de sous-concession domaniale 40 00:02:55,980 --> 00:03:01,050 conclue entre deux personnes privées et faute du critère organique, 41 00:03:01,440 --> 00:03:05,790 le juge judiciaire retenait la nature privée de ces contrats et 42 00:03:05,990 --> 00:03:10,170 s’estimait compétent pour lui appliquer un régime de droit privé. 43 00:03:11,940 --> 00:03:15,540 Il y eut alors un important mouvement de contestation de la part de la 44 00:03:15,740 --> 00:03:19,790 doctrine publiciste qui voyait d’un très mauvais œil cet éclatement 45 00:03:19,990 --> 00:03:23,370 contentieux qui aboutissait à fragiliser le régime protecteur 46 00:03:23,640 --> 00:03:24,510 du domaine public. 47 00:03:24,710 --> 00:03:30,820 C’est pourquoi le gouvernement réagit en tentant d’unifier le 48 00:03:31,020 --> 00:03:35,080 contentieux en faveur de la compétence du juge administratif. 49 00:03:36,070 --> 00:03:39,640 En effet, l’article 1er du décret étendant la compétence des conseils 50 00:03:39,840 --> 00:03:45,880 de préfecture, dit le décret-loi du 17 juin 1938, précisait que : 51 00:03:46,420 --> 00:03:50,020 "Sont portés en premier ressort, devant le conseil de préfecture 52 00:03:50,220 --> 00:03:54,130 sauf recours au Conseil d’État, les litiges relatifs au contrat 53 00:03:54,330 --> 00:03:58,060 comportant occupation du domaine public, quelles que soient leur 54 00:03:58,260 --> 00:04:00,940 forme ou dénomination, passés par l’État, les départements, 55 00:04:01,140 --> 00:04:04,990 les communes, les établissements publics ou leur concessionnaire". 56 00:04:06,730 --> 00:04:11,200 Vous voyez qu’étaient visés expressément les contrats passés 57 00:04:11,400 --> 00:04:14,350 par les concessionnaires des personnes publiques, étaient donc visées 58 00:04:14,550 --> 00:04:15,310 les sous-concessions domaniales. 59 00:04:17,950 --> 00:04:23,770 Mais le 10 juillet 1956, le Tribunal des conflits dans sa 60 00:04:24,460 --> 00:04:30,220 décision Société des Steeple-chases de France, éclate à nouveau le 61 00:04:30,420 --> 00:04:31,180 contentieux. 62 00:04:31,480 --> 00:04:35,110 En effet, il affirme ceci : "Considérant que l’article 1er 63 00:04:35,310 --> 00:04:40,900 du décret du 17 juin 1938 attribue, à une juridiction administrative, 64 00:04:41,100 --> 00:04:44,200 la connaissance de tous les litiges relatifs au contrat comportant 65 00:04:44,400 --> 00:04:46,300 occupation du domaine public, quelles que soient leur forme ou 66 00:04:46,500 --> 00:04:49,300 leur dénomination, que ces contrats aient été passés par l’État, 67 00:04:49,500 --> 00:04:51,790 les départements, les communes ou par leurs établissements publics 68 00:04:51,990 --> 00:04:55,810 ou leurs concessionnaires, ces derniers doivent s’entendre 69 00:04:56,010 --> 00:04:58,720 - les concessionnaires - doivent s’entendre uniquement pour 70 00:04:58,920 --> 00:05:02,200 l’application de ce texte, des concessionnaires de services 71 00:05:02,400 --> 00:05:03,160 publics". 72 00:05:04,400 --> 00:05:09,530 Le juge, à partir de 1956, modifie donc le champ d’application 73 00:05:09,730 --> 00:05:10,490 de la norme. 74 00:05:11,030 --> 00:05:14,840 Sont concernées par la qualification administrative, les sous-concessions 75 00:05:15,380 --> 00:05:18,980 domaniales conclues par un concessionnaire de service public, 76 00:05:19,370 --> 00:05:24,590 à l’exclusion des sous-concessions domaniales conclues par un simple 77 00:05:24,860 --> 00:05:28,280 concessionnaire qui, elles, seront des contrats de droit 78 00:05:28,480 --> 00:05:29,240 privé. 79 00:05:29,750 --> 00:05:31,130 Prenons des exemples. 80 00:05:32,420 --> 00:05:36,890 Dans la décision du Tribunal des conflits du 15 mars 1999 Monsieur 81 00:05:37,090 --> 00:05:42,620 Schmitt, la SNCF, personne publique, avait autorisé une association 82 00:05:42,820 --> 00:05:46,580 de modélisme à occuper une dépendance de son domaine public. 83 00:05:48,060 --> 00:05:51,270 Ladite association avait ensuite autorisé Monsieur Schmitt à 84 00:05:51,470 --> 00:05:53,730 sous-occuper une partie de la dépendance. 85 00:05:53,930 --> 00:05:59,700 Or, l’association de modélisme n’est nullement chargée d’un service 86 00:05:59,900 --> 00:06:00,660 public. 87 00:06:00,960 --> 00:06:03,330 Elle est simplement occupante du domaine public. 88 00:06:03,570 --> 00:06:07,890 Elle est simplement concessionnaire de ce domaine public. 89 00:06:08,090 --> 00:06:11,640 Donc, le contrat de sous-concession domaniale qu’elle signe avec Monsieur 90 00:06:11,840 --> 00:06:13,830 Schmitt est un contrat de droit privé. 91 00:06:15,510 --> 00:06:19,170 En revanche, voyez par exemple la décision du Conseil d’État en 92 00:06:19,370 --> 00:06:23,490 date du 12 novembre 2015 Société Le Jardin d’acclimatation. 93 00:06:25,030 --> 00:06:28,240 En l’espèce, nous avions la Ville de Paris qui avait autorisé la 94 00:06:28,440 --> 00:06:33,190 société Le Jardin d’acclimatation à occuper ledit jardin et pour le gérer. 95 00:06:33,390 --> 00:06:36,880 Concrètement, cette société, en plus d’être occupante du domaine 96 00:06:37,080 --> 00:06:40,540 public, était un concessionnaire de service public. 97 00:06:40,740 --> 00:06:46,780 Donc, la sous-occupation par laquelle, par exemple, la société concessionnaire 98 00:06:46,980 --> 00:06:50,140 de service public autorise un tiers à occuper le domaine public pour 99 00:06:50,340 --> 00:06:54,880 installer un manège dans ledit jardin, est un contrat administratif. 100 00:06:56,770 --> 00:07:03,250 En 2006, au moment de la codification, le législateur décide de ne rien 101 00:07:03,450 --> 00:07:06,550 décider en laissant l’ambiguïté dans la règle. 102 00:07:06,750 --> 00:07:07,540 En effet, l’article L. 103 00:07:07,740 --> 00:07:13,450 2331-1 premièrement du CG3P dispose que : "Sont portés devant les 104 00:07:13,650 --> 00:07:16,750 juridictions administratives, les litiges relatifs aux autorisations 105 00:07:16,950 --> 00:07:19,330 ou contrats comportant occupation du domaine public, quelles que 106 00:07:19,530 --> 00:07:22,570 soient leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclues par des personnes 107 00:07:22,770 --> 00:07:24,220 publiques ou leurs concessionnaires". 108 00:07:25,090 --> 00:07:28,030 On retrouve donc le mot concessionnaire sans autre précision. 109 00:07:30,220 --> 00:07:33,640 Pour autant, le Conseil d’État, comme la Cour de cassation, 110 00:07:33,840 --> 00:07:39,760 voulait en finir avec cet éclatement en donnant une chance au tribunal 111 00:07:39,960 --> 00:07:44,080 des conflits de revenir sur son interprétation, contra legem issu 112 00:07:44,280 --> 00:07:45,520 de la jurisprudence Steeple-chases. 113 00:07:47,260 --> 00:07:51,700 En ce sens, dans une décision du 11 juillet 2011 Société Coquelicot 114 00:07:51,900 --> 00:07:57,010 Promotion, le Conseil d’État était confronté à une affaire qui a occupé, 115 00:07:58,090 --> 00:08:00,910 durant plusieurs décennies, les deux ordres juridictionnels. 116 00:08:02,050 --> 00:08:06,340 Pour faire simple, en l’espèce, par une convention signée en 1990, 117 00:08:06,540 --> 00:08:12,250 la Ville de Paris avait concédé à une société la gestion du stade 118 00:08:12,450 --> 00:08:13,210 de Parc des Princes. 119 00:08:14,050 --> 00:08:18,490 En 94, cette société décide, par une seconde convention, 120 00:08:18,690 --> 00:08:21,700 de confier l’exclusivité de la vente de produits promotionnels 121 00:08:21,900 --> 00:08:24,670 à l’intérieur et aux abords du stade à une autre société. 122 00:08:25,870 --> 00:08:28,960 Parce que ce dernier contrat emportait occupation du domaine public, 123 00:08:29,160 --> 00:08:30,370 il s’agissait donc d’une sous-concession domaniale. 124 00:08:33,080 --> 00:08:36,980 Le conflit éclate lorsque la Ville de Paris et la société gestionnaire 125 00:08:37,180 --> 00:08:40,370 s’entendent avec le Comité français d’organisation de la Coupe du monde 126 00:08:40,570 --> 00:08:44,270 de football, celle organisée en 98, pour mettre ledit stade à la 127 00:08:44,470 --> 00:08:49,250 disposition de ce dernier comité, et ce comité avait conclu un accord 128 00:08:49,450 --> 00:08:52,970 avec une société internationale pour lui confier l’exclusivité 129 00:08:53,170 --> 00:08:55,670 de la distribution des produits promotionnels, le temps de la 130 00:08:55,870 --> 00:08:58,550 compétition dans et aux abords du Parc des Princes. 131 00:08:58,750 --> 00:09:04,610 Donc, le sous-concessionnaire perd du jour au lendemain toute activité 132 00:09:04,810 --> 00:09:06,920 et la société fait d’ailleurs rapidement faillite. 133 00:09:07,910 --> 00:09:11,420 Le sous-concessionnaire essaye notamment d’obtenir réparation 134 00:09:11,620 --> 00:09:14,270 pour l’ensemble des préjudices qu’il estime avoir injustement subis. 135 00:09:14,470 --> 00:09:19,160 C’est dans ce cadre que le Conseil d’État va renvoyer, je cite : 136 00:09:19,360 --> 00:09:22,430 "La question de savoir quel est l’ordre de juridiction compétent 137 00:09:22,700 --> 00:09:26,090 pour statuer sur les conclusions du sous-concessionnaire, alors 138 00:09:26,290 --> 00:09:30,470 que pour le Conseil d’État, l’espèce reposait sur une convention 139 00:09:30,670 --> 00:09:33,800 domaniale initiale dépourvue de délégation de service public, 140 00:09:34,370 --> 00:09:37,970 donc d’une sous-concession domaniale passée par un concessionnaire qui 141 00:09:38,170 --> 00:09:40,190 n’était pas concessionnaire de service public". 142 00:09:40,610 --> 00:09:43,910 Si on devait appliquer la jurisprudence Steeple-chases, il n’y avait pas 143 00:09:44,110 --> 00:09:47,780 de doute et la compétence devait être celle du juge judiciaire. 144 00:09:48,530 --> 00:09:51,230 Mais le Conseil d’État, en renvoyant la question au Tribunal 145 00:09:51,430 --> 00:09:55,670 des conflits, a voulu donner une chance à ce dernier pour faire 146 00:09:55,870 --> 00:10:00,500 évoluer sa jurisprudence en faveur d’une unité contentieuse pour le 147 00:10:00,700 --> 00:10:01,970 juge administratif. 148 00:10:02,170 --> 00:10:09,160 Néanmoins, par sa décision Madame Gilles, rendue le 14 mai 2012, 149 00:10:10,060 --> 00:10:15,310 le Tribunal des conflits réitère sa position adoptée en 1956. 150 00:10:15,670 --> 00:10:18,580 En effet, il nous dit dans cette décision : "Considérant que la 151 00:10:18,780 --> 00:10:21,910 société primo-occupante n’était pas délégataire d’un service public, 152 00:10:22,930 --> 00:10:25,750 que dans ces conditions, le litige né de la résiliation 153 00:10:25,950 --> 00:10:29,170 du contrat de droit privé passé entre elle et la société Coquelicot 154 00:10:29,370 --> 00:10:33,670 Promotion - la sous-occupante - toutes deux, personnes de droit privé, 155 00:10:33,870 --> 00:10:36,610 même si cette convention comportait occupation du domaine public, 156 00:10:37,060 --> 00:10:39,700 relève de la compétence du juge judiciaire". 157 00:10:39,900 --> 00:10:45,250 Alors, qu’est-ce qui justifie ce 158 00:10:45,450 --> 00:10:46,210 maintien ? 159 00:10:47,200 --> 00:10:49,990 Aucune réponse dans la décision même. 160 00:10:51,370 --> 00:10:54,910 Allons donc voir les conclusions du rapporteur public Laurent Olléon 161 00:10:55,930 --> 00:10:59,530 qui défendait justement le maintien de cette jurisprudence, 162 00:10:59,730 --> 00:11:03,220 donc de cette interprétation, et il a été suivi par le Tribunal 163 00:11:03,420 --> 00:11:04,180 des conflits. 164 00:11:04,380 --> 00:11:12,460 D’abord, le rapporteur public semble attaché à l’importance de l’ancienneté 165 00:11:12,660 --> 00:11:16,300 de cette jurisprudence plus que cinquantenaire, démontrant une 166 00:11:16,500 --> 00:11:18,040 légitimité au moins historique. 167 00:11:19,040 --> 00:11:22,850 Vous admettrez avec moi qu’il ne s’agit ici aucunement d’un argument 168 00:11:23,480 --> 00:11:24,240 juridique. 169 00:11:24,440 --> 00:11:29,990 Ensuite, il explique que rien ne justifie la compétence exclusive 170 00:11:30,190 --> 00:11:34,250 du juge administratif en la matière, alors qu’il peut s’agir de litiges 171 00:11:34,450 --> 00:11:37,280 purement commerciaux entre deux personnes privées, pas même le 172 00:11:37,480 --> 00:11:40,700 fait que le contrat porte occupation du domaine public. 173 00:11:40,900 --> 00:11:46,160 Or, justement si, la disposition légale qui va dans ce sens justifie 174 00:11:46,370 --> 00:11:48,230 la compétence administrative. 175 00:11:48,430 --> 00:11:53,860 Enfin, il poursuit en précisant qu’il convient de maintenir la 176 00:11:54,060 --> 00:11:57,850 jurisprudence de 1956, je cite, en jugeant que : 177 00:11:58,600 --> 00:12:03,130 "Quand bien même il y a une occupation du domaine public, le litige relatif 178 00:12:03,330 --> 00:12:08,200 au contrat liant l’occupant et le sous-occupant personnes privées, 179 00:12:09,130 --> 00:12:13,990 ressortit à la compétence des tribunaux judiciaires, sauf si le sous-occupant 180 00:12:14,190 --> 00:12:19,390 est, de par ce contrat, concessionnaire de service public, 181 00:12:20,230 --> 00:12:24,790 donc en réalité sous-concessionnaire de service public", nous dit le 182 00:12:24,990 --> 00:12:25,750 rapporteur public. 183 00:12:27,370 --> 00:12:31,720 Cette démonstration est pour le moins contestable, pour ne pas 184 00:12:31,920 --> 00:12:32,860 dire fausse. 185 00:12:34,210 --> 00:12:38,680 En effet, la jurisprudence de 1956 ne signifie aucunement que la 186 00:12:38,880 --> 00:12:42,730 compétence administrative dépend de la qualité de concessionnaire 187 00:12:42,930 --> 00:12:44,300 de service public du sous-occupant. 188 00:12:45,550 --> 00:12:49,090 Rappelons que ladite jurisprudence ne s’intéresse qu’à la qualité 189 00:12:49,420 --> 00:12:53,440 du contractant intermédiaire et à l’objet du premier contrat pour 190 00:12:53,640 --> 00:12:56,680 déterminer la nature du second. 191 00:12:58,630 --> 00:13:02,470 Force est d’admettre qu’il n’y a aucune justification juridique 192 00:13:02,740 --> 00:13:04,420 à cette jurisprudence. 193 00:13:05,830 --> 00:13:10,120 Le professeur Benoît Plessix ira jusqu’à dire que la solution de 194 00:13:10,320 --> 00:13:15,190 1956 du Tribunal des conflits, je cite : "Repose sur le néant 195 00:13:15,390 --> 00:13:16,150 juridique". 196 00:13:16,420 --> 00:13:18,190 Pure solution d’opportunité. 197 00:13:18,550 --> 00:13:23,380 Elle ne fait appel à aucune doctrine, ni à aucune argumentation juridique 198 00:13:23,580 --> 00:13:24,850 mûrement réfléchie. 199 00:13:25,120 --> 00:13:28,690 Il s’agit même d’un tour de passe-passe juridique qui nous rappelle que 200 00:13:28,890 --> 00:13:30,820 le juriste est, à ses heures, magicien. 201 00:13:32,720 --> 00:13:38,240 Et en effet, en 1956, le Tribunal des conflits a décidé 202 00:13:38,440 --> 00:13:42,710 de cette interprétation contestable, car en réalité, il ne voulait pas 203 00:13:42,910 --> 00:13:46,120 trancher sur les critères de la domanialité publique. 204 00:13:46,580 --> 00:13:47,630 Je l’explique rapidement. 205 00:13:48,380 --> 00:13:50,990 En l’espèce, dans la décision Steeple-chases en 56, 206 00:13:51,440 --> 00:13:54,800 la Ville de Paris avait confié l’hippodrome d’Auteuil dans le 207 00:13:55,000 --> 00:13:56,930 bois de Boulogne à la Société Steeple-chases. 208 00:13:57,860 --> 00:14:01,670 Cette société avait autorisé son président, puis sa fille à sous-occuper 209 00:14:02,120 --> 00:14:03,830 une partie de la dépendance domaniale. 210 00:14:04,030 --> 00:14:08,420 Or, un conflit avait éclaté entre cette fille et la société ayant 211 00:14:08,620 --> 00:14:09,980 entraîné la résiliation de la sous-occupation. 212 00:14:12,590 --> 00:14:13,550 Mais à quel juge s’adresser ? 213 00:14:13,750 --> 00:14:16,250 Au juge administratif ou au juge judiciaire ? 214 00:14:16,450 --> 00:14:21,050 C’était à cette question que devait répondre le Tribunal des conflits. 215 00:14:21,250 --> 00:14:27,400 Donc, la question était la suivante : est-ce que le décret-loi de 1938 216 00:14:27,600 --> 00:14:28,780 devait s’appliquer ? 217 00:14:29,470 --> 00:14:33,490 Finalement, cette question revenait à décider pour déterminer 218 00:14:33,690 --> 00:14:37,660 l’applicabilité du décret-loi, si le bois de Boulogne appartenait 219 00:14:37,860 --> 00:14:38,680 au domaine public ou pas. 220 00:14:40,490 --> 00:14:43,700 Le commissaire du gouvernement développe alors à l’époque une 221 00:14:43,900 --> 00:14:48,980 vision moderne des critères en proposant de retenir une affectation 222 00:14:49,180 --> 00:14:51,890 à un service public, ceux-là mêmes qui seront consacrés 223 00:14:52,090 --> 00:14:56,990 par la société Le Béton, en date du 19 octobre 1956, 224 00:14:57,290 --> 00:15:00,410 quelques mois plus tard, donc, pour déterminer si le bois 225 00:15:00,610 --> 00:15:02,990 de Boulogne appartenait bien au domaine public. 226 00:15:04,490 --> 00:15:08,870 Mais il conclut sa démonstration en affirmant, en quelques phrases, 227 00:15:09,740 --> 00:15:16,340 que si les juges avaient peur de s’aventurer sur ce terrain difficile 228 00:15:16,540 --> 00:15:20,450 des critères de la domanialité publique, il existait une porte 229 00:15:20,650 --> 00:15:25,460 de sortie qui permettrait peut-être de ne pas avoir à affronter cette 230 00:15:25,660 --> 00:15:26,420 question. 231 00:15:26,900 --> 00:15:30,320 Cette porte de sortie, c’est exploiter le mot concessionnaire, 232 00:15:30,950 --> 00:15:33,710 en affirmant que seuls les concessionnaires de service public 233 00:15:33,910 --> 00:15:36,860 étaient concernés par le décret-loi, et comme en l’espèce, 234 00:15:37,060 --> 00:15:40,310 la société Steeple-Chases n’était pas concessionnaire de service public, 235 00:15:40,510 --> 00:15:43,970 mais était un simple occupant, alors le décret-loi ne s’appliquait 236 00:15:44,170 --> 00:15:44,930 pas. 237 00:15:45,130 --> 00:15:48,110 Il n’y avait pas à déterminer s’il s’agissait d’un bien du domaine public. 238 00:15:48,310 --> 00:15:52,310 Donc, aujourd’hui encore, une sous-concession domaniale conclue 239 00:15:52,510 --> 00:15:55,250 par un premier occupant, qui n’est pas en outre chargé de 240 00:15:55,450 --> 00:15:59,330 la gestion d’un service public, relève de la compétence judiciaire. 241 00:16:01,160 --> 00:16:03,170 Deux remarques pour finir. 242 00:16:03,370 --> 00:16:08,570 D’abord, vous pouvez ici mesurer toute la relativité de certaines 243 00:16:09,140 --> 00:16:12,650 décisions, combien elles sont imprégnées par des considérations 244 00:16:12,850 --> 00:16:14,270 matérielles propres à l’espèce. 245 00:16:14,470 --> 00:16:18,560 Pourtant, la règle dégagée pourra faire jurisprudence et s’appliquer 246 00:16:18,760 --> 00:16:21,140 durant des décennies, alors même qu’elle n’est pas justifiée, 247 00:16:21,340 --> 00:16:22,310 voire contra legem. 248 00:16:22,510 --> 00:16:28,520 Ensuite, notez que cela est moins dangereux qu’avant, tout de même, 249 00:16:28,720 --> 00:16:32,750 car désormais, le juge judiciaire applique strictement le régime 250 00:16:32,950 --> 00:16:34,220 de la domanialité publique. 251 00:16:34,580 --> 00:16:38,540 Autrement dit, cette compétence résiduelle du juge judiciaire, 252 00:16:38,810 --> 00:16:42,770 même si elle brouille la répartition contentieuse, ne constitue plus 253 00:16:43,220 --> 00:16:47,870 une menace sur la protection même du domaine public.