1 00:00:05,910 --> 00:00:09,000 b : les conséquences de la règle. 2 00:00:11,010 --> 00:00:15,450 La règle de l'inaliénabilité entraîne trois conséquences majeures : 3 00:00:16,890 --> 00:00:21,510 toute aliénation est nulle, l'expropriation est interdite, 4 00:00:22,620 --> 00:00:25,110 il est impossible de constituer des droits réels. 5 00:00:25,310 --> 00:00:31,160 ɑ : l'impossibilité de céder et 6 00:00:31,360 --> 00:00:32,850 la question du juge compétent. 7 00:00:33,240 --> 00:00:40,740 L'inaliénabilité des biens du domaine 8 00:00:40,940 --> 00:00:45,060 public se traduit par le fait qu'un acte portant cession d'une dépendance 9 00:00:45,260 --> 00:00:49,860 du domaine public est nul, en dehors des exceptions législatives 10 00:00:50,060 --> 00:00:53,100 vues précédemment, comme le cas des classements anticipés. 11 00:00:55,640 --> 00:00:59,780 Qui est compétent pour déclarer la nullité de telles aliénations ? 12 00:01:01,430 --> 00:01:05,750 En principe, face à un contrat de cession, c'est le juge judiciaire 13 00:01:06,230 --> 00:01:06,990 qui est compétent. 14 00:01:07,190 --> 00:01:11,900 En effet, la simple présence fautive dans l'objet contractuel d'une 15 00:01:12,100 --> 00:01:15,320 dépendance du domaine public n'a pas pour effet, si je puis dire, 16 00:01:15,520 --> 00:01:18,200 d'administratiser le contrat de cession. 17 00:01:19,550 --> 00:01:23,090 C'est ce qu'a rappelé clairement le Conseil d'État dans une décision 18 00:01:23,290 --> 00:01:28,100 du 29 avril 2013, Syndicat d'agglomération nouvelle Val d'Europe 19 00:01:28,300 --> 00:01:29,180 et commune de Chessy. 20 00:01:29,720 --> 00:01:30,670 Le juge affirme ceci. 21 00:01:30,870 --> 00:01:31,840 C'est un peu long, je vous le lis. 22 00:01:32,750 --> 00:01:36,740 "Considérant que les contestations portant sur le contrat de vente 23 00:01:36,940 --> 00:01:41,030 d'un bien appartenant au domaine privé d'une personne publique doivent, 24 00:01:41,450 --> 00:01:45,680 sauf disposition législative contraire et dès lors que ce contrat ne comporte 25 00:01:45,880 --> 00:01:49,400 pas de clauses exorbitantes du droit commun, être portées devant 26 00:01:49,600 --> 00:01:51,560 le juge judiciaire." Jusque-là, c'est classique. 27 00:01:52,550 --> 00:01:56,360 "Que, d'une part, s'il est soutenu que ce contrat est entaché de nullité 28 00:01:56,690 --> 00:02:01,010 au motif que ce bien appartenait au domaine public de cette personne 29 00:02:01,210 --> 00:02:01,970 publique. 30 00:02:02,210 --> 00:02:07,550 Cette allégation, dans le cas où elle présenterait un caractère sérieux, 31 00:02:08,180 --> 00:02:12,050 justifierait le renvoi par le juge judiciaire de cette question au 32 00:02:12,250 --> 00:02:17,510 juge administratif, seul compétent pour y répondre, mais ne saurait 33 00:02:17,710 --> 00:02:21,710 avoir pour effet de donner compétence à la juridiction administrative 34 00:02:22,010 --> 00:02:28,670 pour statuer sur la validité de ce contrat." Autrement dit, 35 00:02:29,180 --> 00:02:33,860 si le juge administratif est compétent pour déterminer l'appartenance 36 00:02:34,060 --> 00:02:38,450 d'un bien au domaine public ou au domaine privé, et s'il peut 37 00:02:38,650 --> 00:02:41,390 être saisi directement par le juge judiciaire pour cela, 38 00:02:41,990 --> 00:02:46,160 il n'en demeure pas moins incompétent pour se prononcer sur la nullité 39 00:02:46,360 --> 00:02:47,120 même de la cession. 40 00:02:47,750 --> 00:02:51,050 Et ce, même s'il conclut que le bien appartient au domaine public. 41 00:02:51,250 --> 00:02:53,660 C'est au juge judiciaire de le faire. 42 00:02:54,860 --> 00:02:57,980 Ce dernier peut donc être saisi par une partie au contrat, 43 00:02:58,280 --> 00:03:02,210 et le juge judiciaire n'hésitera pas à prononcer la nullité des 44 00:03:02,410 --> 00:03:05,690 contrats de vente et d'échange amiables dès lors qu'un bien du 45 00:03:05,890 --> 00:03:09,260 domaine public sera en réalité concerné par l'échange ou la cession. 46 00:03:11,630 --> 00:03:17,180 Notez simplement que le juge judiciaire n'admet pas que les tiers puissent 47 00:03:17,380 --> 00:03:18,410 agir sur ce terrain. 48 00:03:19,130 --> 00:03:22,910 Ce qui pourrait s'avérer dommageable dès lors qu'au regard de l'affectation 49 00:03:23,110 --> 00:03:26,960 du bien en cause, de nombreux tiers peuvent être intéressés à dénoncer 50 00:03:27,160 --> 00:03:28,100 la nullité d'une cession. 51 00:03:28,300 --> 00:03:33,050 Néanmoins, la première chambre civile de la Cour de cassation, 52 00:03:33,250 --> 00:03:38,540 dans une décision du 3 mai 1988, Consorts Renault contre EDF, 53 00:03:39,260 --> 00:03:43,160 a décidé ceci : "Qu'une telle action, lorsqu'elle est engagée par un tiers, 54 00:03:43,640 --> 00:03:46,550 n'a pas pour effet d'entraîner la nullité de la cession entre 55 00:03:46,750 --> 00:03:49,730 les parties à l'acte, mais de la rendre inopposable aux 56 00:03:49,930 --> 00:03:54,050 tiers intéressés, vis-à-vis duquel le titulaire du droit de propriété 57 00:03:54,250 --> 00:03:58,700 ne pourra exercer les prérogatives de son droit." Cette solution est 58 00:03:58,900 --> 00:04:04,220 complexe, fondée sur le principe de la relativité des conventions. 59 00:04:05,000 --> 00:04:09,890 Et cette solution n'empêche pas concrètement les tiers d'utiliser 60 00:04:10,090 --> 00:04:13,910 le bien conformément à son affectation, dès lors que la cession leur est 61 00:04:14,110 --> 00:04:17,750 inopposable, et même s'ils ne peuvent pas, en revanche, dénoncer la nullité 62 00:04:18,080 --> 00:04:18,860 de l'opération. 63 00:04:21,900 --> 00:04:27,690 Notez qu'il y a trois exceptions à la compétence du juge judiciaire 64 00:04:27,930 --> 00:04:29,520 en faveur du juge administratif. 65 00:04:29,720 --> 00:04:35,550 Premièrement, pour des raisons 66 00:04:35,750 --> 00:04:40,170 historiques tenant au caractère politique des ventes des biens 67 00:04:40,370 --> 00:04:44,760 nationaux pendant la révolution, le juge administratif est compétent 68 00:04:45,120 --> 00:04:50,370 pour les litiges relatifs aux cessions du domaine public immobilier de l'État. 69 00:04:51,840 --> 00:04:53,090 En effet, l'article L. 70 00:04:53,290 --> 00:04:58,800 3231-1 du CG3P dispose que, je cite, "sont portés devant la 71 00:04:59,000 --> 00:05:02,400 juridiction administrative les litiges relatifs aux cessions des 72 00:05:02,600 --> 00:05:08,720 biens immobiliers de l'État." En revanche, si le contrat de cession 73 00:05:08,920 --> 00:05:12,710 porte sur un bien meuble de l'État ou sur n'importe quel biens d'une 74 00:05:12,910 --> 00:05:15,890 autre personne publique, alors la compétence de principe, 75 00:05:16,160 --> 00:05:18,050 c'est celle du juge judiciaire. 76 00:05:19,760 --> 00:05:24,740 Deuxième exception : si le contrat de cession est 77 00:05:24,940 --> 00:05:28,550 administratif, soit au regard d'une qualification légale, 78 00:05:28,880 --> 00:05:32,300 soit parce que le contrat, en plus d'être conclu par une personne 79 00:05:32,500 --> 00:05:35,480 publique, comporte des clauses exorbitantes du droit commun, 80 00:05:35,780 --> 00:05:37,670 ou confie l'exécution d'un service public. 81 00:05:39,560 --> 00:05:44,750 Par exemple, pensez à une commune qui décide de conclure un contrat 82 00:05:45,050 --> 00:05:47,960 par lequel elle délègue, à une personne privée, 83 00:05:48,290 --> 00:05:52,640 l'exploitation de son domaine skiable, comprenant notamment la charge 84 00:05:52,840 --> 00:05:57,230 d'assurer le service public des remontées mécaniques et d'entretenir 85 00:05:57,440 --> 00:05:58,850 le bon état du fonctionnement. 86 00:06:01,070 --> 00:06:05,210 Nous sommes indiscutablement en présence d'un contrat administratif. 87 00:06:06,620 --> 00:06:10,520 Mais imaginez que ledit contrat prévoit également qu'à l'issue 88 00:06:10,720 --> 00:06:14,300 d'une durée de 15 ans, la société privée gestionnaire 89 00:06:14,500 --> 00:06:20,270 puisse devenir propriétaire des remontées mécaniques appartenant 90 00:06:20,470 --> 00:06:24,500 à la personne publique délégante et affectées au service public délégué. 91 00:06:26,030 --> 00:06:30,980 Dans ce cas, le juge administratif est compétent et a d'ailleurs décidé, 92 00:06:31,180 --> 00:06:33,740 dans une telle espèce, je cite, "qu'en faisant ainsi 93 00:06:33,940 --> 00:06:37,220 application des stipulations d'un contrat qui, telles qu'elles les 94 00:06:37,420 --> 00:06:40,940 a souverainement interprétées, prévoyaient le transfert à une 95 00:06:41,140 --> 00:06:44,840 personne privée, sans désaffectation ni déclassement préalables, 96 00:06:45,040 --> 00:06:48,530 de la propriété de dépendances du domaine public, sans relever 97 00:06:48,730 --> 00:06:51,500 d'office, eu égard au principe d'inaliénabilité de ce domaine, 98 00:06:51,700 --> 00:06:55,010 le caractère illicite de leur contenu et en écarter l'application, 99 00:06:56,030 --> 00:06:58,730 la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur 100 00:06:58,930 --> 00:07:03,410 de droit." Vous voyez en ce sens, la décision du Conseil d'État du 101 00:07:03,610 --> 00:07:07,520 4 mai 2011, Communautés de communes du Queyras. 102 00:07:09,350 --> 00:07:13,670 On en déduit que pour le juge administratif, il s'agit donc là 103 00:07:13,870 --> 00:07:18,320 d'un moyen d'ordre public qui doit être soulevé d'office si nécessaire. 104 00:07:19,520 --> 00:07:23,360 En outre, n'oubliez pas que lorsque le contrat est administratif et 105 00:07:23,560 --> 00:07:28,060 s'il a été conclu après la décision du Conseil d'État du 4 avril 2014, 106 00:07:28,260 --> 00:07:31,670 département de Tarn-et-Garonne, alors vous le savez, 107 00:07:31,870 --> 00:07:36,710 tout tiers à un contrat administratif est susceptible d'être lésé dans 108 00:07:36,910 --> 00:07:39,110 ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, 109 00:07:39,310 --> 00:07:43,910 pourra agir directement devant le juge administratif du contrat 110 00:07:44,180 --> 00:07:45,800 et demander son annulation. 111 00:07:46,250 --> 00:07:49,130 À la différence, nous l'avons vu, du juge judiciaire. 112 00:07:51,770 --> 00:07:55,100 Mais souvenez-vous également du fait que cette jurisprudence ne 113 00:07:55,300 --> 00:07:57,230 concerne que les contrats administratifs. 114 00:07:57,430 --> 00:08:02,290 Ainsi, si elle ferme la porte, ouverte par la jurisprudence Martin 115 00:08:02,490 --> 00:08:06,740 de 1905, et la possibilité d'attaquer les actes détachables du contrat, 116 00:08:07,400 --> 00:08:09,410 ce n'est que pour les contrats administratifs. 117 00:08:10,250 --> 00:08:15,920 Un tiers peut donc toujours aujourd'hui attaquer les actes détachables 118 00:08:16,120 --> 00:08:20,030 d'un contrat de droit privé, comme par exemple la délibération 119 00:08:20,230 --> 00:08:22,970 autorisant le maire à signer un contrat de vente classique. 120 00:08:24,890 --> 00:08:28,550 Mais vous le savez, dans ce cas, l'annulation de l'acte détachable 121 00:08:28,750 --> 00:08:31,190 n'a pas pour effet d'annuler le contrat lui-même. 122 00:08:32,330 --> 00:08:36,380 Le tiers doit alors saisir le juge administratif de l'exécution qui peut, 123 00:08:36,680 --> 00:08:39,230 nous dit le Conseil d'État, souvenez-vous, dans sa décision 124 00:08:39,470 --> 00:08:43,760 Ophrys du 21 février 2011, je cite : "Le juge peut, 125 00:08:43,960 --> 00:08:47,840 après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise, 126 00:08:48,040 --> 00:08:52,010 soit décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, 127 00:08:52,500 --> 00:08:56,480 éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises 128 00:08:56,680 --> 00:09:01,730 par la personne publique ou convenues entre les parties, soit après avoir 129 00:09:01,930 --> 00:09:05,630 vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt 130 00:09:05,830 --> 00:09:10,970 général, enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, 131 00:09:11,420 --> 00:09:17,360 le cas échéant avec effet différé, soit eu égard à une illégalité 132 00:09:17,560 --> 00:09:21,950 d'une particulière gravité, d'inviter les parties à résoudre 133 00:09:22,150 --> 00:09:25,850 leur relation contractuelle ou, à défaut d'entente sur cette 134 00:09:26,050 --> 00:09:29,930 résolution, à saisir le juge du contrat afin qu'il en règle les 135 00:09:30,130 --> 00:09:34,010 modalités s'il estime que la résolution peut être une solution appropriée." Or, 136 00:09:37,190 --> 00:09:42,380 a priori, la violation du principe d'inaliénabilité ne peut pas donner 137 00:09:42,580 --> 00:09:44,180 lieu à une régularisation. 138 00:09:44,380 --> 00:09:45,980 C'est une illégalité ici trop grave. 139 00:09:46,310 --> 00:09:50,810 Et le juge administratif de l'exécution demandera assurément aux parties 140 00:09:51,010 --> 00:09:54,320 de résoudre le contrat ou bien de saisir le juge du contrat qui est, 141 00:09:54,560 --> 00:09:56,990 en l'espèce, vous l'avez compris, le juge judiciaire. 142 00:09:59,170 --> 00:10:02,820 Troisième exception à la compétence du juge judiciaire : 143 00:10:03,130 --> 00:10:06,490 si l'acte de cession n'est pas un contrat, mais un acte unilatéral, 144 00:10:07,450 --> 00:10:11,380 alors les tiers pourront en demander l'annulation au juge administratif 145 00:10:11,680 --> 00:10:14,290 à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir. 146 00:10:14,490 --> 00:10:21,840 β : l'impossibilité d'exproprier 147 00:10:22,110 --> 00:10:26,460 et son atténuation par la théorie des mutations domaniales. 148 00:10:29,010 --> 00:10:33,420 La règle de l'inaliénabilité des biens du domaine public empêche 149 00:10:33,620 --> 00:10:38,550 l'État d'exproprier une dépendance du domaine public d'une autre personne 150 00:10:38,750 --> 00:10:41,760 publique, sans que cette dépendance ait été désaffectée et déclassée. 151 00:10:41,960 --> 00:10:42,720 Normal. 152 00:10:44,550 --> 00:10:49,530 Il existe cependant un palliatif, à savoir la théorie des mutations 153 00:10:49,770 --> 00:10:50,530 domaniales. 154 00:10:51,690 --> 00:10:54,750 Cette théorie est aujourd'hui codifiée à l'article L. 155 00:10:54,950 --> 00:11:01,470 2123-4 du CG3P, qui dispose que, je cite, "lorsqu'un motif d'intérêt 156 00:11:01,670 --> 00:11:06,180 général justifie de modifier l'affectation de dépendances au 157 00:11:06,380 --> 00:11:09,450 domaine public appartenant à une collectivité territoriale, 158 00:11:09,650 --> 00:11:12,690 un groupement de collectivités territoriales ou un établissement 159 00:11:12,890 --> 00:11:17,790 public, l'État peut, pour la durée correspondant à la 160 00:11:17,990 --> 00:11:22,530 nouvelle affectation, procéder à cette modification en 161 00:11:22,730 --> 00:11:28,830 l'absence d'accord de cette personne publique." Concrètement donc, 162 00:11:29,030 --> 00:11:35,970 l'État dispose du pouvoir de modifier unilatéralement, pour motif d'intérêt 163 00:11:36,170 --> 00:11:39,150 général, l'affectation d'une dépendance du domaine public. 164 00:11:40,440 --> 00:11:44,820 Et si le CG3P a consacré cette vieille théorie, d'abord dégagée 165 00:11:45,020 --> 00:11:49,350 par la Cour de cassation dans une décision du 20 décembre 1897, 166 00:11:49,550 --> 00:11:54,770 puis par le Conseil d'État le 16 juillet 1909, Ville de Paris contre 167 00:11:54,970 --> 00:11:59,430 Chemins de fer d'Orléans, c'est précisément parce que le 168 00:11:59,630 --> 00:12:04,500 principe d'inaliénabilité empêche l'État d'user de son droit d'exproprier 169 00:12:04,700 --> 00:12:05,820 des biens du domaine public. 170 00:12:06,990 --> 00:12:12,270 Cette théorie repose sur l'idée que l'État est compétent pour décider 171 00:12:12,470 --> 00:12:17,310 de l'affectation à l'utilité publique de tous les biens du domaine public, 172 00:12:17,510 --> 00:12:21,810 même s'il n'en est pas propriétaire, car il en a la charge, 173 00:12:22,010 --> 00:12:26,190 car il aurait effectivement cette charge d'un intérêt public supérieur. 174 00:12:27,900 --> 00:12:31,500 Il va sans dire que cette théorie a fait l'objet de vives critiques, 175 00:12:31,700 --> 00:12:35,640 car elle est peu compatible avec la protection du droit de propriété 176 00:12:35,840 --> 00:12:36,600 des personnes publiques. 177 00:12:37,230 --> 00:12:41,760 En effet, elle revient à les priver des attributs de la propriété, 178 00:12:41,960 --> 00:12:46,920 usus, et équivaut, qui plus est, à une violation du principe de 179 00:12:47,120 --> 00:12:49,200 la libre administration des collectivités territoriales. 180 00:12:49,400 --> 00:12:54,840 Cependant, notez que le CG3P aménage 181 00:12:55,050 --> 00:12:56,730 le régime des mutations domaniales. 182 00:12:56,930 --> 00:13:04,590 D'abord, le changement autoritaire d'affectation est limité dans le 183 00:13:04,790 --> 00:13:07,260 temps à la durée de la nouvelle affectation. 184 00:13:07,650 --> 00:13:12,180 Le propriétaire domanial initial, qui n'est donc pas dépossédé 185 00:13:12,380 --> 00:13:15,990 juridiquement de son bien, en retrouve la pleine possession 186 00:13:16,380 --> 00:13:17,940 à la fin de la nouvelle affectation. 187 00:13:18,140 --> 00:13:25,980 Ensuite, ce changement d'affectation imposé donne lieu à indemnisation, 188 00:13:26,670 --> 00:13:30,150 en raison des dépenses ou de la privation de ressources qui peut 189 00:13:30,540 --> 00:13:33,120 en résulter pour la personne publique propriétaire. 190 00:13:35,130 --> 00:13:38,940 Ceci signifie tout de même qu'il n'y a pas d'indemnisation automatique. 191 00:13:39,750 --> 00:13:44,490 La personne publique propriétaire ne sera indemnisée que si le bien 192 00:13:44,690 --> 00:13:48,090 en cause était finalement générateur de revenus dont elle se retrouve 193 00:13:48,290 --> 00:13:51,630 privée, ou bien que la nouvelle affectation engendre des dépenses 194 00:13:51,830 --> 00:13:52,590 pour elle. 195 00:13:54,570 --> 00:13:58,320 Je ne sais pas si vous mesurez pleinement, au regard du droit 196 00:13:58,520 --> 00:14:03,120 de propriété, toute la violence qu'une telle théorie contient. 197 00:14:04,080 --> 00:14:09,930 Elle démontre la différence de logique entre la propriété privée 198 00:14:10,130 --> 00:14:15,120 centrée sur l'intérêt privé et la propriété publique façonnée 199 00:14:15,320 --> 00:14:18,960 par la théorie de l'État, et l'idée de puissance publique 200 00:14:19,160 --> 00:14:22,800 centrée sur les notions de compétence et d'intérêt général. 201 00:14:23,730 --> 00:14:26,580 Elle démontre, en outre, toute la prééminence de l'État 202 00:14:26,780 --> 00:14:30,600 souverain sur l'ensemble des biens du domaine public et fait écho 203 00:14:30,800 --> 00:14:33,450 aux origines du droit de la domanialité publique. 204 00:14:33,650 --> 00:14:41,850 ɣ : l'impossibilité indirecte de 205 00:14:42,050 --> 00:14:48,600 constituer des droits réels sur le domaine public, le propriétaire 206 00:14:48,800 --> 00:14:53,070 public ne peut pas conférer de droits réels à une personne sur 207 00:14:53,270 --> 00:14:54,030 son domaine public. 208 00:14:55,900 --> 00:14:58,360 Pour rappel, le droit réel est un droit sur une chose. 209 00:14:59,650 --> 00:15:03,160 Parmi les droits réels, on compte la propriété qui est, 210 00:15:03,610 --> 00:15:06,460 si vous voulez, le droit réel le plus complet. 211 00:15:07,930 --> 00:15:13,660 Mais ce droit de propriété peut être démembré pour dégager d'autres 212 00:15:13,860 --> 00:15:18,460 droits réels, à l'image de l'usufruit d'un bien, ou bien encore certains 213 00:15:18,850 --> 00:15:23,110 types de baux comme le bail emphytéotique par lequel le preneur 214 00:15:23,470 --> 00:15:27,670 a un droit réel sur la chose donnée à bail, qu'il va améliorer, 215 00:15:27,870 --> 00:15:32,170 gérer généralement contre un loyer faible, sachant qu'à la fin du bail, 216 00:15:32,650 --> 00:15:36,160 les droits réels démembrés disparaîtront, le propriétaire 217 00:15:36,360 --> 00:15:41,620 redeviendra pleinement propriétaire, et ce, sans indemniser l'amphitéote, 218 00:15:41,820 --> 00:15:43,900 c'est-à-dire le preneur, pour ses améliorations. 219 00:15:45,790 --> 00:15:48,400 Le droit réel se distingue donc du droit personnel qui est, 220 00:15:48,600 --> 00:15:51,610 lui, un rapport entre deux personnes, et non entre une personne et un bien. 221 00:15:52,780 --> 00:15:56,200 Par exemple, le contrat de location va créer des droits personnels 222 00:15:56,400 --> 00:15:57,880 entre le propriétaire et le locataire. 223 00:15:58,510 --> 00:16:01,480 Le premier laissant le second jouir d'un bien contre un loyer. 224 00:16:02,140 --> 00:16:04,870 Mais le locataire n'a pas de droits sur le bien lui-même, 225 00:16:05,230 --> 00:16:08,620 ce qui est différent lorsque, par un contrat, un propriétaire 226 00:16:08,820 --> 00:16:11,410 confie des droits réels sur son bien. 227 00:16:11,610 --> 00:16:18,470 Cependant, vous êtes en droit de vous demander en quoi la règle 228 00:16:18,670 --> 00:16:21,830 de l'inaliénabilité s'oppose-t-elle à de tels démembrements. 229 00:16:22,670 --> 00:16:26,660 En effet, à strictement parler, l'octroi d'un droit réel à un autre 230 00:16:26,860 --> 00:16:32,120 que le propriétaire prive ce dernier d'une partie des utilités de son bien. 231 00:16:32,330 --> 00:16:35,450 Mais il ne transfère aucunement le droit de propriété, 232 00:16:35,650 --> 00:16:39,020 c'est-à-dire qu'il n'emporte aucune aliénation au sens strict. 233 00:16:41,180 --> 00:16:45,170 Mais comme l'a souligné le professeur Chaput, je cite, "permettre que 234 00:16:45,370 --> 00:16:50,090 le domaine public puisse être grevé au profit de tiers, de droits réels 235 00:16:50,290 --> 00:16:53,900 tels que les droits d'usufruit, d'emphytéose ou les servitudes, 236 00:16:55,010 --> 00:16:59,000 serait permettre un démembrement du droit de propriété dont il fait 237 00:16:59,200 --> 00:17:04,160 l'objet, et par suite, une aliénabilité partielle du domaine 238 00:17:04,360 --> 00:17:05,120 public. 239 00:17:05,320 --> 00:17:11,570 Ainsi, cette aliénation partielle est indirectement interdite par 240 00:17:11,770 --> 00:17:13,160 la règle de l'inaliénabilité. 241 00:17:14,480 --> 00:17:18,530 Et cette règle se comprend dès lors qu'effectivement, accorder 242 00:17:18,730 --> 00:17:22,100 un droit réel à quelqu'un d'autre que le propriétaire public peut 243 00:17:22,300 --> 00:17:25,370 constituer un risque pour l'affectation, qui n'est plus entre 244 00:17:25,570 --> 00:17:27,770 les mains seul du propriétaire. 245 00:17:28,910 --> 00:17:33,560 C'est pourquoi le Conseil d'État a consacré cette impossibilité 246 00:17:33,760 --> 00:17:37,660 dans sa fameuse décision du 6 mai 1985, qu'on a déjà croisée, 247 00:17:38,030 --> 00:17:41,060 Association Eurolat contre Crédit Foncier de France. 248 00:17:42,500 --> 00:17:46,430 En l'espèce, par un contrat administratif, une personne publique 249 00:17:46,630 --> 00:17:50,000 avait consenti un bail emphytéotique sur le domaine public en faveur 250 00:17:50,200 --> 00:17:52,760 d'une association privée, afin que cette dernière construise 251 00:17:52,960 --> 00:17:53,870 une maison de retraite. 252 00:17:54,070 --> 00:17:58,370 Concrètement, l'association avait donc un droit réel sur le terrain, 253 00:17:58,580 --> 00:17:59,960 dépendance du domaine public. 254 00:18:00,320 --> 00:18:05,180 Elle pouvait, pour se financer, contracter une hypothèque sur les 255 00:18:05,380 --> 00:18:09,890 constructions et les collectivités publiques, s'engager à ne pas résilier 256 00:18:10,090 --> 00:18:13,100 le contrat avant que l'association n'ait remboursé un prêt, 257 00:18:13,300 --> 00:18:15,020 qu'elle avait contracté grâce à cette hypothèque. 258 00:18:16,100 --> 00:18:20,030 Et dans son arrêt, le Conseil d'État juge que, je cite, "ces clauses 259 00:18:20,600 --> 00:18:24,320 incompatibles avec les principes de la domanialité publique comme 260 00:18:24,520 --> 00:18:27,140 avec les nécessités du fonctionnement d'un service public, 261 00:18:27,380 --> 00:18:33,080 doivent être regardées comme nulles." Et en raison de l'indivisibilité 262 00:18:33,280 --> 00:18:36,050 du contrat, le Conseil d'État le déclare intégralement nul. 263 00:18:38,000 --> 00:18:42,260 Pour le juge administratif, la règle de l'inaliénabilité, 264 00:18:43,670 --> 00:18:48,920 qui est un principe de la domanialité publique, empêche la personne publique 265 00:18:49,120 --> 00:18:53,030 propriétaire d'accorder des droits réels sur le domaine public, 266 00:18:53,230 --> 00:18:57,530 puisque ces droits réels sont le produit du démembrement du droit 267 00:18:57,730 --> 00:19:01,580 de propriété, et traduisent donc une aliénation partielle, 268 00:19:02,090 --> 00:19:06,170 certes pour un temps donné, de la dépendance du domaine public.