1 00:00:05,520 --> 00:00:08,070 Chapitre 1 : le domaine public. 2 00:00:10,980 --> 00:00:15,690 Nous avons vu que le domaine public est constitué d'un ensemble de 3 00:00:15,890 --> 00:00:18,330 biens publics affectés à une utilité publique. 4 00:00:19,260 --> 00:00:24,000 Cette notion d'affectation d'un bien renvoie à la finalité, 5 00:00:24,570 --> 00:00:27,600 au service de laquelle il se trouve placé. 6 00:00:28,470 --> 00:00:31,950 Elle est, si vous voulez, la pierre angulaire du régime de 7 00:00:32,150 --> 00:00:36,150 la domanialité publique en ce qu'elle est à la fois le critère de 8 00:00:36,350 --> 00:00:40,380 l'identification d'un bien public et la justification de exorbitance 9 00:00:40,650 --> 00:00:42,270 du régime qui lui sera appliqué. 10 00:00:43,560 --> 00:00:48,270 C'est en raison de cette affectation particulière que les biens du domaine 11 00:00:48,470 --> 00:00:51,960 public sont soumis à des règles particulières, qui ont pour objet 12 00:00:52,160 --> 00:00:57,210 de protéger ladite affectation et l'intérêt public qui y est rattaché. 13 00:00:58,680 --> 00:01:02,040 Nous allons d'abord étudier la consistance du domaine public, 14 00:01:02,240 --> 00:01:06,300 c'est-à-dire les biens qui en font partie, puis les règles spécifiques 15 00:01:06,780 --> 00:01:07,920 qui lui sont applicables. 16 00:01:09,540 --> 00:01:13,050 Section 1 : la consistance du domaine public. 17 00:01:16,170 --> 00:01:20,130 Pour envisager la consistance du domaine public, il faut voir deux 18 00:01:20,330 --> 00:01:24,300 choses : les biens qui y entrent et ceux qui y sortent. 19 00:01:25,710 --> 00:01:28,830 Nous verrons donc l'entrée, puis la sortie du domaine public. 20 00:01:29,030 --> 00:01:33,740 I : l'entrée d'un bien dans le domaine public. 21 00:01:36,820 --> 00:01:41,530 Pour qu'un bien entre dans le domaine public, il doit satisfaire certaines 22 00:01:41,730 --> 00:01:45,460 conditions matérielles, de fond, que nous allons commencer 23 00:01:45,660 --> 00:01:46,420 par étudier dans un A. 24 00:01:46,620 --> 00:01:51,820 Nous verrons ensuite, dans un B, combien cette incorporation 25 00:01:52,020 --> 00:01:56,800 d'un bien dans le domaine public n'est pas soumise à des conditions 26 00:01:57,000 --> 00:01:57,760 de forme. 27 00:01:58,990 --> 00:02:04,300 A : les conditions de fond de l'entrée d'un bien dans le domaine public. 28 00:02:08,080 --> 00:02:08,890 L'article L. 29 00:02:09,250 --> 00:02:13,600 2111-1 du CG3P propose la règle suivante. 30 00:02:14,890 --> 00:02:17,290 "Sous réserve de dispositions législatives spéciales, 31 00:02:17,890 --> 00:02:20,650 le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article 32 00:02:20,850 --> 00:02:25,750 L.1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés 33 00:02:25,950 --> 00:02:30,370 à l'usage direct du public, soit affectés à un service public, 34 00:02:30,570 --> 00:02:34,210 pourvu qu'en ce cas, ils fassent l'objet d'un aménagement 35 00:02:34,410 --> 00:02:37,900 indispensable à l'exécution des missions de ce service public." 36 00:02:38,100 --> 00:02:44,740 À la lecture de cet article, nous comprenons que la loi détermine 37 00:02:44,940 --> 00:02:48,550 les conditions générales pour qu'un bien intègre le domaine public. 38 00:02:49,540 --> 00:02:54,010 Mais nous comprenons qu'il existe également des dispositions législatives 39 00:02:54,210 --> 00:02:54,970 spéciales. 40 00:02:55,840 --> 00:03:00,070 Autrement dit, il nous faut d'abord étudier les conditions générales qui, 41 00:03:00,270 --> 00:03:04,600 lorsqu'elles sont satisfaites, font basculer le bien dans le régime 42 00:03:04,800 --> 00:03:08,830 de la domanialité publique avant, ensuite, d'étudier les conditions 43 00:03:09,030 --> 00:03:12,820 spéciales qui peuvent également produire le même effet. 44 00:03:13,020 --> 00:03:18,070 1 : les conditions générales de fond. 45 00:03:20,320 --> 00:03:23,710 Nous l'avons vu, l'article L. 46 00:03:23,910 --> 00:03:29,590 2111-1 du CG3P nous donne la définition des conditions générales de fond 47 00:03:29,790 --> 00:03:32,620 qui font qu'un bien appartient au domaine public. 48 00:03:32,820 --> 00:03:39,640 Cependant, si vous allez lire l'article dans le CG3P, vous découvrirez 49 00:03:39,910 --> 00:03:45,670 qu'il est codifié dans une partie intitulée "Domaine public immobilier". 50 00:03:46,600 --> 00:03:50,410 En ce sens, il convient de distinguer ici selon la nature du bien. 51 00:03:51,340 --> 00:03:55,300 En effet, un bien immobilier sera ainsi soumis à cette disposition, 52 00:03:55,500 --> 00:03:59,320 mais le Code prévoit une autre condition générale de fond quant 53 00:03:59,520 --> 00:04:00,490 aux biens mobiliers. 54 00:04:01,270 --> 00:04:04,930 Commençons par étudier les biens immobiliers avant de voir les biens 55 00:04:05,260 --> 00:04:06,020 mobiliers. 56 00:04:06,640 --> 00:04:09,550 a : pour les biens immobiliers. 57 00:04:13,490 --> 00:04:16,670 Il nous faut donc en revenir à l'article L. 58 00:04:16,870 --> 00:04:23,750 2111-1 du CG3P qui, pour rappel, indique qu'en dehors des législations 59 00:04:23,950 --> 00:04:26,900 spéciales, les biens publics immobiliers, qui constituent le 60 00:04:27,100 --> 00:04:32,120 domaine public, sont les biens qui sont soit affectés à l'usage 61 00:04:32,320 --> 00:04:35,810 direct du public, soit affectés à un service public, 62 00:04:36,010 --> 00:04:39,260 pourvu qu'en ce cas, ils fassent l'objet d'un aménagement 63 00:04:39,460 --> 00:04:43,220 indispensable à l'exécution des missions de ce service public. 64 00:04:44,540 --> 00:04:49,970 Si vous décortiquez cette disposition, vous pouvez dégager deux conditions 65 00:04:50,170 --> 00:04:54,890 de fond cumulatives : le bien doit appartenir à une personne 66 00:04:55,090 --> 00:04:59,300 publique, donc il doit s'agir d'un bien public, c'est logique ; 67 00:05:00,590 --> 00:05:05,990 et le bien doit être affecté à l'usage direct du public ou à un 68 00:05:06,190 --> 00:05:06,950 service public. 69 00:05:07,400 --> 00:05:11,390 Ce sont des conditions alternatives qui viennent préciser l'affectation 70 00:05:11,930 --> 00:05:15,890 à l'utilité publique, exigée par le régime de la domanialité 71 00:05:16,090 --> 00:05:16,850 publique. 72 00:05:17,060 --> 00:05:19,490 Étudions ces deux conditions. 73 00:05:19,690 --> 00:05:20,450 ɑ. 74 00:05:23,000 --> 00:05:29,420 le critère organique : une propriété exclusive d'une personne 75 00:05:29,780 --> 00:05:30,540 publique. 76 00:05:33,590 --> 00:05:37,760 Vous le voyez, le titre de ce ɑ comporte une précision nouvelle. 77 00:05:38,630 --> 00:05:42,380 En effet, non seulement le bien doit appartenir à une personne 78 00:05:42,580 --> 00:05:46,880 publique, mais cette propriété doit être exclusive, ce qui peut 79 00:05:47,080 --> 00:05:49,310 poser certains problèmes en matière immobilière. 80 00:05:50,390 --> 00:05:54,200 Voyons donc, dans un premier point, cette exigence d'une propriété 81 00:05:54,400 --> 00:05:58,880 publique, avant d'étudier sa nécessaire exclusivité. 82 00:05:59,720 --> 00:06:03,710 Premier point : l'exigence d'une propriété publique. 83 00:06:06,230 --> 00:06:07,250 L'article L. 84 00:06:07,450 --> 00:06:13,760 2111-1 du CG3P précise bien que seules les personnes publiques 85 00:06:13,960 --> 00:06:17,960 mentionnées à l'article L.1 peuvent être propriétaires d'un bien du 86 00:06:18,160 --> 00:06:18,920 domaine public. 87 00:06:19,190 --> 00:06:21,890 Il s'agit donc de l'État, des collectivités territoriales, 88 00:06:22,090 --> 00:06:24,530 des groupements de collectivités et des établissements publics. 89 00:06:26,210 --> 00:06:30,260 Les autorités publiques indépendantes, qui ne sont certes pas visées par 90 00:06:30,470 --> 00:06:35,210 le premier article du CG3P, sont également concernées puisque 91 00:06:35,410 --> 00:06:40,400 l'article 20 de la loi du 20 janvier 2017, portant statut général des 92 00:06:40,600 --> 00:06:43,310 autorités administratives indépendantes et des autorités publiques 93 00:06:43,510 --> 00:06:47,270 indépendantes, est venu préciser que, je cite : "Les biens immobiliers 94 00:06:47,470 --> 00:06:50,750 appartenant aux autorités publiques indépendantes sont soumis aux 95 00:06:50,950 --> 00:06:53,630 dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques 96 00:06:54,140 --> 00:06:59,090 applicables aux établissements publics de l'État." Pendant longtemps, 97 00:06:59,570 --> 00:07:04,640 il y a eu un débat pour savoir si les EPIC avaient un domaine public. 98 00:07:05,900 --> 00:07:10,550 Deux raisons principales faisaient qu'il y avait une certaine résistance. 99 00:07:10,750 --> 00:07:14,390 D'abord, les établissements publics n'ont pas de territoire. 100 00:07:14,590 --> 00:07:22,040 Or, la domanialité publique a longtemps été associée à la souveraineté 101 00:07:22,240 --> 00:07:25,250 sur un territoire, dont les établissements publics ne sont 102 00:07:25,450 --> 00:07:26,420 pas titulaires. 103 00:07:27,350 --> 00:07:32,990 Nous le savons, la notion de domaine a une forte connotation foncière. 104 00:07:33,190 --> 00:07:36,740 C'est la terre sur laquelle s'exerce la puissance d'un maître. 105 00:07:36,940 --> 00:07:43,460 Ensuite, les EPIC ont une vocation commerciale, à laquelle la lourdeur 106 00:07:43,660 --> 00:07:45,740 de la domanialité publique n'est pas adaptée. 107 00:07:46,370 --> 00:07:48,290 Nous l'avons déjà vu avec la règle de l'insaisissabilité. 108 00:07:50,690 --> 00:07:56,450 Mais dans un arrêt Mansuy du 21 mars 1984, le Conseil d'État admet 109 00:07:56,650 --> 00:08:00,650 sans débat que l'EPIC pour l'aménagement de la Défense était 110 00:08:00,850 --> 00:08:03,380 bel et bien propriétaire de la dalle de la Défense, 111 00:08:03,580 --> 00:08:05,120 qui relève du domaine public. 112 00:08:05,320 --> 00:08:08,750 Aujourd'hui, il n'y a plus de discussion quant à savoir si un 113 00:08:08,950 --> 00:08:12,320 EPIC peut être propriétaire d'un bien du domaine public. 114 00:08:13,910 --> 00:08:20,510 Le deuxième point de ce ɑ : l'exigence d'une propriété exclusive. 115 00:08:22,070 --> 00:08:27,620 Le Conseil d'État, dans sa décision du 11 février 1994, Compagnie 116 00:08:27,820 --> 00:08:31,990 d'assurances la Préservatrice Foncière, affirme ceci. 117 00:08:32,190 --> 00:08:33,170 C'est un peu long, je cite. 118 00:08:34,640 --> 00:08:40,070 "Les règles essentielles du régime de la copropriété sont incompatibles 119 00:08:40,490 --> 00:08:44,390 tant avec le régime de la domanialité publique qu'avec les caractères 120 00:08:44,590 --> 00:08:48,680 des ouvrages publics que, par suite, des locaux acquis par 121 00:08:48,880 --> 00:08:52,000 l'État, fusse pour les besoins d'un service public, 122 00:08:52,200 --> 00:08:56,150 dans un immeuble soumis au régime de la copropriété, n'appartiennent 123 00:08:56,350 --> 00:08:59,330 pas au domaine public, et ne peuvent être regardés comme 124 00:08:59,530 --> 00:09:05,540 constituant un ouvrage public." Cette règle était déjà ancienne, 125 00:09:05,740 --> 00:09:09,980 mais dans cette décision du Conseil d'État, elle est explicite. 126 00:09:10,400 --> 00:09:15,230 La domanialité publique exige une pleine propriété de la personne 127 00:09:15,470 --> 00:09:16,230 publique. 128 00:09:16,430 --> 00:09:20,060 Tout, bien que l'administration ne détient pas exclusivement, 129 00:09:20,270 --> 00:09:23,600 relève de son domaine privé et non pas de son domaine public. 130 00:09:23,800 --> 00:09:28,700 Donc, un bien placé sous le régime de la copropriété, et partagé entre 131 00:09:28,900 --> 00:09:32,060 une personne publique et une personne privée, ne peut pas être un bien 132 00:09:32,260 --> 00:09:34,190 appartenant au domaine public. 133 00:09:35,600 --> 00:09:40,190 Cette règle va plus loin, car même lorsque le régime de la 134 00:09:40,390 --> 00:09:43,340 copropriété s'applique entre deux personnes publiques, 135 00:09:44,180 --> 00:09:46,970 et que donc le bien est partagé entre deux personnes publiques, 136 00:09:47,170 --> 00:09:49,100 le régime de la domanialité publique est exclu. 137 00:09:49,300 --> 00:09:52,040 Alors, pourquoi une telle règle ? 138 00:09:52,240 --> 00:09:53,270 Pourquoi une telle exigence ? 139 00:09:54,770 --> 00:09:59,630 L'idée est que la personne publique doit avoir la parfaite maîtrise 140 00:09:59,990 --> 00:10:03,860 de l'utilisation du bien, et en particulier de son affectation 141 00:10:04,060 --> 00:10:05,060 à l'utilité publique. 142 00:10:05,960 --> 00:10:09,440 En effet, ce principe garantit à la personne publique propriétaire 143 00:10:09,770 --> 00:10:13,850 la capacité de déterminer seule l'utilisation et l'affectation 144 00:10:14,050 --> 00:10:15,140 de ses dépendances domaniales. 145 00:10:15,620 --> 00:10:18,560 Elle ne dépend pas d'un autre propriétaire pour déterminer 146 00:10:18,760 --> 00:10:21,470 l'affectation d'un élément de ce domaine public. 147 00:10:24,080 --> 00:10:27,620 Il existe, il est vrai, une nuance à cette exigence. 148 00:10:28,220 --> 00:10:32,510 En effet, ce principe empêche qu'un bien en copropriété entre dans 149 00:10:32,710 --> 00:10:33,470 le domaine public. 150 00:10:34,700 --> 00:10:39,710 Mais si un bien relève déjà du domaine public, l'établissement 151 00:10:39,910 --> 00:10:44,240 d'une copropriété ne le fait pas sortir du domaine public. 152 00:10:45,200 --> 00:10:48,260 Il faudrait, pour cela, une désaffectation et un déclassement 153 00:10:48,460 --> 00:10:51,990 du bien, condition que nous verrons lorsque nous étudierons justement 154 00:10:52,190 --> 00:10:53,570 la sortie des biens du domaine public. 155 00:10:54,620 --> 00:10:59,390 Cette nuance a été rappelée par la première chambre civile de la 156 00:10:59,590 --> 00:11:04,400 Cour de cassation dans une décision du 25 février 2009, Commune de Sospel. 157 00:11:06,320 --> 00:11:10,640 L'affaire nous conduit à Sospel, une petite commune près de Menton 158 00:11:10,840 --> 00:11:16,580 qui était propriétaire d'un immeuble sur l'une des places du village. 159 00:11:17,960 --> 00:11:24,500 En 1881, la commune décide de vendre l'immeuble tout en gardant la propriété 160 00:11:24,700 --> 00:11:28,580 des portiques sur lesquels l'immeuble est construit, c'est-à-dire des 161 00:11:28,780 --> 00:11:32,660 espèces d'arches en pierre qui dessinent finalement la petite place. 162 00:11:33,230 --> 00:11:36,260 Les portiques demeurent donc une dépendance du domaine public. 163 00:11:37,520 --> 00:11:42,860 En 1988, à la suite d'une assemblée des copropriétaires de l'immeuble, 164 00:11:43,520 --> 00:11:46,460 la commune est qualifiée de copropriétaire dans le procès-verbal, 165 00:11:46,850 --> 00:11:48,110 ce qu'elle ne conteste pas. 166 00:11:48,310 --> 00:11:51,680 Or, sous les portiques, il y a un restaurant. 167 00:11:52,730 --> 00:11:56,330 Et le restaurateur demande et obtient l'autorisation d'occuper le domaine 168 00:11:56,530 --> 00:11:57,290 public. 169 00:11:58,160 --> 00:12:02,030 Une habitante de l'immeuble se plaint des difficultés d'accès 170 00:12:02,230 --> 00:12:06,080 à son logement en raison des tables installées, et conteste l'occupation 171 00:12:06,280 --> 00:12:09,260 du portique devant le juge judiciaire. 172 00:12:10,670 --> 00:12:14,570 La Cour de cassation estime que ces portiques faisaient toujours 173 00:12:14,770 --> 00:12:17,300 partie du domaine public, et ce, puisque, je cite, 174 00:12:17,660 --> 00:12:21,530 "un règlement de copropriété ne peut soustraire au domaine public 175 00:12:21,730 --> 00:12:24,620 d'une commune un ouvrage public préexistant à la copropriété". 176 00:12:25,910 --> 00:12:29,450 Elle en déduit donc, nous y reviendrons, que c'était 177 00:12:29,650 --> 00:12:32,030 le juge judiciaire qui était compétent. 178 00:12:34,720 --> 00:12:38,770 Veuillez noter que cette règle est particulièrement critiquée 179 00:12:38,970 --> 00:12:39,730 par la doctrine. 180 00:12:40,270 --> 00:12:43,690 Il est vrai qu'on ne voit pas très bien pourquoi une dépendance du 181 00:12:43,890 --> 00:12:47,380 domaine public ne pourrait pas être la copropriété de deux personnes 182 00:12:47,580 --> 00:12:48,340 publiques. 183 00:12:48,540 --> 00:12:53,350 On ne voit pas non plus ce qui justifie la règle lorsqu'une dépendance 184 00:12:53,550 --> 00:12:56,920 du domaine public peut se voir, a posteriori, appliquer un régime 185 00:12:57,120 --> 00:12:57,880 de copropriété. 186 00:12:59,440 --> 00:13:02,560 Il est possible, néanmoins, de nuancer cette critique dès lors 187 00:13:02,760 --> 00:13:06,310 qu'il ne faut pas surinterpréter la décision Commune de Sospel. 188 00:13:06,820 --> 00:13:10,810 En effet, il n'est pas certain que le régime de la copropriété 189 00:13:11,010 --> 00:13:13,750 puisse s'appliquer en l'état sur le bien public. 190 00:13:14,050 --> 00:13:18,310 Et il est très probable que, le cas échéant, le juge administratif 191 00:13:18,510 --> 00:13:22,990 fasse échec à certaines règles susceptibles de menacer l'affectation 192 00:13:23,190 --> 00:13:23,950 du bien. 193 00:13:24,150 --> 00:13:24,910 β. 194 00:13:28,740 --> 00:13:35,040 le critère fonctionnel : l'affectation à l'utilité publique. 195 00:13:38,340 --> 00:13:41,610 Ce critère fonctionnel, qui s'ajoute donc au critère organique, 196 00:13:41,810 --> 00:13:46,260 se dédouble en deux critères alternatifs, dès lors que l'affectation 197 00:13:46,530 --> 00:13:50,850 à l'utilité publique du bien immobilier peut résulter, toujours d'après 198 00:13:51,050 --> 00:13:51,810 l'article L. 199 00:13:52,010 --> 00:13:56,880 2111-1 du CG3P, soit de son affectation à l'usage direct du public, 200 00:13:57,120 --> 00:13:59,610 soit de son affectation à un service public. 201 00:14:00,300 --> 00:14:02,790 Voyons ces deux possibilités dans deux points. 202 00:14:03,030 --> 00:14:07,470 Le premier point : l'affectation à l'usage direct du public. 203 00:14:11,180 --> 00:14:15,350 Pour comprendre ce critère, il nous faut aller à Nédouncadou, 204 00:14:16,350 --> 00:14:21,320 petite ville dans le sud de l'Inde, à 150 kilomètres de Pondichéry, 205 00:14:21,530 --> 00:14:25,310 et qui, dans les années 30, faisait partie des Indes françaises. 206 00:14:25,510 --> 00:14:32,780 Là, un certain Marécar se pourvoit en cassation devant le Conseil d'État, 207 00:14:33,440 --> 00:14:38,240 français donc, car il venait d'être condamné par le Conseil du contentieux 208 00:14:38,440 --> 00:14:42,350 administratif des établissements français de l'Inde à remettre en 209 00:14:42,550 --> 00:14:46,580 état une portion de cimetière et à une amende de 100 francs. 210 00:14:47,360 --> 00:14:54,200 Concrètement, le sieur Marécar avait étendu sa rizière d'une telle 211 00:14:54,400 --> 00:14:57,230 manière qu'elle empiétait en partie sur le cimetière de la commune. 212 00:14:57,430 --> 00:15:03,440 Or, dans sa décision du 28 juin 1935, décision dite Marécar, 213 00:15:04,130 --> 00:15:08,000 le Conseil d'État affirme que le cimetière faisait partie du domaine 214 00:15:08,200 --> 00:15:10,880 public de la commune dès lors qu'il était la propriété de celle-ci 215 00:15:11,750 --> 00:15:14,840 et qu'il était, je cite, "affecté à l'usage du public". 216 00:15:15,040 --> 00:15:20,450 Aujourd'hui, le législateur, conformément à ce que faisait la 217 00:15:20,650 --> 00:15:25,130 jurisprudence depuis un certain temps, retient l'expression "d'usage direct 218 00:15:25,850 --> 00:15:29,660 du public", c'est-à-dire que le bien doit pouvoir être utilisé par tous, 219 00:15:29,860 --> 00:15:34,070 collectivement, et ce, sans l'intermédiaire d'une institution 220 00:15:34,270 --> 00:15:35,180 ou d'un service public. 221 00:15:35,380 --> 00:15:42,530 Sièges de la liberté d'aller et de venir de chacun, à l'image des 222 00:15:42,730 --> 00:15:46,280 voies, des places, des jardins publics, sont donc protégés par le régime 223 00:15:46,580 --> 00:15:48,290 de la domanialité publique. 224 00:15:49,790 --> 00:15:54,410 En outre, cette dimension d'usage direct implique qu'il ne doit pas 225 00:15:54,830 --> 00:15:58,280 simplement s'agir d'une ouverture occasionnelle au public. 226 00:15:58,480 --> 00:16:02,930 En ce sens, il faut qu'apparaisse la volonté de l'administration 227 00:16:03,230 --> 00:16:07,280 d'affecter directement le bien à l'usage de tous. 228 00:16:07,480 --> 00:16:11,930 Et derrière cette notion d'affectation, on retrouve cette notion de volonté. 229 00:16:12,950 --> 00:16:16,490 Le Conseil d'État l'a notamment rappelé dans un arrêt Commune de 230 00:16:16,690 --> 00:16:20,930 Neuves-Maisons du 2 novembre 2015, dans lequel il affirme, 231 00:16:21,800 --> 00:16:24,560 je cite, "qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, 232 00:16:24,950 --> 00:16:28,190 en dépit de la circonstance que des piétons aient pu, 233 00:16:28,400 --> 00:16:32,480 de manière occasionnelle, traverser la parcelle pour accéder 234 00:16:32,680 --> 00:16:37,400 aux bâtiments mitoyens, que la commune ait affecté cette 235 00:16:37,600 --> 00:16:40,040 parcelle à l'usage direct du public". 236 00:16:41,390 --> 00:16:46,220 Notez qu'avant l'adoption du CG3P en 2006, le Conseil d'État exigeait, 237 00:16:46,760 --> 00:16:51,530 pour démontrer cette volonté, que le bien ait fait l'objet d'un 238 00:16:51,730 --> 00:16:55,220 aménagement, pour être affecté à l'usage direct du public. 239 00:16:56,330 --> 00:17:03,890 Cela découlait de la décision Gozzoli du 30 mai 1975, dans laquelle le 240 00:17:04,090 --> 00:17:08,240 Conseil d'État a jugé qu'une plage, qui n'appartenait pas directement 241 00:17:08,570 --> 00:17:12,770 du fait d'une qualification légale au domaine public, était affectée 242 00:17:12,970 --> 00:17:16,160 à l'usage direct du public que si elle avait fait l'objet, 243 00:17:16,520 --> 00:17:17,690 je cite, "d'un aménagement spécial". 244 00:17:18,560 --> 00:17:22,550 Ce qui était le cas dès lors que la plage était entretenue par la 245 00:17:22,750 --> 00:17:25,550 commune afin de faciliter l'usage par tous du bien. 246 00:17:27,260 --> 00:17:33,560 Cette exigence permettait de s'assurer de l'intention de la commune d'affecter 247 00:17:33,800 --> 00:17:35,930 réellement le bien à l'usage de tous. 248 00:17:36,130 --> 00:17:39,770 Il fallait une action concrète de l'administration, par des travaux, 249 00:17:39,970 --> 00:17:40,730 des actes d'entretien, etc. 250 00:17:42,860 --> 00:17:47,590 Cette condition n'existe plus, donc, car l'article L2111-1 prévoit 251 00:17:47,840 --> 00:17:52,370 qu'un aménagement n'est nécessaire que pour le cas d'une affectation 252 00:17:52,570 --> 00:17:55,940 du bien au service public, que nous allons voir après. 253 00:17:58,160 --> 00:18:04,820 En revanche, le Code n'ayant pas d'effet rétroactif, lorsque le 254 00:18:05,020 --> 00:18:09,500 juge doit se prononcer sur un bien qui aurait intégré le domaine public 255 00:18:10,010 --> 00:18:13,700 avant son entrée en vigueur, c'est-à-dire avant 2006, 256 00:18:14,540 --> 00:18:19,790 il va vérifier que le bien affecté à l'usage direct du public a fait 257 00:18:19,990 --> 00:18:23,720 l'objet d'un aménagement spécial, comme le confirme par exemple la 258 00:18:23,920 --> 00:18:28,790 décision du Conseil d'État en date du 5 décembre 2016, Commune de 259 00:18:28,990 --> 00:18:29,750 Fresnes-sur-Marne. 260 00:18:31,520 --> 00:18:36,770 En outre, cette disparition ne doit pas être comprise comme une 261 00:18:36,970 --> 00:18:39,500 remise en cause de la notion d'affectation. 262 00:18:39,700 --> 00:18:45,050 Certes, celle-ci peut être, disons-le, plus facilement établie 263 00:18:45,260 --> 00:18:47,960 par le juge en raison de l'absence de conditions formelles de 264 00:18:48,160 --> 00:18:48,920 l'aménagement. 265 00:18:49,340 --> 00:18:54,110 Mais in fine, en cas de litige et si le juge se pose la question, 266 00:18:54,470 --> 00:18:57,950 il devra toujours s'assurer que la commune ou la personne publique 267 00:18:58,150 --> 00:19:04,010 avait véritablement l'intention d'affecter le bien en cause à l'usage 268 00:19:04,210 --> 00:19:04,970 de tous. 269 00:19:05,170 --> 00:19:08,810 Et cela passera souvent par un comportement positif allant dans 270 00:19:09,010 --> 00:19:09,770 ce sens. 271 00:19:10,680 --> 00:19:15,390 En effet, l'affectation à l'usage de tous ne peut pas résulter d'une 272 00:19:15,590 --> 00:19:17,490 inaction de l'administration, c'est-à-dire du fait que 273 00:19:17,690 --> 00:19:21,390 l'administration laisse simplement les administrés circuler sur son 274 00:19:21,590 --> 00:19:23,580 terrain ou dans un bâtiment.