1 00:00:05,490 --> 00:00:09,300 Chapitre 2 : la protection des biens publics. 2 00:00:11,430 --> 00:00:18,210 Les biens publics, parce que publics, sont soumis à un régime protecteur 3 00:00:18,510 --> 00:00:19,270 particulier. 4 00:00:20,130 --> 00:00:23,880 Et c'est ce régime que je vous propose d'étudier dans ce chapitre. 5 00:00:25,740 --> 00:00:31,440 Comprenez ceci : les règles que nous allons étudier ici concernent 6 00:00:31,640 --> 00:00:36,000 l'ensemble des biens publics, indépendamment de leur appartenance 7 00:00:36,200 --> 00:00:38,400 au domaine public ou au domaine privé. 8 00:00:39,300 --> 00:00:43,680 L'ensemble des biens publics sont à la fois protégés par le principe 9 00:00:43,880 --> 00:00:48,900 d'insaisissabilité et par l'interdiction de les céder à vil prix. 10 00:00:49,470 --> 00:00:52,020 Ce sont les deux sections de ce chapitre. 11 00:00:53,160 --> 00:00:57,750 Section 1 : d'insaisissabilité des biens publics. 12 00:00:59,630 --> 00:01:02,450 I : le champ d'application du principe. 13 00:01:02,650 --> 00:01:08,340 A : la définition du principe. 14 00:01:10,890 --> 00:01:15,810 Vous le savez, les personnes privées débitrices peuvent voir leurs biens 15 00:01:16,010 --> 00:01:20,340 saisis sur le fondement d'un titre exécutoire, qui est un acte qui 16 00:01:20,540 --> 00:01:24,690 constate une créance émis par un juge, un notaire, ou encore un huissier, 17 00:01:25,110 --> 00:01:28,800 et qui permet l'exécution forcée de ladite créance. 18 00:01:29,460 --> 00:01:32,130 Ce sont là des voies civiles d'exécution. 19 00:01:32,330 --> 00:01:39,510 Or, le principe d'insaisissabilité fait justement échapper les biens 20 00:01:39,710 --> 00:01:41,700 publics à ces voies d'exécution. 21 00:01:42,540 --> 00:01:46,650 Autrement dit, il est impossible pour le créancier d'une personne 22 00:01:46,850 --> 00:01:51,750 publique de faire prononcer, par un juge, la saisie des biens 23 00:01:51,990 --> 00:01:55,650 de celle-ci afin d'obtenir le recouvrement d'une créance. 24 00:01:57,660 --> 00:02:02,550 Trois grands principes peuvent justifier cette impossibilité. 25 00:02:02,750 --> 00:02:09,090 D'abord, la théorie de la souveraineté de l'État, qui ne saurait permettre 26 00:02:09,290 --> 00:02:13,570 le recours à l'exécution forcée à son encontre puisque, 27 00:02:13,770 --> 00:02:17,070 en tant que souverain, il détient le monopole de la contrainte 28 00:02:17,270 --> 00:02:18,030 légitime. 29 00:02:18,230 --> 00:02:22,470 En ce sens, la force publique ne peut pas être mobilisée contre 30 00:02:22,670 --> 00:02:23,430 la force publique. 31 00:02:23,630 --> 00:02:30,570 Ensuite, la théorie de la continuité de l'État : puisque la règle de 32 00:02:30,770 --> 00:02:34,740 l'insaisissabilité signifie que les personnes publiques ne peuvent 33 00:02:34,940 --> 00:02:39,720 jamais être privées des ressources et des moyens qui sont nécessaires 34 00:02:39,920 --> 00:02:41,700 au bon accomplissement de leur mission. 35 00:02:42,510 --> 00:02:46,110 C'est précisément parce qu'une mission est effectuée dans l'intérêt 36 00:02:46,310 --> 00:02:49,770 de tous qu'elle doit être exercée quoi qu'il arrive. 37 00:02:50,820 --> 00:02:55,590 Nous revenons sur cette idée première, que vous devez toujours avoir à 38 00:02:55,790 --> 00:03:00,360 l'esprit : les biens publics forment le support matériel grâce auquel 39 00:03:00,560 --> 00:03:04,080 les personnes publiques peuvent satisfaire leur mission, 40 00:03:04,590 --> 00:03:05,790 et donc l'intérêt général. 41 00:03:05,990 --> 00:03:12,780 Enfin, la théorie de l'infaillibilité de l'État, qui découle des deux 42 00:03:12,980 --> 00:03:19,680 autres et qui se traduit par le mythe d'une impossible insolvabilité 43 00:03:19,880 --> 00:03:23,400 des personnes publiques, qui s'accompagne de l'idéal selon 44 00:03:23,600 --> 00:03:27,330 lequel les personnes publiques paient toujours ce qu'elles doivent 45 00:03:27,720 --> 00:03:28,590 quand elles le doivent. 46 00:03:30,810 --> 00:03:34,140 Cette impossibilité, pour les créanciers d'une personne 47 00:03:34,340 --> 00:03:38,510 publique, d'utiliser les voies civiles d'exécution, et d'obtenir 48 00:03:38,710 --> 00:03:42,540 donc le remboursement de leur créance par la saisie de biens publics, 49 00:03:42,900 --> 00:03:45,420 se traduit par trois autres interdictions. 50 00:03:45,620 --> 00:03:52,170 D'abord, il est impossible pour les personnes publiques de constituer 51 00:03:52,370 --> 00:03:55,470 des sûretés réelles, c'est-à-dire des nantissements 52 00:03:55,670 --> 00:03:57,300 ou des hypothèques, sur leurs biens. 53 00:03:58,320 --> 00:04:02,760 En effet, ces mécanismes reposent in fine sur la possibilité de saisir 54 00:04:02,960 --> 00:04:04,440 les biens en cas de défaillance. 55 00:04:04,640 --> 00:04:09,780 Ensuite, les personnes publiques ne peuvent pas faire l'objet de 56 00:04:09,980 --> 00:04:13,620 procédures collectives, du style redressement ou liquidation 57 00:04:13,820 --> 00:04:18,030 judiciaire, puisqu'en théorie, elles ne peuvent pas faire faillite 58 00:04:18,230 --> 00:04:21,870 et que, surtout, de telles procédures impliquent des aliénations forcées 59 00:04:22,170 --> 00:04:23,490 ou des mesures conservatoires. 60 00:04:23,690 --> 00:04:29,820 Enfin, les débiteurs des personnes publiques ne peuvent bénéficier 61 00:04:30,020 --> 00:04:34,170 du régime civil de la compensation, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent 62 00:04:34,370 --> 00:04:38,130 pas compenser leurs dettes vis-à-vis des personnes publiques, 63 00:04:38,490 --> 00:04:41,580 par les créances dont elles disposent à leur égard. 64 00:04:43,770 --> 00:04:49,020 Vous le voyez, le champ matériel d'application du principe est large, 65 00:04:49,290 --> 00:04:52,920 en ce qu'il recouvre un ensemble conséquent d'interdictions. 66 00:04:54,630 --> 00:04:58,380 De plus, le champ organique est tout aussi large puisque ce sont 67 00:04:58,580 --> 00:05:02,190 les biens de toutes les personnes publiques, sans exception, 68 00:05:02,400 --> 00:05:05,100 qui sont concernés : l'État, les collectivités 69 00:05:05,300 --> 00:05:09,090 territoriales, les autorités publiques indépendantes, ainsi que tous les 70 00:05:09,290 --> 00:05:11,520 établissements publics, y compris les EPIC. 71 00:05:13,770 --> 00:05:16,820 B : la consécration du principe. 72 00:05:18,960 --> 00:05:23,970 Ce principe a d'abord fait l'objet d'une reconnaissance jurisprudentielle, 73 00:05:24,170 --> 00:05:26,820 avant d'être ensuite consacré par le législateur. 74 00:05:27,020 --> 00:05:31,440 Sachez, d'abord, qu'il est très ancien et que l'on retrouve, 75 00:05:31,650 --> 00:05:35,640 dans des arrêts de la Cour de cassation, dès les années 1880. 76 00:05:36,690 --> 00:05:40,890 Mais c'est surtout un arrêt que vous connaissez tous qui va marquer 77 00:05:41,090 --> 00:05:41,970 cette reconnaissance. 78 00:05:42,240 --> 00:05:46,200 Je veux parler de l'arrêt Association syndicale du canal de Gignac, 79 00:05:46,400 --> 00:05:50,760 du Tribunal des conflits, du 9 décembre 1899. 80 00:05:51,810 --> 00:05:55,650 Vous l'avez déjà croisé l'an dernier à l'occasion de votre cours de 81 00:05:55,850 --> 00:05:57,810 droit administratif général. 82 00:05:58,110 --> 00:06:01,920 Vous devez vous souvenir de l'émoi qu'il avait suscité chez Maurice 83 00:06:02,120 --> 00:06:06,240 Hauriou, qui s'exclamait alors : "On nous change notre État." Les 84 00:06:06,440 --> 00:06:11,350 juges avaient en effet qualifié une association de propriétaires 85 00:06:11,550 --> 00:06:15,880 dotés de prérogatives de puissance publique en établissement public. 86 00:06:16,780 --> 00:06:20,440 Et si l'on retient surtout cet arrêt pour cette qualification, 87 00:06:21,070 --> 00:06:25,990 il convient de ne pas oublier l'enjeu de cette affaire, à savoir la saisine 88 00:06:26,190 --> 00:06:30,190 du juge judiciaire par des créanciers de cette association, 89 00:06:30,610 --> 00:06:33,700 afin que soit ordonnée la saisie de ses biens. 90 00:06:33,900 --> 00:06:38,530 Or, le tribunal, s'il qualifie l'association d'établissement public, 91 00:06:38,920 --> 00:06:43,420 c'est pour en déduire qu'en l'espèce, je cite, "ne peuvent être suivis 92 00:06:43,620 --> 00:06:46,780 les voies d'exécution instituées par le Code de procédure civile 93 00:06:47,200 --> 00:06:49,840 pour le recouvrement des créances sur des particuliers, 94 00:06:50,860 --> 00:06:53,140 que c'était au préfet, seul, qu'il appartenait, 95 00:06:53,340 --> 00:06:56,950 en vertu des articles 58 et 61 du règlement d'administration publique, 96 00:06:57,370 --> 00:07:02,230 de prescrire les mesures nécessaires pour assurer le paiement de la 97 00:07:02,430 --> 00:07:03,250 somme due". 98 00:07:05,200 --> 00:07:08,680 Vous devez dégager deux éléments de cet extrait. 99 00:07:08,880 --> 00:07:13,720 D'abord, vous devez facilement identifier la reconnaissance du 100 00:07:13,920 --> 00:07:15,220 principe que nous étudions ici. 101 00:07:15,820 --> 00:07:19,840 Parce qu'il s'agit d'une personne publique, alors il est impossible 102 00:07:20,140 --> 00:07:22,330 de mettre en œuvre les voies civiles d'exécution. 103 00:07:22,530 --> 00:07:29,230 Ensuite, et l'on y reviendra, le jugement ne conclut aucunement 104 00:07:29,620 --> 00:07:31,240 que le créancier ne pouvait rien faire. 105 00:07:31,440 --> 00:07:35,020 Simplement, il devait s'engager dans une autre voie. 106 00:07:37,000 --> 00:07:40,720 Quasiment un siècle plus tard, c'est la première chambre civile 107 00:07:40,920 --> 00:07:45,550 de la Cour de cassation, dans sa décision BRGM du 21 décembre 108 00:07:45,750 --> 00:07:51,190 1987, qui reprend le principe tout en l'élevant au rang de principe 109 00:07:51,390 --> 00:07:52,150 général du droit. 110 00:07:53,320 --> 00:07:58,390 Consacré par le législateur dans la loi du 9 juillet 1991, 111 00:07:58,720 --> 00:08:03,460 portant réforme des procédures d'exécution, il est désormais codifié 112 00:08:03,760 --> 00:08:06,070 dans le CG3P, puisque l'article L. 113 00:08:06,270 --> 00:08:11,710 2311-1 dispose que, je cite, "les biens des personnes publiques 114 00:08:11,910 --> 00:08:15,130 mentionnées à l'article L.1 sont insaisissables". 115 00:08:15,330 --> 00:08:19,570 C : les conséquences du principe. 116 00:08:19,770 --> 00:08:24,530 1 : pour les personnes privées créancières. 117 00:08:24,730 --> 00:08:30,870 Est-ce que cela signifie qu'une personne privée créancière d'une 118 00:08:31,070 --> 00:08:34,530 personne publique ne peut rien faire, qu'elle est simplement dépendante 119 00:08:34,730 --> 00:08:36,570 du bon vouloir de la personne publique ? 120 00:08:37,530 --> 00:08:39,570 Ce serait parfaitement intolérable. 121 00:08:40,110 --> 00:08:43,740 Si les voies civiles d'exécution lui sont fermées pour tenter d'obtenir 122 00:08:43,940 --> 00:08:48,150 les sommes qui lui sont dues, il pourra toujours tenter d'obtenir 123 00:08:48,350 --> 00:08:53,190 gain de cause en empruntant des voies administratives d'exécution. 124 00:08:53,940 --> 00:08:57,090 En effet, et c'est déjà ce qui apparaissait dans la décision Canal 125 00:08:57,290 --> 00:09:01,170 de Gignac, si les voies civiles sont fermées, le législateur a 126 00:09:01,370 --> 00:09:05,340 organisé d'autres moyens pour les créanciers d'obtenir l'exécution 127 00:09:05,540 --> 00:09:08,850 de la créance, concrètement donc, pour forcer la personne publique 128 00:09:09,050 --> 00:09:09,810 à payer. 129 00:09:10,770 --> 00:09:17,460 C'est surtout la loi du 16 juillet 1980, relative aux astreintes 130 00:09:17,660 --> 00:09:21,030 prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements 131 00:09:21,300 --> 00:09:24,630 par les personnes morales de droit public, qui organise les voies 132 00:09:24,830 --> 00:09:27,510 d'action dont disposent les personnes privées créancières. 133 00:09:28,740 --> 00:09:31,590 Pour comprendre ces voies d'action, il est nécessaire de faire une 134 00:09:31,790 --> 00:09:36,270 distinction selon que le débiteur en cause soit l'État ou bien une 135 00:09:36,470 --> 00:09:37,290 autre personne publique. 136 00:09:37,490 --> 00:09:41,010 a : face à l'État débiteur. 137 00:09:43,890 --> 00:09:47,910 Le créancier de l'État doit d'abord se prévaloir d'une décision 138 00:09:48,110 --> 00:09:52,320 juridictionnelle passée en force de chose jugée, qui confirme la 139 00:09:52,520 --> 00:09:53,850 situation de débiteur de l'État. 140 00:09:54,050 --> 00:09:58,950 L'État do it alors normalement ordonnancer la somme dans les deux 141 00:09:59,150 --> 00:10:03,180 mois, c'est-à-dire que l'État doit donner l'ordre au comptable public 142 00:10:03,660 --> 00:10:05,190 de payer le créancier. 143 00:10:06,540 --> 00:10:09,690 Si cela n'est pas fait, alors le créancier de l'État est 144 00:10:09,890 --> 00:10:14,610 en droit de directement présenter la décision de justice au comptable 145 00:10:14,820 --> 00:10:19,110 public, qui est obligé de procéder au paiement. 146 00:10:19,310 --> 00:10:21,390 On parle, d'ailleurs, de la procédure dite du paiement 147 00:10:21,590 --> 00:10:22,350 direct. 148 00:10:22,550 --> 00:10:28,170 Ainsi, en cas de mauvaise volonté de l'ordonnateur, le comptable 149 00:10:28,370 --> 00:10:32,880 doit finalement, au bout d'un certain délai, se substituer à lui pour 150 00:10:33,080 --> 00:10:35,370 ordonner et effectuer le paiement. 151 00:10:35,570 --> 00:10:40,810 b : face aux autres personnes publiques 152 00:10:41,010 --> 00:10:41,830 débitrices. 153 00:10:44,920 --> 00:10:49,600 Là encore, le créancier d'une personne publique autre que l'État doit 154 00:10:49,800 --> 00:10:53,500 d'abord obtenir une décision juridictionnelle passée en force 155 00:10:53,700 --> 00:10:58,990 de chose jugée, qui condamne ladite personne à payer une certaine somme. 156 00:11:00,010 --> 00:11:03,730 Dès lors, la personne publique doit ordonnancer la créance dans 157 00:11:03,930 --> 00:11:04,690 un délai de deux mois. 158 00:11:05,680 --> 00:11:09,400 Si elle ne le fait pas, alors le préfet, pour les collectivités 159 00:11:09,600 --> 00:11:12,700 territoriales, ou plus généralement l'autorité de tutelle pour les 160 00:11:12,900 --> 00:11:16,720 personnes publiques, doit procéder à un ordonnancement 161 00:11:16,920 --> 00:11:20,500 d'office, c'est-à-dire qu'il va se substituer à la personne publique 162 00:11:20,700 --> 00:11:22,720 débitrice pour ordonner le paiement. 163 00:11:23,830 --> 00:11:26,920 Mais se pose un problème qui ne se pose pas vraiment pour l'État, 164 00:11:27,460 --> 00:11:32,320 à savoir celui de l'insuffisance des crédits de la personne publique. 165 00:11:33,400 --> 00:11:37,840 En effet, imaginez une petite commune, ou même une commune très endettée, 166 00:11:38,040 --> 00:11:42,340 qui ne dispose pas des fonds nécessaires pour rembourser sa dette. 167 00:11:43,810 --> 00:11:48,520 Dans ce cas, la loi prévoit que le préfet, ou l'autorité de tutelle, 168 00:11:48,720 --> 00:11:53,410 met la personne publique en demeure de créer les ressources, 169 00:11:54,250 --> 00:11:56,860 ce qui implique concrètement d'augmenter les impôts. 170 00:11:57,060 --> 00:12:01,750 Si, malgré cette mise en demeure, la personne publique ne s'exécute pas, 171 00:12:02,500 --> 00:12:06,160 la loi indique, je cite, "que le préfet ou l'autorité de 172 00:12:06,360 --> 00:12:10,840 tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement 173 00:12:11,080 --> 00:12:11,840 d'office". 174 00:12:13,360 --> 00:12:17,860 La question est : jusqu'où va cette obligation pour le préfet, 175 00:12:18,060 --> 00:12:21,610 ou pour l'autorité de tutelle, de procéder à la création de nouvelles 176 00:12:21,810 --> 00:12:22,570 ressources ? 177 00:12:23,950 --> 00:12:29,420 Une décision importante du Conseil d'État en date du 18 novembre 2005, 178 00:12:29,620 --> 00:12:33,310 Société fermière de Campoloro, permet d'y voir plus clair. 179 00:12:34,960 --> 00:12:38,770 Il est d'abord intéressant de revenir rapidement sur les faits de l'espèce. 180 00:12:38,970 --> 00:12:42,550 Celle-ci oppose la magnifique commune de Santa-Maria Poggio, 181 00:12:43,150 --> 00:12:48,190 en Corse, et deux sociétés qui étaient chargées de gérer le port 182 00:12:48,390 --> 00:12:51,250 de plaisance de la commune, le port de Campoloro. 183 00:12:52,690 --> 00:12:58,150 En 1984, la commune décide de reprendre la gestion du port en régie et 184 00:12:58,350 --> 00:13:01,360 résilie les conventions qu'elle avait signées avec les sociétés. 185 00:13:02,680 --> 00:13:06,700 Ces dernières demandent alors une indemnisation au Théâtre de Bastia qui, 186 00:13:06,900 --> 00:13:11,470 en 1992, condamne la commune à hauteur de 46 millions de francs. 187 00:13:12,970 --> 00:13:17,620 La commune, qui était déjà très endettée, n'a pas pu payer les sommes. 188 00:13:18,970 --> 00:13:23,080 Conformément à ce que nous venons de voir et à la loi de 1980, 189 00:13:23,590 --> 00:13:28,240 le préfet a demandé à la commune d'augmenter les impôts locaux pour 190 00:13:28,440 --> 00:13:31,450 exécuter la décision de justice, ce qu'elle n'a pas fait. 191 00:13:32,230 --> 00:13:35,620 Et pour cause, les impôts étaient déjà très élevés, la ville était 192 00:13:35,820 --> 00:13:38,680 surendettée et ne comptait pas plus de 600 habitants. 193 00:13:40,540 --> 00:13:42,700 En 1996, toujours pas de paiement. 194 00:13:43,510 --> 00:13:46,900 Les sociétés demandent alors au préfet de prendre les mesures 195 00:13:47,100 --> 00:13:50,740 nécessaires, notamment de vendre des biens de la commune, 196 00:13:51,190 --> 00:13:53,110 pour assurer l'indemnisation. 197 00:13:54,250 --> 00:13:57,790 Mais le préfet refuse et invoque le principe d'insaisissabilité 198 00:13:58,720 --> 00:13:59,500 des biens publics. 199 00:14:00,880 --> 00:14:05,140 Le Conseil d'État, après le théâtre Bastia et la CAA de Marseille, 200 00:14:05,350 --> 00:14:10,150 est amené à connaître de la légalité du refus du préfet, et la haute 201 00:14:10,350 --> 00:14:13,270 juridiction va formuler sa réponse en trois étapes. 202 00:14:13,470 --> 00:14:18,700 Premièrement, le Conseil d'État estime que, sur le fondement de 203 00:14:18,900 --> 00:14:23,440 la loi du 16 juillet 1980, le préfet doit mettre en demeure 204 00:14:23,640 --> 00:14:27,880 la commune de produire des ressources, puis, si la commune ne fait rien, 205 00:14:28,810 --> 00:14:33,640 il doit se substituer à elle en prenant toutes les mesures nécessaires, 206 00:14:34,120 --> 00:14:39,820 y compris vendre les biens de la commune qui ne sont pas indispensables 207 00:14:40,020 --> 00:14:41,560 à un service public. 208 00:14:41,760 --> 00:14:47,860 Deuxièmement, si le préfet s'est 209 00:14:48,060 --> 00:14:52,480 abstenu d'agir, cela est susceptible de constituer une faute lourde. 210 00:14:52,680 --> 00:14:58,150 L'État engage alors sa responsabilité et devra réparer le préjudice causé. 211 00:14:58,350 --> 00:15:04,450 Troisièmement, le Conseil d'État ajoute que le préfet peut refuser 212 00:15:04,650 --> 00:15:07,330 de se substituer à la commune pour des motifs valables, 213 00:15:07,530 --> 00:15:09,490 c'est-à-dire d'intérêt général. 214 00:15:10,120 --> 00:15:14,260 Mais dans ce cas, la responsabilité de l'État est engagée sans faute 215 00:15:14,460 --> 00:15:16,660 pour rupture d'égalité devant les charges publiques. 216 00:15:18,430 --> 00:15:23,380 Vous le voyez, dans tous les cas, le créancier doit pouvoir obtenir 217 00:15:23,580 --> 00:15:27,550 le remboursement, soit grâce à la vente forcée des biens de la 218 00:15:27,750 --> 00:15:30,580 personne publique débitrice, soit par l'engagement de la 219 00:15:30,780 --> 00:15:33,340 responsabilité de l'État, que ce soit en cas de faute lourde 220 00:15:33,940 --> 00:15:36,610 ou pour rupture d'égalité devant les charges publiques. 221 00:15:38,170 --> 00:15:41,860 Il est primordial que vous compreniez ceci. 222 00:15:43,840 --> 00:15:47,410 Le Conseil d'État ne remet pas frontalement en cause le principe 223 00:15:47,610 --> 00:15:49,240 de l'insaisissabilité des biens publics. 224 00:15:49,780 --> 00:15:52,410 Les procédures de droit commun restent exclues. 225 00:15:52,660 --> 00:15:55,960 Il n'y a pas de saisie des biens publics possible. 226 00:15:56,680 --> 00:16:01,330 Mais lorsque le débiteur est une personne publique autre que l'État, 227 00:16:02,050 --> 00:16:05,530 l'autorité de tutelle peut vendre les biens qui ne sont pas 228 00:16:05,730 --> 00:16:08,710 indispensables au service public, pour payer les créanciers. 229 00:16:09,430 --> 00:16:13,480 C'est donc le pouvoir de tutelle qui permet un régime de cession 230 00:16:13,680 --> 00:16:18,460 forcée de certains biens publics, et qui permet au créancier d'obtenir 231 00:16:18,660 --> 00:16:22,570 le remboursement d'une dette par une personne publique incapable 232 00:16:22,840 --> 00:16:23,600 de payer.