1 00:00:05,472 --> 00:00:08,640 Nous abordons à présent le dernier chapitre de ce titre 2 00:00:08,752 --> 00:00:10,570 consacré aux principes directeurs du procès civil. 3 00:00:10,930 --> 00:00:14,460 Mais c'est cette fois-ci un principe directeur qui contestait, 4 00:00:14,660 --> 00:00:15,960 dont on n'est pas sûr qu'il en soit un. 5 00:00:16,420 --> 00:00:20,933 Chapitre 4 : Un principe de loyauté procédurale ? 6 00:00:22,270 --> 00:00:26,576 En effet, quand on regarde les articles 1 à 24 du Code de procédure civile, 7 00:00:26,752 --> 00:00:28,030 on ne trouve pas la loyauté. 8 00:00:28,230 --> 00:00:31,136 Elle ne figure pas parmi les principes directeurs, 9 00:00:31,232 --> 00:00:33,568 que les rédacteurs du Code de procédure civile ont souhaité 10 00:00:35,296 --> 00:00:38,080 placer au frontispice du Code de procédure civile. 11 00:00:38,800 --> 00:00:39,936 Comment cela se fait-il ? 12 00:00:40,528 --> 00:00:42,624 Est-ce que c'est parce que les rédacteurs considéraient 13 00:00:42,752 --> 00:00:45,400 que la loyauté ne devait pas irriguer le procès civil ? 14 00:00:45,790 --> 00:00:46,550 Bien sûr que non. 15 00:00:47,150 --> 00:00:48,032 Au contraire, 16 00:00:48,096 --> 00:00:51,472 Motulsky, dans son célèbre article sur les droits de la défense, 17 00:00:51,936 --> 00:00:53,680 intégrait très clairement la loyauté. 18 00:00:53,776 --> 00:00:54,784 Et bien évidemment, 19 00:00:54,976 --> 00:00:58,180 ils étaient tous bien persuadés que le procès civil devait être loyal. 20 00:00:58,630 --> 00:01:01,030 Cela n'est donc pas la raison. 21 00:01:01,230 --> 00:01:06,160 Et de fait, la loyauté est en réalité partout dans le code, 22 00:01:06,360 --> 00:01:07,810 mais pas explicitement. 23 00:01:08,200 --> 00:01:12,190 Elle est sous-jacente à un grand nombre de principes directeurs, 24 00:01:12,288 --> 00:01:13,420 de dispositions du code. 25 00:01:14,890 --> 00:01:16,224 Le principal auquel on pense tout de suite, 26 00:01:16,320 --> 00:01:17,584 c'est le principe de la contradiction. 27 00:01:18,040 --> 00:01:19,072 Bien évidemment, 28 00:01:20,176 --> 00:01:23,408 si les parties doivent être mises en mesure 29 00:01:23,520 --> 00:01:25,136 de pouvoir s'exprimer sur les éléments 30 00:01:25,216 --> 00:01:28,128 qui risquent d'être retenus contre elles dans une décision, 31 00:01:28,464 --> 00:01:32,112 c'est par souci de loyauté à leur égard. 32 00:01:33,040 --> 00:01:37,632 De la même façon, si le juge peut désormais enjoindre à une autre partie 33 00:01:37,728 --> 00:01:41,216 de produire une pièce essentielle à la résolution du litige, 34 00:01:41,648 --> 00:01:43,568 donc à la manifestation de la vérité, 35 00:01:43,968 --> 00:01:48,208 à encore, c'est parce que la loyauté du procès impose 36 00:01:48,480 --> 00:01:51,376 que les pièces essentielles à la manifestation de la vérité 37 00:01:51,488 --> 00:01:52,208 soient produites. 38 00:01:53,440 --> 00:01:54,688 En dehors des principes directeurs, 39 00:01:54,800 --> 00:01:59,312 toutes les règles relatives à la notification des actes de procédure 40 00:01:59,872 --> 00:02:01,968 sont également gouvernées par le principe de loyauté. 41 00:02:02,340 --> 00:02:07,216 Si le code se fend d'un tel luxe de détails sur les formalités 42 00:02:07,376 --> 00:02:10,840 qui doivent être accomplies pour notifier éventuellement par huissier, 43 00:02:11,140 --> 00:02:12,784 auquel cas c'est une signification 44 00:02:12,880 --> 00:02:17,424 qui doit d'abord être tentée entre les mains du destinataire, 45 00:02:17,760 --> 00:02:19,408 sinon à son domicile, 46 00:02:19,560 --> 00:02:22,496 l’huissier doit à chaque fois mentionner les diligences 47 00:02:22,576 --> 00:02:24,288 qu'il a fait pour essayer de trouver la personne elle-même, 48 00:02:24,384 --> 00:02:26,210 puis pour essayer de trouver son domicile, etc. 49 00:02:26,620 --> 00:02:27,184 Pourquoi ? 50 00:02:27,790 --> 00:02:30,160 Pour s'assurer, pour mettre tout en œuvre, 51 00:02:31,100 --> 00:02:34,272 afin que le destinataire soit au courant qu'un procès est intenté contre lui 52 00:02:34,848 --> 00:02:36,460 ou qu'un jugement a été rendu contre lui. 53 00:02:36,790 --> 00:02:38,590 Donc c'est par souci de loyauté. 54 00:02:39,100 --> 00:02:41,200 La loyauté, elle est partout dans le code. 55 00:02:41,888 --> 00:02:45,820 Simplement, il n'y a pas un texte spécial qui lui est consacré. 56 00:02:46,864 --> 00:02:52,330 La question qui se pose est donc de savoir s'il serait souhaitable 57 00:02:52,990 --> 00:02:59,470 de consacrer un principe de loyauté autonome dans un texte à lui seul, 58 00:02:59,890 --> 00:03:02,500 et qu'on pourrait donc invoquer seul en tant que tel, 59 00:03:02,700 --> 00:03:03,960 le principe de loyauté procédurale. 60 00:03:05,440 --> 00:03:07,960 Dans un domaine circonscrit, qu'on a déjà évoqué, 61 00:03:08,160 --> 00:03:10,450 la jurisprudence l'a admis : c'est le domaine de la preuve. 62 00:03:11,824 --> 00:03:12,976 Dans un visa prétorien, 63 00:03:13,040 --> 00:03:16,416 la Cour de cassation a consacré un principe de loyauté 64 00:03:16,480 --> 00:03:17,808 dans l'administration de la preuve. 65 00:03:18,130 --> 00:03:20,620 Donc là, ça n'est pas contesté, ça n'est pas contestable. 66 00:03:21,010 --> 00:03:24,130 Il existe un principe de loyauté dans l'administration de la preuve 67 00:03:24,580 --> 00:03:28,336 qui a été consacré, très clairement, par la jurisprudence ; 68 00:03:28,992 --> 00:03:31,616 et je l'ai déjà évoqué dans le chapitre 3. 69 00:03:32,080 --> 00:03:34,112 En dehors de ce domaine circonscrit, 70 00:03:34,190 --> 00:03:37,808 est-ce que l'on peut dire que de façon générale, il doit y avoir, 71 00:03:37,904 --> 00:03:41,000 il doit être consacré un principe général de loyauté procédurale ? 72 00:03:42,340 --> 00:03:45,550 Peut-être même que ce principe existe déjà. 73 00:03:45,750 --> 00:03:47,710 Est-ce que la jurisprudence ne l'a pas déjà posé ? 74 00:03:48,370 --> 00:03:51,056 Cette question est suscitée par un arrêt intéressant, 75 00:03:52,368 --> 00:03:55,490 qui est un arrêt de la première chambre civile du 7 juin 2005. 76 00:03:56,430 --> 00:03:59,200 Il faut rappeler les faits à l'origine de cet arrêt : 77 00:04:00,368 --> 00:04:05,210 l'élection du Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris. 78 00:04:05,680 --> 00:04:07,990 Plus exactement, il s'agissait d'élire le Dauphin ; 79 00:04:08,160 --> 00:04:11,590 puisque en réalité on n'élit pas directement le Bâtonnier, 80 00:04:11,712 --> 00:04:15,380 on élit un Dauphin qui ne deviendra Bâtonnier qu'un an plus tard. 81 00:04:15,700 --> 00:04:18,480 On parle de l'élection du Dauphin, mais c'est bien pour devenir Bâtonnier. 82 00:04:19,600 --> 00:04:23,264 Cette année-là, le barreau de Paris avait décidé 83 00:04:23,712 --> 00:04:28,060 d'organiser l'élection du Dauphin par vote électronique. 84 00:04:28,800 --> 00:04:29,312 En effet, 85 00:04:29,376 --> 00:04:33,424 sinon les avocats sont contraints de se rendre au palais de justice de Paris, 86 00:04:33,952 --> 00:04:36,912 donc à l'époque exclusivement sur l'île de la Cité, 87 00:04:37,312 --> 00:04:40,030 pour voter et mettre leur bulletin dans l'urne. 88 00:04:40,300 --> 00:04:41,950 Résultat : personne ne le fait. 89 00:04:43,750 --> 00:04:46,496 Pour que les avocats votent davantage, 90 00:04:48,032 --> 00:04:49,824 un vote électronique avait été organisé 91 00:04:49,936 --> 00:04:52,080 de façon à leur permettre de voter par un simple clic 92 00:04:52,144 --> 00:04:53,280 en restant dans leur bureau. 93 00:04:54,096 --> 00:04:56,560 Mais cette élection avait été contestée. 94 00:04:56,944 --> 00:05:00,032 Et un avocat avait saisi la Cour d'appel de Paris 95 00:05:00,368 --> 00:05:02,816 d'une demande d'annulation de ces élections, 96 00:05:04,464 --> 00:05:07,408 au motif que ce scrutin électronique ne permettait pas 97 00:05:07,488 --> 00:05:09,776 de garantir de bonnes conditions de fiabilité. 98 00:05:11,600 --> 00:05:13,550 La cour d'appel avait rejeté sa demande. 99 00:05:14,496 --> 00:05:17,510 Voici ce qu'il s'était passé pendant l'instance devant la cour d'appel. 100 00:05:19,640 --> 00:05:21,940 L'instruction avait eu lieu, les moyens et les pièces échangés, 101 00:05:22,140 --> 00:05:24,470 puis l'audience des débats, c'est-à-dire les plaidoiries. 102 00:05:24,880 --> 00:05:29,520 On était en phase de délibéré quand le demandeur à la nullité, 103 00:05:29,616 --> 00:05:31,632 l'avocat qui avait invoqué la nullité des élections, 104 00:05:32,192 --> 00:05:36,064 avait eu connaissance d'un avis de la CNIL, 105 00:05:36,400 --> 00:05:38,448 la Commission nationale informatique et libertés, 106 00:05:38,944 --> 00:05:40,352 un avis antérieur au vote 107 00:05:40,656 --> 00:05:44,400 qui émettait des critiques sur la confidentialité du scrutin électronique. 108 00:05:45,936 --> 00:05:49,910 Cet avis était adressé au Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, 109 00:05:50,656 --> 00:05:53,430 qui ne l'avait bien entendu pas produit au débat. 110 00:05:54,100 --> 00:05:57,552 L'avocat donc, on ne sait comment, se retrouve avec cet avis entre les mains. 111 00:05:57,632 --> 00:05:59,120 Il s'empresse de le produire au débat. 112 00:06:00,140 --> 00:06:02,630 Le problème, c'est qu'on est pendant la phase de délibéré. 113 00:06:03,520 --> 00:06:04,576 Pendant le délibéré, 114 00:06:04,650 --> 00:06:08,800 l'article 445 du Code de procédure civile déclare irrecevable 115 00:06:09,200 --> 00:06:12,000 tout moyen ou toute pièce qui est communiqué à ce moment-là ; 116 00:06:12,480 --> 00:06:15,264 ça s'appelle, dans ce cas-là, une note en délibéré. 117 00:06:15,830 --> 00:06:18,311 Les notes en délibéré sont en principe irrecevables, 118 00:06:21,400 --> 00:06:24,810 sauf si elles sont élaborées par les parties à la demande du juge, 119 00:06:24,944 --> 00:06:25,744 ce qui n'était pas le cas. 120 00:06:26,176 --> 00:06:27,568 La cour d'appel avait donc appliqué 121 00:06:27,632 --> 00:06:29,680 l'article 445 du Code de procédure civile, 122 00:06:29,904 --> 00:06:32,176 et elle avait écarté des débats la note 123 00:06:32,320 --> 00:06:35,120 qui faisait état de cet avis de la CNIL. 124 00:06:36,680 --> 00:06:37,490 Cet arrêt est cassé. 125 00:06:38,060 --> 00:06:39,920 La Cour de cassation relève en effet 126 00:06:40,176 --> 00:06:42,800 que le Bâtonnier, le défendeur donc, 127 00:06:42,880 --> 00:06:47,440 avait eu connaissance de cet avis de la CNIL avant même le vote. 128 00:06:48,192 --> 00:06:52,040 Et elle relève qu'il s'était bien gardé d'en faire état à l'instance, 129 00:06:52,288 --> 00:06:56,660 alors que cet avis pouvait être décisif pour l'issue de l'instance. 130 00:06:57,552 --> 00:07:00,620 Autrement dit, le Bâtonnier avait manqué à la loyauté. 131 00:07:03,110 --> 00:07:06,960 Selon la Cour de cassation, la note en délibéré n'aurait pas dû être écartée. 132 00:07:08,240 --> 00:07:11,810 La cassation intervient au visa de deux articles. 133 00:07:11,952 --> 00:07:14,780 D'abord, l'article 10 alinéa 1er du Code civil. 134 00:07:14,980 --> 00:07:16,848 Selon cet article 10 alinéa 1er, 135 00:07:17,632 --> 00:07:20,464 "chacun est tenu d'apporter son concours à la justice 136 00:07:20,768 --> 00:07:22,880 en vue de la manifestation de la vérité". 137 00:07:24,144 --> 00:07:27,700 Deuxième texte, l'article 3 du Code de procédure civile : 138 00:07:28,220 --> 00:07:30,816 "Le juge veille au bon déroulement de l'instance, 139 00:07:31,248 --> 00:07:34,730 il a le pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires". 140 00:07:36,160 --> 00:07:40,340 Ces textes suffisaient à justifier la solution de la Cour de cassation. 141 00:07:40,976 --> 00:07:43,680 En effet, l'article 10 alinéa 1 du Code civil, 142 00:07:43,840 --> 00:07:45,984 "Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice 143 00:07:46,032 --> 00:07:47,344 en vue de la manifestation de la vérité", 144 00:07:47,728 --> 00:07:50,450 permettait de stigmatiser le comportement du Bâtonnier. 145 00:07:50,544 --> 00:07:51,904 Le Bâtonnier, en l'occurrence, 146 00:07:52,464 --> 00:07:55,024 n'avait pas apporté son concours à la manifestation de la vérité 147 00:07:55,120 --> 00:07:57,040 puisqu'il n'avait pas produit une pièce essentielle. 148 00:07:57,936 --> 00:07:59,776 L'article 3 du Code de procédure civile, 149 00:07:59,840 --> 00:08:01,520 "Le juge veille au bon déroulement de l'instance", 150 00:08:01,800 --> 00:08:05,733 en l'occurrence le juge aurait dû veiller au bon déroulement de l'instance 151 00:08:05,977 --> 00:08:07,690 en ordonnant les mesures nécessaires, 152 00:08:07,760 --> 00:08:08,940 c'est également l'article 3, 153 00:08:09,232 --> 00:08:12,752 c'est-à-dire en accordant exceptionnellement 154 00:08:13,600 --> 00:08:16,704 la possibilité de produire cette note en délibéré. 155 00:08:18,070 --> 00:08:20,720 Donc la Cour de cassation n'avait besoin de rien d'autre que de ces textes. 156 00:08:20,864 --> 00:08:22,384 Or, ce qui est intéressant dans cet arrêt, 157 00:08:22,496 --> 00:08:23,856 c'est qu'elle a éprouvé le besoin 158 00:08:24,416 --> 00:08:27,536 d'ajouter au visa un attendu de principe, ainsi rédigé : 159 00:08:28,368 --> 00:08:30,912 "Attendu que le juge est tenu de respecter 160 00:08:31,280 --> 00:08:33,240 et de faire respecter la loyauté des débats". 161 00:08:35,480 --> 00:08:38,990 Comment cet arrêt a-t-il été commenté ? 162 00:08:39,680 --> 00:08:40,704 Cette formule, 163 00:08:40,768 --> 00:08:43,840 "Le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats", 164 00:08:44,256 --> 00:08:47,520 elle évoque fortement la formule d'un principe directeur. 165 00:08:47,610 --> 00:08:48,976 Elle évoque par exemple fortement, 166 00:08:49,472 --> 00:08:52,272 notamment, l'alinéa 1er de l'article 16 : 167 00:08:52,448 --> 00:08:54,032 "Le juge doit faire observer 168 00:08:54,096 --> 00:08:56,150 et observer lui-même le principe de la contradiction". 169 00:08:57,150 --> 00:09:01,744 Pourquoi avoir d'abord tenu à placer cette attente du principe 170 00:09:03,536 --> 00:09:04,704 au début de l'arrêt ? 171 00:09:05,350 --> 00:09:07,190 Et pourquoi lui avoir donné cette formule ? 172 00:09:07,850 --> 00:09:09,320 Deux interprétations possibles. 173 00:09:09,520 --> 00:09:12,848 Selon une première interprétation qu'on peut dire minimale, 174 00:09:13,060 --> 00:09:14,832 et qui était celle par exemple de Roger Perrot, 175 00:09:15,648 --> 00:09:20,240 la Cour de cassation a simplement souligné 176 00:09:20,880 --> 00:09:25,744 que la loyauté est une exigence sous-jacente aux articles visés, 177 00:09:26,016 --> 00:09:29,264 à l'article 10 du Code civil, 3 du Code de procédure civile, 178 00:09:29,376 --> 00:09:33,050 et qu'en tant que telle elle doit guider l'interprétation de ces deux textes. 179 00:09:33,710 --> 00:09:35,904 Si la Cour de cassation a éprouvé le besoin 180 00:09:35,968 --> 00:09:37,872 d'évoquer la loyauté dans l'attente du principe, 181 00:09:38,192 --> 00:09:40,816 c'est pour montrer que le juge, 182 00:09:41,930 --> 00:09:44,780 qui doit interpréter deux textes dont le contenu est assez flou, 183 00:09:45,110 --> 00:09:47,900 l'article 10 du Code civil et l'article 3 du Code de procédure civile, 184 00:09:48,770 --> 00:09:52,624 il doit les interpréter au regard de cette exigence sous-jacente 185 00:09:52,704 --> 00:09:53,750 qui est la loyauté. 186 00:09:55,010 --> 00:09:58,520 Dans ce sens, la loyauté n'est pas érigée en principe autonome, 187 00:09:58,720 --> 00:10:00,592 ce n'est pas ce que la première chambre civile a voulu faire. 188 00:10:01,744 --> 00:10:04,080 Il s'agit d'un simple guide d'interprétation 189 00:10:04,352 --> 00:10:07,850 pour aider le juge à surmonter les lacunes des textes. 190 00:10:09,260 --> 00:10:12,928 Deuxième interprétation, plus extensive, 191 00:10:14,720 --> 00:10:17,296 qui est celle notamment du recteur Serge Guinchard : 192 00:10:19,168 --> 00:10:21,472 très clairement, avec cet attendu de principe, 193 00:10:21,536 --> 00:10:25,600 la Cour de cassation a voulu faire de la loyauté un principe directeur. 194 00:10:26,080 --> 00:10:28,192 Il n'y a pas à chercher autre chose, 195 00:10:28,336 --> 00:10:31,552 il y a un attendu de principe alors qu'il n'était pas nécessaire, 196 00:10:31,696 --> 00:10:33,550 la formule est solennelle. 197 00:10:34,010 --> 00:10:37,760 La loyauté est désormais un principe directeur, 198 00:10:37,824 --> 00:10:40,720 que l'on peut invoquer en toutes circonstances et dans tous les domaines, 199 00:10:40,864 --> 00:10:43,840 sans le secours même d'un autre texte du Code de procédure civile. 200 00:10:46,090 --> 00:10:49,440 On en était là du débat, on attendait la jurisprudence postérieure ; 201 00:10:49,552 --> 00:10:53,740 mais de ce point de vue, cela a été assez décevant, 202 00:10:53,856 --> 00:10:57,040 car il y a eu très, très peu d'arrêts qui ont ensuite évoqué la loyauté. 203 00:10:57,700 --> 00:10:59,888 Quelques arrêts ont évoqué la loyauté des débats, 204 00:10:59,952 --> 00:11:01,024 mais pas en tant que principe. 205 00:11:01,664 --> 00:11:04,176 C'était indiqué quelque part, dans la motivation, 206 00:11:04,240 --> 00:11:07,180 était évoquée la loyauté des débats, mais pas solennellement. 207 00:11:08,050 --> 00:11:12,370 Sauf dans un arrêt de la chambre sociale du 2 juillet 2015. 208 00:11:13,312 --> 00:11:15,504 Cet arrêt-là, oui, dans le visa, 209 00:11:15,616 --> 00:11:20,112 vise explicitement les articles 15, 16 et 444 du Code de procédure civile, 210 00:11:20,672 --> 00:11:22,704 ensemble le principe de loyauté des débats. 211 00:11:23,040 --> 00:11:24,048 Là, on a un principe. 212 00:11:24,224 --> 00:11:26,110 Mais cet arrêt n'est pas publié. 213 00:11:27,160 --> 00:11:29,560 C'est étonnant parce que normalement, lorsqu'un arrêt n'est pas publié, 214 00:11:29,696 --> 00:11:32,260 on n'est pas censé lui accorder une portée très importante. 215 00:11:32,800 --> 00:11:36,816 Donc on a une sorte d'injonctions contradictoires, 216 00:11:37,088 --> 00:11:39,600 un visa prétorien important, le principe de loyauté, 217 00:11:39,680 --> 00:11:44,050 mais dans un arrêt inédit, qui donc est passé d'ailleurs quasiment inaperçu. 218 00:11:44,950 --> 00:11:46,624 En revanche, on a des arrêts 219 00:11:46,768 --> 00:11:49,744 dans lesquels la Cour de cassation stigmatise clairement 220 00:11:49,856 --> 00:11:51,152 un comportement déloyal, 221 00:11:51,408 --> 00:11:53,168 mais sans évoquer le principe de loyauté, 222 00:11:53,232 --> 00:11:55,648 en évoquant simplement des textes du Code de procédure civile 223 00:11:58,208 --> 00:12:00,370 qui permettaient de justifier la solution en l'occurrence. 224 00:12:03,250 --> 00:12:09,408 Pour autant, malgré cette absence de la jurisprudence 225 00:12:09,488 --> 00:12:12,272 qui ne poursuit plus sur sa lancée, si je puis dire, 226 00:12:13,216 --> 00:12:16,896 les divers rapports qui sont commandés par la chancellerie 227 00:12:17,216 --> 00:12:19,808 et qui visent à améliorer la procédure civile, 228 00:12:19,856 --> 00:12:21,680 à la simplifier, à l'accélérer, etc., 229 00:12:22,112 --> 00:12:23,904 dans ces divers rapports, 230 00:12:23,952 --> 00:12:26,912 il y a toujours une proposition qui consiste à dire : 231 00:12:27,020 --> 00:12:30,752 "Ah, et puis il faudrait aussi consacrer expressément un principe de loyauté". 232 00:12:31,380 --> 00:12:34,460 Donc eux ne désarment pas et réclament rapport après rapport, 233 00:12:34,544 --> 00:12:40,112 et encore en dernier lieu dans le rapport Agostini-Molfessis de janvier 2018, 234 00:12:42,336 --> 00:12:45,824 il y a toujours ce même souhait 235 00:12:45,936 --> 00:12:48,040 de consacrer expressément un principe de loyauté. 236 00:12:49,600 --> 00:12:50,450 Est-ce souhaitable ? 237 00:12:50,950 --> 00:12:52,030 La doctrine est divisée. 238 00:12:52,230 --> 00:12:55,840 Selon une partie de la doctrine, cela n'est pas souhaitable. 239 00:12:56,410 --> 00:12:58,630 D'abord c'est inutile, et ensuite c'est dangereux. 240 00:12:59,520 --> 00:13:01,888 Inutile parce qu'on n'en a pas besoin, 241 00:13:01,984 --> 00:13:04,960 parce que les dispositions actuelles du Code de procédure civile 242 00:13:05,040 --> 00:13:05,952 suffisent largement. 243 00:13:06,260 --> 00:13:09,552 En fait, les cas de déloyauté sont toujours des cas 244 00:13:09,808 --> 00:13:13,456 dans lesquels il y a un manquement à la contradiction, 245 00:13:13,584 --> 00:13:16,160 dans lesquels il y a une pièce qui aurait dû être produite 246 00:13:16,240 --> 00:13:18,448 et qui n'a pas été produite, etc. 247 00:13:19,310 --> 00:13:22,330 Dans la jurisprudence, je n'ai pas vu, en effet, 248 00:13:23,088 --> 00:13:25,872 de situations qui n'auraient pas pu être traitées 249 00:13:26,400 --> 00:13:29,500 par le biais d'un texte du Code de procédure civile qui existe déjà. 250 00:13:31,270 --> 00:13:34,090 Deuxièmement, consacrer ce principe serait dangereux. 251 00:13:34,630 --> 00:13:35,968 C'est l'opinion selon laquelle 252 00:13:36,032 --> 00:13:41,984 si les rédacteurs n'ont pas consacré ce principe 253 00:13:42,280 --> 00:13:45,022 - il y a deux interprétations possibles, deux explications possibles - 254 00:13:45,088 --> 00:13:48,090 selon certains, c'est parce que c'était évident que le procès devait être loyal, 255 00:13:48,224 --> 00:13:49,184 ce n'était pas la peine de le préciser ; 256 00:13:49,648 --> 00:13:54,336 selon d'autres, c'était parce que même, ça aurait été aller trop loin, 257 00:13:54,432 --> 00:13:57,568 ça aurait été donner libre cours à l'arbitraire. 258 00:13:57,712 --> 00:13:58,208 Pourquoi ? 259 00:13:58,368 --> 00:13:59,392 Parce que la loyauté, 260 00:13:59,568 --> 00:14:01,808 ça n'est pas comme le principe de la contradiction 261 00:14:02,048 --> 00:14:05,312 qui peut être respecté à telle et telle condition précise et technique, 262 00:14:05,712 --> 00:14:06,304 par exemple. 263 00:14:06,720 --> 00:14:09,850 La loyauté, c'est un principe subjectif, c'est un principe moral, 264 00:14:10,300 --> 00:14:11,140 un principe flou. 265 00:14:11,610 --> 00:14:14,440 Et qui dit subjectivité, dit risque d'arbitraire. 266 00:14:16,260 --> 00:14:18,240 Et c'est ainsi que Roger Perrot, par exemple, 267 00:14:18,480 --> 00:14:21,456 estimait qu'on nedevait pas consacrer un principe de loyauté, 268 00:14:22,512 --> 00:14:23,616 dans les termes suivants : 269 00:14:24,190 --> 00:14:27,824 "On ne construit pas un édifice procédural avec des notions 270 00:14:28,272 --> 00:14:30,032 qui, si respectables soient-elles, 271 00:14:30,352 --> 00:14:33,120 sont impuissantes à devenir des notions juridiques, 272 00:14:33,424 --> 00:14:36,520 faute d'une définition précise qui permet d'en cerner les contours". 273 00:14:38,624 --> 00:14:41,792 Il faut se retenir de consacrer la loyauté 274 00:14:41,856 --> 00:14:42,944 comme un principe en tant que tel, 275 00:14:43,072 --> 00:14:46,330 parce que c'est la porte ouverte à toutes les dérives, 276 00:14:46,530 --> 00:14:48,608 à toutes les interprétations tendancieuses 277 00:14:48,688 --> 00:14:52,304 qui vont simplement traduire le sentiment subjectif du juge 278 00:14:52,384 --> 00:14:54,430 que, dans ce cas-là, cette situation n'est pas juste. 279 00:14:54,880 --> 00:14:57,640 Il faut donc s'en tenir à des principes objectifs et techniques. 280 00:14:59,140 --> 00:15:02,672 Pour une autre partie de la doctrine, le principe n'est ni inutile ni dangereux. 281 00:15:02,896 --> 00:15:04,016 Il n'est pas inutile, 282 00:15:05,120 --> 00:15:08,816 même en admettant qu'on ne pourrait pas imaginer des situations 283 00:15:09,280 --> 00:15:11,980 qui ne sont pas déjà traitées par un texte qui existe déjà. 284 00:15:12,510 --> 00:15:14,208 D'abord, on ne sait pas ; 285 00:15:14,288 --> 00:15:15,408 après tout, ça peut arriver. 286 00:15:15,570 --> 00:15:16,624 Et même en l'admettant, 287 00:15:17,072 --> 00:15:22,656 le fait de consacrer la loyauté comme un principe directeur du procès express 288 00:15:23,632 --> 00:15:26,144 a une force symbolique qu'il ne faut pas négliger, 289 00:15:26,272 --> 00:15:27,610 et qui est de nature à renforcer 290 00:15:27,712 --> 00:15:30,110 la confiance des justiciables dans la justice. 291 00:15:30,740 --> 00:15:35,590 Et deuxièmement, consacrer ce principe n'aurait rien de dangereux. 292 00:15:35,800 --> 00:15:38,352 Ces auteurs, notamment le recteur Serge Guinchard, 293 00:15:38,720 --> 00:15:43,376 balayent cet argument en énonçant 294 00:15:43,472 --> 00:15:46,560 qu'il ne faut pas exagérer le risque d'arbitraire, 295 00:15:46,672 --> 00:15:48,640 le juge ne fait quand même pas n'importe quoi. 296 00:15:48,960 --> 00:15:50,416 Le juge reste… 297 00:15:51,460 --> 00:15:52,960 en général, il conserve la raison. 298 00:15:53,740 --> 00:15:57,424 En revanche, consacrer le principe de loyauté, 299 00:15:58,048 --> 00:16:01,960 c'est un moyen concret de rapprocher le procès de l'idéal de justice. 300 00:16:02,350 --> 00:16:04,390 Donc il faudrait le consacrer. 301 00:16:05,552 --> 00:16:07,480 Alors le débat, pour l'instant, reste ouvert. 302 00:16:09,100 --> 00:16:11,710 On a fini, en tous les cas, d'évoquer, avec ce principe, 303 00:16:12,016 --> 00:16:13,150 les principes directeurs. 304 00:16:13,350 --> 00:16:15,820 Et nous pourrons donc passer dans une prochaine vidéo, 305 00:16:16,020 --> 00:16:18,820 au titre 2 consacré au déroulement de l'instance.