1 00:00:05,660 --> 00:00:10,660 Pour l'instant, nous avons étudié les conditions subjectives d'ouverture de l'action en justice 2 00:00:10,780 --> 00:00:13,320 et nous sommes en train d'étudier les conditions objectives. 3 00:00:13,320 --> 00:00:17,740 Nous avons vu, dans une première subdivision, l'autorité de la chose jugée,  4 00:00:17,740 --> 00:00:23,000 puis l'absence de prescription et l'absence d'expiration d'un délai préfixe. 5 00:00:23,470 --> 00:00:28,920 Il nous reste maintenant à évoquer les conditions objectives 6 00:00:28,920 --> 00:00:32,290 d'existence de l'action en justice qui ont été posées par la jurisprudence. 7 00:00:33,160 --> 00:00:34,940 Dans une troisième subdivision, 8 00:00:34,940 --> 00:00:39,820 nous allons à présent évoquer l'absence de contradiction au détriment d'autrui. 9 00:00:40,260 --> 00:00:44,960 Qu'est-ce que l'on appelle l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui ? 10 00:00:46,150 --> 00:00:48,680 C'est un principe qui dépasse le cadre du procès. 11 00:00:48,680 --> 00:00:53,200 C'est un principe général en droit qui dérive d'une institution de common law,  12 00:00:53,320 --> 00:00:54,820 qu'on appelle l'estoppel. 13 00:00:55,900 --> 00:00:57,940 C'est l'interdiction du comportement suivant. 14 00:00:58,120 --> 00:01:02,650 Quelqu'un adopte une attitude souvent passive, pas nécessairement,  15 00:01:02,650 --> 00:01:09,060 mais c'est souvent le cas, par exemple un créancier n'est pas payé d'une dette périodique 16 00:01:09,220 --> 00:01:11,430 et il ne s'en plaint jamais, à aucune échéance. 17 00:01:11,430 --> 00:01:14,920 Il ne se plaint pas du fait que la dette ne soit pas payée. 18 00:01:16,000 --> 00:01:19,740 Cette attitude adoptée par cette personne,  19 00:01:19,860 --> 00:01:25,740 crée chez autrui l'attente légitime de sa persistance. 20 00:01:26,410 --> 00:01:29,180 Dans mon exemple, au bout de quelques années, 21 00:01:29,180 --> 00:01:33,040 le débiteur peut légitimement s'attendre à ce que le créancier ne lui demande jamais 22 00:01:33,040 --> 00:01:34,640 le paiement de cette dette périodique. 23 00:01:35,840 --> 00:01:41,100 Puis, cette personne modifie brusquement son comportement. 24 00:01:41,620 --> 00:01:43,560 Dans mon exemple, subitement, un jour,  25 00:01:43,560 --> 00:01:47,100 le créancier réclame le paiement de toutes les dettes échues et non payées. 26 00:01:47,860 --> 00:01:49,280 Le débiteur ne peut pas payer. 27 00:01:50,460 --> 00:01:57,160 Le créancier fait donc jouer la clause résolutoire. 28 00:01:59,020 --> 00:02:04,900 Cette modification brutale du comportement engendre un préjudice chez autrui, 29 00:02:04,900 --> 00:02:08,740 dans mon exemple, chez le débiteur qui est privé du bénéfice du contrat. 30 00:02:09,970 --> 00:02:15,300 Dans les pays anglo-saxons, ce comportement est traité au moyen d'une institution, 31 00:02:15,300 --> 00:02:17,960 une notion anglaise au départ, l'estoppel. 32 00:02:19,160 --> 00:02:24,360 La personne qui a changé brutalement d'attitude est "estopped"  33 00:02:25,120 --> 00:02:28,500 à percevoir les bénéfices de ce revirement. 34 00:02:29,890 --> 00:02:34,640 C'est donc une institution qui a vocation à sanctionner, au nom de la bonne foi, 35 00:02:34,860 --> 00:02:37,580 les contradictions dans le comportement d'une personne, 36 00:02:38,200 --> 00:02:42,980 cette personne étant considérée comme liée par son comportement antérieur. 37 00:02:43,320 --> 00:02:47,740 Ça sanctionne la mauvaise foi, la déloyauté d'un changement brutal d'attitude. 38 00:02:49,480 --> 00:02:51,580 Dans une telle situation,  que dit le droit français ? 39 00:02:51,760 --> 00:02:58,720 Classiquement, le principe, ancien article 1134 du Code civil, aujourd'hui article 1103,  40 00:02:59,020 --> 00:03:03,180 c'est-à-dire force obligatoire du contrat, pacta sunt servanda. 41 00:03:03,960 --> 00:03:07,080 Il faut exécuter ses obligations ou la sanction tombe. 42 00:03:08,080 --> 00:03:13,260 Pourtant, dès les années 80, des arrêts ont parfois entendu sanctionner 43 00:03:13,860 --> 00:03:18,040 ce type de revirement brutal de comportement avec les ressources du droit des contrats. 44 00:03:18,280 --> 00:03:22,275 Par exemple, en constatant que le créancier dans mon exemple 45 00:03:22,700 --> 00:03:26,100 s'était comporté de mauvaise foi dans l'exécution du contrat,  46 00:03:26,270 --> 00:03:29,025 qu'il avait donc engagé sa responsabilité contractuelle, 47 00:03:29,220 --> 00:03:32,480 que le préjudice pouvait être réparé en nature,  48 00:03:32,660 --> 00:03:36,300 et la réparation en nature, c'était la paralysie de la clause résolutoire. 49 00:03:36,880 --> 00:03:39,120 Il y a une jurisprudence classique en ce sens. 50 00:03:40,090 --> 00:03:44,800 Il y a dix ans, la Cour de cassation a proposé de sanctionner cette attitude,  51 00:03:45,160 --> 00:03:50,500 quand le contexte s'y prête, par une sanction cette fois-ci procédurale, l'irrecevabilité. 52 00:03:51,790 --> 00:03:53,500 Le contexte, par exemple, 53 00:03:53,640 --> 00:03:57,420 j'avais laissé entendre que je n'agirais  pas en justice et finalement, j'agis. 54 00:03:57,970 --> 00:04:01,500 Ou alors j'avais laissé croire que je n'invoquerai pas tel moyen de défense 55 00:04:02,040 --> 00:04:04,060 et finalement, je l'invoque. 56 00:04:05,400 --> 00:04:08,700 Dans certaines circonstances,  à certaines conditions, 57 00:04:08,920 --> 00:04:13,260 un tel revirement d'attitude pourrait être sanctionné par une irrecevabilité 58 00:04:13,260 --> 00:04:16,940 au nom du principe selon lequel on ne peut se contredire au détriment d'autrui. 59 00:04:18,250 --> 00:04:22,180 La Cour de cassation l'avait déjà admis,  mais dans une matière particulière,  60 00:04:22,180 --> 00:04:24,380 en matière d'arbitrage international,  61 00:04:25,000 --> 00:04:30,260 et en se fondant directement - l'institution est citée dans l'arrêt - sur l'estoppel. 62 00:04:31,260 --> 00:04:34,340 C'est notamment ce qu'elle a fait dans l'arrêt Golshani 63 00:04:34,700 --> 00:04:37,330 de la première chambre civile du 6 juillet 2005. 64 00:04:37,720 --> 00:04:43,540 Dans cette espèce, une partie avait saisi un arbitre, donc l'arbitrage avait eu lieu. 65 00:04:43,540 --> 00:04:46,630 La partie avait participé sans aucune réserve pendant des années. 66 00:04:47,050 --> 00:04:48,640 Finalement, une sentence avait été rendue. 67 00:04:49,570 --> 00:04:52,900 Elle avait intenté un recours en annulation contre la sentence 68 00:04:52,900 --> 00:04:54,920 au motif qu'il n'y avait pas de convention d'arbitrage. 69 00:04:56,440 --> 00:04:59,800 Le recours en annulation a été jugé irrecevable 70 00:05:00,680 --> 00:05:03,960 parce qu'il s'agit d'un changement brutal d'attitude 71 00:05:03,960 --> 00:05:08,700 qui a causé un préjudice à l'autre partie, une déloyauté manifeste. 72 00:05:10,120 --> 00:05:15,480 On pouvait penser que cette solution était propre à l'arbitrage international, 73 00:05:16,340 --> 00:05:20,920 jusqu'à un arrêt d'assemblée plénière du 27 février 2009. 74 00:05:21,460 --> 00:05:23,700 C'est assez curieux parce que dans les faits,  75 00:05:24,280 --> 00:05:27,940 on était dans un cas dans lequel le principe ne pouvait pas s'appliquer. 76 00:05:28,510 --> 00:05:31,740 Parce que l'attitude de la partie à qui on l'opposait,  77 00:05:31,740 --> 00:05:34,700 la partie qui avait changé d'attitude, 78 00:05:36,040 --> 00:05:38,920 la nouvelle attitude n'était pas contradictoire avec l'attitude précédente. 79 00:05:39,280 --> 00:05:42,440 De toute façon, le principe n'était pas méconnu. 80 00:05:43,630 --> 00:05:44,800 Mais ce qui est intéressant,  81 00:05:44,800 --> 00:05:47,650 c'est que la Cour de cassation tient quand même à affirmer le principe, 82 00:05:47,650 --> 00:05:49,050 mais elle le fait a contrario. 83 00:05:50,140 --> 00:05:53,850 Elle prend un attendu le principe qui énonce : 84 00:05:54,025 --> 00:05:58,900 "attendu que la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui 85 00:05:59,175 --> 00:06:02,775 n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir". 86 00:06:03,320 --> 00:06:05,680 Le visa est l'article 122 du Code de procédure civile. 87 00:06:06,080 --> 00:06:08,350 Ce qu'elle dit, c'est, en l'espèce,  88 00:06:09,225 --> 00:06:13,850 les circonstances étaient insuffisantes pour dire qu'il y avait fin de non-recevoir, 89 00:06:14,225 --> 00:06:17,525 mais a contrario, cela signifie que parfois, 90 00:06:17,820 --> 00:06:22,200 la circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui emporte fin de non-recevoir. 91 00:06:22,690 --> 00:06:25,200 Était donc ainsi posé, de façon négative, 92 00:06:26,320 --> 00:06:29,000 le principe de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui 93 00:06:29,000 --> 00:06:31,480 et de la sanction procédurale qui peut en résulter. 94 00:06:32,380 --> 00:06:36,190 Quelles sont ces fameuses conditions qui permettraient de considérer 95 00:06:36,190 --> 00:06:39,740 qu'il y a bien une contradiction au détriment d'autrui qui emporte fin de non-recevoir ? 96 00:06:40,720 --> 00:06:44,290 Malheureusement, il est très difficile de le savoir, car finalement,  97 00:06:44,780 --> 00:06:49,180 la Cour de cassation n'a quasiment jamais reconnu que ce principe avait été violé,  98 00:06:49,240 --> 00:06:50,900 sauf toujours en matière d'arbitrage. 99 00:06:52,440 --> 00:06:56,740 Il y a des quantités d'arrêts d'appel qui ont été soumis à la Cour de cassation, 100 00:06:56,940 --> 00:07:00,040 les uns faisant application du principe,  101 00:07:00,040 --> 00:07:04,620 donc estimant qu'il avait été méconnu et ayant sanctionné par une d'irrecevabilité,  102 00:07:05,160 --> 00:07:07,880 les autres refusant d'en faire application. 103 00:07:09,340 --> 00:07:12,310 Que répond la Cour de cassation à ces arrêts qui lui sont soumis 104 00:07:12,310 --> 00:07:15,280 et qui se fondent explicitement soit pour admettre qu'il a été méconnu,  105 00:07:15,280 --> 00:07:16,700 soit pour ne pas l'admettre, 106 00:07:16,940 --> 00:07:19,780 sur ce principe de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui ? 107 00:07:20,960 --> 00:07:21,960 C'est variable. 108 00:07:22,240 --> 00:07:25,860 Dans certains arrêts, la Cour de cassation ne fait pas application du principe 109 00:07:25,860 --> 00:07:29,220 et ne le mentionne même pas,  comme s'il n'existait pas,  110 00:07:29,220 --> 00:07:31,360 comme si elle était passée à autre chose 111 00:07:31,360 --> 00:07:34,660 et que cet arrêt d'assemblée plénière n'avait pas d'incidence. 112 00:07:35,170 --> 00:07:37,900 Dans d'autres arrêts, elle le vise 113 00:07:38,025 --> 00:07:41,620 "Vu le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui". 114 00:07:41,640 --> 00:07:43,340 Donc dans ces arrêts-là,  115 00:07:43,520 --> 00:07:48,340 la Cour de cassation estime que le principe existe toujours depuis 2009. 116 00:07:48,760 --> 00:07:53,740 Mais ensuite, presque toujours, elle énonce qu'en l'espèce cependant,  117 00:07:53,740 --> 00:07:57,300 les conditions n'étaient pas réunies pour considérer que ce principe avait été méconnu 118 00:07:57,600 --> 00:08:00,140 et qu'il entraînait une fin de non-recevoir. 119 00:08:01,900 --> 00:08:04,380 On est donc dans le flou total. 120 00:08:04,990 --> 00:08:10,140 Ce qui ressort clairement de la jurisprudence  parce que des arrêts l'ont dit clairement,  121 00:08:10,140 --> 00:08:14,000 c'est que les parties peuvent changer totalement de stratégie 122 00:08:14,000 --> 00:08:16,220 entre la première instance et l'instance d'appel 123 00:08:16,330 --> 00:08:19,120 sans qu'on leur reproche une contradiction au détriment d'autrui. 124 00:08:19,120 --> 00:08:23,360 La nouvelle stratégie et la nouvelle ligne de défense seront recevables. 125 00:08:24,280 --> 00:08:26,980 Il y a également des arrêts qui affirment  126 00:08:28,100 --> 00:08:31,660 qu'on peut soulever une fin de non-recevoir pour la première fois en appel,  127 00:08:31,660 --> 00:08:35,820 donc on ne peut pas considérer que ne pas l'avoir soulevé du tout pendant la première instance 128 00:08:35,820 --> 00:08:38,740 et se réveiller seulement en appel, c'est une contradiction au détriment d'autrui. 129 00:08:38,740 --> 00:08:40,240 Non, ça n'en est pas une. 130 00:08:41,400 --> 00:08:43,460 On est rassuré sur ces deux points. 131 00:08:44,350 --> 00:08:50,540 Dans quel cas on considérerait qu'il y a une contradiction au détriment d'autrui ? 132 00:08:51,460 --> 00:08:54,120 On ne le sait pas puisque ça n'arrive quasiment jamais. 133 00:08:54,120 --> 00:08:57,260 Quand je dis quasiment, c'est qu'il y a eu, à ma connaissance,  134 00:08:57,260 --> 00:09:00,150 un arrêt en 2011 de la chambre commerciale  135 00:09:00,350 --> 00:09:04,650 qui a considéré qu'il y avait une irrecevabilité de ce fait, 136 00:09:04,825 --> 00:09:06,850 mais qu'il n'a pas été réaffirmé,  137 00:09:06,850 --> 00:09:09,640 et même le contraire a plutôt été affirmé dans la même circonstance. 138 00:09:09,960 --> 00:09:11,500 C'est à peu près tout. 139 00:09:12,010 --> 00:09:15,190 La doctrine aujourd'hui s'interroge donc sur la positivité du principe. 140 00:09:15,240 --> 00:09:16,150 C'est assez étonnant. 141 00:09:16,150 --> 00:09:18,280 Ce principe a été posé solennellement par l'assemblée plénière. 142 00:09:18,690 --> 00:09:20,890 Et ensuite, il n'a jamais été mis en œuvre. 143 00:09:23,320 --> 00:09:28,660 Voilà pour cette condition objective  ajoutée par la jurisprudence. 144 00:09:28,740 --> 00:09:31,250 Il y a une autre condition objective d'existence du droit d'action  145 00:09:31,250 --> 00:09:33,025 qui a été ajoutée par la jurisprudence 146 00:09:33,020 --> 00:09:35,500 et qui elle est tout à fait mise en œuvre et donne lieu à sanction, 147 00:09:35,920 --> 00:09:40,640 c'est la condition du respect d'une éventuelle clause de conciliation 148 00:09:40,640 --> 00:09:43,120 ou de médiation préalable obligatoire. 149 00:09:43,810 --> 00:09:48,200 Néanmoins, je ne l'étudierai pas, car dans le cadre de ce cours de procédure civile générale, 150 00:09:48,200 --> 00:09:49,330 je n'ai pas le temps de l'évoquer. 151 00:09:49,680 --> 00:09:55,420 Cette condition a plutôt vocation à être évoquée dans un cours 152 00:09:55,640 --> 00:09:58,120 qui peut traiter des modes alternatifs et des modes amiables,  153 00:09:58,120 --> 00:09:59,700 en particulier de règlement des différends. 154 00:10:00,370 --> 00:10:03,620 Nous avons donc envisagé les conditions subjectives et les conditions objectives 155 00:10:03,620 --> 00:10:05,440 d'existence de l'action en justice. 156 00:10:06,340 --> 00:10:10,260 À présent, nous savons quand on peut dire qu'on a un droit d'action. 157 00:10:11,050 --> 00:10:13,240 La question maintenant, j'ai un droit d'action,  158 00:10:13,240 --> 00:10:16,540 j'ai intérêt, qualité, la chose n'a pas été jugée, pas de prescription, etc., 159 00:10:16,780 --> 00:10:18,760 comment fais-je pour exercer ce droit d'action ? 160 00:10:18,760 --> 00:10:23,920 C'est donc le titre 3 que nous évoquerons dans une prochaine vidéo.