1 00:00:05,310 --> 00:00:10,540 B donc, les conditions de mise en œuvre de l'autorité de la chose jugée. 2 00:00:12,440 --> 00:00:17,380 Pour que la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée, 3 00:00:17,960 --> 00:00:21,880 pour que cette fin de non-recevoir opposée avec succès à une demande, 4 00:00:22,040 --> 00:00:30,540 il faut que cette demande ait déjà été tranchée dans le dispositif d'un véritable jugement,  5 00:00:30,960 --> 00:00:33,840 c'est-à-dire qu'il y a trois conditions qui doivent être réunies. 6 00:00:33,990 --> 00:00:37,400 D'abord il faut que ce soit bien la même demande,  7 00:00:37,400 --> 00:00:42,460 que la demande soumise au juge soit identique à une demande qui a déjà fait l'objet d'un jugement. 8 00:00:42,680 --> 00:00:43,860 C'est la première condition. 9 00:00:44,580 --> 00:00:45,180 Deuxièmement, 10 00:00:45,180 --> 00:00:50,500 il faut que la demande qui a déjà été jugée ait fait l'objet d'un véritable jugement, 11 00:00:50,620 --> 00:00:51,550 deuxième condition. 12 00:00:51,750 --> 00:00:58,520 Et enfin, il faut que la demande qui a déjà été jugée ait été tranchée 13 00:00:58,600 --> 00:01:01,680 dans la partie du jugement qu'on appelle le dispositif 14 00:01:01,680 --> 00:01:05,480 et non pas seulement dans les motifs de ce jugement, c'est la troisième condition. 15 00:01:05,910 --> 00:01:10,040 Première condition donc,  la chose doit avoir été jugée. 16 00:01:10,680 --> 00:01:14,020 Il faut qu'il s'agisse de la même demande que la première fois. 17 00:01:14,820 --> 00:01:19,360 D'où la question, comment est-ce qu'on sait que c'est la même demande ? 18 00:01:19,500 --> 00:01:23,000 Comment est-ce qu'on sait que l'une des parties refait le même procès,  19 00:01:23,080 --> 00:01:25,360 entend faire juger le même litige ? 20 00:01:25,710 --> 00:01:28,260 Dans l'adage non bis in idem, 21 00:01:28,260 --> 00:01:32,360 la question est de savoir comment est-ce qu'on détermine idem, le même litige. 22 00:01:33,390 --> 00:01:36,200 La loi répond à cette question, c'est dans le Code civil,  23 00:01:36,380 --> 00:01:42,720 cette fois-ci c'est l'article 1355 du Code civil qui auparavant était numéroté 1351, 24 00:01:42,720 --> 00:01:44,060 mais rédigé à l'identique. 25 00:01:44,540 --> 00:01:47,480 C'est la raison pour laquelle dans les arrêts que vous pourrez voir,  26 00:01:47,480 --> 00:01:51,760 il est souvent fait allusion à l'article 1351 qui aujourd'hui donc est l'article 356. 27 00:01:52,020 --> 00:01:55,840 Voici son contenu : "L'autorité de la chose jugée n'a lieu 28 00:01:55,840 --> 00:01:58,160 qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement." 29 00:01:58,600 --> 00:02:02,920 Donc c'est la première phrase, ça signifie,  il n'a lieu qu'à l'égard de la demande 30 00:02:02,920 --> 00:02:05,900 qui a fait l'objet du jugement de la demande qui a été tranchée par un juge. 31 00:02:06,600 --> 00:02:11,100 Ensuite l'article 1355 donne la définition de la chose déjà jugée. 32 00:02:11,820 --> 00:02:17,360 Je reprends l'article 1355 : "Il faut que la chose demandée soit la même, 33 00:02:17,740 --> 00:02:20,480 que la demande soit fondée sur la même cause,  34 00:02:20,980 --> 00:02:23,240 que la demande soit entre les mêmes parties 35 00:02:23,240 --> 00:02:26,440 et formée par elles et contre elles en la même qualité. 36 00:02:26,820 --> 00:02:30,580 C'est l'énoncé de ce qu'on appelle la triple identité,  37 00:02:30,600 --> 00:02:34,340 c'est-à-dire que le législateur a décortiqué la demande 38 00:02:34,460 --> 00:02:36,580 pour en dégager les éléments essentiels 39 00:02:36,720 --> 00:02:40,760 et ce sont donc ces éléments qui devront être les mêmes 40 00:02:40,760 --> 00:02:43,240 pour qu'on puisse dire que c'est bien la même demande. 41 00:02:44,010 --> 00:02:45,160 Alors je les reprends. 42 00:02:45,300 --> 00:02:49,100 Identité de parties, les parties doivent être les mêmes, 43 00:02:49,100 --> 00:02:52,320 pas nécessairement d'ailleurs dans les mêmes positions de demandeur et défendeur, 44 00:02:52,320 --> 00:02:53,960 mais il faut que ce soit les mêmes. 45 00:02:54,480 --> 00:02:59,200 La formule un peu obscure de la fin "formée par elles et contre elles en la même qualité", 46 00:02:59,340 --> 00:03:02,380  est obscure d'abord parce qu'on utilise le mot qualité alors qu'en réalité, 47 00:03:02,380 --> 00:03:08,800 ce que vise à désigner l'article 1355,  c'est une hypothèse de représentation. 48 00:03:09,140 --> 00:03:12,160 Donc ce n'est pas une question de qualité, peu importe. 49 00:03:12,720 --> 00:03:17,520 En tous les cas, ça vise simplement à préciser que si au cours d'un premier procès,  50 00:03:17,760 --> 00:03:20,920 une personne agit comme représentante d'une autre, 51 00:03:21,000 --> 00:03:27,720 par exemple une mère agit au nom de son fils pour demander des aliments au père de son fils 52 00:03:28,700 --> 00:03:31,020 et qu'ensuite, elle forme la même demande, 53 00:03:31,020 --> 00:03:34,180 mais cette fois-ci en son nom propre, elle demande des aliments au père de son fils, 54 00:03:34,180 --> 00:03:37,560 mais en tant que elle, la mère, en son nom propre, 55 00:03:37,600 --> 00:03:41,840 en réalité, les parties ne sont pas les mêmes puisque lorsqu'elle représentait son fils, 56 00:03:41,900 --> 00:03:44,740 le demandeur était uniquement son fils et elle pas du tout 57 00:03:44,740 --> 00:03:47,320 puisqu'elle était une représentante donc transparente. 58 00:03:47,320 --> 00:03:50,720 Voilà simplement ce que vise à préciser la fin de l'article 1355. 59 00:03:51,900 --> 00:03:53,700 Il faut que la chose demandée soit la même. 60 00:03:53,700 --> 00:03:57,040 Cela signifie que l'objet de la demande doit être le même. 61 00:03:57,080 --> 00:03:58,975 L'objet, c'est-à-dire, je le rappelle,  62 00:03:58,970 --> 00:04:02,250 les prétentions donc au sens étroit qu'on emploie en procédure, 63 00:04:02,360 --> 00:04:06,400 uniquement l'avantage qu'il est demandé au juge d'octroyer des dommages et intérêts, 64 00:04:06,400 --> 00:04:08,880 la nullité du contrat, etc. 65 00:04:09,640 --> 00:04:14,540 Par exemple, il n'y aura pas identité d'objet si la première fois à propos d'un même bail, 66 00:04:14,720 --> 00:04:18,820 une partie a agi en révision du loyer et puis la deuxième fois,  67 00:04:18,820 --> 00:04:20,580 elle agit en résiliation du bail. 68 00:04:20,640 --> 00:04:23,860 Elle ne demande pas le même avantage, il n'y a donc pas identité d'objet. 69 00:04:25,840 --> 00:04:30,900 Troisièmement, il faut que la demande soit fondée sur la même cause. 70 00:04:31,380 --> 00:04:33,740 C'est donc une exigence d'identité de cause. 71 00:04:33,810 --> 00:04:36,120 Alors là, les problèmes commencent. 72 00:04:36,210 --> 00:04:42,240 D'abord le mot cause est obscur, à telle enseigne que dans le Code de procédure civile, 73 00:04:42,240 --> 00:04:43,340 on ne le trouve pas. 74 00:04:43,500 --> 00:04:47,920 Dans les années 70, quand le Code de procédure civile a été intégralement refondu, 75 00:04:48,180 --> 00:04:51,140 les rédacteurs ont décidé de le bannir du code,  76 00:04:51,360 --> 00:04:55,580 pour les mêmes raisons que la raison pour laquelle il a été banni du Code civil,  77 00:04:55,640 --> 00:05:00,340 c'est-à-dire que le mot cause est un mot qui est susceptible de revêtir plusieurs sens 78 00:05:00,340 --> 00:05:01,770 et qui n'est pas clair en soi. 79 00:05:01,770 --> 00:05:03,620 Il y avait des polémiques sur son sens, 80 00:05:03,760 --> 00:05:06,120 des polémiques doctrinales  et aussi jurisprudentielles,  81 00:05:06,120 --> 00:05:10,600 et donc les rédacteurs se sont dit : "On ne va plus l'utiliser". 82 00:05:11,400 --> 00:05:13,520 Donc dans le Code de procédure civile, on ne trouve plus la cause, 83 00:05:13,520 --> 00:05:16,520 mais il se trouve qu'ils ne réformaient  que le Code de procédure civile,  84 00:05:16,520 --> 00:05:20,420 pas le Code civil donc c'est la raison pour laquelle l'article 1355,  85 00:05:20,640 --> 00:05:23,080 on trouve encore le mot cause. 86 00:05:23,260 --> 00:05:24,220 Alors grosso modo,  87 00:05:24,220 --> 00:05:31,400 ça signifie la raison pour laquelle on estime qu'on a droit à l'avantage qu'on demande. 88 00:05:31,440 --> 00:05:36,670 Autrement dit, ce qui fonde au sens, selon l'avis du demandeur,  89 00:05:36,680 --> 00:05:41,080 ce qui fonde son droit à obtenir des dommages et intérêts, la nullité du contrat, etc.,  90 00:05:41,080 --> 00:05:43,280 le fondement de la demande. 91 00:05:44,860 --> 00:05:49,160 Mais il ne suffit pas de dire ça, il y a encore plusieurs façons d'entendre, 92 00:05:49,160 --> 00:05:51,780 plus ou moins étroites d'entendre ce fondement. 93 00:05:52,060 --> 00:05:58,480 Alors à ce sujet est intervenu l'un des plus célèbres arrêts rendus en procédure civile 94 00:05:58,540 --> 00:06:03,060 au cours des 15 dernières années qui est l'arrêt dit arrêts Césareo. 95 00:06:03,700 --> 00:06:07,400 C'est un arrêt de l'assemblée plénière du 7 juillet 2006, Césareo. 96 00:06:08,650 --> 00:06:12,280 Je vais en décrire les faits parce qu'ils sont parfaitement représentatifs, 97 00:06:12,280 --> 00:06:15,620 enfin ils permettent parfaitement de comprendre en quoi a consisté le revirement. 98 00:06:16,180 --> 00:06:21,940 Gilbert Césareo avait effectué pour son père un travail dont il n'avait pas été payé, 99 00:06:23,020 --> 00:06:26,080 apparemment, dans une sorte de ferme ou quelque chose 100 00:06:26,080 --> 00:06:28,960 qui s'apparentait à une ferme les faits ne sont pas très précis. 101 00:06:29,020 --> 00:06:35,160 Son père décède et Gilbert Césareo entend être payé par la succession de ce travail 102 00:06:35,160 --> 00:06:37,600 et donc il assigne son frère en paiement. 103 00:06:37,600 --> 00:06:42,920 Alors il se fonde sur un article du Code rural qui permet d'obtenir un salaire différé 104 00:06:43,500 --> 00:06:45,875 à raison d'une activité professionnelle 105 00:06:45,875 --> 00:06:48,440 effectuée dans le cadre d'une exploitation agricole. 106 00:06:48,580 --> 00:06:49,450 Donc il demande ça, 107 00:06:49,925 --> 00:06:55,725 mais le tribunal le déboute de cette demande au motif qu'en réalité,  108 00:06:55,720 --> 00:06:57,425 il ne s'agissait pas d'une exploitation agricole 109 00:06:57,480 --> 00:07:00,280 donc c'est pour ça que j'ai dit une sorte de ferme, mais en tout cas, 110 00:07:00,280 --> 00:07:03,860 ça n'est pas susceptible de revêtir la qualification d'exploitation agricole  111 00:07:04,160 --> 00:07:07,000 au sens du Code rural, en tout cas,  c'est ce qu'a estimé le tribunal. 112 00:07:07,420 --> 00:07:10,560 Donc il est débouté puisque le fondement juridique 113 00:07:10,560 --> 00:07:13,020 qu'il invoquait ne lui permettait pas d'obtenir ce qu'il voulait. 114 00:07:14,870 --> 00:07:20,300 Gilbert Césareo décide d'assigner à nouveau son frère à nouveau en première instance 115 00:07:21,020 --> 00:07:24,160 en changeant de fondement juridique et cette fois-ci, il décide de se fonder,  116 00:07:24,160 --> 00:07:27,940 puisqu'il n'en voit pas d'autre, sur la théorie de l'enrichissement sans cause,  117 00:07:27,960 --> 00:07:31,900 qui est donc un fondement subsidiaire que l'on utilise lorsque le droit n'en fournit pas d'autres, 118 00:07:32,000 --> 00:07:34,540 mais qu'on peut néanmoins faire valoir 119 00:07:34,540 --> 00:07:38,170 qu'il y a eu un enrichissement corrélatif à un appauvrissement 120 00:07:38,170 --> 00:07:41,880 et le tout sans cause à ce transfert de valeur d'une personne vers une autre. 121 00:07:42,580 --> 00:07:44,740 Il se fonde donc sur l'enrichissement sans cause. 122 00:07:44,770 --> 00:07:46,320 On ne sait pas ce qui se passe en première instance, 123 00:07:46,320 --> 00:07:53,180 mais la Cour d'appel vient à être saisie de ce second procès et devant la Cour d'appel en tout cas, 124 00:07:53,180 --> 00:07:57,920 le frère soulève la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, 125 00:07:58,140 --> 00:08:01,740 et la Cour d'appel déclare effectivement cette demande irrecevable 126 00:08:01,740 --> 00:08:03,100 parce qu'elle a déjà été jugée. 127 00:08:04,000 --> 00:08:07,120 Gilbert Césareo forme un pourvoi en cassation. 128 00:08:07,720 --> 00:08:14,080 Il invoque l'article 1351 à l'époque et la triple identité en faisant valoir 129 00:08:14,080 --> 00:08:17,260 qu'on ne peut pas la constater. 130 00:08:17,260 --> 00:08:19,760 Alors d'accord les parties sont les mêmes d'accord, l'objet est le même, 131 00:08:20,040 --> 00:08:23,500 mais la cause n'est pas la même selon Gilbert Césareo 132 00:08:23,500 --> 00:08:26,120 puisque le fondement juridique a changé 133 00:08:26,340 --> 00:08:29,100 et il faut dire que telle est la position de la jurisprudence 134 00:08:29,100 --> 00:08:30,520 au moment où il forme son pourvoi. 135 00:08:30,720 --> 00:08:36,860 Alors certes, il y a déjà eu un ou deux arrêts qui étaient un peu avant-coureur du revirement 136 00:08:36,860 --> 00:08:40,040 où certains observateurs avaient pu observer que c'était curieux,  137 00:08:40,600 --> 00:08:42,760 la notion de cause n'était pas appréhendée comme d'habitude, 138 00:08:42,760 --> 00:08:44,240 mais c'était juste un ou deux arrêts 139 00:08:44,240 --> 00:08:47,960 et on avait en revanche un arrêt d'assemblée plénière de 1994 qui disait très clairement : 140 00:08:47,960 --> 00:08:50,920 "Si le fondement juridique change,  ce n'est pas la même cause,  141 00:08:50,920 --> 00:08:53,580 il n'y a pas identité de cause, donc ça n'est pas la même demande. 142 00:08:53,650 --> 00:08:55,620 Il n'y a donc pas autorité de chose jugée." 143 00:08:55,780 --> 00:09:01,000 Et pourtant, le pourvoi contre la décision, le pourvoi de Gilbert Césareo est rejeté,  144 00:09:03,100 --> 00:09:06,780 avec l'attendu suivant que je vous lis entièrement : 145 00:09:07,180 --> 00:09:10,360 "Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter 146 00:09:10,360 --> 00:09:14,140 dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens 147 00:09:14,140 --> 00:09:16,120 qu'il estime de nature à fonder celle-ci." 148 00:09:16,780 --> 00:09:17,420 À la ligne. 149 00:09:17,420 --> 00:09:21,220 "Qu'ayant constaté que,  comme la demande originaire,  150 00:09:21,540 --> 00:09:25,000 la demande dont elle était saisie,  formée entre les mêmes parties, 151 00:09:25,400 --> 00:09:29,620 tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent à titre de rémunération 152 00:09:29,620 --> 00:09:33,480 d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière, 153 00:09:33,760 --> 00:09:38,240 la Cour d'appel en a exactement déduit que Gilbert Césareo ne pouvait être amené 154 00:09:38,240 --> 00:09:42,440  à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique 155 00:09:42,440 --> 00:09:45,180 qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile,  156 00:09:45,520 --> 00:09:47,740 de sorte que la demande se heurtait à la chose 157 00:09:47,740 --> 00:09:50,860 précédemment jugée relativement à la même contestation". 158 00:09:51,260 --> 00:09:53,180 Que décide ainsi l'assemblée plénière ? 159 00:09:53,480 --> 00:09:56,840 Eh bien la solution désormais, c'est que même si le fondement juridique a changé, 160 00:09:57,900 --> 00:10:01,580 on doit considérer, si tout le reste est identique,  161 00:10:01,780 --> 00:10:05,000 que c'est la même demande et qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée, 162 00:10:05,000 --> 00:10:06,540 elle est donc déclarée irrecevable. 163 00:10:07,100 --> 00:10:10,580 Juridiquement, comment cette nouvelle solution est-elle fondée ? 164 00:10:10,620 --> 00:10:14,740 Comment l'assemblée plénière peut-elle concilier cette nouvelle solution 165 00:10:14,820 --> 00:10:21,140 avec l'article 1351 à l'époque, aujourd'hui 1355 du Code civil, qui exige trois identités ? 166 00:10:22,430 --> 00:10:24,175 L'arrêt énonce : 167 00:10:24,200 --> 00:10:29,140 "Gilbert Césareo ne pouvait être admis à contester l'identité de cause des deux demandes". 168 00:10:29,330 --> 00:10:34,280 Autrement dit, selon la Cour de cassation, il y avait bien identité de cause. 169 00:10:34,880 --> 00:10:35,920 Mais, en quoi ? 170 00:10:35,980 --> 00:10:37,780 Puisque le fondement juridique n'était pas le même. 171 00:10:37,780 --> 00:10:41,000 Comment peut-elle décider qu'il y avait identité de cause ? 172 00:10:42,540 --> 00:10:44,540 C'est tout simplement parce que la cause, 173 00:10:44,740 --> 00:10:49,280 dans les considérations qui servent à fonder une prétention,  174 00:10:49,280 --> 00:10:51,100 il n'y a pas que des considérations juridiques. 175 00:10:51,100 --> 00:10:52,600 Le fondement n'est pas que juridique. 176 00:10:52,610 --> 00:10:54,620 Il y a aussi des faits qui sont énoncés. 177 00:10:54,860 --> 00:10:58,440 Et donc on peut très bien estimer, c'est ce que fait la Cour de cassation,  178 00:10:58,580 --> 00:11:02,720 que la cause c'est désormais exclusivement les faits,  179 00:11:02,800 --> 00:11:05,520 et pas le fondement juridique qui est invoqué. 180 00:11:06,520 --> 00:11:08,420 Et en effet, c'est ce que dit l'assemblée plénière. 181 00:11:08,460 --> 00:11:11,200 Je reprends la phrase : "Comme la demande originaire, 182 00:11:11,400 --> 00:11:14,760 la demande dont elle était saisie,  formée entre les mêmes parties,  183 00:11:15,320 --> 00:11:18,620 tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent à titre de rémunération 184 00:11:18,620 --> 00:11:21,480 d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière". 185 00:11:22,040 --> 00:11:26,120 Ici, l'assemblée plénière caractérise, de façon malheureusement peu elliptique, 186 00:11:26,120 --> 00:11:30,980 mais néanmoins, la triple identité formée entre les mêmes parties, identité de parti. 187 00:11:31,400 --> 00:11:33,520 Cette demande, comme la demande originaire,  188 00:11:33,520 --> 00:11:36,920 elle tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent identité d'objet. 189 00:11:37,140 --> 00:11:39,820 À titre de rémunération d'un travail prétendument effectué 190 00:11:39,820 --> 00:11:42,720 sans contrepartie financière,  identité de cause. 191 00:11:42,720 --> 00:11:44,800 Autrement dit, dans les deux cas,  192 00:11:44,960 --> 00:11:48,220 pourquoi est-ce que Gilbert Césareo a estimé qu'il avait droit à une somme d'argent ? 193 00:11:48,360 --> 00:11:51,300 Parce qu'il avait fait un travail pour son père et qu'il n'avait pas été payé. 194 00:11:51,410 --> 00:11:56,520 Les faits invoqués au soutien de la prétention sont les mêmes les deux fois. 195 00:11:58,070 --> 00:12:01,500 On interprète donc différemment désormais le mot "cause". 196 00:12:01,960 --> 00:12:05,860 Et en réalité, on l'interprète de façon plus large qu'avant. 197 00:12:06,140 --> 00:12:07,200 Je m'explique. 198 00:12:07,580 --> 00:12:12,220 Avant 2006, la cause c'était le fondement de la prétention. 199 00:12:12,320 --> 00:12:16,060 Ce fondement était défini à la fois factuellement et juridiquement,  200 00:12:16,680 --> 00:12:18,300 double définition. 201 00:12:19,120 --> 00:12:20,680 C'est-à-dire que la cause,  202 00:12:20,680 --> 00:12:26,420 c'était uniquement les faits qualifiés d'une certaine façon par le demandeur,  203 00:12:26,780 --> 00:12:31,440 et auxquels le demandeur avait appliqué une certaine règle de droit. 204 00:12:33,140 --> 00:12:38,460 Aujourd'hui, la cause, donc depuis 2006, ce sont les faits,  205 00:12:38,920 --> 00:12:42,640 quelle que soit la qualification qui leur a été appliquée par le demandeur. 206 00:12:43,070 --> 00:12:44,840 La notion de cause est donc plus large,  207 00:12:44,840 --> 00:12:48,580 on va plus facilement constater qu'il y a identité de cause. 208 00:12:48,820 --> 00:12:52,720 Puisque même si le fondement du juridique change, on ne regarde que les faits. 209 00:12:53,240 --> 00:12:56,260 Donc, il sera plus facile de constater que la cause est la même. 210 00:12:56,720 --> 00:13:00,140 Il y aura donc plus facilement autorité de la chose jugée. 211 00:13:01,220 --> 00:13:06,020 Il faut bien remarquer que, contrairement à ce que pensent certains auteurs,  212 00:13:06,020 --> 00:13:07,300 une partie de la doctrine,  213 00:13:07,300 --> 00:13:12,640 je pense quant à moi que l'exigence d'identité de cause n'a pas disparu. 214 00:13:13,550 --> 00:13:17,100 Certains auteurs estiment qu'il ne reste plus que l'identité de parti et l'identité d'objet. 215 00:13:17,430 --> 00:13:18,260 Moi, je pense que non. 216 00:13:18,260 --> 00:13:21,540 Je pense que l'identité de cause est toujours exigée. 217 00:13:21,800 --> 00:13:25,160 Simplement, la cause n'est plus entendue de la même façon. 218 00:13:25,520 --> 00:13:27,160 Elle est purement factuelle. 219 00:13:27,470 --> 00:13:33,500 Mais si les faits invoqués la deuxième fois ont changé  220 00:13:33,580 --> 00:13:35,640 parce qu'il y a eu des circonstances nouvelles, 221 00:13:35,740 --> 00:13:38,220 alors on ne pourra pas dire que la cause est la même. 222 00:13:38,260 --> 00:13:41,900 Il n'y aura donc pas identité de cause, il n'y aura pas autorité de la chose jugée,  223 00:13:41,900 --> 00:13:43,740 et la demande sera recevable. 224 00:13:47,040 --> 00:13:50,610 Il est vrai, en revanche, que s'il n'y a pas d'événements nouveaux,  225 00:13:50,610 --> 00:13:56,640 pas de circonstances nouvelles, alors ça prive le plaideur d'une seconde chance ; 226 00:13:57,740 --> 00:14:01,660 seconde chance qu'il aurait tentée  avec un nouveau fondement juridique. 227 00:14:02,440 --> 00:14:04,440 Pourquoi ce revirement est-il intervenu ? 228 00:14:04,640 --> 00:14:06,820 Pour des raisons de politique judiciaire. 229 00:14:07,680 --> 00:14:11,200 On gagne du temps, on n'a pas besoin de refaire tout un procès,  230 00:14:11,420 --> 00:14:14,600 tout est vidé dès le premier procès. 231 00:14:15,090 --> 00:14:19,700 La Cour de cassation, dans son rapport pour l'année 2006,  232 00:14:19,700 --> 00:14:24,980 a également mis en avant qu'il s'agissait de préserver la loyauté des parties,  233 00:14:24,980 --> 00:14:30,940 c'est-à-dire qu'on rend inutile la manœuvre qui consisterait 234 00:14:30,940 --> 00:14:34,540 pour une partie à ne pas dévoiler dès le premier procès tous ses fondements juridiques,  235 00:14:35,120 --> 00:14:38,480 en en gardant un sous le coude, en se disant : 236 00:14:38,480 --> 00:14:41,740 "Il pourra faire l'objet éventuellement d'un second procès si les choses tournent mal". 237 00:14:42,330 --> 00:14:43,940 En tous les cas, la conséquence pratique,  238 00:14:43,940 --> 00:14:48,160 il est certain que la conséquence pratique de cette modification de la notion de cause,  239 00:14:48,160 --> 00:14:50,340 et donc de l'étendue de l'autorité la chose jugée,  240 00:14:51,320 --> 00:14:56,340 la Cour de cassation l'énonce elle-même dans son arrêt : 241 00:14:57,280 --> 00:14:59,625 "Mais attendu qu'il incombe au demandeur 242 00:14:59,620 --> 00:15:02,825 de présenter dès l'instance relative à la première demande 243 00:15:03,025 --> 00:15:06,400 l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci". 244 00:15:07,020 --> 00:15:10,540 Petite précision : qu'est-ce que l'Instance relative à la première demande ? 245 00:15:10,580 --> 00:15:14,760 Le mot "instance" est ambigu parce que l'instance peut être prise dans un sens large : 246 00:15:14,920 --> 00:15:17,000 la première instance, l'instance d'appel. 247 00:15:17,190 --> 00:15:18,880 Dans un sens étroit, pardon. 248 00:15:18,880 --> 00:15:21,560 Ou dans un sens large : le procès. 249 00:15:22,110 --> 00:15:25,520 En l'occurrence, c'est ce sens large qui est utilisé. 250 00:15:25,560 --> 00:15:27,120 L'instance relative à la première demande :  251 00:15:27,120 --> 00:15:30,880 ça veut dire le procès qui a été initié par une première demande,  252 00:15:30,880 --> 00:15:35,060 mais qui a pu faire l'objet d'un appel ou d'un pourvoi en cassation. 253 00:15:37,480 --> 00:15:40,860 Cela signifie que désormais,  254 00:15:40,860 --> 00:15:44,980 puisque les parties ne pourront pas recommencer tout un procès depuis le début,  255 00:15:44,980 --> 00:15:48,500 depuis la première instance, avec un nouveau fondement juridique,  256 00:15:48,660 --> 00:15:55,360 ces fondements juridiques envisageables,  il faut les présenter lors du premier procès ; 257 00:15:55,440 --> 00:15:57,960 ce qu'on appelle la concentration des moyens. 258 00:15:58,160 --> 00:16:02,940 Les parties doivent concentrer leurs moyens, tout simplement parce que si elles ne le font pas,  259 00:16:04,460 --> 00:16:09,160 il sera trop tard pour essayer d'intenter un second procès. 260 00:16:10,650 --> 00:16:15,440 Cette exigence de concentration des moyens a ensuite été bilatéralisée 261 00:16:17,640 --> 00:16:23,080 au profit du défendeur dans un arrêt de la troisième chambre civile du 13 février 2008. 262 00:16:23,580 --> 00:16:25,260 Voici quels ont été les faits. 263 00:16:26,520 --> 00:16:33,080 Un défendeur, une SCI, avait été assigné en exécution forcée d'une vente. 264 00:16:33,080 --> 00:16:36,220 Le demandeur estimait qu'une vente avait été formée,  265 00:16:36,220 --> 00:16:41,680 que le transfert de propriété avait donc été opéré à son profit. 266 00:16:41,790 --> 00:16:44,480 Il fallait maintenant aller devant le notaire régulariser la vente. 267 00:16:44,670 --> 00:16:46,800 Il a estimé que la vente n'était pas formée. 268 00:16:48,240 --> 00:16:54,500 Le prétendu acheteur la signe en régularisation forcée de la vente,  269 00:16:54,760 --> 00:17:00,260 et la SCI se défend en énonçant que selon elle la vente n'était pas formée. 270 00:17:00,460 --> 00:17:02,280 On était dans une histoire du droit de la construction,  271 00:17:02,280 --> 00:17:06,200 dans laquelle lorsque l'immeuble n'est pas encore construit 272 00:17:06,200 --> 00:17:08,500 il y a un certain nombre d'avant-contrats qui sont conclus. 273 00:17:08,500 --> 00:17:13,220 Et la difficulté est souvent de savoir si cet avant-contrat vaut déjà vente ou pas encore. 274 00:17:13,420 --> 00:17:16,060 La SCI prétend que non et elle perd, 275 00:17:16,060 --> 00:17:20,120 c'est-à-dire que le tribunal estime que si la vente était bien formée, 276 00:17:20,120 --> 00:17:23,140 il y avait bien échange des consentements, transfert de propriété,  277 00:17:23,140 --> 00:17:25,400 et la condamne donc à régulariser la vente,  278 00:17:25,400 --> 00:17:27,480 donc à aller devant le notaire pour régulariser la vente. 279 00:17:28,950 --> 00:17:33,560 Plus tard, la SCI se rend compte qu'il y a un argument qu'elle aurait pu invoquer,  280 00:17:33,700 --> 00:17:40,300 qui consistait à demander la nullité du contrat : plus exactement, la rescision pour lésion. 281 00:17:40,320 --> 00:17:43,040 C'est-à-dire qu'elle se rend compte qu'on peut plaider 282 00:17:43,260 --> 00:17:49,000 que le contrat a été légionnaire de plus des 7/12e à son détriment. 283 00:17:49,380 --> 00:17:56,160 Et donc, elle aurait pu à titre principal  plaider que le contrat n'était pas formé,  284 00:17:56,280 --> 00:17:57,940 et à titre subsidiaire énoncer que : 285 00:17:57,940 --> 00:18:02,060 "Même (inaudible) extraordinaire, il était jugé que le contrat a été formé, 286 00:18:02,060 --> 00:18:05,620 alors il fallait l'annuler parce qu'il était lésionnaire". 287 00:18:06,230 --> 00:18:07,160 Elle n'y a pas pensé. 288 00:18:07,380 --> 00:18:12,180 Qu'à cela ne tienne, elle se dit : "Grave, je peux prendre les devants, je fais une action moi-même." 289 00:18:12,220 --> 00:18:14,940 Et donc, elle agit en rescision pour lésion de ce contrat 290 00:18:14,940 --> 00:18:18,360 dont l'information a été constatée par un premier jugement. 291 00:18:18,860 --> 00:18:22,820 Et cette demande est déclarée irrecevable, au motif suivant : 292 00:18:23,340 --> 00:18:28,700 "Il incombait à la SCI défenderesse à l'action en régularisation forcée de la vente 293 00:18:28,925 --> 00:18:31,375 de présenter, dès cette instance,  294 00:18:31,525 --> 00:18:36,950 l'ensemble des moyens qu'elle estimait  de nature à faire échec à la demande, 295 00:18:37,360 --> 00:18:39,140 en invoquant notamment la lésion,  296 00:18:39,280 --> 00:18:42,700 fondement juridique qu'elle s'était abstenue de présenter en temps utile,  297 00:18:42,740 --> 00:18:46,820 de sorte que l'action en révision se heurtait à l'Autorité de la chose jugée  298 00:18:47,000 --> 00:18:50,820 s'attachant à l'arrêt précédent qui avait constaté l'efficacité du contrat de vente. 299 00:18:53,100 --> 00:18:56,260 La Cour de cassation casse donc  l'arrêt qui en avait décidé autrement  300 00:18:56,500 --> 00:19:02,720 pour violation de l'article 1351", encore à l'époque, 1355 aujourd'hui, "du Code civil."  301 00:19:02,920 --> 00:19:09,440 Le défendeur aussi, lorsqu'il pense à tous les moyens de faire rejeter la prétention,  302 00:19:09,500 --> 00:19:10,880 il doit vraiment penser à tous les moyens. 303 00:19:10,880 --> 00:19:16,380 Parce que s'il en oublie un, dont il se trouve qu'il pourrait faire l'objet d'une action… 304 00:19:16,380 --> 00:19:18,700 C'est-à-dire que la petite difficulté en l'espèce, 305 00:19:18,700 --> 00:19:21,740 c'est que le défendeur est défendeur au premier procès,  306 00:19:21,740 --> 00:19:23,620 mais il devient demandeur dans le premier procès. 307 00:19:23,620 --> 00:19:25,400 Il agit en rescision pour lésion. 308 00:19:27,325 --> 00:19:33,200 Il ne peut pas le faire parce que l'on exige de lui aussi 309 00:19:33,680 --> 00:19:38,220 qu'il pense à tous les moyens au soutien du rejet de la prétention. 310 00:19:38,250 --> 00:19:40,860 Puisqu'il est d'abord en position de défendeur,  311 00:19:40,860 --> 00:19:44,200 il doit penser à tous les moyens qui permettent de rejeter la prétention. 312 00:19:44,200 --> 00:19:45,875 Sinon, on lui dira après : 313 00:19:46,125 --> 00:19:51,670 "Désolé, ce que vous demandez, en réalité c'est la même chose que la première fois,  314 00:19:51,670 --> 00:19:55,050 c'est-à-dire vous ne voulez pas être lié par le contrat de vente,  315 00:19:55,160 --> 00:19:57,700 donc vous demandez la même chose à la même personne. 316 00:19:58,100 --> 00:20:03,300 Il fallait penser au fondement juridique qui vous le permettait lors du premier procès." 317 00:20:04,180 --> 00:20:09,620 Nous verrons les critiques que cela a déclenchées dans une prochaine vidéo.