1 00:00:05,080 --> 00:00:08,950 Paragraphe 2 : l'équivalence des systèmes européens de protection. 2 00:00:13,230 --> 00:00:17,820 Il faut bien comprendre que la Charte et les principes généraux 3 00:00:18,020 --> 00:00:20,580 du droit de l'Union européenne ne constituent pas les seuls 4 00:00:20,780 --> 00:00:22,830 instruments de protection des droits fondamentaux. 5 00:00:23,790 --> 00:00:27,030 Les États membres appliquent la CDHE, et bien entendu leurs droits 6 00:00:27,230 --> 00:00:31,350 constitutionnels, auxquels d'ailleurs se réfèrent expressément l'article 6, 7 00:00:31,550 --> 00:00:33,900 paragraphe 3, puisque les principes généraux, je vous le rappelle, 8 00:00:34,100 --> 00:00:36,480 sont inspirés des traditions constitutionnelles communes, 9 00:00:36,680 --> 00:00:40,230 d'une part, de la Convention européenne des droits de l'homme, 10 00:00:40,430 --> 00:00:41,190 d'autre part. 11 00:00:41,390 --> 00:00:43,200 Ce qui pose la question de l'articulation. 12 00:00:44,160 --> 00:00:46,080 D'abord, avec la CEDH, et ensuite, on le verra, 13 00:00:46,500 --> 00:00:50,760 avec les droits constitutionnels des États membres. 14 00:00:50,960 --> 00:00:51,990 D'abord, I, la CEDH. 15 00:00:52,190 --> 00:01:01,890 Il y a conciliation nécessaire parce que si l'Union n'est pas 16 00:01:02,090 --> 00:01:09,180 liée par la CEDH, d'abord, elle la respecte indirectement 17 00:01:09,380 --> 00:01:14,130 par l'intermédiaire des principes généraux du droit, et puis il y a aussi, 18 00:01:14,330 --> 00:01:17,670 expressément prévue par la Charte elle même, l'idée qu'il y a une 19 00:01:17,870 --> 00:01:20,490 correspondance, et on le voit très bien dans les explications, 20 00:01:20,820 --> 00:01:23,520 entre les droits consacrés par la Charte et les droits protégés 21 00:01:23,720 --> 00:01:25,140 par la Convention européenne des droits de l'homme. 22 00:01:26,250 --> 00:01:29,100 Mais la question qui se pose est essentiellement une autre, 23 00:01:29,730 --> 00:01:32,640 c'est la manière dont la Cour européenne des droits de l'homme, 24 00:01:32,840 --> 00:01:36,930 aujourd'hui, indirectement, contrôle le droit de l'Union 25 00:01:37,130 --> 00:01:42,780 européenne, et ce, depuis un arrêt Matthews de 1999, et surtout un 26 00:01:42,980 --> 00:01:46,320 arrêt Bosphorus de 2005, Bosphorus contre l'Irlande du 30 27 00:01:46,520 --> 00:01:47,280 juin 2005. 28 00:01:48,030 --> 00:01:48,810 De quelle manière ? 29 00:01:49,650 --> 00:01:55,140 On part du principe qu'un État membre de l'Union européenne doit 30 00:01:55,340 --> 00:01:59,910 répondre de son action devant la Cour européenne des droits de l'homme, 31 00:02:00,660 --> 00:02:02,960 même s'il est dans l'application du droit de l'Union européenne. 32 00:02:03,160 --> 00:02:06,270 Autrement dit, le fait qu'il exécute le droit de l'Union européenne 33 00:02:06,470 --> 00:02:11,940 ne le met pas à l'abri du respect de la Convention et de la compétence 34 00:02:12,140 --> 00:02:12,990 de la Cour européenne des droits de l'homme. 35 00:02:13,190 --> 00:02:16,710 Ce qui veut dire que la Cour européenne des droits l'homme peut contrôler 36 00:02:18,750 --> 00:02:21,590 l'application par un État membre du droit de l'Union européenne. 37 00:02:21,790 --> 00:02:23,820 Dans l'affaire Matthews, c'était très clair, c'était le 38 00:02:24,020 --> 00:02:29,060 droit de vote pour les élections européennes exclu pour les habitants 39 00:02:29,810 --> 00:02:34,520 de Gibraltar, en application d'un acte de droit de l'Union européenne ; 40 00:02:35,300 --> 00:02:36,830 le Royaume-Uni respectait cela. 41 00:02:37,340 --> 00:02:39,760 La Cour européenne des droits de l'homme a considéré que dans 42 00:02:39,960 --> 00:02:44,810 l'exécution de cette obligation du droit communautaire, le Royaume-Uni 43 00:02:45,010 --> 00:02:50,390 n'avait pas respecté la Convention européenne des droits de l'homme. 44 00:02:53,720 --> 00:02:57,860 Il y a là une difficulté qui a conduit à dégager, dans la 45 00:02:58,060 --> 00:03:01,460 jurisprudence Bosphorus, ce qu'on appelle une présomption, 46 00:03:01,770 --> 00:03:05,300 une présomption dont va bénéficier le droit de l'Union européenne 47 00:03:05,720 --> 00:03:08,480 au regard de la Convention européenne des droits de l'homme. 48 00:03:09,980 --> 00:03:11,870 Cette présomption signifie quoi ? 49 00:03:12,070 --> 00:03:16,070 Que, depuis 2005, la Cour européenne des droits de l'homme considère 50 00:03:16,880 --> 00:03:24,440 ici que l'État membre de l'Union européenne doit répondre de ses 51 00:03:24,640 --> 00:03:30,070 actes comportant la mise en œuvre du droit de l'Union européenne 52 00:03:30,270 --> 00:03:32,330 ou l'exécution de droit de l'Union européenne, devant la Cour européenne 53 00:03:32,530 --> 00:03:33,290 des droits de l'homme. 54 00:03:33,490 --> 00:03:38,560 Toutefois, si le droit de l'Union 55 00:03:38,760 --> 00:03:44,110 européenne ne lui laisse aucune marge de manœuvre dans cette exécution, 56 00:03:45,610 --> 00:03:48,100 s'il ne dispose pas de marge de manœuvre dans cette exécution, 57 00:03:48,550 --> 00:03:51,280 cela signifie que, indirectement, la Cour européenne des droits de 58 00:03:51,480 --> 00:03:52,930 l'homme va contrôler le droit de l'Union européenne. 59 00:03:53,620 --> 00:03:56,680 Et là, ce que dit la Cour européenne des droits de l'homme, 60 00:03:57,220 --> 00:04:01,630 c'est que dans l'état actuel du droit, elle considère en principe, 61 00:04:02,410 --> 00:04:07,300 comme équivalent à son système de protection, la protection garantie 62 00:04:07,500 --> 00:04:10,690 par la Cour de justice de l'Union européenne dans le système de l'Union 63 00:04:10,890 --> 00:04:11,650 européenne. 64 00:04:11,850 --> 00:04:16,300 Autrement dit, ici est posée une présomption d'équivalence de protection 65 00:04:16,500 --> 00:04:19,630 entre le système CEDH et le système Union européenne. 66 00:04:20,380 --> 00:04:21,610 On part de cette présomption. 67 00:04:22,420 --> 00:04:28,150 Cette présomption fait que, à partir de là, les recours engagés 68 00:04:28,350 --> 00:04:32,110 devant la CEDH contre des actes de droit de l'Union européenne 69 00:04:32,800 --> 00:04:37,720 n'ont pas vocation, en principe, à aboutir si cette présomption joue. 70 00:04:38,380 --> 00:04:42,790 Sauf que cette présomption est réfragable, elle peut être renversée 71 00:04:42,990 --> 00:04:49,120 à partir du moment où les États 72 00:04:49,320 --> 00:04:54,410 membres et l'Union européenne ne 73 00:04:54,610 --> 00:04:59,600 respectent manifestement pas la Convention européenne des droits 74 00:04:59,800 --> 00:05:00,560 de l'homme. 75 00:05:00,760 --> 00:05:07,610 Autrement dit, il y a une possibilité de renverser la présomption à partir 76 00:05:07,810 --> 00:05:12,860 du moment où on considère qu'il 77 00:05:16,320 --> 00:05:21,300 peut y avoir une violation de la Convention, une insuffisance manifeste 78 00:05:21,500 --> 00:05:23,190 dans la protection des droits fondamentaux. 79 00:05:23,970 --> 00:05:27,420 La présomption n'est pas irréfragable, loin s'en faut. 80 00:05:30,480 --> 00:05:34,650 Cette insuffisance manifeste dans la protection des droits garantis 81 00:05:34,850 --> 00:05:38,910 par la Convention n'a pas été constatée par la Cour européenne des droits 82 00:05:39,110 --> 00:05:39,870 de l'homme. 83 00:05:40,070 --> 00:05:42,960 Depuis l'arrêt Bosphorus, vous avez un certain nombre d'affaires 84 00:05:43,160 --> 00:05:48,660 dans lesquelles a été soulevé un moyen tenant à la violation, 85 00:05:48,860 --> 00:05:54,360 par l'État membre exécutant le droit de l'Union, de la Convention. 86 00:05:54,930 --> 00:05:58,440 Et la plupart du temps, à jouer la présomption d'équivalence, 87 00:05:58,640 --> 00:06:00,210 de sorte qu'il n'y a pas eu de difficulté. 88 00:06:00,780 --> 00:06:05,790 C'est finalement à partir d'un arrêt Michaud contre France de 89 00:06:05,990 --> 00:06:09,870 2012 que la Cour européenne des droits de l'homme a accepté de 90 00:06:10,070 --> 00:06:14,580 renverser, le cas échéant, la présomption en cas d'insuffisance 91 00:06:14,780 --> 00:06:16,050 manifeste de protection. 92 00:06:16,470 --> 00:06:21,970 Et on trouve une illustration dans un arrêt de 2021, Bivolaru et Moldovan 93 00:06:22,170 --> 00:06:29,280 contre France, une affaire 40324/16, dans laquelle il est intéressant 94 00:06:29,480 --> 00:06:31,650 de voir qu'ici, vous avez toutes les palettes puisque vous avez 95 00:06:31,850 --> 00:06:33,950 à la fois la présomption maintenue et la présomption inversée. 96 00:06:34,150 --> 00:06:35,400 Ce sont deux espèces différentes. 97 00:06:35,940 --> 00:06:38,490 Dans les deux cas, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré 98 00:06:39,060 --> 00:06:41,400 que la présomption pouvait jouer dans la première hypothèse, 99 00:06:41,600 --> 00:06:43,140 qu'elle ne pouvait pas jouer dans la seconde. 100 00:06:43,340 --> 00:06:49,770 Attention, on pourrait penser qu'il y a des conflits potentiels entre 101 00:06:49,970 --> 00:06:52,710 les deux juridictions, sur lesquelles Denys Simon avait 102 00:06:52,910 --> 00:06:55,800 écrit un article "Je t'aime moi non plus" pour illustrer le rapport. 103 00:06:56,520 --> 00:07:00,300 Mais il y a beaucoup plus de congruence jurisprudentielle entre la Cour 104 00:07:00,500 --> 00:07:02,370 de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits 105 00:07:02,570 --> 00:07:03,330 de l'homme qu'on ne pense. 106 00:07:03,780 --> 00:07:06,990 Il y a vraiment une interprétation convergente, ce qui est largement 107 00:07:07,190 --> 00:07:11,190 voulu par la jurisprudence, et portée aussi par la Charte 108 00:07:11,390 --> 00:07:14,810 elle-même, notamment par l'explication de l'article 52, dans lequel on 109 00:07:15,010 --> 00:07:19,680 nous dit bien que l'article 52 garantit une équivalence de protection 110 00:07:20,070 --> 00:07:22,300 entre la Charte et la CEDH. 111 00:07:22,770 --> 00:07:25,920 Autrement dit, on va tout faire pour essayer de déployer une 112 00:07:26,340 --> 00:07:29,190 interprétation convergente, de sorte que les conflits sont 113 00:07:29,390 --> 00:07:30,150 finalement assez rares. 114 00:07:30,510 --> 00:07:31,270 C'est assez rare. 115 00:07:31,470 --> 00:07:34,020 La seule chose qu'il faut dire, c'est que la Cour de justice est 116 00:07:34,220 --> 00:07:38,370 conduite par une logique, qui est sa propre logique, 117 00:07:38,570 --> 00:07:39,710 la propre logique de son système. 118 00:07:39,910 --> 00:07:42,570 Elle n'est pas juge uniquement de la protection des droits 119 00:07:42,770 --> 00:07:44,730 fondamentaux, elle est juge de la protection des droits fondamentaux 120 00:07:45,030 --> 00:07:47,190 dans un système plus global. 121 00:07:47,940 --> 00:07:51,570 Donc dans la conciliation, on va prendre en compte d'autres 122 00:07:51,770 --> 00:07:52,530 intérêts. 123 00:07:52,730 --> 00:07:56,340 Alors que la Cour européenne des droits de l'homme, elle, 124 00:07:56,540 --> 00:07:59,310 est uniquement juge des droits fondamentaux. 125 00:07:59,510 --> 00:08:05,370 Évidemment, elle a une mission qui la conduit à être plus respectueuse 126 00:08:05,570 --> 00:08:07,800 peut-être des droits fondamentaux dans certaines hypothèses, 127 00:08:08,000 --> 00:08:12,420 du moins à faire des conciliations qui protègent davantage les droits 128 00:08:12,620 --> 00:08:13,380 fondamentaux. 129 00:08:13,580 --> 00:08:14,340 Mais c'est tout. 130 00:08:14,540 --> 00:08:16,890 Ce qui fait que les divergences jurisprudentielles sont quasiment 131 00:08:18,150 --> 00:08:18,910 inexistantes. 132 00:08:19,110 --> 00:08:21,600 Il y en a quelques-unes si on rentre dans la subtilité, mais c'est rare. 133 00:08:22,560 --> 00:08:24,810 Et au niveau national, II, le droit des États membres. 134 00:08:25,010 --> 00:08:27,240 II : le droit des États membres. 135 00:08:27,440 --> 00:08:32,700 Puisque là, va se poser la question 136 00:08:33,840 --> 00:08:37,290 de la façon dont on protège les droits fondamentaux dans l'État membre. 137 00:08:38,880 --> 00:08:46,740 La question est la suivante : est-ce qu'ici, il y a une primauté 138 00:08:46,940 --> 00:08:48,150 qui doit être accordée au droit de l'Union. 139 00:08:48,350 --> 00:08:50,130 Et donc, on retombe dans le débat sur la primauté. 140 00:08:50,400 --> 00:08:52,200 Mais il faut le dépasser, ce débat sur la primauté, 141 00:08:52,400 --> 00:08:56,120 sinon on bute toujours sur cet écueil de savoir qui prime quoi. 142 00:08:56,320 --> 00:08:58,290 Et c'est un débat assez stérile. 143 00:08:59,130 --> 00:09:02,430 On peut le dépasser par la logique, là encore, d'équivalence. 144 00:09:02,630 --> 00:09:05,610 La logique d'équivalence qui est promue au demeurant par le Conseil 145 00:09:05,810 --> 00:09:11,460 d'État lui-même depuis son arrêt Arcelor de 2007, et qu'il a adaptée 146 00:09:11,660 --> 00:09:13,530 en 2021 avec l'arrêt French Data Network. 147 00:09:15,120 --> 00:09:18,240 La logique est simple : on doit partir d'une équivalence 148 00:09:18,440 --> 00:09:21,360 de base, en disant que comme les États membres respectent les valeurs 149 00:09:21,560 --> 00:09:25,500 de l'Union européenne, article 2, on fonde des ordres 150 00:09:25,700 --> 00:09:29,010 constitutionnels nationaux qui convergent les uns avec les autres, 151 00:09:29,210 --> 00:09:33,180 et qui convergent donc avec l'ordre constitutionnel de l'Union européenne. 152 00:09:34,530 --> 00:09:37,920 Ce qui va se traduire de la manière suivante : chaque État membre conclut 153 00:09:38,120 --> 00:09:40,830 les traités, a accepté d'être lié par les traités en application 154 00:09:41,030 --> 00:09:43,340 de sa Constitution. 155 00:09:47,600 --> 00:09:49,610 De sorte qu'il y a une équivalence constitutionnelle. 156 00:09:50,030 --> 00:09:56,000 En principe, les traités et les constitutions sont compatibles. 157 00:09:56,780 --> 00:09:59,300 En France, en tout cas, le Conseil constitutionnel a veillé 158 00:09:59,500 --> 00:10:00,400 à cette compatibilité. 159 00:10:00,600 --> 00:10:02,900 On a réformé, le cas échéant, la Constitution pour permettre 160 00:10:03,100 --> 00:10:03,860 cette compatibilité. 161 00:10:04,160 --> 00:10:06,980 On part du principe que le traité et la Constitution sont compatibles. 162 00:10:07,180 --> 00:10:09,470 À partir de là, ça veut dire la chose suivante. 163 00:10:10,970 --> 00:10:14,300 Ça veut dire que lorsque vous avez, devant le juge national, 164 00:10:14,500 --> 00:10:20,450 comme dans l'hypothèse Arcelor, un acte de droit de l'Union qui 165 00:10:20,650 --> 00:10:24,020 fait l'objet d'une exécution ou d'une transposition par une disposition 166 00:10:24,220 --> 00:10:27,190 nationale, c'est un décret qui transpose, par exemple, 167 00:10:27,390 --> 00:10:28,150 une directive. 168 00:10:29,060 --> 00:10:32,450 Dans l'hypothèse où, ici, l'acte de droit de l'Union 169 00:10:32,650 --> 00:10:36,710 ne laisse pas de marge de manœuvre à l'État, comme par exemple dans 170 00:10:36,910 --> 00:10:40,190 l'affaire Arcelor où la directive était tellement précise que le 171 00:10:40,390 --> 00:10:44,270 décret a recopié la directive, que faire dans l'hypothèse où vous 172 00:10:44,470 --> 00:10:50,330 avez une contestation devant le juge national de la constitutionnalité 173 00:10:50,530 --> 00:10:51,290 du décret ? 174 00:10:51,490 --> 00:10:55,820 Par exemple, le décret en question, est-ce qu'il respecte le principe 175 00:10:56,020 --> 00:10:57,680 constitutionnel d'égalité devant la loi ? 176 00:10:57,880 --> 00:10:59,240 Voilà la question posée au Conseil d'État. 177 00:10:59,750 --> 00:11:03,170 Sauf que indirectement, puisque le décret recopie la directive, 178 00:11:03,370 --> 00:11:06,140 s'est posée la question de la constitutionnalité de la directive. 179 00:11:06,710 --> 00:11:11,090 Comment faire dans ce cas-là, dans la mesure où le Conseil d'État 180 00:11:11,290 --> 00:11:13,910 ne peut pas juger de la constitutionnalité d'un acte de 181 00:11:14,110 --> 00:11:14,870 droit de l'Union ? 182 00:11:15,230 --> 00:11:18,350 C'est là où le commissaire du gouvernement, à l'époque, 183 00:11:18,550 --> 00:11:23,570 Mattias Guyomar, propose une opération qu'il dit de translation, 184 00:11:24,560 --> 00:11:26,060 en disant la chose suivante. 185 00:11:27,200 --> 00:11:30,830 En réalité, le principe d'égalité devant la loi, consacré par la 186 00:11:31,030 --> 00:11:36,930 Constitution française, trouve son équivalent dans le droit 187 00:11:37,130 --> 00:11:40,110 de l'Union européenne, puisqu'il y a un principe général 188 00:11:40,310 --> 00:11:43,080 du droit de l'Union européenne qui consacre cette égalité. 189 00:11:43,280 --> 00:11:45,570 Et aujourd'hui, cette égalité est également consacrée par l'article 190 00:11:45,770 --> 00:11:46,530 20 de la Charte. 191 00:11:46,730 --> 00:11:47,760 Donc, vous avez un équivalent. 192 00:11:48,270 --> 00:11:50,610 Et à partir du moment où vous avez un équivalent, ça veut dire quoi ? 193 00:11:51,360 --> 00:11:54,320 Ça veut dire que poser la question de la constitutionnalité du décret, 194 00:11:54,920 --> 00:11:58,680 décret qui recopie la directive, c'est comme si on posait la question 195 00:11:59,640 --> 00:12:03,300 du respect par la directive du droit primaire de l'Union européenne. 196 00:12:03,900 --> 00:12:07,590 Autrement dit, les deux, il y a une équivalence qui va permettre 197 00:12:07,790 --> 00:12:11,580 une translation, c'est-à-dire que le Conseil d'État va simplement 198 00:12:11,780 --> 00:12:14,070 poser la question préjudicielle à la Cour de justice, 199 00:12:14,430 --> 00:12:20,940 pour savoir si la directive respecte bien le principe communautaire 200 00:12:21,480 --> 00:12:24,120 d'égalité devant la loi à l'époque, le principe de droit de l'Union. 201 00:12:24,630 --> 00:12:28,530 Si oui, cela veut dire que revenu devant le Conseil d'État, 202 00:12:28,730 --> 00:12:32,550 ça voudra dire que le décret qui recopie la directive respecte le 203 00:12:32,750 --> 00:12:35,610 principe constitutionnel équivalent au principe de droit de l'Union. 204 00:12:36,240 --> 00:12:41,070 En revanche, si c'est invalide, si la directive est déclarée invalide 205 00:12:41,270 --> 00:12:43,110 parce qu'elle ne respecte pas le principe de droit de l'Union 206 00:12:43,310 --> 00:12:46,590 européenne, alors le décret, lui, sera considéré comme violant 207 00:12:46,790 --> 00:12:47,550 la Constitution. 208 00:12:47,750 --> 00:12:51,420 Voilà la démarche de translation, qui permet donc de préserver à 209 00:12:51,620 --> 00:12:57,420 la fois l'ordonnancement des rapports de système, et surtout, 210 00:12:57,930 --> 00:13:01,440 les fonctions qui sont dévolues à chacun des juges. 211 00:13:01,640 --> 00:13:07,350 Donc, on respecte ici notamment la jurisprudence Foto-Frost de 1988, 212 00:13:07,550 --> 00:13:15,180 selon laquelle seule la Cour de justice peut apprécier la validité 213 00:13:15,380 --> 00:13:16,260 des actes de droit dérivé. 214 00:13:16,460 --> 00:13:17,610 Donc, une équivalence. 215 00:13:17,810 --> 00:13:20,160 La seule limite de ce système d'équivalence, c'est l'hypothèse 216 00:13:20,360 --> 00:13:23,730 dans laquelle vous n'avez pas d'équivalent en droit de l'Union 217 00:13:23,930 --> 00:13:30,090 européenne du droit ou du principe ou de la liberté constitutionnellement 218 00:13:30,290 --> 00:13:31,050 garantis dans l'État membre. 219 00:13:31,250 --> 00:13:32,010 C'est cette hypothèse-là. 220 00:13:32,210 --> 00:13:36,330 Or, on l'a dit tout à l'heure, la Charte des droits fondamentaux, 221 00:13:36,530 --> 00:13:38,250 un catalogue très riche de droits. 222 00:13:38,700 --> 00:13:42,540 De surcroît, vous avez toujours la possibilité, avec les principes 223 00:13:42,740 --> 00:13:45,360 généraux du droit, pour la Cour de justice, de consacrer de nouveaux 224 00:13:45,560 --> 00:13:49,410 droits fondamentaux sous la forme de principes généraux du droit. 225 00:13:49,610 --> 00:13:50,940 Ici, on peut combler. 226 00:13:52,200 --> 00:13:55,770 En revanche, la seule difficulté véritable à laquelle on va être 227 00:13:55,970 --> 00:14:00,780 confronté, c'est celle de la différence d'interprétation. 228 00:14:01,110 --> 00:14:05,730 C'est-à-dire qu'on a une interprétation en droit national plus respectueuse 229 00:14:05,930 --> 00:14:08,370 des droits fondamentaux qu'en droit de l'Union, parce qu'on n'a pas 230 00:14:09,570 --> 00:14:10,580 toujours les mêmes finalités. 231 00:14:10,780 --> 00:14:11,540 Qu'est-ce qu'on fait dans ce cas-là ? 232 00:14:12,300 --> 00:14:14,460 Et là, effectivement, la primauté prend le pas. 233 00:14:14,910 --> 00:14:17,760 La Cour de justice, notamment, l'a affirmé dans des arrêts de 234 00:14:17,960 --> 00:14:18,720 principe. 235 00:14:20,490 --> 00:14:25,770 Et en particulier, on pense ici à l'arrêt Melloni de 2013, 236 00:14:25,970 --> 00:14:33,150 C-399/11, dans lequel la Cour a affirmé qu'ici, la protection des 237 00:14:33,350 --> 00:14:35,760 droits fondamentaux et le degré de protection des droits fondamentaux 238 00:14:35,960 --> 00:14:38,910 nationale ne devaient pas remettre en cause un certain nombre de principe 239 00:14:39,110 --> 00:14:41,400 du droit de l'Union, dont la primauté, l'autonomie et 240 00:14:41,600 --> 00:14:42,690 l'effectivité du droit de l'Union. 241 00:14:42,990 --> 00:14:46,620 Primauté, autonomie, unité et effectivité du droit de 242 00:14:46,820 --> 00:14:47,580 l'Union européenne. 243 00:14:47,780 --> 00:14:52,170 C'est ça la limite, qui peut poser des difficultés, comme on l'a vu 244 00:14:52,370 --> 00:14:58,860 d'ailleurs dans les arrêts Taricco de la Cour de justice en 2015, 245 00:15:00,080 --> 00:15:03,540 affaire C-105/14, ou en 2017, C-42/17 M.A.S.. 246 00:15:06,780 --> 00:15:09,510 Dans ces affaires où, justement, l'interprétation faite 247 00:15:09,710 --> 00:15:14,550 d'un principe constitutionnel national en Italie ne permettait pas de 248 00:15:14,750 --> 00:15:18,540 protéger tout à fait les intérêts financiers de l'Union européenne. 249 00:15:20,400 --> 00:15:21,490 Il y a eu des discussions. 250 00:15:21,690 --> 00:15:24,720 Et finalement, la solution trouvée était celle d'une conciliation 251 00:15:24,990 --> 00:15:26,130 par le dialogue des juges. 252 00:15:26,330 --> 00:15:28,980 C'est ce dialogue des juges, qui doit permettre de dépasser 253 00:15:29,180 --> 00:15:32,760 parfois ces quelques très rares risques d'incohérence, risques 254 00:15:35,640 --> 00:15:36,660 de contradiction. 255 00:15:36,900 --> 00:15:38,940 Car cela est très rare, ce sont des cas limites, 256 00:15:39,140 --> 00:15:39,930 des cas exceptionnels. 257 00:15:40,290 --> 00:15:43,830 Ce qui n'est pas l'hypothèse de la Pologne, puisque la Pologne, 258 00:15:44,030 --> 00:15:48,540 elle, se détache totalement des fondements mêmes de l'Union européenne 259 00:15:49,230 --> 00:15:51,660 et des États membres, des valeurs mêmes sur lesquelles 260 00:15:51,860 --> 00:15:53,610 l'Union européenne est fondée. 261 00:15:53,810 --> 00:15:56,370 Parce que les États membres les partagent, c'est-à-dire la valeur 262 00:15:56,570 --> 00:15:57,330 de l'État de droit. 263 00:16:00,300 --> 00:16:04,980 Il faut insister, l'arrêt du 7 octobre 2021 de la Cour 264 00:16:05,280 --> 00:16:09,750 constitutionnelle polonaise dit qu'est incompatible avec la 265 00:16:09,950 --> 00:16:13,110 Constitution polonaise, le principe même de l'État de droit, 266 00:16:13,830 --> 00:16:16,860 en tant que valeur, et la protection juridictionnelle effective qui 267 00:16:17,060 --> 00:16:21,360 en résulte, selon la Cour de justice de l'Union européenne. 268 00:16:23,420 --> 00:16:26,300 Et ce n'est pas une position qui est totalement partagée. 269 00:16:26,500 --> 00:16:31,250 Et au demeurant, le président de la Cour constitutionnelle allemande 270 00:16:31,460 --> 00:16:37,430 n'a pas hésité à dire, en novembre 2021, que le principe 271 00:16:37,630 --> 00:16:42,440 d'indépendance de la justice en Pologne n'existe, au mieux, 272 00:16:42,680 --> 00:16:44,000 que sur le papier. 273 00:16:44,630 --> 00:16:49,550 C'est bien dire ici les risques quant à l'État de droit dans cet 274 00:16:49,750 --> 00:16:50,510 État membre.