1 00:00:05,170 --> 00:00:09,220 Neuvième leçon : le juge national et le droit de l'Union européenne. 2 00:00:11,080 --> 00:00:15,670 L'une des conséquences des caractéristiques spécifiques du 3 00:00:15,870 --> 00:00:18,400 droit de l'Union européenne, de l'effet direct de la primauté, 4 00:00:19,750 --> 00:00:24,760 est le rôle joué par le juge national, que la doctrine a bien rapidement 5 00:00:24,960 --> 00:00:26,830 qualifié de juge de droit commun du droit de l'Union. 6 00:00:27,030 --> 00:00:31,450 L'expression, d'ailleurs, paradoxalement, est très peu utilisée 7 00:00:31,650 --> 00:00:35,740 par la Cour de justice ou les avocats généraux, mais dont on s'accorde 8 00:00:35,940 --> 00:00:38,890 à dire aujourd'hui qu'elle est parfaitement révélatrice de la 9 00:00:39,090 --> 00:00:41,920 fonction européenne jouée par le juge national. 10 00:00:42,120 --> 00:00:44,440 Au point d'ailleurs que le Conseil d'État n'hésite pas, 11 00:00:44,640 --> 00:00:48,430 lui, à nous parler de juge de droit commun, du droit communautaire, 12 00:00:48,630 --> 00:00:52,230 dans l'arrêt Mme Perreux de 2009. 13 00:00:52,430 --> 00:00:54,730 Juge de droit commun du droit de l'Union, qu'est-ce que cela signifie ? 14 00:00:54,930 --> 00:00:58,180 Cela signifie que le juge national assume une fonction européenne 15 00:00:58,380 --> 00:01:02,260 qui n'est jamais que le reflet du principe de coopération loyale, 16 00:01:02,460 --> 00:01:05,590 tel qu'il est consacré par l'article 4, paragraphe 3, du TUE, 17 00:01:07,150 --> 00:01:09,910 et qui correspond en réalité à quoi ? 18 00:01:11,530 --> 00:01:14,380 Au fait de garantir une protection juridictionnelle effective, 19 00:01:15,010 --> 00:01:18,400 conformément à l'article 19, paragraphe 1, TUE, qui nous dit 20 00:01:18,600 --> 00:01:22,810 que les États membres doivent établir les voies de recours nécessaires 21 00:01:23,500 --> 00:01:26,050 pour assurer une protection juridictionnelle effective dans 22 00:01:26,250 --> 00:01:28,480 les domaines couverts par le droit de l'Union. 23 00:01:29,110 --> 00:01:32,130 Avec cet article 19, le traité de Lisbonne a donc bien 24 00:01:32,330 --> 00:01:36,160 consacré ce rôle joué par le juge national. 25 00:01:36,970 --> 00:01:39,340 Rôle essentiel, pour faire quoi ? 26 00:01:40,120 --> 00:01:44,230 Pour garantir la protection juridictionnelle effective. 27 00:01:44,890 --> 00:01:49,870 Rôle essentiel qui ne peut être exercé sans ce mécanisme de coopération 28 00:01:50,070 --> 00:01:55,840 de juge à juge, que prévoit l'article 267 du traité FUE avec le renvoi 29 00:01:56,040 --> 00:01:56,800 préjudiciel. 30 00:01:59,350 --> 00:02:04,810 Chapitre 1 : la protection juridictionnelle effective dans 31 00:02:05,010 --> 00:02:05,770 les États membres. 32 00:02:07,300 --> 00:02:11,470 L'article 19 consacre donc cette obligation pour les États membres 33 00:02:11,670 --> 00:02:15,010 de garantir la protection juridictionnelle effective des 34 00:02:15,210 --> 00:02:17,050 droits que les particuliers tirent du droit de l'Union. 35 00:02:18,070 --> 00:02:22,900 On trouve une logique d'effectivité, de principe d'effectivité que la 36 00:02:23,100 --> 00:02:27,100 Cour de justice a peu à peu dégagé, et qui n'est finalement que 37 00:02:27,300 --> 00:02:31,300 l'expression juridictionnelle du principe de coopération loyale, 38 00:02:31,500 --> 00:02:37,570 tel qu'il est consacré par l'article 4, paragraphe 3, du Traité sur l'Union 39 00:02:37,770 --> 00:02:38,530 européenne. 40 00:02:40,300 --> 00:02:42,490 On peut aller plus loin, parce que de cette protection 41 00:02:42,690 --> 00:02:45,490 juridictionnelle effective, la Cour de justice a tiré aussi 42 00:02:45,790 --> 00:02:50,590 des conséquences sur la structure juridictionnelle de l'État. 43 00:02:51,640 --> 00:02:54,940 Et je vous renvoie ici à toute la jurisprudence qui s'est construite 44 00:02:55,140 --> 00:02:58,930 à partir de l'arrêt sur les juges portugais, affaire C-64/16, 45 00:02:59,830 --> 00:03:02,650 jusqu'aux affaires polonaises de 2019. 46 00:03:02,850 --> 00:03:09,010 Par exemple, l'affaire C-192/18, l'affaire C-824/18, l'affaire C-791/19, 47 00:03:10,000 --> 00:03:14,560 dans laquelle la Cour nous dit que l'article 19 du Traité sur 48 00:03:14,760 --> 00:03:16,960 l'Union européenne concrétise la valeur de l'État de droit. 49 00:03:17,200 --> 00:03:18,220 Ce qui implique quoi ? 50 00:03:18,640 --> 00:03:21,040 Ce qui implique non seulement l'existence de voies de recours 51 00:03:21,240 --> 00:03:24,910 nationales pour garantir la protection juridictionnelle effective, 52 00:03:25,180 --> 00:03:28,420 mais aussi que les juridictions nationales présentent certaines 53 00:03:28,620 --> 00:03:33,220 caractéristiques d'indépendance, et que l'ordre juridique national 54 00:03:33,420 --> 00:03:37,630 garantisse cette indépendance pour que l'on puisse véritablement 55 00:03:37,900 --> 00:03:42,190 satisfaire à la protection juridictionnelle effective. 56 00:03:42,640 --> 00:03:45,460 C'est ce qui explique que la Cour de justice ait constaté, 57 00:03:45,660 --> 00:03:49,030 à de multiples reprises, désormais depuis 2019, 58 00:03:49,230 --> 00:03:53,260 que la Pologne ne respecte pas l'article 19 TUE, en ne garantissant 59 00:03:53,470 --> 00:03:55,060 pas l'indépendance de ses juges. 60 00:03:55,660 --> 00:04:02,410 Nous aurons l'occasion d'y revenir aussi dans la séance d'actualité 61 00:04:02,610 --> 00:04:03,640 qui terminera ce cours. 62 00:04:05,380 --> 00:04:09,010 Mais avant, revenons d'abord sur les pouvoirs du juge national, 63 00:04:09,210 --> 00:04:13,630 paragraphe 1, avant de mettre en œuvre les voies de droit qui sont 64 00:04:13,830 --> 00:04:15,520 prévues par les ordres juridiques nationaux. 65 00:04:15,720 --> 00:04:18,160 Paragraphe 1 : le pouvoir du juge national. 66 00:04:19,390 --> 00:04:21,730 Pour garantir une protection juridictionnelle effective, 67 00:04:21,930 --> 00:04:29,410 encore faut-il reconnaître au juge national des pouvoirs pour faire, 68 00:04:30,010 --> 00:04:33,910 dit la Cour, tout ce qui est nécessaire afin de tirer les conséquences 69 00:04:34,110 --> 00:04:36,630 de la primauté et de l'effet direct. 70 00:04:36,830 --> 00:04:39,520 Affaire Simmenthal, 106/77. 71 00:04:41,320 --> 00:04:44,500 La Cour nous dit, de jurisprudence constante, qu'il serait incompatible 72 00:04:44,700 --> 00:04:48,550 avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l'Union, 73 00:04:50,890 --> 00:04:53,980 d'admettre que des dispositions de l'ordre juridique national, 74 00:04:54,180 --> 00:04:57,430 quelles qu'elles soient, auraient pour effet de diminuer 75 00:04:57,630 --> 00:04:58,720 l'efficacité du droit de l'Union. 76 00:04:58,920 --> 00:05:02,740 Notamment, par exemple, en refusant au juge compétent, 77 00:05:04,540 --> 00:05:06,760 pour appliquer ce droit, de faire tout ce qu'il peut, 78 00:05:06,960 --> 00:05:10,570 tout ce qui est nécessaire, pour écarter les dispositions 79 00:05:10,770 --> 00:05:12,100 nationales qui seraient contraires. 80 00:05:12,490 --> 00:05:16,030 Tout ce qui est nécessaire pour garantir la pleine efficacité des 81 00:05:16,230 --> 00:05:18,700 normes de droit de l'Union, nous dit la Cour de justice dans 82 00:05:18,900 --> 00:05:20,680 l'arrêt Factortame, affaire C-213/89. 83 00:05:20,880 --> 00:05:26,530 C'est donc l'idée d'une protection 84 00:05:26,980 --> 00:05:31,690 que l'on doit garantir et de pouvoir du juge national pour permettre 85 00:05:31,890 --> 00:05:32,650 cette protection. 86 00:05:32,950 --> 00:05:35,890 Protection qui est d'abord provisoire. 87 00:05:36,090 --> 00:05:39,820 Justement, cet arrêt Factortame de 1990 nous dit qu'ici, 88 00:05:40,210 --> 00:05:43,120 la pleine efficacité du droit de l'Union se trouverait diminuée, 89 00:05:43,510 --> 00:05:48,220 si une règle de droit national empêche le juge national de suspendre 90 00:05:48,420 --> 00:05:51,490 l'application des dispositions nationales qui, manifestement, 91 00:05:52,210 --> 00:05:53,290 méconnaissent le droit de l'Union. 92 00:05:53,890 --> 00:06:02,950 En l'espèce, nous sommes au Royaume-Uni avec une loi britannique, 93 00:06:03,150 --> 00:06:04,450 qui viole les quotas de pêche. 94 00:06:04,650 --> 00:06:06,940 Déjà, question sensible à l'époque. 95 00:06:07,690 --> 00:06:11,080 Les pêcheurs espagnols contestent, devant le juge britannique; 96 00:06:11,950 --> 00:06:12,710 la loi. 97 00:06:12,910 --> 00:06:14,050 Sauf qu'il y a des délais inhérents. 98 00:06:15,160 --> 00:06:18,250 Mais la saison de pêche se termine. 99 00:06:18,520 --> 00:06:19,360 Il faut agir vite. 100 00:06:19,560 --> 00:06:22,510 Ils demandent la suspension de la loi, ce que le juge britannique ne peut 101 00:06:22,710 --> 00:06:25,990 faire puisqu'il y a une souveraineté du Parlement à sa reine, 102 00:06:26,190 --> 00:06:28,870 et donc la loi ne peut être suspendue par le juge ordinaire. 103 00:06:29,070 --> 00:06:32,920 Et la Cour de justice nous dit : "Si, vous pouvez, en vous fondant 104 00:06:33,120 --> 00:06:35,710 directement sur le droit de l'Union, juge national, pour garantir la 105 00:06:35,910 --> 00:06:39,430 pleine efficacité du droit de l'Union, vous avez ce pouvoir de prendre 106 00:06:39,630 --> 00:06:43,930 des mesures provisoires, dont la suspension des dispositions 107 00:06:44,130 --> 00:06:46,300 nationales qui seraient contraires." Et donc, la Cour de justice, 108 00:06:46,500 --> 00:06:48,370 par la suite, a précisé, notamment dans l'affaire Zuckerfabrik, 109 00:06:48,570 --> 00:06:53,650 143/88, les conditions dans lesquelles 110 00:06:53,850 --> 00:06:58,740 ce pouvoir d'adopter des mesures provisoires est exercé, 111 00:06:59,130 --> 00:07:01,740 et notamment, le cas échéant, lorsqu'est en cause la validité 112 00:07:01,940 --> 00:07:05,160 d'un acte de droit de l'Union, et donc il est nécessaire une question 113 00:07:05,360 --> 00:07:06,780 préjudicielle à la Cour de justice. 114 00:07:07,560 --> 00:07:12,120 Pouvoir le suspendre ou de prendre toute autre mesure provisoire, 115 00:07:12,420 --> 00:07:17,100 comme on le voit par exemple dans l'affaire Atlanta, C-465/93. 116 00:07:20,160 --> 00:07:21,150 Protection provisoire. 117 00:07:21,350 --> 00:07:23,730 Protection, ensuite, que je qualifierais d'immédiate. 118 00:07:23,930 --> 00:07:27,720 La protection immédiate, c'est ici une idée que le juge 119 00:07:27,920 --> 00:07:31,950 national doit faire tout de suite tout ce qu'il faut pour garantir 120 00:07:32,150 --> 00:07:34,440 l'application du droit de l'Union, des dispositions de droit de l'Union, 121 00:07:34,640 --> 00:07:36,780 dès lors qu'elles sont invocables devant le juge national, 122 00:07:38,820 --> 00:07:42,930 pour donner à ces dispositions l'interprétation et l'application 123 00:07:43,130 --> 00:07:44,880 conforme aux exigences du droit de l'Union. 124 00:07:45,930 --> 00:07:49,920 Le cas échéant, laisser inappliquée les dispositions du droit national. 125 00:07:50,400 --> 00:07:53,450 On retrouve aussi la logique de la primauté. 126 00:07:53,650 --> 00:07:58,350 C'est-à-dire que la primauté permet cette protection immédiate. 127 00:07:58,550 --> 00:08:00,840 D'abord, par l'interprétation conforme. 128 00:08:01,040 --> 00:08:06,810 Ici, on oublie, mais tout d'abord, ce que doit faire le juge national, 129 00:08:07,010 --> 00:08:09,990 son premier devoir, sa première obligation, c'est d'interpréter 130 00:08:10,190 --> 00:08:13,890 notre disposition de nos droits nationale conformément au droit 131 00:08:14,090 --> 00:08:14,850 de l'Union. 132 00:08:15,050 --> 00:08:17,580 C'est le meilleur moyen d'éviter le conflit normatif. 133 00:08:17,780 --> 00:08:20,520 Et c'est ce que fait, en règle générale, dans la majorité 134 00:08:20,720 --> 00:08:23,700 des cas, dans la plupart des cas, le juge national, c'est qu'il 135 00:08:23,900 --> 00:08:27,300 interprète, de manière conforme, le droit national au droit de l'Union. 136 00:08:28,380 --> 00:08:33,300 Ce n'est que si l'interprétation conforme conduirait à une solution 137 00:08:33,500 --> 00:08:37,890 contra legem, c'est-à-dire contre le texte même national, 138 00:08:38,090 --> 00:08:41,370 qu'à ce moment-là, le juge national ne doit pas faire autre chose. 139 00:08:41,790 --> 00:08:46,230 Et cette jurisprudence existe depuis les arrêts von Colson et Kamann, 140 00:08:46,430 --> 00:08:52,170 14/83, Marleasing, 106/89, plus récemment, Dominguez, 141 00:08:52,370 --> 00:08:53,130 282/10. 142 00:08:56,010 --> 00:08:59,070 La Cour de justice n'a eu de cesse de réitérer cette obligation 143 00:08:59,270 --> 00:09:04,220 d'interprétation conforme, qui a une limite, donc des solutions 144 00:09:04,420 --> 00:09:05,180 contra legem. 145 00:09:05,380 --> 00:09:09,930 À partir de là, si on va contre l'esprit des droits nationaux, 146 00:09:10,320 --> 00:09:13,160 on est conduit à réécrire totalement la disposition nationale, 147 00:09:13,360 --> 00:09:16,770 là, il y a un véritable conflit normatif et la primauté doit jouer 148 00:09:17,070 --> 00:09:17,830 pleinement. 149 00:09:18,030 --> 00:09:23,160 Et elle se traduit par ce que dit Simmenthal, c'est-à-dire le pouvoir 150 00:09:23,360 --> 00:09:27,750 du juge national de laisser inappliquée de plein droit, par lui-même, 151 00:09:28,500 --> 00:09:30,780 la disposition nationale contraire au droit de l'Union. 152 00:09:30,980 --> 00:09:34,470 Ici, la jurisprudence Simmenthal est très importante. 153 00:09:34,670 --> 00:09:39,840 La cour nous dit que sont inapplicables de plein droit les dispositions 154 00:09:40,040 --> 00:09:41,880 nationales qui ne respectent pas le droit de l'Union. 155 00:09:42,390 --> 00:09:46,170 Et donc, ici, il n'y a rien à faire d'autre, pour le juge national, 156 00:09:46,370 --> 00:09:48,600 que de ne pas appliquer les dispositions en question. 157 00:09:48,990 --> 00:09:53,280 Et tous les processus constitutionnels nationaux, d'ailleurs c'était le 158 00:09:53,480 --> 00:09:57,000 cas dans l'affaire Simmenthal à propos de l'Italie, qui feraient 159 00:09:57,200 --> 00:10:00,510 que le juge national devrait passer, notamment par la Cour 160 00:10:00,710 --> 00:10:03,900 constitutionnelle, pour que la disposition de droit national soit 161 00:10:04,100 --> 00:10:04,860 laissée inappliquée. 162 00:10:05,060 --> 00:10:05,820 Non. 163 00:10:06,020 --> 00:10:08,160 Il a ce pouvoir par lui-même, de plein droit. 164 00:10:08,490 --> 00:10:09,450 C'est ça, la primauté. 165 00:10:09,650 --> 00:10:11,550 Ensuite, que fait-il concrètement ? 166 00:10:12,100 --> 00:10:12,960 C'est à lui de le voir. 167 00:10:13,160 --> 00:10:17,220 Ici, on laisse jouer l'autonomie institutionnelle et procédurale. 168 00:10:17,490 --> 00:10:20,610 Le juge national choisit le moyen le plus efficace dans son ordre 169 00:10:20,810 --> 00:10:22,770 juridique pour laisser inappliqué. 170 00:10:23,010 --> 00:10:26,730 Par exemple, le juge administratif pourra annuler un décret, 171 00:10:26,930 --> 00:10:30,360 mais pourra écarter l'application d'une loi puisqu'il n'a pas le 172 00:10:30,560 --> 00:10:34,290 pouvoir en droit national d'annuler une loi, uniquement un acte 173 00:10:34,490 --> 00:10:36,060 réglementaire ou un acte administratif. 174 00:10:37,110 --> 00:10:39,240 Voilà la logique ici. 175 00:10:42,900 --> 00:10:45,720 Cela signifie que la disposition nationale reste dans l'ordre juridique 176 00:10:45,920 --> 00:10:48,810 national, et notamment peut s'appliquer à des situations qui ne sont pas 177 00:10:49,010 --> 00:10:49,950 régies par le droit de l'Union. 178 00:10:50,310 --> 00:10:55,560 En revanche, elle ne s'appliquera plus à partir de son incompatibilité 179 00:10:55,760 --> 00:11:00,450 constatée dans toutes les hypothèses où le droit de l'Union est applicable. 180 00:11:01,170 --> 00:11:02,520 Protection donc immédiate. 181 00:11:02,720 --> 00:11:04,620 Protection ensuite postérieure. 182 00:11:05,580 --> 00:11:10,890 Je dirais ici qu'elle caractérise l'hypothèse dans lequel le mal est fait. 183 00:11:11,850 --> 00:11:12,610 Le mal est fait. 184 00:11:12,810 --> 00:11:14,460 Et là, il y a deux hypothèses bien distinctes. 185 00:11:15,390 --> 00:11:19,680 La première est directement liée à la question de la légalité et 186 00:11:20,310 --> 00:11:24,240 de la primauté, au sens où on va écarter l'application de la loi, 187 00:11:24,780 --> 00:11:26,630 ou de la disposition nationale contraire. 188 00:11:26,830 --> 00:11:31,500 C'est l'hypothèse de la répétition de l'indu ou du remboursement. 189 00:11:31,700 --> 00:11:34,500 C'est-à-dire que vous avez payé une somme en violation d'une 190 00:11:34,700 --> 00:11:35,640 disposition de droit de l'Union. 191 00:11:36,600 --> 00:11:41,900 La primauté fait que si vous avez payé cette somme en violation du 192 00:11:42,100 --> 00:11:44,490 droit de l'Union, vous avez droit, et c'est un droit reconnu par la 193 00:11:44,690 --> 00:11:52,440 Cour depuis un arrêt Pigs and Bacon, affaire 177/78, vous avez un droit 194 00:11:53,070 --> 00:11:56,970 à la répétition de l'indu, à un droit au remboursement de la somme. 195 00:11:57,170 --> 00:12:01,060 Attention, c'est une action en justice qui se limite à constater 196 00:12:01,260 --> 00:12:03,640 l'incompatibilité à en tirer les conséquences financières. 197 00:12:04,300 --> 00:12:05,060 C'est tout. 198 00:12:05,260 --> 00:12:08,290 Autrement dit, ici, c'est le fait de laisser inappliquée la disposition 199 00:12:08,490 --> 00:12:13,150 nationale qui fonde le paiement, qui vous donne droit ensuite à 200 00:12:13,350 --> 00:12:14,110 la réparation. 201 00:12:15,460 --> 00:12:17,770 Plus exactement, à la récupération de l'indu. 202 00:12:17,970 --> 00:12:21,430 Parce que, justement, il ne faut pas confondre avec l'autre 203 00:12:21,630 --> 00:12:25,150 grande protection postérieure, qui est autrement plus décisive 204 00:12:25,350 --> 00:12:31,010 pour l'État, c'est cette fois la responsabilité de l'État membre 205 00:12:31,400 --> 00:12:33,500 engagé du fait d'une violation du droit de l'Union. 206 00:12:34,220 --> 00:12:37,820 Car dans le silence du traité, la Cour de justice a consacré dans 207 00:12:38,020 --> 00:12:43,670 les arrêts Francovich et Bonifaci, C-6/90, le principe d'une 208 00:12:43,870 --> 00:12:47,240 responsabilité des États membres du fait d'une violation du droit 209 00:12:47,440 --> 00:12:50,150 de l'Union européenne, même si ça n'existe pas en droit 210 00:12:50,350 --> 00:12:51,110 national. 211 00:12:51,310 --> 00:12:52,070 Du fait d'une violation. 212 00:12:52,270 --> 00:12:54,890 Et la Cour précisera, dans les arrêts Brasserie du Pêcheur 213 00:12:55,310 --> 00:13:00,500 et Factortame, affaire C-46/93, justement à propos d'une violation 214 00:13:00,700 --> 00:13:04,310 commise par le législateur national, qu'il y a trois conditions cumulatives 215 00:13:04,510 --> 00:13:07,370 à remplir pour que cette responsabilité d'État membre soit engagée. 216 00:13:07,570 --> 00:13:12,650 Un, une violation suffisamment caractérisée du droit de l'Union. 217 00:13:12,850 --> 00:13:18,620 Deux, le fait que la disposition de droit de l'Union méconnue crée 218 00:13:18,820 --> 00:13:20,270 des droits au profit des particuliers. 219 00:13:20,470 --> 00:13:25,070 Trois, un lien de causalité entre la violation de l'obligation de 220 00:13:25,270 --> 00:13:29,540 droit de l'Union et la disposition violée qui crée des droits au profit 221 00:13:29,740 --> 00:13:30,500 du particulier. 222 00:13:30,700 --> 00:13:34,070 Trois conditions cumulatives : violation suffisamment caractérisée, 223 00:13:34,520 --> 00:13:37,460 reconnaissance de droit par la disposition violée, et lien de 224 00:13:37,660 --> 00:13:44,090 causalité entre le dommage causé et la violation du droit de l'Union. 225 00:13:44,290 --> 00:13:49,580 Responsabilité, vous comprenez, ici, on peut chercher à la qualifier. 226 00:13:49,780 --> 00:13:51,190 C'est pour une violation du droit de l'Union. 227 00:13:51,390 --> 00:13:52,150 C'est ainsi qu'on l'appelle. 228 00:13:52,350 --> 00:13:55,520 Mais qui a posé des difficultés dans les États parce que nombre 229 00:13:55,720 --> 00:13:57,590 d'États ne reconnaissent pas une responsabilité pour faute du 230 00:13:57,790 --> 00:13:58,550 législateur. 231 00:13:58,750 --> 00:14:02,150 Ce qui explique longtemps la résistance du juge français, par exemple, 232 00:14:02,350 --> 00:14:06,110 à admettre une telle responsabilité lorsque la violation était imputable 233 00:14:06,310 --> 00:14:07,070 au législateur. 234 00:14:07,340 --> 00:14:09,920 Ce sur quoi, finalement, il est revenu dans un arrêt Gardedieu 235 00:14:10,120 --> 00:14:17,390 de 2007, après avoir longtemps évoqué la possibilité ici d'une 236 00:14:22,460 --> 00:14:24,410 responsabilité sans faute, mais c'est dépassé. 237 00:14:25,400 --> 00:14:28,550 Responsabilité de l'État, non seulement du fait d’une violation 238 00:14:28,750 --> 00:14:30,710 par le législateur, mais aussi par le juge lui-même, 239 00:14:30,920 --> 00:14:34,820 par le juge suprême depuis l'arrêt Köbler de 2003, affaire C-224/01, 240 00:14:35,020 --> 00:14:40,310 précisé à quelques reprises par la Cour de justice, et notamment 241 00:14:40,510 --> 00:14:42,530 dans l'arrêt Tomášová, affaire C-168/15. 242 00:14:42,770 --> 00:14:48,260 Oui, lorsque des violations du droit de l'Union sont imputables 243 00:14:49,790 --> 00:14:54,520 à une juridiction suprême, la responsabilité de l'État membre 244 00:14:54,720 --> 00:14:56,870 peut être engagée, dit la Cour de justice. 245 00:14:57,410 --> 00:15:01,310 Comme il s'agit d'une violation imputable à une juridiction nationale, 246 00:15:01,940 --> 00:15:05,510 des conditions sont posées à cela, et précisées par la jurisprudence, 247 00:15:05,710 --> 00:15:09,890 pour essayer de garantir le bon fonctionnement de la juridiction 248 00:15:10,090 --> 00:15:13,410 avec l'effectivité du droit de l'Union. 249 00:15:14,330 --> 00:15:22,350 Voilà donc ici cette protection 250 00:15:22,550 --> 00:15:25,560 qui prend, on l'aura compris, trois formes : provisoire, 251 00:15:25,760 --> 00:15:30,860 immédiate, postérieure. 252 00:15:35,270 --> 00:15:38,780 Ceci étant précisé lorsqu'on étudie les pouvoirs du juge, 253 00:15:39,290 --> 00:15:42,850 il faut aussi revenir cette fois sur les questions d'invocabilité. 254 00:15:45,300 --> 00:15:48,440 Parce qu'attention, ce n'est pas tout à fait la même chose. 255 00:15:49,730 --> 00:15:55,040 En réalité, ce qui nous intéresse ici, c'est le fait que la disposition 256 00:15:55,240 --> 00:15:58,570 de droit de l'Union soit invoquée pour permettre, ensuite, 257 00:15:58,770 --> 00:16:04,730 au juge, d'exercer un pouvoir pour permettre cette protection. 258 00:16:06,080 --> 00:16:11,330 Il y a un débat assez subtil ici entre ces formes d'invocabilité, 259 00:16:12,410 --> 00:16:16,630 ou encore de justiciabilité, pour reprendre le terme de Denys Simon, 260 00:16:16,830 --> 00:16:23,360 avec l'idée de gradation qui s'explique selon qu'on est plutôt fondé sur 261 00:16:23,560 --> 00:16:26,750 la primauté ou sur l'effet direct. 262 00:16:28,760 --> 00:16:32,390 Ce qui revient notamment à distinguer des invocabilités d'exclusion ou 263 00:16:32,590 --> 00:16:36,170 de substitution, comme on le voit dans cette conclusion Bobek dans 264 00:16:36,370 --> 00:16:37,130 l'affaire C-167/17. 265 00:16:39,940 --> 00:16:44,570 On peut ici rentrer vraiment dans un raisonnement très subtil, 266 00:16:44,770 --> 00:16:49,730 mais à ce stade, je pense qu'il est important de retenir qu'il 267 00:16:49,930 --> 00:16:50,990 y a plusieurs formes d'invocabilité. 268 00:16:51,710 --> 00:16:58,790 La première d'entre elles, c'est l'interprétation conforme. 269 00:16:58,990 --> 00:17:04,790 Ici, il ressort de la jurisprudence, et c'est très clair, 270 00:17:05,270 --> 00:17:07,910 que toutes les dispositions du droit de l'Union sont invocables 271 00:17:08,900 --> 00:17:12,560 devant le juge national pour procéder à une interprétation conforme. 272 00:17:12,760 --> 00:17:16,940 Ici, donc, il n'y a pas deux conditions préalables posées. 273 00:17:17,140 --> 00:17:22,880 L'interprétation conforme permet donc d'invoquer toutes les dispositions 274 00:17:23,080 --> 00:17:23,990 de droit de l'Union, quelles qu'elles soient. 275 00:17:25,010 --> 00:17:27,290 Avec la seule limite, c'est, je le répète, 276 00:17:27,490 --> 00:17:30,410 le fait que le juge national ne doit pas procéder à une interprétation 277 00:17:30,610 --> 00:17:34,940 contra legem, qui aurait pour effet de réécrire en quelque sorte le 278 00:17:35,140 --> 00:17:35,900 droit national. 279 00:17:36,590 --> 00:17:40,340 En revanche, lorsqu'on arrive au conflit normatif pur, 280 00:17:40,540 --> 00:17:46,280 c'est-à-dire à cette invocabilité d'exclusion, qui est en réalité 281 00:17:46,480 --> 00:17:48,320 ce qui garantit la protection immédiate. 282 00:17:48,520 --> 00:17:51,260 L'hypothèse, c'est que vous invoquez la disposition du droit de l'Union 283 00:17:51,460 --> 00:17:55,670 pour écarter l'application de la disposition nationale, 284 00:17:55,870 --> 00:17:58,580 pour exclure son application, d'où l'idée d'invocabilité d'exclusion. 285 00:17:58,880 --> 00:18:05,780 Ici, il ressort de la jurisprudence, et notamment des arrêts Dominguez 286 00:18:06,380 --> 00:18:13,700 et Popławski, C-573/17, que cette invocabilité d'exclusion 287 00:18:13,900 --> 00:18:16,610 ne vaut que pour les dispositions du droit de l'Union qui sont d'effet 288 00:18:16,810 --> 00:18:18,830 direct, et uniquement pour celles-ci. 289 00:18:19,030 --> 00:18:20,420 C'est ça qui est important. 290 00:18:23,570 --> 00:18:26,660 Le justiciable peut invoquer les dispositions de droit de l'Union 291 00:18:27,080 --> 00:18:30,170 d'effet direct à l'encontre des dispositions nationales, 292 00:18:30,500 --> 00:18:34,220 pour en exclure l'application, pour en écarter l'application. 293 00:18:34,420 --> 00:18:40,010 Cette invocabilité d'exclusion 294 00:18:40,210 --> 00:18:44,420 est parfois complétée par une autre invocabilité, cette fois dite de 295 00:18:44,780 --> 00:18:45,950 substitution. 296 00:18:46,520 --> 00:18:52,160 C'est l'idée que le juge national peut appliquer, à la place de la 297 00:18:52,360 --> 00:18:55,190 disposition nationale, que celle-ci soit défaillante, 298 00:18:55,390 --> 00:18:58,790 absente, ou que celle-ci soit incompatible avec le droit de l'Union, 299 00:18:59,180 --> 00:19:02,900 la disposition de droit de l'Union. 300 00:19:03,560 --> 00:19:07,040 C'est l'exemple classique dans la jurisprudence Becker 8/81, 301 00:19:07,240 --> 00:19:14,030 où le droit allemand n'a pas prévu une exonération qui est consacrée 302 00:19:14,230 --> 00:19:15,710 par la directive TVA. 303 00:19:17,090 --> 00:19:21,620 Le juge allemand peut appliquer au justiciable cette exonération de TVA, 304 00:19:21,820 --> 00:19:25,580 telle qu'elle est prévue par la directive, puisque celle-ci n'a 305 00:19:25,780 --> 00:19:28,040 pas été transposée dans le délai imparti correctement. 306 00:19:32,320 --> 00:19:37,450 C'est de l'invocabilité de substitution 307 00:19:37,930 --> 00:19:39,180 au droit national défaillant. 308 00:19:39,380 --> 00:19:41,470 Vous substituez la disposition nationale. 309 00:19:43,900 --> 00:19:48,460 Et là encore, comme pour l'exclusion, cela implique un effet direct, 310 00:19:48,760 --> 00:19:51,820 un effet direct de la disposition dont vous invoquez. 311 00:19:52,020 --> 00:19:55,870 Ce qui fait souvent dire qu'ici, ce sont les dispositions qui créent 312 00:19:56,070 --> 00:19:57,240 des droits au profit des particuliers. 313 00:19:57,440 --> 00:19:58,840 En réalité, c'est plus subtil que ça. 314 00:20:00,760 --> 00:20:05,470 La plupart des cas d'invocabilité de substitution sont effectivement 315 00:20:06,100 --> 00:20:09,010 des cas dans lesquels ce sont des dispositions qui créent des droits 316 00:20:09,210 --> 00:20:10,870 au profit des particuliers, mais ce n'est pas que cela. 317 00:20:11,070 --> 00:20:16,300 Enfin, la dernière invocabilité, c'est l'invocabilité de réparation. 318 00:20:16,500 --> 00:20:20,020 Ici, vous invoquez la disposition de droit de l'Union pour demander 319 00:20:20,560 --> 00:20:23,200 à engager la responsabilité de l'État du fait d'une violation 320 00:20:23,400 --> 00:20:24,160 du droit de l'Union. 321 00:20:24,550 --> 00:20:27,700 Dans ce cas-là, ce qui est important de préciser, c'est que dans les 322 00:20:27,900 --> 00:20:36,430 conditions des arrêts Francovich ou Factortame, la responsabilité 323 00:20:36,630 --> 00:20:39,610 peut être engagée pour violation des dispositions du droit de l'Union, 324 00:20:39,810 --> 00:20:41,200 que celle-ci soit ou non d'effet direct. 325 00:20:41,710 --> 00:20:46,150 Et d'ailleurs, c'est un des éléments qui permet de pallier à l'absence 326 00:20:46,350 --> 00:20:52,240 d'effet direct des directives, ou du moins au fait que certaines 327 00:20:52,440 --> 00:20:55,060 directives, certaines dispositions des directives ne sont pas d'effet 328 00:20:55,260 --> 00:20:58,380 direct, ce qui peut poser des problèmes. 329 00:20:58,580 --> 00:21:03,850 Le justiciable ici voit sa situation réglée par la possibilité d'engager 330 00:21:04,050 --> 00:21:07,660 la responsabilité de l'État du fait d'une violation de la disposition 331 00:21:07,860 --> 00:21:11,620 de la directive, fut telle ici non précise et non inconditionnelle. 332 00:21:12,430 --> 00:21:16,030 Autrement dit, l'invocabilité de réparation joue pour les dispositions 333 00:21:16,230 --> 00:21:20,290 de droit de l'Union, même si celles-ci ne sont pas d'effet 334 00:21:20,490 --> 00:21:21,250 direct.