1 00:00:05,740 --> 00:00:11,170 Après la faute, après le préjudice, voyons le lien de causalité entre 2 00:00:11,370 --> 00:00:12,640 la faute et le préjudice. 3 00:00:13,660 --> 00:00:17,470 Pour que le juge décide de l’indemnisation du préjudice d’un 4 00:00:17,670 --> 00:00:22,600 administré, celui-ci doit résulter, en tout ou partie, de la faute 5 00:00:22,800 --> 00:00:23,680 de l’administration. 6 00:00:23,980 --> 00:00:27,700 Il doit exister un lien de causalité entre la faute de l’administration 7 00:00:27,900 --> 00:00:29,290 et le préjudice subi par l’administré. 8 00:00:30,130 --> 00:00:34,270 La doctrine a beaucoup glosé sur la manière d’apprécier le lien 9 00:00:34,470 --> 00:00:37,180 de causalité, en droit privé comme en droit public. 10 00:00:37,930 --> 00:00:42,760 Deux méthodes sont généralement évoquées par la doctrine, 11 00:00:42,960 --> 00:00:45,430 par les juges. 12 00:00:46,000 --> 00:00:50,650 Vous avez la méthode de l’équivalence des conditions qui consiste pour 13 00:00:50,850 --> 00:00:55,600 le juge à retenir tous les facteurs qui ont concouru à la survenance 14 00:00:55,800 --> 00:00:56,560 d’un préjudice. 15 00:00:58,060 --> 00:01:02,410 Le juge prend en compte ainsi tous les facteurs sans lesquels le dommage 16 00:01:03,370 --> 00:01:04,480 ne se serait pas produit. 17 00:01:05,830 --> 00:01:09,070 Il y a également, deuxième méthode, la causalité adéquate, 18 00:01:09,430 --> 00:01:15,070 qui consiste pour le juge à retenir, parmi les différents facteurs possibles 19 00:01:15,270 --> 00:01:20,260 du dommage, celui qui comporte en lui-même la survenance du dommage. 20 00:01:20,710 --> 00:01:25,240 Si ce facteur est la faute de l’administration, alors sa 21 00:01:25,440 --> 00:01:26,560 responsabilité doit être engagée. 22 00:01:27,910 --> 00:01:33,730 Mais le juge, malgré toute la glose qui a lieu sur la nature du lien 23 00:01:33,930 --> 00:01:36,460 de causalité, n’a pas vraiment retenu une méthode. 24 00:01:37,270 --> 00:01:40,030 Il n’a ni retenu l’équivalence des conditions, ni la causalité 25 00:01:40,230 --> 00:01:40,990 adéquate. 26 00:01:41,190 --> 00:01:44,980 En réalité, le juge fait en fonction des circonstances. 27 00:01:45,310 --> 00:01:50,170 Il apprécie si, en l’espèce, il estime que la faute a bien causé 28 00:01:50,530 --> 00:01:55,570 le dommage et si le lien de causalité n’a pas été rompu par un élément. 29 00:01:56,620 --> 00:02:02,680 Il arrive que l’appréciation du lien de causalité soit très compliquée 30 00:02:02,950 --> 00:02:06,130 et donne lieu à une présomption de la part du juge. 31 00:02:06,670 --> 00:02:08,050 Ce sont des cas très spécifiques. 32 00:02:08,250 --> 00:02:13,300 Un exemple mérite d’être cités, celui du contentieux du vaccin 33 00:02:13,500 --> 00:02:18,640 obligatoire contre l’hépatite B pour les soignants dont l’inoculation 34 00:02:18,840 --> 00:02:21,600 aurait causé des cas de sclérose en plaques. 35 00:02:21,800 --> 00:02:24,490 Mais apparemment, les scientifiques sont aujourd’hui assez unanimes 36 00:02:24,690 --> 00:02:28,060 pour dire qu’il n’y a pas de lien entre l’inoculation du vaccin et 37 00:02:29,950 --> 00:02:31,780 le développement de cas de sclérose en plaques. 38 00:02:32,110 --> 00:02:34,060 En tout cas, c’est ce que disent les scientifiques. 39 00:02:34,510 --> 00:02:37,780 Mais à l’époque où le juge administratif est saisi, 40 00:02:38,200 --> 00:02:40,230 il n’y avait pas de certitude scientifique. 41 00:02:40,430 --> 00:02:43,080 D’ailleurs aujourd’hui, c’est plutôt certain, 42 00:02:43,280 --> 00:02:45,400 mais on n’est pas absolument certain non plus. 43 00:02:47,170 --> 00:02:50,740 Sans certitude, des experts ont estimé qu’il était possible que 44 00:02:50,940 --> 00:02:53,950 le vaccin cause la sclérose en plaques. 45 00:02:54,970 --> 00:02:59,080 Le Conseil d’État a jugé que cette incertitude ne devait pas empêcher 46 00:02:59,280 --> 00:03:00,580 l’indemnisation du préjudice. 47 00:03:01,270 --> 00:03:06,670 Dans un arrêt du 9 mars 2007, il a décidé que l’imputabilité 48 00:03:06,940 --> 00:03:12,370 au service de la maladie causée à une infirmière devait, 49 00:03:12,570 --> 00:03:18,640 je cite : "Être regardée comme établie" - les termes sont importants 50 00:03:18,840 --> 00:03:25,510 -"eu égard, d’une part, au bref délai ayant séparé l’injection 51 00:03:25,900 --> 00:03:29,860 de l’apparition des premiers symptômes cliniquement constatés et, 52 00:03:30,060 --> 00:03:34,600 d’autre part, à la bonne santé de l’intéressé et à l’absence chez 53 00:03:34,800 --> 00:03:38,650 elle de tout antécédent à cette pathologie antérieurement à sa 54 00:03:38,850 --> 00:03:39,610 vaccination". 55 00:03:40,780 --> 00:03:44,410 Ce que le juge veut dire ici, c’est que le lien de causalité 56 00:03:44,610 --> 00:03:48,220 n’est pas certain entre le vaccin et la sclérose en plaques et le 57 00:03:48,420 --> 00:03:50,290 développement de la sclérose en plaques chez la patiente, 58 00:03:50,490 --> 00:03:52,570 chez l’infirmière ici, puisqu’elle était obligée de se 59 00:03:52,770 --> 00:03:53,530 vacciner. 60 00:03:53,730 --> 00:03:57,680 Mais il y a lieu pour l’État de prendre en charge sa maladie, 61 00:03:57,880 --> 00:04:00,220 les dommages que lui a causé cette maladie. 62 00:04:00,970 --> 00:04:04,720 Il y a lieu de le prendre en charge en mettant en place une présomption 63 00:04:04,920 --> 00:04:10,540 de lien de causalité entre l’injection du vaccin et la maladie de 64 00:04:10,930 --> 00:04:11,690 l’infirmière. 65 00:04:12,370 --> 00:04:13,990 Il y a deux conditions qui sont posées. 66 00:04:14,190 --> 00:04:17,620 D’une part, il faut qu’il y ait un bref délai entre le moment de 67 00:04:17,820 --> 00:04:20,140 l’injection du vaccin et le développement de la sclérose en 68 00:04:20,340 --> 00:04:21,100 plaques. 69 00:04:21,300 --> 00:04:25,180 Ensuite, il faut que la personne n’ait eu aucun antécédent de santé 70 00:04:25,380 --> 00:04:30,730 s’agissant de la sclérose en plaques avant l’injection du vaccin. 71 00:04:34,540 --> 00:04:40,510 Dans d’autres cas, l’examen de la causalité conduit à découvrir 72 00:04:40,900 --> 00:04:46,750 d’autres facteurs du dommage qui peuvent fragiliser ou rompre le 73 00:04:46,950 --> 00:04:50,140 lien de causalité entre la faute de l’administration et le dommage. 74 00:04:51,250 --> 00:04:55,450 On parle à ce propos de causes exonératoires, invoquées par 75 00:04:55,650 --> 00:05:00,010 l’administration en défense pour limiter sa participation à 76 00:05:00,210 --> 00:05:04,540 l’indemnisation des victimes ou pour exclure la réparation de ce 77 00:05:04,740 --> 00:05:05,500 préjudice. 78 00:05:05,830 --> 00:05:08,800 Dit d’une autre manière, le juge administratif, 79 00:05:09,000 --> 00:05:11,410 à l’aide notamment des experts et des enquêtes qu’ils peuvent mener, 80 00:05:12,160 --> 00:05:17,800 le juge administratif peut déterminer entre zéro et 100 % la contribution 81 00:05:18,220 --> 00:05:22,840 de la faute de l’administration à l’apparition du dommage de la 82 00:05:23,040 --> 00:05:23,800 victime. 83 00:05:24,000 --> 00:05:29,500 Le juge peut fixer, par exemple, cette responsabilité à 50 % liée 84 00:05:29,770 --> 00:05:33,400 à la faute de l’administration et 50 % liée à un autre phénomène 85 00:05:33,600 --> 00:05:35,290 qui explique la survenance du dommage. 86 00:05:35,490 --> 00:05:38,230 L’administration ne devra donc indemniser la victime que pour 87 00:05:38,430 --> 00:05:40,300 50 % de son préjudice. 88 00:05:41,560 --> 00:05:45,790 Parmi ces causes exonératoires, il faut d’abord relever la force 89 00:05:45,990 --> 00:05:46,750 majeure. 90 00:05:47,110 --> 00:05:51,370 Un événement extérieur à l’administration, imprévisible 91 00:05:51,700 --> 00:05:57,010 et irrésistible, remet en cause la contribution de la faute de 92 00:05:57,210 --> 00:05:59,260 l’administration à l’apparition du dommage. 93 00:05:59,950 --> 00:06:03,610 Cette cause exonératoire est entendue très strictement par le juge. 94 00:06:04,120 --> 00:06:08,530 Les crues, les incendies, les fortes pluies, sont généralement 95 00:06:08,730 --> 00:06:12,730 considérées comme prévisibles par l’administration et ne couvrent 96 00:06:12,930 --> 00:06:17,500 pas les fautes qu’elle a pu commettre dans l’adoption de mesures de sécurité 97 00:06:18,070 --> 00:06:22,060 pour éviter la survenance de dommages ou dans l’entretien d’ouvrages 98 00:06:22,260 --> 00:06:25,840 publics qui auraient pu permettre d’éviter la survenance du dommage. 99 00:06:27,250 --> 00:06:32,410 La force majeure est retenue très spécifiquement dans les cas où 100 00:06:32,610 --> 00:06:35,710 la force d’un événement naturel (pluies, séismes, cyclones, 101 00:06:35,910 --> 00:06:41,050 etc.) est si exceptionnelle qu’elle ne pouvait pas être anticipée par 102 00:06:41,250 --> 00:06:42,010 l’administration. 103 00:06:42,400 --> 00:06:46,420 Lorsqu’elle est retenue, le juge considère que l’administration 104 00:06:46,620 --> 00:06:47,830 n’est pas responsable du dommage. 105 00:06:50,200 --> 00:06:53,080 Première cause exonératoire : la force majeure. 106 00:06:54,130 --> 00:06:56,980 Deuxième cause exonératoire : le cas fortuit. 107 00:06:57,940 --> 00:07:00,880 Le cas fortuit, c’est une sorte de force majeure qui n’est pas 108 00:07:01,080 --> 00:07:02,290 extérieure à l’administration. 109 00:07:02,950 --> 00:07:07,960 Il y a cas fortuit lorsqu’un équipement de l’administration dysfonctionne 110 00:07:08,470 --> 00:07:12,790 sans que l’administration n’ait commis de faute dans la manipulation 111 00:07:13,180 --> 00:07:17,170 de cet équipement ou d’entretien de cet équipement. 112 00:07:17,650 --> 00:07:21,340 Le cas fortuit est, vous l’imaginez bien, très rarement admis, 113 00:07:21,850 --> 00:07:25,780 notamment parce qu’il ne vaut pas dans les régimes de responsabilité 114 00:07:25,980 --> 00:07:31,690 sans faute, qui pourtant constituent des cas de responsabilité, 115 00:07:31,890 --> 00:07:33,250 notamment du fait des ouvrages publics. 116 00:07:33,450 --> 00:07:36,640 Or, les ouvrages publics, ce sont des équipements qu’utilisent 117 00:07:36,880 --> 00:07:41,350 les administrations pour atteindre leur finalité d’intérêt général. 118 00:07:41,710 --> 00:07:45,580 Si le cas fortuit n’est pas retenu pour ce type de responsabilité-là, 119 00:07:45,970 --> 00:07:48,160 alors il ne peut pas être très fréquemment retenu. 120 00:07:48,520 --> 00:07:51,940 De toute manière, si le juge ne retient pas fréquemment la cause 121 00:07:52,140 --> 00:07:54,790 majeure, vous imaginez bien que le cas fortuit qui n’est pas extérieur 122 00:07:54,990 --> 00:07:58,630 à l’administration n’est que très rarement admis. 123 00:08:00,100 --> 00:08:02,530 La force majeure, le cas fortuit, le fait du tiers maintenant. 124 00:08:03,610 --> 00:08:06,520 Le fait du tiers est également une cause d’exonération de 125 00:08:06,720 --> 00:08:09,700 l’administration, mais elle est une cause d’exonération d’un genre 126 00:08:09,900 --> 00:08:10,660 très particulier. 127 00:08:11,140 --> 00:08:15,310 Il s’agit du cas dans lequel la faute de l’administration et la 128 00:08:15,510 --> 00:08:19,690 faute d’un tiers ont toutes les deux contribué à la survenance 129 00:08:19,890 --> 00:08:20,800 du dommage de la victime. 130 00:08:21,000 --> 00:08:25,780 L’administration peut faire valoir, devant le juge, que sa faute n’est 131 00:08:25,980 --> 00:08:27,490 qu’à l’origine d’une partie du dommage. 132 00:08:28,210 --> 00:08:31,360 Il est possible aussi que l’administration prouve que sa 133 00:08:31,560 --> 00:08:37,840 faute ne contribue à aucun pourcentage du dommage de l’administré. 134 00:08:38,040 --> 00:08:40,330 Dans ce cas-là, l’administration n’a même pas commis de faute en 135 00:08:40,530 --> 00:08:42,130 lien avec le préjudice. 136 00:08:42,370 --> 00:08:45,280 Dans ce cas-là, c’est la faute d’un tiers qui est entièrement 137 00:08:45,520 --> 00:08:46,600 à l’origine du préjudice. 138 00:08:46,800 --> 00:08:49,540 Dans ce cas-là, l’administration n’est évidemment pas responsable, 139 00:08:49,810 --> 00:08:54,700 sauf dans les cas que j’expliquais précédemment à propos de la faute 140 00:08:54,940 --> 00:08:58,750 personnelle d’un agent qui a été commise et qui n’est pas dépourvue 141 00:08:58,950 --> 00:09:00,430 de tout lien avec le service. 142 00:09:00,940 --> 00:09:09,130 Je reviens au fait du tiers, plus spécifiquement au cas dans 143 00:09:09,330 --> 00:09:14,410 lequel il y a une répartition de la charge de la dette entre 144 00:09:14,610 --> 00:09:17,200 l’administration qui a commis une faute et un tiers qui a commis 145 00:09:17,400 --> 00:09:21,040 une faute et les deux fautes sont en lien avec le préjudice qui a 146 00:09:21,240 --> 00:09:22,000 été causé. 147 00:09:23,290 --> 00:09:29,110 Si l’administration démontre qu’un tiers a commis une faute en lien 148 00:09:29,310 --> 00:09:34,380 avec l’apparition du préjudice, l’administration va tout de même 149 00:09:34,580 --> 00:09:38,940 être condamnée par le juge administratif à indemniser la victime 150 00:09:39,480 --> 00:09:40,620 pour le tout. 151 00:09:41,550 --> 00:09:46,230 En effet, même si le juge exonère l’administration d’une partie de 152 00:09:46,430 --> 00:09:50,580 sa responsabilité en constatant le fait d’un tiers, elle a ce que 153 00:09:50,780 --> 00:09:52,500 l’on appelle une obligation à la dette. 154 00:09:53,670 --> 00:09:55,980 Les coresponsables d’un dommage, d’ailleurs ça fonctionne de la 155 00:09:56,180 --> 00:10:00,000 même manière en droit civil, les coresponsables d’un dommage 156 00:10:00,450 --> 00:10:04,950 sont chacun tenus d’indemniser le tout de ce dommage, 157 00:10:05,150 --> 00:10:07,980 le tout du préjudice qui est subi par la victime. 158 00:10:08,180 --> 00:10:15,960 Ensuite, une fois que l’administration a été condamnée pour la faute qu’elle 159 00:10:16,160 --> 00:10:22,560 a commise, celle-ci pourra se retourner contre le tiers qui a également 160 00:10:22,760 --> 00:10:26,340 commis une faute par le biais de ce que l’on appelle une action 161 00:10:26,540 --> 00:10:30,300 récursoire, qui pourra être opérée soit entre les parties elles-mêmes, 162 00:10:30,500 --> 00:10:34,950 c’est-à-dire entre l’administration et le tiers qui a également commis 163 00:10:35,150 --> 00:10:40,470 une faute, soit devant le juge, l’administration attaquant le tiers 164 00:10:40,670 --> 00:10:43,800 qui a commis une faute pour lui demander de contribuer à la dette. 165 00:10:45,150 --> 00:10:48,150 Il y a enfin une dernière faute, la faute de la victime, 166 00:10:48,720 --> 00:10:52,920 qui entraîne soit la réduction, soit l’extinction de la dette de 167 00:10:53,120 --> 00:10:58,020 l’administration, selon que le comportement imprudent, 168 00:10:58,320 --> 00:11:04,380 le comportement illégal de la victime explique tout ou partie de son 169 00:11:04,580 --> 00:11:05,340 préjudice. 170 00:11:05,540 --> 00:11:09,540 Force majeure, cas fortuit, fait du tiers et faute de la victime.