1 00:00:05,590 --> 00:00:07,240 Voyons maintenant le vice de procédure. 2 00:00:07,990 --> 00:00:11,620 Nous l’avons vu au premier semestre, l’administration fait et parfois 3 00:00:12,130 --> 00:00:17,140 doit faire précéder l’adoption d’un acte de formalité procédurale, 4 00:00:18,520 --> 00:00:21,640 consultation d’un organisme paritaire ou d’un organisme d’expert, 5 00:00:23,020 --> 00:00:26,800 respect du contradictoire, organisation d’une enquête publique. 6 00:00:27,010 --> 00:00:32,470 Pour les grands projets qui peuvent avoir des effets sur l’environnement, 7 00:00:32,670 --> 00:00:35,230 l’administration doit respecter certaines procédures. 8 00:00:35,950 --> 00:00:38,650 Le vice de procédure consiste, pour l’administration, 9 00:00:39,070 --> 00:00:44,890 à ne pas suivre la procédure prévue par un texte, à la suivre de manière 10 00:00:45,100 --> 00:00:50,860 incomplète ou encore à ne pas respecter une règle d’organisation de la 11 00:00:51,060 --> 00:00:53,680 procédure, c’est-à-dire que l’administration suit la procédure, 12 00:00:53,920 --> 00:00:55,030 mais la suit mal. 13 00:00:55,510 --> 00:01:00,550 Ça peut être par exemple la composition irrégulière d’un organisme ou la 14 00:01:01,480 --> 00:01:06,520 transmission d’un dossier incomplet aux membres de cet organisme pour 15 00:01:06,720 --> 00:01:10,060 qu’ils se prononcent sur le projet de décision de l’administration. 16 00:01:11,290 --> 00:01:15,010 Je reprends ces trois éléments : soit l’administration n’a pas suivi 17 00:01:15,210 --> 00:01:18,640 la procédure, soit elle l’a suivie de manière incomplète, 18 00:01:19,600 --> 00:01:23,380 soit elle a suivi la procédure, mais n’a pas respecté certaines 19 00:01:23,580 --> 00:01:28,180 conditions particulières de déroulement de la procédure, comme la composition 20 00:01:28,380 --> 00:01:30,100 des organismes ou la transmission des dossiers. 21 00:01:31,270 --> 00:01:34,600 Le juge administratif ne sanctionne pas tous les vices de procédure. 22 00:01:35,140 --> 00:01:40,030 Autrement dit, il n’annule pas systématiquement les actes entachés 23 00:01:40,230 --> 00:01:41,500 d’un vice procédural. 24 00:01:42,460 --> 00:01:47,350 Pour éviter que les vices peu graves entraînent l’annulation des décisions 25 00:01:47,550 --> 00:01:50,230 de l’administration, le juge a rapidement développé 26 00:01:50,430 --> 00:01:55,120 une jurisprudence qui distingue les vices substantiels des vices 27 00:01:55,320 --> 00:01:56,290 non substantiels. 28 00:01:56,830 --> 00:02:00,160 Les vices substantiels entraînent l’annulation de la décision de 29 00:02:00,360 --> 00:02:02,320 l’administration pour vice de procédure. 30 00:02:02,920 --> 00:02:05,980 En revanche, les vices non substantiels n’entraînent pas l’annulation. 31 00:02:06,250 --> 00:02:11,680 Ces vices sont considérés comme n’ayant pas d’impact sur la légalité 32 00:02:11,880 --> 00:02:17,080 de la décision, qui mérite d’être préservée au bénéfice de 33 00:02:17,280 --> 00:02:19,240 l’administration et des bénéficiaires de ces actes. 34 00:02:20,830 --> 00:02:24,700 La jurisprudence a cependant été peu claire sur la manière de distinguer 35 00:02:24,940 --> 00:02:27,550 les vices substantiels des vices non substantiels. 36 00:02:27,750 --> 00:02:32,470 Tantôt, le juge considérait qu’une règle procédurale en elle-même 37 00:02:32,670 --> 00:02:36,850 n’était pas très importante et que l’administration pouvait la 38 00:02:37,050 --> 00:02:39,730 violer sans que cela n’entraîne de conséquences sur le contenu 39 00:02:39,930 --> 00:02:40,690 de la décision. 40 00:02:40,890 --> 00:02:44,740 C’était la règle qui était considérée comme non substantielle. 41 00:02:45,340 --> 00:02:49,120 Mais parfois, le juge ne considérait pas la règle elle-même, 42 00:02:49,480 --> 00:02:53,020 mais la manière dont la règle a été violée, par le biais de ce 43 00:02:53,220 --> 00:02:56,410 que l’on appelait non pas la règle substantielle, mais le vice 44 00:02:56,610 --> 00:02:57,370 substantiel. 45 00:02:57,790 --> 00:03:01,000 Seuls les vices substantiels entraînaient l’annulation des 46 00:03:01,200 --> 00:03:01,960 décisions. 47 00:03:02,160 --> 00:03:05,230 Vous voyez, une différence existait au sein de la jurisprudence 48 00:03:05,430 --> 00:03:07,210 administrative mais elle n’était pas claire sur ce point, 49 00:03:07,840 --> 00:03:11,410 une différence entre formalités substantielles ou règles substantielles 50 00:03:11,950 --> 00:03:13,360 et vices substantiels. 51 00:03:14,350 --> 00:03:19,630 Ce flou jurisprudentiel ancien a été dissipé par une décision 52 00:03:19,830 --> 00:03:22,930 très importante du Conseil d’État, très régulièrement cité, 53 00:03:23,130 --> 00:03:28,600 au point même que, parfois, la doctrine oublie que le Conseil 54 00:03:28,800 --> 00:03:31,630 d’État avait une jurisprudence sur les vices et les règles 55 00:03:31,830 --> 00:03:35,260 substantielles et non substantielles, décision très importante qui masque 56 00:03:35,460 --> 00:03:39,850 un peu cette jurisprudence antérieure, un arrêt du 23 décembre 2011, 57 00:03:40,180 --> 00:03:40,940 Danthony. 58 00:03:42,130 --> 00:03:42,890 Que s’était-il passé ? 59 00:03:43,870 --> 00:03:48,040 Monsieur Danthony, professeur de mathématiques à l’ENS de Lyon, 60 00:03:48,670 --> 00:03:53,440 contestait le décret de fusion de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud 61 00:03:54,430 --> 00:03:58,630 au sein de l’ENS de Lyon, rassemblement des deux ENS qui 62 00:03:59,080 --> 00:04:00,550 avaient leurs locaux à Lyon. 63 00:04:01,480 --> 00:04:04,870 Selon Monsieur Danthony, les deux établissements auraient dû, 64 00:04:05,140 --> 00:04:09,700 préalablement à leur demande de fusion qui a été validée par décret, 65 00:04:12,550 --> 00:04:15,010 consulter les comités techniques paritaires. 66 00:04:15,210 --> 00:04:18,010 Or, ça n’avait pas été le cas en l’espèce. 67 00:04:19,060 --> 00:04:24,940 Deuxième argument, deuxième moyen relevant de la procédure qui a 68 00:04:25,140 --> 00:04:29,530 été invoquée par Monsieur Danthony, selon le requérant, les conseils 69 00:04:29,730 --> 00:04:33,430 d’administration des deux ENS auraient dû se prononcer séparément. 70 00:04:33,630 --> 00:04:36,760 Or, que s’est-il passé en l’espèce ? 71 00:04:37,390 --> 00:04:42,430 Les deux conseils d’administration se sont prononcés une fois qu’ils 72 00:04:42,630 --> 00:04:43,570 avaient déjà fusionné. 73 00:04:43,770 --> 00:04:49,180 Ils se sont prononcés ensemble sur la fusion des deux établissements, 74 00:04:49,780 --> 00:04:54,730 ce qui constituait deux violations des règles procédurales sur la 75 00:04:54,930 --> 00:04:55,900 fusion des établissements. 76 00:04:57,950 --> 00:05:02,540 Monsieur Danthony invoquait deux vices de procédure et dans son arrêt, 77 00:05:03,080 --> 00:05:06,320 le Conseil d’État reconnaît d’abord un principe général du droit. 78 00:05:07,040 --> 00:05:11,960 Je vous cite la décision du Conseil d’État, son considérant de principe : 79 00:05:12,680 --> 00:05:17,120 "Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et 80 00:05:17,320 --> 00:05:20,390 conformément aux procédures prévues par les lois et règlements", 81 00:05:20,590 --> 00:05:23,150 c’est le principe, l’administration doit respecter les procédures. 82 00:05:23,350 --> 00:05:26,270 "Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et les 83 00:05:26,470 --> 00:05:30,890 procédures, un vice affectant le déroulement d’une procédure 84 00:05:31,090 --> 00:05:34,070 administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou 85 00:05:34,270 --> 00:05:40,190 facultatif, n'est de nature à entacher d’illégalité la décision prise 86 00:05:40,730 --> 00:05:46,790 que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible 87 00:05:46,990 --> 00:05:51,560 d’exercer en l’espèce une influence sur le sens de la décision prise 88 00:05:52,400 --> 00:05:55,490 ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie". 89 00:05:56,600 --> 00:06:00,590 Le Conseil d’État retient donc ici une conception concrète des vices, 90 00:06:00,790 --> 00:06:03,500 c’est-à-dire que ce n’est pas la règle qui est substantielle ou 91 00:06:03,700 --> 00:06:04,460 non substantielle. 92 00:06:04,940 --> 00:06:08,510 Ce n’est pas la formalité qui n’a pas été suivie, qui est substantielle 93 00:06:08,710 --> 00:06:09,470 ou non. 94 00:06:09,670 --> 00:06:12,920 C’est le vice lui-même qui doit être substantiel pour entraîner 95 00:06:13,120 --> 00:06:15,530 l’annulation de la décision administrative. 96 00:06:17,090 --> 00:06:20,660 Seuls les vices substantiels sont de nature à affecter la légalité 97 00:06:20,860 --> 00:06:24,380 d’un acte administratif et sont susceptibles d’engendrer son 98 00:06:24,580 --> 00:06:25,340 annulation. 99 00:06:25,550 --> 00:06:28,280 Il existe, nous dit le Conseil d’État dans sa décision, 100 00:06:28,640 --> 00:06:30,830 deux types de vices substantiels. 101 00:06:31,550 --> 00:06:33,890 Ils ne sont pas si nouveaux, le juge utilisait déjà, 102 00:06:34,090 --> 00:06:35,840 peu ou prou, les mêmes catégories. 103 00:06:36,350 --> 00:06:38,060 Deux types de vices substantiels. 104 00:06:38,260 --> 00:06:44,150 D’abord, le vice de procédure qui est susceptible d’avoir eu une 105 00:06:44,350 --> 00:06:46,760 influence sur le sens de la décision prise. 106 00:06:47,390 --> 00:06:52,100 Autrement dit, si le vice n’avait pas été commis, la décision de 107 00:06:52,300 --> 00:06:56,240 l’administration aurait pu ne pas être la même que celle qui a été prise. 108 00:06:57,050 --> 00:06:57,980 Prenons un exemple. 109 00:06:58,490 --> 00:07:05,240 Si un organisme consultatif rend un avis positif après que la décision 110 00:07:05,440 --> 00:07:08,870 de l’administration a été prise, c’est évidemment un vice de procédure. 111 00:07:09,070 --> 00:07:13,400 Normalement, l’avis doit être rendu avant que la décision ne soit prise. 112 00:07:13,770 --> 00:07:17,840 Mais imaginons qu’un avis positif sur le projet de décision de 113 00:07:18,040 --> 00:07:23,840 l’administration soit rendu après que cette décision ait commencé 114 00:07:24,040 --> 00:07:29,840 son existence, il n’a pas exercé ce vice d’influence sur le sens 115 00:07:30,040 --> 00:07:30,800 de la décision. 116 00:07:31,000 --> 00:07:33,920 L’administration aurait pris la même décision puisque de toute manière, 117 00:07:34,120 --> 00:07:38,510 l’avis de l’organisme consulté, trop tard mais consulté quand même, 118 00:07:38,710 --> 00:07:42,050 était positif sur le projet de décision de l’administration. 119 00:07:42,250 --> 00:07:45,320 Il n’aurait donc pas fait changer l’administration d’avis sur son projet. 120 00:07:45,520 --> 00:07:50,840 C’est la première catégorie, le cas où le vice n’a pas eu 121 00:07:51,040 --> 00:07:53,210 d’influence sur le sens de la décision. 122 00:07:53,420 --> 00:07:55,160 Ce vice n’est pas substantiel. 123 00:07:55,580 --> 00:08:00,080 Il n’empêche pas la décision d’une illégalité, cette décision ne doit 124 00:08:00,280 --> 00:08:01,130 donc pas être annulée. 125 00:08:02,570 --> 00:08:07,130 Deuxième catégorie de vice, le vice qui prive les intéressés 126 00:08:07,330 --> 00:08:08,090 d’une garantie. 127 00:08:08,290 --> 00:08:13,670 C’est par exemple le cas du vice qui entache le contradictoire. 128 00:08:15,110 --> 00:08:19,580 Une illégalité qui entache la procédure contradictoire constitue forcément 129 00:08:20,450 --> 00:08:24,140 une privation d’une garantie pour l’administré, car la procédure 130 00:08:24,340 --> 00:08:29,120 contradictoire constitue, pour l’administré, une garantie 131 00:08:29,320 --> 00:08:30,080 de ses droits. 132 00:08:30,650 --> 00:08:37,310 Voilà un exemple de vice substantiel, celui qui entache la procédure 133 00:08:37,510 --> 00:08:38,270 contradictoire. 134 00:08:39,650 --> 00:08:43,940 Concernant le cas de l’espèce, c’est-à-dire celui de la fusion 135 00:08:44,270 --> 00:08:49,520 de l’ENS de Lyon et de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud, le Conseil 136 00:08:49,720 --> 00:08:50,690 d’État a jugé la chose suivante. 137 00:08:50,890 --> 00:08:53,570 Il y avait deux vices, je vous les rappelle. 138 00:08:53,770 --> 00:08:59,360 Premièrement, les comités techniques paritaires n’avaient pas été consultés. 139 00:08:59,780 --> 00:09:04,520 Deuxièmement, les deux conseils d’administration se sont prononcés 140 00:09:04,720 --> 00:09:09,260 ensemble et non séparément sur le projet de fusion des établissements. 141 00:09:09,460 --> 00:09:13,340 S’agissant du premier vice, celui de l’absence de saisine des 142 00:09:13,540 --> 00:09:14,720 comités techniques paritaires. 143 00:09:15,710 --> 00:09:19,550 Selon le Conseil d’État, ce vice a privé les représentants 144 00:09:19,750 --> 00:09:24,260 du personnel d’une garantie, garantie qui d’ailleurs a une valeur 145 00:09:24,460 --> 00:09:29,300 constitutionnelle car elle découle du principe de participation des 146 00:09:29,500 --> 00:09:33,050 travailleurs à la détermination collective des relations de travail. 147 00:09:33,530 --> 00:09:37,760 Cela découle de l’alinéa 8 du préambule de 1946. 148 00:09:41,810 --> 00:09:44,540 Premier vice, il y avait méconnaissance d’une garantie. 149 00:09:44,990 --> 00:09:50,450 Deuxième vice, celui qui a consisté pour l’administration à se décider 150 00:09:51,200 --> 00:09:54,830 par une seule décision des conseils d’administration réunis et non 151 00:09:55,030 --> 00:09:58,390 par deux décisions de chacun des conseils d’administration. 152 00:09:58,840 --> 00:10:03,280 Selon le Conseil d’État, ce vice a eu une influence sur 153 00:10:03,480 --> 00:10:04,330 le sens de la décision. 154 00:10:04,900 --> 00:10:11,740 En effet, selon le Conseil d’État, les deux conseils d’administration 155 00:10:12,370 --> 00:10:16,930 se sont prononcés ensemble et sous la présidence du président du conseil 156 00:10:17,130 --> 00:10:23,710 d’administration de l’ENS de Fontenay, cela a entraîné une influence sur 157 00:10:23,910 --> 00:10:26,530 la manière dont les membres des deux conseils d’administration 158 00:10:27,670 --> 00:10:30,040 ont voté pour la fusion. 159 00:10:30,610 --> 00:10:36,370 Si les deux conseils d’administration avaient été consultés séparément, 160 00:10:36,880 --> 00:10:40,510 ils n’auraient peut-être pas pris la même décision qui a ensuite 161 00:10:40,710 --> 00:10:42,850 conduit à la fusion des deux établissements. 162 00:10:43,840 --> 00:10:47,320 Le Conseil d’État accepte ici le recours de Monsieur Danthony. 163 00:10:48,250 --> 00:10:52,810 Il accepte ses conclusions à fin d’annulation du décret qui autorise 164 00:10:53,010 --> 00:10:54,220 la fusion des deux établissements. 165 00:10:55,360 --> 00:10:59,860 Il accepte ses conclusions en se fondant sur les deux moyens invoqués 166 00:11:00,060 --> 00:11:02,350 par Monsieur Danthony, deux moyens qui étaient fondés 167 00:11:02,710 --> 00:11:05,980 et deux moyens qui reposaient sur des vices substantiels en 168 00:11:06,180 --> 00:11:06,940 l’occurrence.