1 00:00:05,620 --> 00:00:09,160 Les développements qui vont suivre sont fondamentaux pour comprendre 2 00:00:09,360 --> 00:00:12,520 les rapports qu'entretiennent l'administration et le juge 3 00:00:12,720 --> 00:00:15,610 administratif mais également l'évolution de ces rapports. 4 00:00:16,390 --> 00:00:19,630 Vous le savez maintenant, le juge administratif se confondait 5 00:00:19,830 --> 00:00:23,680 initialement avec l'administration, jugeait les litiges administratifs,  6 00:00:24,910 --> 00:00:26,650 relevait de l'action administrative. 7 00:00:26,850 --> 00:00:31,570 L'administration, et en particulier les ministres, sur avis du Conseil 8 00:00:31,770 --> 00:00:34,720 d'État, pouvaient, sans que cela ne pose de difficulté, 9 00:00:34,920 --> 00:00:37,570 évaluer sa position et la remettre en cause. 10 00:00:37,770 --> 00:00:40,990 L'administration pouvait revenir sur ses propres décisions. 11 00:00:41,590 --> 00:00:46,510 Mais à partir du moment ou le juge se sépare de l'administration, 12 00:00:46,840 --> 00:00:50,920 se pose une question nouvelle, qu'est-ce qui relève du juge et 13 00:00:51,120 --> 00:00:52,780 qu'est-ce qui relève de l'administration ? 14 00:00:53,440 --> 00:00:57,730 Le principe de séparation entre l'administration et le juge 15 00:00:57,930 --> 00:01:02,320 administratif implique que l'administration ne se juge plus, 16 00:01:02,680 --> 00:01:04,910 mais également que le juge n'administre pas. 17 00:01:05,110 --> 00:01:10,090 Or, en contrôlant la position de l'administration, le juge peut 18 00:01:10,290 --> 00:01:14,020 être amené à se mettre à la place de l'administration et risque donc 19 00:01:14,220 --> 00:01:16,090 de faire œuvre d'administrateur. 20 00:01:17,110 --> 00:01:20,620 Les évolutions du contrôle du juge sur l'administration témoignent 21 00:01:20,820 --> 00:01:25,270 de sa progressive prise d'indépendance vis-à-vis de l'administration. 22 00:01:25,960 --> 00:01:29,590 D'abord prudent, voire assez pusillanime vis-à-vis de 23 00:01:29,790 --> 00:01:32,950 l'administration, le juge, et en particulier le Conseil d'État, 24 00:01:33,490 --> 00:01:36,640 a rapidement intensifié son contrôle sur elle. 25 00:01:37,660 --> 00:01:40,270 Dans les années 1910, nous allons y revenir, 26 00:01:40,960 --> 00:01:45,520 le Conseil d'État commence à contrôler l'appréciation que l'administration 27 00:01:45,760 --> 00:01:48,220 porte sur les situations de fait. 28 00:01:48,730 --> 00:01:52,330 De même, à partir de l'arrêt Benjamin que vous connaissez maintenant, 29 00:01:52,530 --> 00:01:57,490 arrêt de 1933, le juge se met à la place de l'administration pour 30 00:01:57,690 --> 00:02:03,370 apprécier si la mesure de police qui a été adoptée était nécessaire 31 00:02:05,800 --> 00:02:08,500 pour assurer la préservation de l'ordre public. 32 00:02:08,700 --> 00:02:11,590 Le juge peut donc se mettre à la place de l'administration dans 33 00:02:11,790 --> 00:02:16,090 l'évaluation des faits qui peuvent amener à l'adoption d'une mesure 34 00:02:16,290 --> 00:02:17,050 administrative. 35 00:02:17,920 --> 00:02:22,180 Le degré de contrôle du juge sur l'administration est allé en 36 00:02:22,380 --> 00:02:23,140 s'intensifiant. 37 00:02:24,580 --> 00:02:27,820 Un recours pour excès de pouvoir comporte des conclusions. 38 00:02:28,360 --> 00:02:30,370 Je vais maintenant donc expliquer en quoi cela consiste, 39 00:02:30,670 --> 00:02:32,950 comporte des conclusions et des moyens. 40 00:02:33,610 --> 00:02:37,000 Les conclusions, ce sont les demandes du justiciable.   41 00:02:37,200 --> 00:02:39,820 En excès de pouvoir, maintenant, vous le savez, 42 00:02:40,180 --> 00:02:44,650 pour résumer, les conclusions visent à obtenir l'annulation d'un acte. 43 00:02:45,220 --> 00:02:48,640 On doit ajouter, et on y reviendra, les conclusions à fin d'injonction, 44 00:02:48,840 --> 00:02:52,690 c'est-à-dire de demander à l'administration qu'elle tire les 45 00:02:52,890 --> 00:02:56,050 conséquences de la décision d'annulation du juge. 46 00:02:56,740 --> 00:03:00,070 On doit ajouter à ces conclusions donc conclusions à fin d'annulation 47 00:03:00,270 --> 00:03:04,150 et conclusions à fin d'injonctions des conclusions à fin de condamnation 48 00:03:04,350 --> 00:03:07,120 de l'administration à rembourser les frais de justice qui ont été 49 00:03:07,320 --> 00:03:08,230 engagés par l'administré. 50 00:03:10,240 --> 00:03:13,600 Voilà pour les conclusions, c'est-à-dire ce qui est demandé au juge. 51 00:03:13,800 --> 00:03:17,260 Ensuite, il y a des moyens au soutien de ces conclusions. 52 00:03:17,620 --> 00:03:19,090 C'est ce que nous allons étudier maintenant. 53 00:03:19,690 --> 00:03:23,530 Les moyens, ce sont les arguments qui viennent au soutien de ces 54 00:03:23,730 --> 00:03:24,490 conclusions. 55 00:03:25,390 --> 00:03:29,140 Le juge administratif se prononce toujours sur une argumentation, 56 00:03:29,470 --> 00:03:30,270 sur ces moyens, donc. 57 00:03:31,360 --> 00:03:34,840 On ne se contente pas de demander au juge d'annuler un acte et 58 00:03:35,040 --> 00:03:37,510 d'enjoindre à l'administration de tirer les conséquences de cette 59 00:03:37,710 --> 00:03:42,310 annulation, on demande au juge d'annuler un acte parce que celui-ci 60 00:03:43,360 --> 00:03:48,340 est illégal et le juge intervient dans ce cadre qui est tracé par 61 00:03:48,540 --> 00:03:52,600 le requérant dans sa requête, c'est-à-dire que le juge répond 62 00:03:52,800 --> 00:03:55,630 aux arguments du requérant, à tous ses arguments, 63 00:03:55,990 --> 00:03:57,610 mais seulement à ses arguments. 64 00:03:58,480 --> 00:04:01,150 Le juge ne peut pas se prononcer d'abord infra petita, 65 00:04:01,350 --> 00:04:05,740 c'est-à-dire que le juge doit se prononcer sur tous les arguments 66 00:04:05,940 --> 00:04:06,700 du requérant. 67 00:04:06,900 --> 00:04:09,160 Il ne peut pas omettre, volontairement ou non, 68 00:04:09,520 --> 00:04:13,120 un moyen qui a été soulevé à l'occasion du recours pour excès de pouvoir. 69 00:04:14,170 --> 00:04:17,920 Donc le juge ne peut pas se prononcer infra petita, mais il ne peut pas 70 00:04:18,120 --> 00:04:22,960 non plus se prononcer ultra petita, c'est-à-dire avec des arguments 71 00:04:23,160 --> 00:04:26,980 qui n'ont pas été invoqués dans la requête, sauf ce que l'on appelle 72 00:04:27,180 --> 00:04:28,630 des moyens d'ordre public. 73 00:04:28,830 --> 00:04:29,590 Alors de quoi s'agit-il ? 74 00:04:30,160 --> 00:04:33,370 Un moyen d'ordre public, c'est un moyen qui vise une 75 00:04:33,570 --> 00:04:37,840 irrégularité particulièrement grave donc un argument qui met en valeur 76 00:04:38,080 --> 00:04:43,900 une illégalité grave de l'acte qui est contesté, et le juge peut 77 00:04:44,290 --> 00:04:49,720 de lui-même invoquer un moyen d'ordre public, c'est-à-dire même si le 78 00:04:49,920 --> 00:04:53,260 requérant ne l'a pas invoqué, le juge peut l'utiliser pour annuler 79 00:04:53,530 --> 00:04:55,030 la décision qui est portée devant lui. 80 00:04:55,660 --> 00:04:58,960 C'est dans ces cas-là, dans les cas de moyens d'ordre public, 81 00:04:59,230 --> 00:05:03,030 que le juge peut se prononcer ultra petita, mais seulement dans ces cas-là. 82 00:05:05,280 --> 00:05:08,850 Les moyens du recours pour excès de pouvoir sont donc des arguments 83 00:05:09,050 --> 00:05:12,690 qui sont soulevés devant le juge et sur lesquels le juge peut se 84 00:05:12,890 --> 00:05:15,000 fonder pour annuler un acte administratif. 85 00:05:15,690 --> 00:05:18,630 On parle également à propos de ces moyens en excès de pouvoir, 86 00:05:18,830 --> 00:05:22,140 de cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir. 87 00:05:23,010 --> 00:05:27,240 Ces moyens consistent donc à soulever des vices de l'acte administratif 88 00:05:27,960 --> 00:05:32,430 et ils sont répartis en deux catégories, catégories que l'on 89 00:05:32,630 --> 00:05:34,320 appelle causes juridiques. 90 00:05:35,100 --> 00:05:39,090 Ces deux causes juridiques sont la légalité externe de l'acte 91 00:05:39,290 --> 00:05:43,290 administratif et la légalité interne de l'acte administratif. 92 00:05:44,760 --> 00:05:48,900 Je reprends tous les termes que je viens d'utiliser pour que cela 93 00:05:49,100 --> 00:05:49,860 soit bien clair pour vous. 94 00:05:50,670 --> 00:05:54,450 Pour annuler un acte administratif, le juge se prononce sur des arguments, 95 00:05:55,200 --> 00:05:59,340 arguments que l'on appelle moyens, et ces moyens tendent à mettre 96 00:05:59,540 --> 00:06:03,750 en évidence des vices commis par l'administration dans un acte 97 00:06:03,950 --> 00:06:04,710 administratif. 98 00:06:04,910 --> 00:06:09,270 Ces vices sont également appelés cas d'ouverture du recours pour 99 00:06:09,470 --> 00:06:13,200 excès de pouvoir, et les vices commis par l'administration relèvent 100 00:06:13,400 --> 00:06:18,180 de deux causes juridiques distinctes,  la légalité externe et la légalité 101 00:06:18,380 --> 00:06:19,140 interne. 102 00:06:20,280 --> 00:06:25,200 En quelque sorte, la légalité externe concerne les éléments formels de 103 00:06:25,400 --> 00:06:29,070 l'acte administratif, tandis que la légalité interne, 104 00:06:29,270 --> 00:06:33,630 elle, concerne le fond de la décision de l'administration, 105 00:06:34,350 --> 00:06:37,560 forme de la décision, contenu de la décision, 106 00:06:37,760 --> 00:06:38,520 donc. 107 00:06:39,270 --> 00:06:44,640 Relève de la légalité externe l'incompétence de l'auteur de l'acte, 108 00:06:45,180 --> 00:06:51,060 le vice de forme qui entache donc l'aspect formel de cet acte et 109 00:06:51,260 --> 00:06:55,110 troisièmement, le vice de procédure donc incompétence, vices de forme, 110 00:06:55,310 --> 00:06:59,430 vices de procédure sont les trois catégories de moyens de légalité 111 00:06:59,630 --> 00:07:00,390 externe. 112 00:07:01,410 --> 00:07:06,990 Légalité interne ensuite, qui comprend trois catégories de 113 00:07:07,190 --> 00:07:12,090 moyens, la violation directe de la règle de droit, l'erreur dans 114 00:07:12,290 --> 00:07:17,520 les motifs de droit ou de fait de la décision et enfin détournement 115 00:07:17,720 --> 00:07:21,420 de pouvoir, violation de la règle de droit, erreur dans les motifs 116 00:07:21,620 --> 00:07:24,780 de fait ou de droit et détournement de pouvoir. 117 00:07:26,070 --> 00:07:29,040 Cette classification n'est pas parfaite, elle est critiquée depuis 118 00:07:29,240 --> 00:07:32,160 longtemps par la doctrine, mais elle continue d'exister et 119 00:07:32,360 --> 00:07:37,260 elle a notamment une conséquence très concrète, une conséquence 120 00:07:37,460 --> 00:07:42,060 dans le procès administratif, lorsque seule une cause juridique 121 00:07:42,420 --> 00:07:46,290 a été invoquée avant l'expiration du délai de recours, 122 00:07:47,190 --> 00:07:51,090 le requérant ne peut plus invoquer ensuite une autre cause juridique. 123 00:07:51,660 --> 00:07:56,550 Alors prenons l'exemple que j'ai pris la semaine dernière, 124 00:07:56,970 --> 00:07:59,910 celui d'un règlement qui serait publié le 9 février. 125 00:08:00,810 --> 00:08:03,570 Le délai du recours pour excès de pouvoir commence à courir, 126 00:08:03,770 --> 00:08:07,680 puisque c'est un délai franc, le 10 février et il expire deux 127 00:08:07,880 --> 00:08:13,440 mois plus tard, un jour ouvrable donc, le 11 avril, puisque le 10 est 128 00:08:13,640 --> 00:08:17,100 un dimanche, donc le 11 avril, le recours pour excès de pouvoir 129 00:08:18,090 --> 00:08:20,340 a expiré, le délai de recours pour excès de pouvoir a expiré. 130 00:08:21,060 --> 00:08:23,640 Imaginons que je souhaite contester ce règlement. 131 00:08:24,270 --> 00:08:30,480 Je considère qu'il a été adopté sans l'avis d'un organisme consultatif 132 00:08:30,680 --> 00:08:34,080 que l'administration devait consulter avant de prendre ce règlement. 133 00:08:34,830 --> 00:08:37,860 Je le conteste pour un vice de procédure donc, qui est un vice 134 00:08:38,160 --> 00:08:39,990 qui relève de la légalité externe. 135 00:08:41,190 --> 00:08:44,460 Je dépose mon recours, imaginons, le 7 avril, 136 00:08:44,850 --> 00:08:47,010 soit dans le délai de recours contentieux. 137 00:08:47,800 --> 00:08:51,510 Mais imaginons maintenant que le 26 avril, je remarque que 138 00:08:51,710 --> 00:08:56,880 l'administration s'est également méprise sur le sens de la loi qu'elle 139 00:08:57,240 --> 00:09:00,420 voulait appliquer par son règlement. 140 00:09:00,620 --> 00:09:04,140 Eh bien ce moyen que l'on appelle une erreur de droit, 141 00:09:04,620 --> 00:09:06,420 je ne peux plus l'invoquer devant le juge. 142 00:09:07,260 --> 00:09:11,880 En effet, l'erreur de droit est un moyen de légalité interne qui 143 00:09:12,080 --> 00:09:16,080 relève donc d'une autre cause juridique que celle que j'ai invoquée dans 144 00:09:16,280 --> 00:09:19,860 mon recours pour excès de pouvoir que j'ai déposé le 7 avril. 145 00:09:20,060 --> 00:09:24,930 Or, après le 11 avril, je ne pouvais plus invoquer que 146 00:09:25,130 --> 00:09:28,140 des moyens qui relèvent de la légalité externe puisque initialement, 147 00:09:28,710 --> 00:09:31,350 je n'ai saisi le juge que de moyens de légalité externe. 148 00:09:31,800 --> 00:09:35,040 Je ne peux donc plus invoquer de moyens de légalité interne. 149 00:09:35,880 --> 00:09:39,420 Cette règle contentieuse procédurale, donc très particulière, 150 00:09:39,750 --> 00:09:43,170 découle d'un arrêt célèbre qui a consacré les deux causes juridiques 151 00:09:43,370 --> 00:09:46,350 du recours pour excès de pouvoir, une décision du Conseil d'État 152 00:09:46,620 --> 00:09:49,950 du 20 février 1953, société Intercopie. 153 00:09:50,970 --> 00:09:54,690 Cette jurisprudence peut aisément être contournée cependant, 154 00:09:55,470 --> 00:09:59,400 et elle peut être contournée par les initiés au contentieux 155 00:09:59,600 --> 00:10:00,360 administratif. 156 00:10:00,570 --> 00:10:06,850 En effet, il suffit dans la requête qui est déposée au juge d'invoquer 157 00:10:07,300 --> 00:10:09,820 des arguments qui relèvent des deux causes juridiques, 158 00:10:10,330 --> 00:10:14,170 même si ces arguments sont farfelus lorsqu'ils  relèvent d'une de ces 159 00:10:14,370 --> 00:10:17,320 causes juridiques, au moins même en invoquant un moyen farfelu, 160 00:10:17,710 --> 00:10:23,290 j'ai ouvert les deux causes juridiques qui permettront ensuite d'invoquer 161 00:10:23,490 --> 00:10:26,950 de nouveaux moyens, moins farfelus cette fois-ci, une fois que le 162 00:10:28,240 --> 00:10:30,970 délai de recours pour excès de pouvoir aura expiré. 163 00:10:31,990 --> 00:10:37,840 Il existe également une exception à la règle qui a été posée par 164 00:10:38,040 --> 00:10:38,920 la société Intercopie. 165 00:10:40,060 --> 00:10:42,970 Un moyen d'ordre public, je vous ai expliqué son sens, 166 00:10:43,170 --> 00:10:47,980 c'est un moyen qui protège une illégalité grave, un moyen d'ordre 167 00:10:48,180 --> 00:10:52,180 public reste invocable à n'importe quel moment du procès administratif, 168 00:10:52,380 --> 00:10:56,980 c'est-à-dire qu'une fois expiré, le délai de recours pour excès 169 00:10:57,180 --> 00:11:02,050 de pouvoir, je peux invoquer tout moyen d'ordre public, 170 00:11:02,250 --> 00:11:06,130 même s'il ne relève pas de la cause juridique que j'ai ouverte dans 171 00:11:06,330 --> 00:11:09,190 mon recours pour excès de pouvoir, et le juge, lui aussi, 172 00:11:09,390 --> 00:11:13,780 peut invoquer ce motif d'office, c'est-à-dire sans même que je l'aie 173 00:11:15,520 --> 00:11:17,410 présenté dans ma requête.