1 00:00:05,590 --> 00:00:10,030 Nous abordons, dans ce IIIe et dernier chapitre du semestre, 2 00:00:10,810 --> 00:00:13,930 le contrôle juridictionnel de l’administration qui nous occupera 3 00:00:14,130 --> 00:00:18,010 tout de même assez longtemps, le contrôle de l’administration 4 00:00:18,210 --> 00:00:18,970 par le juge. 5 00:00:19,810 --> 00:00:22,570 Nous verrons, dans ce chapitre, que l’administration est contrôlée 6 00:00:22,770 --> 00:00:26,530 par deux ordres de juridiction : par le juge administratif d’abord, 7 00:00:26,980 --> 00:00:29,800 cela semble évident, mais également pour certaines de 8 00:00:30,000 --> 00:00:34,540 ses activités administratives, par le juge judiciaire. 9 00:00:35,980 --> 00:00:39,670 Section I : le contrôle par le juge administratif. 10 00:00:41,020 --> 00:00:44,500 Avant d’étudier les recours juridictionnels qui conduisent 11 00:00:44,700 --> 00:00:47,830 les justiciables devant le juge administratif, nous allons nous 12 00:00:48,030 --> 00:00:52,800 attarder sur la structure de l’ordre juridictionnel administratif. 13 00:00:53,000 --> 00:00:55,960 I : l’ordre juridictionnel administratif. 14 00:00:56,980 --> 00:01:01,330 Je retracerai d’abord assez rapidement l’apparition de l’ordre juridictionnel 15 00:01:01,530 --> 00:01:05,560 administratif, puis nous verrons ses caractéristiques fondamentales, 16 00:01:06,190 --> 00:01:08,320 et enfin, son domaine de compétence. 17 00:01:09,490 --> 00:01:10,250 A. 18 00:01:10,450 --> 00:01:13,220 L’apparition de l’ordre juridictionnel administratif. 19 00:01:13,420 --> 00:01:16,990 Évidemment, l’objet de ce cours n’est pas de vous présenter une 20 00:01:17,190 --> 00:01:20,170 histoire exhaustive du droit administratif français, 21 00:01:20,370 --> 00:01:25,060 de l’apparition de son juge, d’exposer les origines médiévales 22 00:01:25,330 --> 00:01:27,160 du juge administratif contemporain. 23 00:01:27,580 --> 00:01:30,940 Il s’agit plutôt de voir comment, dans notre pays, s’est développée 24 00:01:31,140 --> 00:01:35,500 une juridiction administrative spécifique, distincte à la fois 25 00:01:35,740 --> 00:01:38,620 de l’administration et du juge judiciaire. 26 00:01:38,820 --> 00:01:43,210 L’existence de deux ordres de juridiction n’est pas universelle, 27 00:01:43,720 --> 00:01:47,830 alors que l’existence d’un droit administratif spécifique, 28 00:01:48,030 --> 00:01:51,490 c’est-à-dire un droit de la puissance publique, est connue dans presque 29 00:01:51,690 --> 00:01:52,450 tous les États. 30 00:01:52,900 --> 00:01:56,530 Mais puisque la séparation des autorités judiciaires et 31 00:01:56,730 --> 00:02:00,100 administratives n’est pas naturelle, qu’elle n’existe pas dans tous les pays, 32 00:02:00,580 --> 00:02:04,000 il est intéressant de voir d’où elle vient en France. 33 00:02:04,960 --> 00:02:10,270 Nous verrons le développement historique de cet ordre juridictionnel 34 00:02:10,470 --> 00:02:12,160 administratif en cinq temps. 35 00:02:12,360 --> 00:02:16,270 D’abord, l’interdiction faite aux juges judiciaires de connaître 36 00:02:16,470 --> 00:02:17,770 des litiges administratifs. 37 00:02:17,970 --> 00:02:21,730 Deuxièmement, l’avènement du juge administrateur. 38 00:02:21,930 --> 00:02:26,560 Troisièmement, l’autonomisation progressive du juge administratif. 39 00:02:26,760 --> 00:02:30,330 Quatrièmement, le développement des juridictions administratives. 40 00:02:30,530 --> 00:02:34,840 Cinquièmement, la constitutionnalisation de l’autonomie 41 00:02:35,140 --> 00:02:36,280 de l’ordre administratif. 42 00:02:37,840 --> 00:02:43,480 Premier temps : les origines de l’interdiction faite au juge judiciaire 43 00:02:44,140 --> 00:02:46,270 de connaître des litiges administratifs. 44 00:02:46,470 --> 00:02:53,140 L’existence d’un ordre administratif doit beaucoup à la profonde méfiance 45 00:02:53,590 --> 00:02:56,440 qu’ont les révolutionnaires envers les juges. 46 00:02:57,520 --> 00:02:59,410 Il faut bien voir que cette méfiance n’est pas nouvelle. 47 00:02:59,860 --> 00:03:03,670 Des conflits ont opposé l’administration royale sous l’Ancien 48 00:03:03,870 --> 00:03:07,210 Régime et les parlements, et ce, pendant des siècles. 49 00:03:07,410 --> 00:03:11,290 C’est particulièrement le droit de remontrance des parlements qui 50 00:03:11,490 --> 00:03:12,250 a posé problème. 51 00:03:12,450 --> 00:03:16,540 Chargés d’enregistrer les ordonnances et les édits royaux, 52 00:03:17,050 --> 00:03:19,900 de les rendre publics, donc de les rendre juridiquement 53 00:03:20,100 --> 00:03:23,560 obligatoires, les parlements, à partir du 15e siècle à peu près, 54 00:03:23,760 --> 00:03:28,090 ont commencé à faire des remontrances au roi, c’est-à-dire de refuser 55 00:03:28,290 --> 00:03:31,930 d’enregistrer certains actes royaux pour des raisons juridiques. 56 00:03:32,890 --> 00:03:36,670 Le roi pouvait lui-même s’opposer à ces remontrances, demander 57 00:03:36,870 --> 00:03:41,860 l’enregistrement que les parlements pouvaient à nouveau refuser — il 58 00:03:42,060 --> 00:03:44,950 pouvait donc y avoir une sorte de navette entre un parlement 59 00:03:45,150 --> 00:03:49,420 récalcitrant et le roi — mais le roi pouvait clore ce litige en 60 00:03:49,620 --> 00:03:52,060 faisant ce que l’on appelait un lit de justice. 61 00:03:52,260 --> 00:03:57,070 Il présidait alors le parlement récalcitrant et enregistrait lui-même 62 00:03:57,430 --> 00:04:01,300 son ordonnance ou son édit, qui devenait donc juridiquement 63 00:04:01,500 --> 00:04:04,780 obligatoire, ce à quoi s’opposait le parlement. 64 00:04:06,610 --> 00:04:09,610 Durant certaines périodes, le droit de remontrance est utilisé 65 00:04:09,810 --> 00:04:15,070 de manière massive et perd progressivement de son sens originel. 66 00:04:15,270 --> 00:04:18,880 Initialement, le droit de remontrance permettait, au parlement, 67 00:04:19,080 --> 00:04:21,550 de s’opposer juridiquement à un acte du roi. 68 00:04:22,150 --> 00:04:25,630 Mais progressivement, les parlements ont utilisé ce pouvoir 69 00:04:25,830 --> 00:04:28,570 pour s’opposer en opportunité aux actes du roi, c’est-à-dire à s’y 70 00:04:29,200 --> 00:04:31,570 opposer non pas pour des raisons juridiques, mais pour des raisons 71 00:04:31,770 --> 00:04:32,530 politiques. 72 00:04:33,340 --> 00:04:36,820 Les parlements concentraient ainsi différents pouvoirs. 73 00:04:37,360 --> 00:04:43,570 Ils cumulaient à la fois le pouvoir législatif, judiciaire et 74 00:04:43,770 --> 00:04:44,530 administratif. 75 00:04:45,550 --> 00:04:48,670 Les périodes se succèdent, tantôt favorables au roi, 76 00:04:48,940 --> 00:04:50,440 tantôt favorables au parlement. 77 00:04:50,640 --> 00:04:55,240 L’opposition entre les deux tourne parfois au conflit, comme pendant 78 00:04:55,440 --> 00:04:56,200 la fronde. 79 00:04:56,400 --> 00:04:59,320 À l’inverse, durant certains règnes, comme celui de Louis XIV, 80 00:04:59,560 --> 00:05:03,820 les parlements cessent complètement d’utiliser le droit de remontrance, 81 00:05:04,060 --> 00:05:07,870 laissant ainsi l’absolutisme royal s’affirmer complètement. 82 00:05:08,070 --> 00:05:14,050 L’opposition farouche des parlements aux réformes, envisagées par Louis 83 00:05:14,250 --> 00:05:18,940 XVI avant la révolution, favorise cette révolution de 1789. 84 00:05:19,540 --> 00:05:22,090 Les membres des parlements, les magistrats de l’époque, 85 00:05:22,990 --> 00:05:28,020 sont vus comme "une classe rétrograde, partiale, souvent égoïste", 86 00:05:28,220 --> 00:05:30,490 je cite ici le professeur Sueur. 87 00:05:31,570 --> 00:05:34,840 Les parlements sont d’ailleurs supprimés rapidement après la 88 00:05:35,040 --> 00:05:40,180 révolution car les révolutionnaires avaient encore cette méfiance, 89 00:05:40,380 --> 00:05:44,110 qui s’était créée sous l’Ancien Régime, envers les juges. 90 00:05:44,920 --> 00:05:52,210 En plus de supprimer les parlements, la loi des 16 et 24 août 1790 dispose, 91 00:05:52,450 --> 00:05:56,170 en son article 13, je cite, que : "Les fonctions judiciaires 92 00:05:56,370 --> 00:05:59,350 sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions 93 00:05:59,550 --> 00:06:00,310 administratives. 94 00:06:00,670 --> 00:06:03,490 Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, 95 00:06:03,760 --> 00:06:07,150 troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps 96 00:06:07,350 --> 00:06:12,220 administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison 97 00:06:12,420 --> 00:06:13,180 de leurs fonctions". 98 00:06:15,190 --> 00:06:20,590 Le décret du 16 fructidor an III confirme cette interdiction qui 99 00:06:20,790 --> 00:06:23,290 est faite au juge judiciaire de s’ingérer dans le fonctionnement 100 00:06:23,650 --> 00:06:24,550 de l’administration. 101 00:06:24,750 --> 00:06:29,440 Je cite le décret du 16 fructidor an III : "Défenses itératives sont 102 00:06:29,640 --> 00:06:33,420 faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque 103 00:06:33,970 --> 00:06:36,370 espèce qui soit, aux peines de droit". 104 00:06:37,510 --> 00:06:43,420 Voilà le premier temps qui consiste à séparer le juge judiciaire et 105 00:06:43,620 --> 00:06:44,380 l’administration. 106 00:06:44,580 --> 00:06:50,080 Voyons, en deuxième temps, l’avènement de l’administrateur juge. 107 00:06:53,950 --> 00:06:58,150 Le contrôle de l’administration appartient, à partir de la révolution, 108 00:06:58,350 --> 00:06:59,320 à l’administration elle-même. 109 00:07:00,100 --> 00:07:03,640 On parle d’administrateur juge et de ministre juge. 110 00:07:04,270 --> 00:07:08,710 Le juge judiciaire étant incompétent pour juger l’administration en 111 00:07:08,910 --> 00:07:13,660 vertu de la loi de 1790 et du décret de fructidor an III, 112 00:07:14,170 --> 00:07:17,470 le juge judiciaire étant incompétent pour juger l’administration, 113 00:07:17,710 --> 00:07:21,790 cette mission revient à l’administration, en particulier 114 00:07:22,060 --> 00:07:25,450 à chaque ministre dans son domaine de compétence, et ce, 115 00:07:25,690 --> 00:07:27,220 dès 1795. 116 00:07:27,420 --> 00:07:31,060 C’est donc la théorie du ministre juge, c’est-à-dire que le ministre juge 117 00:07:31,260 --> 00:07:32,110 son administration. 118 00:07:33,490 --> 00:07:37,810 La méfiance dont les magistrats sont l’objet conduit à ce que les 119 00:07:38,010 --> 00:07:41,230 juges judiciaires soient dessaisis du contrôle de l’action administrative 120 00:07:41,430 --> 00:07:43,330 et que l’administration se juge elle-même. 121 00:07:44,440 --> 00:07:48,910 Sous le consulat, Napoléon veut créer une élite administrative 122 00:07:49,330 --> 00:07:53,560 qui participerait à la fois à la rédaction des lois, conseillerait 123 00:07:53,760 --> 00:07:56,890 les ministres dans leurs tâches administratives, mais également 124 00:07:57,090 --> 00:08:01,360 conseillerait l’administration dans la résolution des litiges 125 00:08:01,560 --> 00:08:02,320 dans lesquels elle est partie. 126 00:08:02,520 --> 00:08:08,140 L’administration est alors dotée d’organe d’administration et de 127 00:08:08,340 --> 00:08:11,650 conseil, qui cumulent ces deux fonctions, administration et conseil, 128 00:08:13,840 --> 00:08:16,210 y compris dans le contentieux administratif. 129 00:08:16,960 --> 00:08:20,830 Ce sont les organes dont nous avons déjà parlé : le Conseil d’État 130 00:08:21,220 --> 00:08:23,020 et les conseils de préfecture. 131 00:08:23,650 --> 00:08:27,310 Ces organes participent à l’activité administrative et aident 132 00:08:27,510 --> 00:08:31,630 l’administration à juger les litiges administratifs. 133 00:08:32,740 --> 00:08:35,590 Ils ont des fonctions administratives et des fonctions contentieuses, 134 00:08:35,890 --> 00:08:40,420 mais ils ne sont pas encore de véritable juridiction car formellement, 135 00:08:41,140 --> 00:08:43,960 les conseils de préfecture et le Conseil d’État ne rendent pas des 136 00:08:44,160 --> 00:08:48,550 décisions sur les litiges administratifs, mais rendent des 137 00:08:48,750 --> 00:08:50,110 avis sur ces litiges. 138 00:08:51,220 --> 00:08:54,790 Il revient ensuite à l’administration de juger concrètement ces litiges, 139 00:08:54,990 --> 00:09:00,850 de rendre ces décisions dans les litiges qui les opposent aux 140 00:09:01,050 --> 00:09:02,380 particuliers principalement. 141 00:09:03,940 --> 00:09:08,650 Il faut noter à ce titre, du point de vue de la continuité 142 00:09:08,850 --> 00:09:12,250 de l’histoire de l’administration et de la juridiction administrative, 143 00:09:13,060 --> 00:09:15,460 que l’expression Conseil d’État n’est pas une expression nouvelle. 144 00:09:16,000 --> 00:09:20,200 Durant l’Ancien Régime, le roi prend ses décisions à l’aide 145 00:09:20,400 --> 00:09:23,290 d’un organisme de conseil que l’on appelle Conseil du roi, 146 00:09:23,710 --> 00:09:26,380 mais également dans certaines circonstances, Conseil d’État. 147 00:09:27,010 --> 00:09:30,790 Vous voyez la continuité qui existe entre l’Ancien Régime et la 148 00:09:30,990 --> 00:09:31,750 révolution.