1 00:00:05,830 --> 00:00:09,550 Les acteurs publics ont des missions, ce que nous avons vu jusqu’alors 2 00:00:09,750 --> 00:00:14,440 et pour mener à bien ces missions, les acteurs publics disposent de 3 00:00:14,640 --> 00:00:15,400 moyens. 4 00:00:15,600 --> 00:00:19,270 Le troisième et dernier chapitre de cette partie sera consacré à 5 00:00:19,470 --> 00:00:20,230 ces moyens. 6 00:00:20,430 --> 00:00:24,280 Les moyens de l’administration peuvent être matériels ou juridiques. 7 00:00:24,480 --> 00:00:27,910 Les moyens matériels de l’administration sont nombreux 8 00:00:28,110 --> 00:00:29,740 et divers, en voici quelques-uns. 9 00:00:29,940 --> 00:00:32,270 L’administration dispose de personnel d’abord. 10 00:00:32,470 --> 00:00:38,560 L’effectif des agents publics s’élevait à 5,6 millions en 2019. 11 00:00:39,070 --> 00:00:41,650 Ces agents se répartissent en différentes catégories. 12 00:00:42,070 --> 00:00:45,370 Il y a d’abord trois fonctions publiques au sein de l’administration : 13 00:00:45,820 --> 00:00:48,970 la fonction publique de l’État, la fonction publique territoriale 14 00:00:49,170 --> 00:00:51,130 et la fonction publique hospitalière. 15 00:00:51,820 --> 00:00:55,780 Et ensuite, l’État, les collectivités territoriales et les établissements 16 00:00:55,980 --> 00:00:59,260 hospitaliers ont à leur disposition des fonctionnaires, c’est-à-dire 17 00:00:59,830 --> 00:01:04,900 des agents titulaires et soumis à un statut légal et réglementaire, 18 00:01:05,440 --> 00:01:10,180 ou alors des agents contractuels, des agents non-titulaires dans 19 00:01:10,380 --> 00:01:13,270 une relation contractuelle de droit public avec l’administration. 20 00:01:14,590 --> 00:01:19,420 Deuxième type de moyens à disposition de l’administration, 21 00:01:19,990 --> 00:01:22,030 ce sont les personnes morales de droit privé. 22 00:01:22,600 --> 00:01:25,290 On l’a abordé régulièrement jusqu’ici. 23 00:01:25,490 --> 00:01:28,360 Il y a des sociétés et des associations, donc des personnes 24 00:01:28,560 --> 00:01:32,230 privées, qui peuvent être chargées d’une mission de service public. 25 00:01:32,430 --> 00:01:36,340 S’ajoutent, à ces personnes privées chargées d’une mission de service 26 00:01:36,540 --> 00:01:42,850 public, des entreprises chargées de fournir des biens ou des services 27 00:01:43,050 --> 00:01:47,950 à l’administration, par exemple achat de véhicules, achat de mobilier 28 00:01:48,150 --> 00:01:52,270 ou encore prestations de nettoyage qui sont assurés par des entreprises 29 00:01:52,600 --> 00:01:55,480 privées au profit de personnes publiques. 30 00:01:56,590 --> 00:02:00,790 Il y a également d’autres entreprises qui peuvent être chargées de réaliser 31 00:02:00,990 --> 00:02:03,340 des travaux pour le compte de l’administration, construction 32 00:02:03,540 --> 00:02:06,010 d’une école, rénovation d’un monument par exemple. 33 00:02:07,600 --> 00:02:10,690 Troisième type de moyens de l’administration, les biens. 34 00:02:10,890 --> 00:02:13,220 L’administration est propriétaire. 35 00:02:14,020 --> 00:02:18,490 Certains biens qui lui appartiennent relèvent de ce que l’on appelle 36 00:02:18,690 --> 00:02:19,450 le domaine public. 37 00:02:19,990 --> 00:02:22,180 Ce sont les biens les plus protégés. 38 00:02:22,540 --> 00:02:26,890 Pourquoi sont-ils plus protégés au sein des biens de l’administration ? 39 00:02:27,400 --> 00:02:31,660 Ce sont des biens dits affectés, c’est-à-dire qu’ils sont soit utilisés 40 00:02:31,860 --> 00:02:36,870 directement par le public, par exemple des routes ou alors 41 00:02:37,070 --> 00:02:40,990 les églises, qui sont également utilisées directement par le public, 42 00:02:41,530 --> 00:02:45,700 ou alors des biens affectés à un service public, à l’exécution d’une 43 00:02:45,900 --> 00:02:50,680 mission de service public, par exemple les infrastructures 44 00:02:51,940 --> 00:02:54,870 utilisées dans le cadre du service public de l’enseignement supérieur, 45 00:02:55,070 --> 00:02:58,720 les universités, les écoles, les collèges, les lycées, 46 00:02:58,920 --> 00:02:59,680 etc. 47 00:03:00,070 --> 00:03:03,880 Il y a également tout un tas de biens naturels, comme les fleuves 48 00:03:04,080 --> 00:03:09,400 ou la mer, qui font partie du patrimoine des personnes publiques. 49 00:03:09,600 --> 00:03:11,980 S’agissant de la mer, par exemple, il s’agit de propriété 50 00:03:12,180 --> 00:03:12,940 de l’État. 51 00:03:14,050 --> 00:03:16,960 Il y a également d’autres biens un peu moins importants dans le 52 00:03:17,160 --> 00:03:19,900 patrimoine de l’administration et qui relèvent de ce que l’on 53 00:03:20,100 --> 00:03:21,030 appelle le domaine privé. 54 00:03:21,230 --> 00:03:23,620 J’en ai déjà parlé précédemment dans ce cours. 55 00:03:24,280 --> 00:03:29,380 Ces biens sont moins importants, donc bénéficient d’une moindre 56 00:03:29,580 --> 00:03:33,940 protection de la part du droit, car ils ne sont pas affectés 57 00:03:34,140 --> 00:03:36,340 directement au public ou à un service public. 58 00:03:36,540 --> 00:03:39,940 Cependant, puisqu’ils sont la propriété de l’administration, 59 00:03:40,270 --> 00:03:45,580 ces biens ont tout de même un lien avec l’intérêt général et à ce titre, 60 00:03:45,780 --> 00:03:48,460 ils bénéficient tout de même de certains principes de protection, 61 00:03:48,820 --> 00:03:52,540 principe de protection que vous verrez au sein du cours de troisième 62 00:03:52,740 --> 00:03:54,340 année de droit administratif des biens. 63 00:03:54,540 --> 00:04:00,070 J’évoquerai enfin un dernier type de moyens à la disposition de 64 00:04:00,270 --> 00:04:03,880 l’administration, ce sont ses ressources financières qui sont 65 00:04:04,080 --> 00:04:08,230 utilisées selon des règles très particulières, des règles budgétaires 66 00:04:08,430 --> 00:04:10,120 et des règles de comptabilité publique. 67 00:04:11,260 --> 00:04:13,300 Dans ce premier chapitre, nous allons étudier, 68 00:04:13,500 --> 00:04:17,770 non pas les moyens matériels de l’administration qui relèvent d’autres 69 00:04:17,970 --> 00:04:21,910 cours spécialisés que vous verrez les prochaines années, 70 00:04:22,360 --> 00:04:26,500 nous allons ici nous attarder sur les moyens juridiques à la disposition 71 00:04:26,700 --> 00:04:29,380 de l’administration, en particulier nous allons étudier 72 00:04:29,620 --> 00:04:31,960 les actes juridiques de l’administration. 73 00:04:33,790 --> 00:04:34,550 De quoi s’agit-il ? 74 00:04:35,260 --> 00:04:40,030 Le Code civil donne une définition de l’acte juridique en son article 75 00:04:40,230 --> 00:04:40,990 1100-1. 76 00:04:41,800 --> 00:04:45,040 Il s’agit d’une manifestation de volonté destinée à produire des 77 00:04:45,240 --> 00:04:46,000 effets de droit. 78 00:04:46,200 --> 00:04:50,290 L’administration prend des actes pour appliquer, pour modifier, 79 00:04:50,490 --> 00:04:54,790 pour ajouter ou pour supprimer des règles de droit préexistantes. 80 00:04:55,210 --> 00:04:59,710 Autrement dit, l’administration prend des actes pour agir sur le droit. 81 00:05:00,940 --> 00:05:04,390 Les actes de l’administration sont considérés comme manifestant sa 82 00:05:04,590 --> 00:05:05,350 volonté. 83 00:05:05,550 --> 00:05:09,520 Par exemple, le maire qui édicte un arrêté relatif au stationnement 84 00:05:09,720 --> 00:05:13,840 des véhicules dans sa commune, manifeste la volonté de la commune. 85 00:05:14,830 --> 00:05:18,430 Comme je vous l’expliquais au tout début de ce cours, le droit fonctionne 86 00:05:18,630 --> 00:05:19,780 par habilitation. 87 00:05:20,350 --> 00:05:24,610 Les acteurs du droit édictent des actes juridiques dans un cadre donné. 88 00:05:24,810 --> 00:05:30,040 C’est le droit qui donne un caractère juridique et qui attribue des 89 00:05:30,240 --> 00:05:33,790 conséquences juridiques à certaines actions de l’administration. 90 00:05:34,960 --> 00:05:39,490 Par exemple, lorsqu’une personne promet à une autre de lui donner 91 00:05:39,690 --> 00:05:43,120 quelque chose et que la seconde promet à la première, 92 00:05:43,330 --> 00:05:46,390 en échange de cette chose, de lui donner une somme d’argent, 93 00:05:46,870 --> 00:05:51,520 ces deux personnes ont passé un contrat selon les règles fixées 94 00:05:51,820 --> 00:05:52,690 par le Code civil. 95 00:05:52,890 --> 00:05:58,450 L’acte, le contrat donc, existe et a ajouté une norme dans 96 00:05:58,650 --> 00:06:02,170 le droit parce qu’il existe des règles préexistantes dans le Code 97 00:06:02,370 --> 00:06:05,740 civil, qui donne à ce document, le contrat, à cet acte, 98 00:06:06,340 --> 00:06:07,510 une force juridique. 99 00:06:08,470 --> 00:06:11,380 Il en va de même pour l’administration, par exemple. 100 00:06:11,580 --> 00:06:13,900 C’est parce qu’il existe un article L. 101 00:06:14,100 --> 00:06:18,790 2212-1 du Code général des collectivités territoriales qui 102 00:06:18,990 --> 00:06:22,540 confie au maire la charge de la police municipale que lorsque le 103 00:06:22,740 --> 00:06:27,700 maire rédige et publie un texte qui encadre le stationnement des 104 00:06:27,900 --> 00:06:31,660 véhicules dans sa commune, qu’il édicte un règlement de police 105 00:06:31,900 --> 00:06:34,660 et que ce règlement de police a des conséquences juridiques. 106 00:06:34,860 --> 00:06:38,610 Les conséquences juridiques lui sont attribuées par l’article L. 107 00:06:38,810 --> 00:06:41,140 2212-1 du CGCT. 108 00:06:41,740 --> 00:06:45,610 Pour dire les choses d’une autre manière, si le texte écrit par 109 00:06:45,810 --> 00:06:50,170 le maire peut produire des effets concrets, si un agent de police 110 00:06:50,370 --> 00:06:54,190 peut verbaliser un automobiliste qui n’a pas respecté les dispositions 111 00:06:54,760 --> 00:06:58,420 de l’arrêté produit par le maire, c’est bien parce qu’il existe un 112 00:06:58,620 --> 00:07:01,300 texte initial qui habilite le maire. 113 00:07:02,350 --> 00:07:05,830 Le texte rédigé par le maire n’est pas une simple déclaration de sa 114 00:07:06,030 --> 00:07:06,790 propre volonté. 115 00:07:07,060 --> 00:07:11,140 Il est un arrêté qui crée des règles que les administrés doivent suivre 116 00:07:11,340 --> 00:07:14,680 parce qu’il existe préalablement une disposition qui permet, 117 00:07:14,880 --> 00:07:20,440 au maire, de non pas simplement rédiger des documents qui constituent 118 00:07:20,640 --> 00:07:24,010 des déclarations de sa propre volonté, mais qu’il engage véritablement 119 00:07:24,210 --> 00:07:28,150 la commune en publiant un arrêté qui aura des conséquences sur la 120 00:07:28,350 --> 00:07:30,040 situation concrète des administrés. 121 00:07:31,960 --> 00:07:36,400 Dans ce chapitre, nous allons examiner les deux catégories d’actes juridiques 122 00:07:36,600 --> 00:07:38,830 que produit très quotidiennement l’administration. 123 00:07:39,340 --> 00:07:42,070 Cette distinction est extrêmement commune puisqu’elle existe en droit 124 00:07:42,270 --> 00:07:51,700 civil, le Code civil prévoyant dans son article 1100-1 et je cite 125 00:07:51,900 --> 00:07:55,150 cette disposition : "Les actes juridiques sont des manifestations 126 00:07:55,350 --> 00:07:56,960 de volonté destinées à produire des effets de droit. 127 00:07:58,210 --> 00:08:00,790 Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux". 128 00:08:01,780 --> 00:08:05,530 Les actes unilatéraux sont émis par une seule personne juridique 129 00:08:05,800 --> 00:08:10,090 qui s’engage à l’égard d’un tiers ou qui lui donne un ordre sans 130 00:08:10,290 --> 00:08:11,410 son consentement à ce tiers. 131 00:08:12,250 --> 00:08:15,550 Les actes unilatéraux manifestent la volonté d’une seule personne 132 00:08:15,750 --> 00:08:16,690 de modifier le droit. 133 00:08:17,560 --> 00:08:22,750 Les actes conventionnels constituent une modification du droit par la 134 00:08:22,950 --> 00:08:27,910 manifestation de deux ou de plusieurs personnes qui s’engagent réciproquement 135 00:08:28,110 --> 00:08:28,990 les unes à l’égard des autres. 136 00:08:30,070 --> 00:08:34,300 On verra donc les actes juridiques de l’administration par le biais 137 00:08:34,500 --> 00:08:37,180 de cette distinction fondamentale qui existe aussi bien en droit 138 00:08:37,380 --> 00:08:40,540 privé qu’en droit public, la distinction entre les actes 139 00:08:40,930 --> 00:08:43,330 unilatéraux et les actes contractuels. 140 00:08:44,830 --> 00:08:47,530 Et pour chacune de ces catégories d’actes, qui constitueront les 141 00:08:47,730 --> 00:08:52,420 deux sections de ce chapitre, nous examinerons d’abord une typologie 142 00:08:52,620 --> 00:08:57,430 de ces actes, puis nous examinerons leur vie par le biais de leur 143 00:08:57,630 --> 00:09:01,510 naissance, ce sera leur élaboration, leur vie concrète une fois qu’ils 144 00:09:01,710 --> 00:09:04,960 sont nés, c’est leur exécution, et enfin leur mort, c’est-à-dire 145 00:09:05,770 --> 00:09:09,820 la disparition de ces actes unilatéraux et de ces actes contractuels. 146 00:09:10,930 --> 00:09:15,640 Passons donc pour une première section aux actes unilatéraux de 147 00:09:15,840 --> 00:09:16,600 l’administration. 148 00:09:16,800 --> 00:09:22,750 L’acte unilatéral a une définition assez simple que je vous donnais 149 00:09:22,950 --> 00:09:23,710 précédemment. 150 00:09:23,910 --> 00:09:27,970 C’est l’acte qui manifeste la volonté d’une seule personne et qui modifie 151 00:09:28,170 --> 00:09:28,930 le droit. 152 00:09:29,130 --> 00:09:31,480 S’agissant des actes unilatéraux de l’administration, ceux-ci ont 153 00:09:32,570 --> 00:09:36,850 globalement pour objet de l’obliger vis-à-vis des administrés, 154 00:09:37,240 --> 00:09:41,410 comme lorsque l’administration décide d’octroyer une subvention 155 00:09:41,620 --> 00:09:44,860 ou une allocation à une entreprise ou à un particulier. 156 00:09:45,820 --> 00:09:49,210 Mais surtout, les actes de l’administration ont pour objet 157 00:09:49,480 --> 00:09:51,280 d’obliger les administrés. 158 00:09:51,480 --> 00:09:57,700 Elles constituent des obligations à l’égard de leurs destinataires. 159 00:09:59,230 --> 00:10:02,240 Contrairement aux particuliers, l’administration a donc la possibilité 160 00:10:02,660 --> 00:10:06,500 de changer la situation juridique d’autrui sans son consentement. 161 00:10:07,430 --> 00:10:10,460 Dans cette vidéo, je souhaiterais d’abord faire un point préalable 162 00:10:10,660 --> 00:10:14,300 sur le pouvoir de l’administration de prendre des actes unilatéraux. 163 00:10:14,840 --> 00:10:16,880 Nous verrons dans les prochaines vidéos, comme je vous le disais, 164 00:10:17,420 --> 00:10:21,470 la typologie, l’élaboration, l’exécution et la disparition des 165 00:10:21,670 --> 00:10:22,430 actes unilatéraux. 166 00:10:23,030 --> 00:10:26,810 Point préliminaire : privilège du préalable ou habilitation 167 00:10:27,010 --> 00:10:27,770 textuelle. 168 00:10:27,970 --> 00:10:30,560 Cela peut vous paraître pour l’instant un peu obscur, mais je vais préciser 169 00:10:30,890 --> 00:10:33,080 cette formule de privilège du préalable. 170 00:10:34,550 --> 00:10:37,790 Il existe une idée très ancrée dans le droit administratif et 171 00:10:37,990 --> 00:10:41,450 dans la doctrine selon laquelle l’administration disposerait, 172 00:10:41,870 --> 00:10:45,830 de manière naturelle, d’un pouvoir général et exceptionnel. 173 00:10:46,030 --> 00:10:49,580 Général, parce qu’il existerait même sans texte, ce pouvoir. 174 00:10:50,120 --> 00:10:53,900 Exceptionnel parce qu’il ne serait qu’entre les mains de l’administration 175 00:10:54,230 --> 00:10:55,490 et entre les mains de personne d’autre. 176 00:10:56,090 --> 00:11:00,110 Ce pouvoir est celui d’adopter des actes contraignants à l’égard 177 00:11:00,310 --> 00:11:01,700 des administrés et des entreprises. 178 00:11:02,810 --> 00:11:07,130 Ce pouvoir a été théorisé par Maurice Hauriou au tout début du 20e siècle 179 00:11:07,330 --> 00:11:09,200 dans son précis de droit administratif. 180 00:11:10,010 --> 00:11:14,150 Voilà ce qu’en dit Maurice Hauriou : "La puissance publique a, 181 00:11:14,350 --> 00:11:18,110 dans ses actes et opérations, une sorte de privilège qui provient 182 00:11:18,310 --> 00:11:21,650 de sa nature même et de ce qu’elle doit être obéie". 183 00:11:22,400 --> 00:11:23,250 Je coupe un peu ici. 184 00:11:23,450 --> 00:11:25,910 "On peut l’appeler privilège du préalable. 185 00:11:26,750 --> 00:11:29,930 Dans l’exécution des services et dans l’exercice de ses droits, 186 00:11:30,380 --> 00:11:35,240 la puissance publique doit être obéie immédiatement, sauf réclamations 187 00:11:35,440 --> 00:11:36,200 ultérieures". 188 00:11:36,890 --> 00:11:41,390 Deux idées découlent de cet extrait, j’en ai terminé avec la citation, 189 00:11:42,260 --> 00:11:45,320 cet extrait qui a eu une influence tout à fait considérable sur la 190 00:11:45,520 --> 00:11:48,680 doctrine administrative et même sur la jurisprudence du Conseil d’État. 191 00:11:48,880 --> 00:11:51,950 D’une part, l’administration a un pouvoir de décision, 192 00:11:52,340 --> 00:11:56,900 pouvoir qui s’impose immédiatement aux personnes visées par ses actes. 193 00:11:57,100 --> 00:12:02,060 D’autre part, ce pouvoir relève de la nature même de l’administration. 194 00:12:02,510 --> 00:12:04,550 Il existerait même sans texte. 195 00:12:04,750 --> 00:12:06,530 Il relèverait de son essence. 196 00:12:08,000 --> 00:12:13,310 Beaucoup d’auteurs ont ensuite précisé que là se trouve une différence 197 00:12:13,510 --> 00:12:16,880 fondamentale entre le droit administratif et le droit privé. 198 00:12:17,600 --> 00:12:21,380 Par exemple, Jean Rivero écrivait la chose suivante : "Le pouvoir 199 00:12:21,580 --> 00:12:26,090 d’agir par voie unilatérale établit une différence profonde entre les 200 00:12:26,290 --> 00:12:29,810 procédés de l’action administrative et ceux des relations privées". 201 00:12:30,010 --> 00:12:33,740 L’administration aurait un pouvoir particulier, un privilège, 202 00:12:33,950 --> 00:12:36,920 comme le dit Hauriou, de prendre des décisions qui s’imposent 203 00:12:37,120 --> 00:12:42,560 immédiatement sans le consentement de la personne qui en est destinataire 204 00:12:43,580 --> 00:12:46,490 et sans qu’il y ait besoin de rien demander aux juges. 205 00:12:46,690 --> 00:12:50,780 L’administration n’a pas besoin de demander aux juges de produire 206 00:12:50,980 --> 00:12:53,510 un accusé latéral pour que cet acte unilatéral soit produit. 207 00:12:53,710 --> 00:12:58,250 L’administration peut agir directement et les administrés concernés par 208 00:12:58,450 --> 00:13:02,030 ces actes doivent les exécuter, doivent s’y conformer immédiatement. 209 00:13:02,840 --> 00:13:06,380 À l’inverse, les particuliers ne pourraient passer que par des contrats 210 00:13:06,740 --> 00:13:10,280 pour modifier le droit, c’est-à-dire par des procédés qui 211 00:13:10,480 --> 00:13:12,740 ne sont pas autoritaires, mais fondés sur le consentement. 212 00:13:13,130 --> 00:13:20,660 Si un particulier souhaite qu’un tiers exécute ses obligations à 213 00:13:20,860 --> 00:13:22,930 son égard, il doit passer par le juge. 214 00:13:23,130 --> 00:13:28,100 Il ne peut pas prendre un acte unilatéral qui contraindra le tiers 215 00:13:28,300 --> 00:13:31,130 dont il estime que ce tiers a des obligations envers lui. 216 00:13:32,570 --> 00:13:34,730 La raison de cette distinction est la suivante, entre le droit 217 00:13:34,930 --> 00:13:35,780 privé et le droit public. 218 00:13:35,980 --> 00:13:39,620 L’administration poursuit la satisfaction de l’intérêt général 219 00:13:39,950 --> 00:13:44,720 et a donc besoin d’un tel pouvoir de décision contraignante vis-à-vis 220 00:13:45,620 --> 00:13:47,120 des entreprises et des particuliers. 221 00:13:48,680 --> 00:13:51,340 Cette présentation des choses pose deux problèmes, à mon avis. 222 00:13:51,830 --> 00:13:55,220 Premier problème, elle masque le fait qu’en droit privé aussi, 223 00:13:55,490 --> 00:13:57,620 il existe des procédés d’autorité. 224 00:13:58,130 --> 00:14:00,860 Le meilleur exemple nous est donné par le droit du travail. 225 00:14:01,060 --> 00:14:05,780 L’employeur exerce une véritable autorité sur ses employés. 226 00:14:05,980 --> 00:14:09,530 Ainsi, le règlement intérieur d’une entreprise est considéré comme 227 00:14:09,730 --> 00:14:13,010 un véritable acte réglementaire de droit privé, élaboré par 228 00:14:13,210 --> 00:14:17,750 l’employeur, par lequel il organise le travail dans l’entreprise et 229 00:14:17,950 --> 00:14:20,840 que l’employeur peut imposer à ses salariés. 230 00:14:21,040 --> 00:14:25,490 L’employeur a également le pouvoir de sanctionner ses salariés dont 231 00:14:25,690 --> 00:14:27,590 il juge le comportement fautif, par exemple. 232 00:14:28,190 --> 00:14:31,310 Dans ce cadre-là, l’employeur n’a pas besoin de saisir le juge 233 00:14:31,510 --> 00:14:32,270 préalablement. 234 00:14:32,470 --> 00:14:35,150 Il peut directement prendre des décisions qui s’imposent à ses 235 00:14:35,350 --> 00:14:36,110 salariés. 236 00:14:36,310 --> 00:14:40,610 C’est le premier problème, le fait que cela masque l’existence 237 00:14:40,810 --> 00:14:43,250 d’un pouvoir autoritaire au sein même du droit privé, 238 00:14:43,450 --> 00:14:44,780 notamment dans l’entreprise. 239 00:14:45,650 --> 00:14:49,550 Second problème, la thèse du privilège du préalable nous donne l’impression 240 00:14:49,790 --> 00:14:53,060 que l’administration peut prendre des décisions unilatérales 241 00:14:53,260 --> 00:14:57,230 contraignantes dans tous les domaines et sans qu’on lui ait préalablement 242 00:14:57,430 --> 00:14:59,420 donné l’autorisation de le faire. 243 00:15:00,010 --> 00:15:03,760 Elle aurait un pouvoir naturel, un pouvoir essentiel qui existerait 244 00:15:03,960 --> 00:15:04,720 même sans texte. 245 00:15:06,130 --> 00:15:09,190 Comme je vous l’ai dit, l’administration agit dans le cadre 246 00:15:09,390 --> 00:15:13,510 de compétences qui lui ont été confiées par des textes qui préexiste. 247 00:15:14,530 --> 00:15:18,610 Il est impossible de vous donner toutes les compétences de 248 00:15:18,810 --> 00:15:22,480 l’administration, elles sont bien trop nombreuses, les compétences 249 00:15:22,680 --> 00:15:25,720 qui ont été attribuées par des textes, le pouvoir réglementaire du premier 250 00:15:25,920 --> 00:15:28,870 ministre sur le fondement de l’article 21 de la Constitution, 251 00:15:29,070 --> 00:15:31,270 nous allons y revenir, le pouvoir de police du maire dont 252 00:15:31,470 --> 00:15:35,740 on a parlé à de multiples reprises, le pouvoir de sanction du préfet 253 00:15:35,940 --> 00:15:38,890 en cas de violation du droit de l’environnement, le pouvoir de 254 00:15:39,090 --> 00:15:43,630 multiples autorités administratives de recouvrer des créances de manière 255 00:15:43,830 --> 00:15:47,560 contraignante, c’est-à-dire que l’administration peut prendre une 256 00:15:47,760 --> 00:15:53,290 décision qui constitue une personne débitrice à l’égard de l’administration 257 00:15:53,530 --> 00:15:55,990 et l’administration peut ensuite poursuivre l’exécution de cette 258 00:15:56,190 --> 00:15:59,650 créance directement auprès de son débiteur. 259 00:16:00,640 --> 00:16:03,730 Tous ces pouvoirs sont fondés sur des dispositions textuelles précises, 260 00:16:04,150 --> 00:16:08,230 des compétences confiées à l’administration par des textes 261 00:16:08,430 --> 00:16:09,190 préexistants. 262 00:16:09,760 --> 00:16:12,850 Lorsque l’administration a un pouvoir en vertu d’un texte, 263 00:16:13,270 --> 00:16:15,040 elle n’a pas besoin d’avoir recours au juge. 264 00:16:15,610 --> 00:16:16,810 Cela n’est pas une surprise. 265 00:16:17,010 --> 00:16:20,410 C’est simplement que le texte qui donne un pouvoir à l’administration 266 00:16:20,610 --> 00:16:21,800 lui permet d’agir directement. 267 00:16:22,000 --> 00:16:24,820 Elle n’a donc pas besoin de saisir un juge. 268 00:16:25,630 --> 00:16:30,430 Le Conseil d’État a même décidé que lorsque l’administration dispose 269 00:16:30,630 --> 00:16:33,980 d’une habilitation textuelle, elle ne peut pas avoir recours au juge. 270 00:16:34,180 --> 00:16:38,980 Elle doit d’abord exécuter directement sa compétence en prenant un acte 271 00:16:39,180 --> 00:16:39,940 unilatéral. 272 00:16:40,360 --> 00:16:43,360 Cette règle découle d’un arrêt très important, l’arrêt préfet 273 00:16:43,560 --> 00:16:47,950 de l’Eure qui a été rendu par le Conseil d’État le 30 mai 1913. 274 00:16:48,970 --> 00:16:52,810 En l’espèce, un enfant est hospitalisé au titre de l’assistance médicale 275 00:16:53,010 --> 00:16:53,770 gratuite. 276 00:16:54,520 --> 00:16:59,050 Ses parents, en l’occurrence ses grands-parents n’avaient pas à 277 00:16:59,250 --> 00:17:01,300 payer les frais d’hospitalisation. 278 00:17:01,660 --> 00:17:06,610 Dans le cadre de la législation qui concerne l’assistance médicale 279 00:17:06,810 --> 00:17:12,430 gratuite, c’est la commune de résidence de la personne malade qui doit 280 00:17:12,630 --> 00:17:14,230 rembourser l’établissement de santé. 281 00:17:14,920 --> 00:17:17,500 Sauf qu’en l’espèce, deux communes se renvoyaient 282 00:17:17,700 --> 00:17:20,740 l’obligation de rembourser les frais d’hospitalisation de l’enfant. 283 00:17:21,790 --> 00:17:26,470 Il y avait une commune où les parents de l’enfant résidaient et l’autre 284 00:17:26,670 --> 00:17:30,670 où les grands-parents de l’enfant résidaient. 285 00:17:32,650 --> 00:17:35,410 Ces deux communes se renvoyaient la charge de payer les frais 286 00:17:35,610 --> 00:17:37,090 d’hospitalisation du jeune enfant. 287 00:17:37,290 --> 00:17:43,210 Ici, le préfet de l’Eure, qui était chargé de décider de 288 00:17:43,410 --> 00:17:46,450 la commune débitrice, a préféré demander au juge, 289 00:17:46,650 --> 00:17:50,530 a préféré saisir le juge administratif en lui demandant de désigner, 290 00:17:50,730 --> 00:17:54,520 à sa place, la commune débitrice envers l’établissement de santé. 291 00:17:55,300 --> 00:18:00,010 Dans son arrêt, le Conseil d’État juge qu’il ne revenait pas au juge 292 00:18:00,310 --> 00:18:06,010 d’intervenir à la place du préfet, car le législateur a investi le 293 00:18:06,210 --> 00:18:10,120 préfet d’un pouvoir de décision unilatérale, celui de désigner 294 00:18:10,540 --> 00:18:14,260 l’organisme débiteur à l’égard de l’établissement de santé. 295 00:18:14,710 --> 00:18:17,170 Ce pouvoir découlait clairement, selon le Conseil d’État, 296 00:18:17,470 --> 00:18:22,300 de la loi de 1893 qui concernait l’assistance médicale gratuite. 297 00:18:23,260 --> 00:18:25,870 La portée de cette décision est très souvent exagérée. 298 00:18:26,320 --> 00:18:29,530 Beaucoup d’auteurs considèrent qu’elle pose une règle générale 299 00:18:29,730 --> 00:18:34,510 et sans base légale selon laquelle l’administration a un pouvoir d’action 300 00:18:34,710 --> 00:18:38,080 unilatérale qu’elle peut mettre en œuvre sans passer par le juge. 301 00:18:38,500 --> 00:18:40,960 Elle n’aurait d’ailleurs pas le droit de passer par le juge et 302 00:18:41,160 --> 00:18:44,500 devrait directement prendre des décisions unilatérales. 303 00:18:45,490 --> 00:18:52,840 En réalité, le juge ne fait que dire, en l’espèce, que la loi de 1893 304 00:18:53,170 --> 00:18:57,310 sur l’assistance médicale donne un pouvoir aux préfets et que le 305 00:18:57,510 --> 00:19:00,970 juge n’a pas à intervenir puisque ce pouvoir a bien été confié aux 306 00:19:01,170 --> 00:19:02,140 préfets par le législateur. 307 00:19:02,920 --> 00:19:07,840 En revanche, si aucun texte n’avait donné une compétence à l’administration 308 00:19:08,040 --> 00:19:12,520 pour intervenir en la matière, elle devait évidemment avoir recours 309 00:19:12,720 --> 00:19:13,480 au juge. 310 00:19:13,680 --> 00:19:15,730 Elle n’aurait pas pu intervenir sans habilitation textuelle. 311 00:19:15,930 --> 00:19:18,870 L’administration n’agit jamais sans compétence. 312 00:19:19,070 --> 00:19:21,910 Elle agit toujours sur le fondement d’habilitations qui lui ont été 313 00:19:22,110 --> 00:19:22,870 données. 314 00:19:23,070 --> 00:19:24,940 C’est exactement la même chose d’ailleurs en droit privé. 315 00:19:25,540 --> 00:19:27,730 Il faut avoir une compétence pour agir. 316 00:19:28,030 --> 00:19:31,330 Et si l’on n’a pas de compétence pour agir, on doit avoir recours 317 00:19:31,530 --> 00:19:32,290 au juge. 318 00:19:32,490 --> 00:19:35,350 Il n’y a donc pas de pouvoir magique, de pouvoir mystérieux de 319 00:19:35,550 --> 00:19:38,410 l’administration, pouvoir qui relèverait de sa nature même et 320 00:19:38,610 --> 00:19:40,450 qui serait lié à l’intérêt général. 321 00:19:40,660 --> 00:19:43,330 Il n’y a que des compétences que des textes lui ont confiées. 322 00:19:43,720 --> 00:19:47,890 Et évidemment, les textes lui ont confié des compétences, 323 00:19:48,190 --> 00:19:51,850 en particulier celle de prendre des actes unilatéraux qui s’imposent 324 00:19:52,050 --> 00:19:54,010 sans le consentement des destinataires de ces actes. 325 00:19:54,280 --> 00:19:57,010 Le législateur et le pouvoir réglementaire ont donné des 326 00:19:57,210 --> 00:20:00,810 habilitations à l’administration parce qu’elle exerce des missions 327 00:20:01,020 --> 00:20:01,890 d’intérêt général. 328 00:20:02,160 --> 00:20:06,000 Il y a une manière de contrebalancer les obligations d’intérêt général 329 00:20:06,390 --> 00:20:10,950 qu’a l’administration par des pouvoirs exceptionnels qui lui sont confiés 330 00:20:11,190 --> 00:20:14,130 et qui, effectivement, ne sont généralement pas confiés 331 00:20:14,330 --> 00:20:15,090 à des particuliers. 332 00:20:15,290 --> 00:20:19,680 Par exemple, un particulier ne peut pas ordonner à son débiteur 333 00:20:19,880 --> 00:20:22,010 de lui verser la somme d’argent qu’il lui doit. 334 00:20:22,210 --> 00:20:23,550 Il doit d’abord passer par un juge. 335 00:20:23,750 --> 00:20:25,380 Pour l’administration, ce n’est pas le cas. 336 00:20:25,620 --> 00:20:27,090 Et pourquoi cela n’est pas le cas ? 337 00:20:27,420 --> 00:20:30,660 Parce que l’administration a des missions d’intérêt général.