1 00:00:09,730 --> 00:00:14,414 Maintenant, il reste à savoir ce qu'on entend exactement par mêmes parties, 2 00:00:14,436 --> 00:00:15,396 même objet, même cause. 3 00:00:17,323 --> 00:00:20,363 Même parties, ça ne pose pas de difficultés. 4 00:00:20,676 --> 00:00:23,236 Il faut qu'il s'agisse du même demandeur et du même défendeur. 5 00:00:24,980 --> 00:00:29,270 Même objet, ça ne présente pas non plus de difficultés en pratique, 6 00:00:30,087 --> 00:00:34,538 il faut que le résultat attendu par le demandeur soit le même à chaque fois. 7 00:00:36,290 --> 00:00:37,047 Même cause. 8 00:00:37,898 --> 00:00:46,116 Ah, même cause, ça, c'est une notion plus complexe et la jurisprudence a évolué à ce propos. 9 00:00:47,738 --> 00:00:52,494 Pour bien le comprendre, je prends donc un exemple véridique, 10 00:00:53,512 --> 00:00:55,740 un exemple qui est tiré de la jurisprudence, 11 00:00:55,825 --> 00:01:01,920 en l'occurrence d'un arrêt assez ancien rendu dans les années 60. 12 00:01:04,669 --> 00:01:07,898 Il s'agit en la matière de deux concubins. 13 00:01:09,210 --> 00:01:13,614 Deux concubins, en l'occurrence, c'est Mademoiselle Guilloux et Monsieur Rossignol, 14 00:01:14,945 --> 00:01:17,200 deux concubins qui exploitaient ensemble un café. 15 00:01:18,669 --> 00:01:21,389 Alors, pendant plusieurs années, tout va bien, 16 00:01:22,712 --> 00:01:25,861 ils exploitent leur café et l'affaire est prospère. 17 00:01:26,750 --> 00:01:33,454 Et puis un beau jour, l'amour se délite, 18 00:01:36,160 --> 00:01:38,260 les deux concubins se séparent 19 00:01:40,414 --> 00:01:46,610 et là, Mademoiselle Guilloux s'aperçoit que pendant des années, 20 00:01:47,403 --> 00:01:52,392 pendant des années elle a travaillé pour son concubin qui était propriétaire du café. 21 00:01:53,134 --> 00:01:57,230 Elle a travaillé des années gratuitement pour lui et elle se retrouve désormais sans rien. 22 00:01:59,670 --> 00:02:04,756 Et elle va demander, dès lors, à ce que le travail effectué lui soit rétribué 23 00:02:04,792 --> 00:02:07,592 et évidemment, le concubin refuse. 24 00:02:10,650 --> 00:02:14,938 Mademoiselle Guilloux a alors assigné Monsieur Rossignol 25 00:02:15,541 --> 00:02:21,060 devant le Conseil des Prud'hommes, en invoquant l'existence d'un contrat de travail 26 00:02:21,127 --> 00:02:23,750 et en demandant le paiement des salaires non versés. 27 00:02:25,243 --> 00:02:27,301 Mais le Conseil des Prud'hommes la déboute 28 00:02:29,629 --> 00:02:34,123 en disant qu'il n'y avait pas de lien de subordination entre les deux concubins, 29 00:02:34,210 --> 00:02:37,270 et donc il ne pouvait pas y avoir de contrat de travail, donc pas de salaire. 30 00:02:39,854 --> 00:02:44,472 Mademoiselle Guilloux ne va pas faire appel de cette décision devant la Cour d'appel, 31 00:02:45,098 --> 00:02:48,145 elle a raison de ne pas faire appel, elle n'aurait pas obtenu gain de cause. 32 00:02:49,221 --> 00:02:53,490 Non, elle va faire une nouvelle demande en justice, 33 00:02:54,487 --> 00:02:58,618 devant une autre juridiction du même rang que la précédente, 34 00:02:58,916 --> 00:03:01,643 cette fois devant le tribunal de Grande Instance 35 00:03:03,578 --> 00:03:05,963 et à nouveau, elle demande une indemnisation. 36 00:03:07,083 --> 00:03:08,916 Mêmes parties, même objet. 37 00:03:10,036 --> 00:03:16,450 Mais cette fois, elle n'invoque plus l'existence d'un contrat de travail entre elle et son concubin, 38 00:03:17,032 --> 00:03:21,560 elle invoque l'existence d'une société de fait qui aurait existé entre eux. 39 00:03:24,570 --> 00:03:27,316 Alors pour qu'une société existe, 40 00:03:27,960 --> 00:03:33,709 vous apprendrez, lorsque vous étudierez le droit des sociétés en troisième année de licence, 41 00:03:34,160 --> 00:03:39,600 qu'il faut que chacun des associés fasse des apports à la société, 42 00:03:40,312 --> 00:03:44,800 et en l'occurrence Mademoiselle Guilloux prétendait qu'elle avait apporté son travail, 43 00:03:45,432 --> 00:03:49,629 tandis que son concubin avait lui apporté son fonds de commerce, 44 00:03:49,694 --> 00:03:55,680 et tout ceci constituait une société qu'il fallait maintenant partager puisqu'ils étaient séparés. 45 00:03:56,640 --> 00:03:58,443 Et à l'occasion de ce partage, 46 00:03:59,360 --> 00:04:03,541 elle disait qu'il fallait lui redonner l'équivalent de son travail sous la forme d'une indemnisation. 47 00:04:09,687 --> 00:04:13,010 Monsieur Rossignol ne veut toujours pas, il dit : 48 00:04:13,090 --> 00:04:17,980 "Mais l'affaire a déjà été jugée. La nouvelle demande est irrecevable". 49 00:04:19,070 --> 00:04:19,796 Était-ce vrai ? 50 00:04:21,280 --> 00:04:25,134 Il y avait bien identité des parties, il y avait bien identités d'objet, 51 00:04:26,494 --> 00:04:28,756 y avait-il identité de causes ? 52 00:04:32,580 --> 00:04:33,243 Ca dépend. 53 00:04:36,150 --> 00:04:39,680 Si on considère que la cause de l'éventuelle indemnisation, 54 00:04:39,898 --> 00:04:43,770 c'est l'élément matériel, le travail fourni, 55 00:04:44,480 --> 00:04:46,380 alors oui, dans les deux cas, la cause est la même. 56 00:04:48,530 --> 00:04:52,072 En revanche, si l'on considère que la cause, 57 00:04:52,945 --> 00:04:59,400 c'est le fondement juridique de la demande, là, cette fois, la cause n'est pas la même. 58 00:05:00,360 --> 00:05:04,440 Dans le premier cas, la cause, c'était l'existence d'un contrat de travail, 59 00:05:05,396 --> 00:05:09,450 et dans le second cas, c'est l'existence d'un contrat de société. 60 00:05:11,149 --> 00:05:16,501 Alors pendant très longtemps, la jurisprudence a adopté la deuxième analyse. 61 00:05:17,170 --> 00:05:22,080 Et dans notre exemple, la demande de Mademoiselle Guilloux va être jugée recevable. 62 00:05:24,120 --> 00:05:27,585 Mais cette solution, elle avait un inconvénient. 63 00:05:28,750 --> 00:05:32,060 L'inconvénient, c'est qu'il suffisait donc de changer de fondement juridique 64 00:05:32,509 --> 00:05:34,705 pour pouvoir recommencer le procès, 65 00:05:35,330 --> 00:05:38,880 ce qui évidemment remettait en cause la sécurité juridique des parties, 66 00:05:39,323 --> 00:05:41,127 celui qui avait gagné une première fois 67 00:05:41,767 --> 00:05:46,021 n'étant pas nécessairement à l'abri d'une nouvelle demande en justice. 68 00:05:47,340 --> 00:05:55,876 Mais aujourd'hui, la solution a changé. 69 00:05:58,858 --> 00:06:03,570 La Cour de cassation a effectué ce qu'on appelle un revirement de jurisprudence, 70 00:06:04,349 --> 00:06:07,905 et dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 7 juillet 2006, 71 00:06:08,545 --> 00:06:10,865 dans une affaire qui était assez proche, 72 00:06:11,927 --> 00:06:16,436 même s'il ne s'agissait pas ici de passer du Conseil des Prud'hommes au tribunal de Grande Instance, 73 00:06:17,352 --> 00:06:20,790 voilà ce qui a été jugé par la Cour de cassation. 74 00:06:21,540 --> 00:06:26,007 Je vous lis un extrait de cet arrêt du 7 juin 2006 : 75 00:06:27,440 --> 00:06:32,700 "Ayant constaté que comme la demande originaire, la demande dont elle a été saisie, 76 00:06:32,952 --> 00:06:37,309 formée entre les mêmes parties, tendait à obtenir le paiement d'une somme d'argent 77 00:06:37,825 --> 00:06:43,607 à titre de rémunération d'un travail prétendumen effectué sans contrepartie financière, 78 00:06:44,996 --> 00:06:50,080 la cour d'appel en a exactement déduit que Gilbert X ne pouvait être admis 79 00:06:50,180 --> 00:06:53,527 à contester l'identité de cause des deux demandes 80 00:06:54,094 --> 00:06:59,940 en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile, 81 00:07:01,380 --> 00:07:05,790 de sorte que la demande se heurtait à la chose précédemment jugée 82 00:07:06,330 --> 00:07:09,374 relativement à la même contestation." 83 00:07:11,294 --> 00:07:14,152 Cela signifie que cette fois, pour la Cour de cassation, 84 00:07:14,480 --> 00:07:21,309 la cause, c'est le travail fourni, et on ne peut donc plus faire une nouvelle demande 85 00:07:21,374 --> 00:07:24,152 en invoquant un nouveau fondement juridique, 86 00:07:24,698 --> 00:07:29,396 ce qui implique que tous les arguments juridiques tels que l'existence d'un contrat de travail, 87 00:07:29,432 --> 00:07:30,829 ou d'un contrat de société, 88 00:07:31,156 --> 00:07:35,990 soient invoqués dès la première demande par le demandeur. 89 00:07:36,090 --> 00:07:40,814 Et si le demandeur néglige donc d'invoquer un fondement juridique possible, 90 00:07:41,221 --> 00:07:46,421 il ne pourra plus l'invoquer ultérieurement en entamant un nouveau procès. 91 00:07:48,283 --> 00:07:50,647 Alors cette jurisprudence, elle est très sévère, 92 00:07:51,410 --> 00:07:53,760 et elle peut aboutir à un déni de justice 93 00:07:53,818 --> 00:07:57,847 vis-à - vis de justiciables qui seraient ignorants du droit. 94 00:07:59,440 --> 00:08:03,790 En pratique, elle est heureusement tempérée par la Cour de cassation 95 00:08:04,540 --> 00:08:07,900 en se plaçant sur le terrain de l'objet de la demande. 96 00:08:09,410 --> 00:08:14,283 La Cour de cassation considère parfois que, même si les faits sont identiques, 97 00:08:15,090 --> 00:08:21,396 la demande initiale et la demande nouvelle n'ont pas exactement le même objet, 98 00:08:21,963 --> 00:08:25,745 ce qui lui permet d'éviter de sanctionner des justiciables ignorants. 99 00:08:28,189 --> 00:08:33,781 Par exemple, la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt rendu le 26 mai 2011 que, je cite : 100 00:08:34,800 --> 00:08:39,272 "S'il incombe au demandeur de présenter, dès l'instance relative à la première demande, 101 00:08:39,774 --> 00:08:44,029 l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, 102 00:08:45,090 --> 00:08:53,221 il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits". 103 00:08:55,970 --> 00:09:01,320 Alors cette autorité de choses jugées, 104 00:09:05,847 --> 00:09:10,298 elle empêche de faire une nouvelle demande exactement identique 105 00:09:10,814 --> 00:09:13,440 devant une juridiction de même rang. 106 00:09:14,356 --> 00:09:22,661 En revanche, elle n'empêche pas l'exercice d'un recours devant une juridiction d'un rang supérieur 107 00:09:23,200 --> 00:09:25,150 à l'encontre du premier jugement. 108 00:09:26,140 --> 00:09:30,370 Un tel recours demeure en principe toujours possible. 109 00:09:32,414 --> 00:09:37,640 Maintenant, ce principe peut connaître des exceptions. 110 00:09:39,280 --> 00:09:41,454 Ainsi, en matière arbitrale, 111 00:09:43,170 --> 00:09:47,512 la sentence n'est pas susceptible d'appel, 112 00:09:48,334 --> 00:09:52,640 à moins que les parties ne l'aient accepté dans leur compromis, 113 00:09:53,301 --> 00:09:56,058 ou dans leur clause compromissoire. 114 00:09:57,323 --> 00:09:58,472 Pas d'appel possible. 115 00:09:58,810 --> 00:10:03,774 En revanche quand même, un recours en annulation reste possible 116 00:10:03,832 --> 00:10:11,032 dans six cas déterminés par le nouvel article 1492 du Code de procédure civile. 117 00:10:13,614 --> 00:10:18,050 La sentence arbitrale, elle ressemble à un jugement, 118 00:10:18,138 --> 00:10:24,950 puisque tous les deux sont dotés de l'autorité de choses jugées. 119 00:10:26,705 --> 00:10:32,830 Au demeurant, il y a une différence essentielle entre le jugement et la sentence arbitrale. 120 00:10:34,152 --> 00:10:38,290 C'est qu'en effet, le jugement est doté de la force exécutoire, 121 00:10:39,040 --> 00:10:42,340 alors que la sentence arbitrale, elle, en est dépourvue. 122 00:10:44,400 --> 00:10:48,712 L'arbitre peut exercer la juridiction comme le juge, 123 00:10:48,901 --> 00:10:58,530 oui, mais il n'a pas l'imperium, il ne peut pas imposer par la contrainte l'exécution de sa décision. 124 00:11:00,254 --> 00:11:02,545 Et c'est pour cela que l'arbitrage 125 00:11:02,843 --> 00:11:07,774 n'est qu'une exception limitée au monopole de l'État sur la justice. 126 00:11:09,272 --> 00:11:13,061 Si l'une des parties refuse d'exécuter la sentence arbitrale, 127 00:11:14,021 --> 00:11:18,010 l'autre partie ne peut pas en obtenir immédiatement l'exécution forcée. 128 00:11:19,556 --> 00:11:24,974 Pour obtenir l'exécution forcée, il lui faut alors s'adresser aux juridictions étatiques, 129 00:11:25,927 --> 00:11:28,670 et plus précisément au juge de l'exécution, 130 00:11:29,687 --> 00:11:33,105 juge de l'exécution qui est le président du tribunal de grande instance, 131 00:11:33,490 --> 00:11:37,150 ou un magistrat auquel ce président a délégué ce rôle. 132 00:11:39,160 --> 00:11:43,090 Et le juge de l'exécution, il va examiner la sentence, 133 00:11:44,385 --> 00:11:46,516 il ne va pas en contrôler le bien-fondé, 134 00:11:47,461 --> 00:11:50,072 il ne lui appartient pas de redire le droit, 135 00:11:50,472 --> 00:11:53,200 puisque ce pouvoir a été conféré au seul arbitre par les parties. 136 00:11:54,400 --> 00:12:01,738 Non, le juge de l'exécution va seulement vérifier que les principes fondamentaux de la procédure 137 00:12:01,883 --> 00:12:03,265 ont bien été respectés, 138 00:12:04,458 --> 00:12:13,461 et si tel est le cas, le juge de l'exécution va rendre ce qu'on appelle une ordonnance d'exequatur, 139 00:12:14,712 --> 00:12:20,990 ordonnance d'exequatur qui va donner à la sentence arbitrale 140 00:12:21,512 --> 00:12:24,894 la force exécutoire qui lui manquait jusqu'alors. 141 00:12:25,549 --> 00:12:28,647 Et ça va permettre d'en obtenir l'exécution forcée. 142 00:12:29,990 --> 00:12:34,990 Et vous voyez ainsi que, in fine, le pouvoir de rendre la justice 143 00:12:35,418 --> 00:12:42,040 revient à l'État si une des parties n'exécute pas spontanément la sentence. 144 00:12:42,741 --> 00:12:48,080 Et ça, c'est logique parce que seul l'État possède un pouvoir juridictionnel complet, 145 00:12:48,800 --> 00:12:52,014 comprenant à la fois la juris dictio et l'imperium. 146 00:12:53,294 --> 00:12:58,750 En ce sens, le pouvoir juridictionnel est donc bien un monopole de l'État. 147 00:12:59,940 --> 00:13:01,912 C'est un pouvoir étatique, 148 00:13:02,661 --> 00:13:07,830 comme le sont aussi le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. 149 00:13:09,614 --> 00:13:13,709 Il reste maintenant à savoir quels sont les rapports entre ces différents pouvoirs, 150 00:13:14,254 --> 00:13:24,030 et surtout quels sont les rapports entre le pouvoir juridictionnel et le pouvoir législatif. 151 00:13:24,790 --> 00:13:30,298 Et ça, c'est ce que nous allons à présent étudier dans la section 2 de cette introduction.