1 00:00:05,730 --> 00:00:06,150 Bonjour. 2 00:00:06,720 --> 00:00:08,822 Retour à la suite et fin 3 00:00:09,177 --> 00:00:13,390 de la partie consacrée à l'abus de droit de l'article L64. 4 00:00:13,590 --> 00:00:16,510 Il nous restait à envisager un cas compliqué, 5 00:00:16,540 --> 00:00:19,610 un cas difficile qui n'est pas réglé complètement à l'heure où je vous parle 6 00:00:19,780 --> 00:00:22,310 puisque seule une Cour administrative d'appel, celle de Paris, 7 00:00:22,340 --> 00:00:25,260 s'est prononcée mais le Conseil d'État ne s'est pas encore prononcé. 8 00:00:25,650 --> 00:00:26,820 La question est la suivante, 9 00:00:27,060 --> 00:00:29,800 on a vu la dernière fois cette question extrêmement intéressante 10 00:00:29,850 --> 00:00:32,750 qui était celle de savoir s'il était possible pour l'administration 11 00:00:32,780 --> 00:00:35,000 de reprocher à un contribuable un abus de droit 12 00:00:35,050 --> 00:00:39,360 pour violation de l'esprit d'une convention fiscale internationale. 13 00:00:39,400 --> 00:00:42,250 La réponse depuis 2017 est favorable. 14 00:00:42,420 --> 00:00:46,290 Reste aujourd'hui la question de savoir s'il est possible pour l'administration 15 00:00:46,560 --> 00:00:49,690 de reprocher à un contribuable d'avoir violé l'esprit, 16 00:00:50,040 --> 00:00:54,050 attention, d'une instruction ou d'une décision de l'administration 17 00:00:54,090 --> 00:00:57,840 et plus spécifiquement d'une instruction 18 00:00:57,870 --> 00:01:02,400 ou d'un élément de doctrine publié ou non par l'administration. 19 00:01:04,400 --> 00:01:08,700 Depuis une affaire dite des "Fonds turbo" de 1998, 20 00:01:08,830 --> 00:01:11,200 jugée par le Conseil d'État en 1998, 21 00:01:11,620 --> 00:01:15,250 la ligne du Conseil d'État consiste à considérer 22 00:01:15,570 --> 00:01:20,410 que l'article L80-A du livre de procédure fiscale 23 00:01:20,450 --> 00:01:23,490 qui garantit les contribuables 24 00:01:23,900 --> 00:01:25,920 qui appliquent fidèlement la doctrine administrative 25 00:01:25,970 --> 00:01:27,670 contre tout redressement ultérieur, 26 00:01:27,940 --> 00:01:30,900 cette garantie L80A vaut même dans l'hypothèse 27 00:01:31,090 --> 00:01:33,520 où le contribuable est de parfaite mauvaise foi 28 00:01:33,750 --> 00:01:35,380 dès lors que l'instruction a été publiée. 29 00:01:36,900 --> 00:01:38,860 Elle fonctionne également dans l'hypothèse 30 00:01:38,920 --> 00:01:40,550 où, non content d'être de mauvaise foi, 31 00:01:40,630 --> 00:01:46,390 le contribuable a réussi à se placer de manière assez artificielle 32 00:01:46,770 --> 00:01:50,620 dans le champ d'application d'une instruction administrative 33 00:01:50,870 --> 00:01:52,730 mais en en violant l'esprit. 34 00:01:55,050 --> 00:01:57,330 L'idée qui est encore en vigueur, 35 00:01:58,690 --> 00:02:00,970 plus exactement c'est la jurisprudence du Conseil d'État 36 00:02:01,000 --> 00:02:04,520 qui n'a pas encore été remise en cause par ce dernier depuis 1998, 37 00:02:04,730 --> 00:02:07,780 l'idée est qu'il n'est pas possible pour l'administration 38 00:02:07,820 --> 00:02:10,710 d'employer l'article L64, la procédure d'abus de droit, 39 00:02:10,960 --> 00:02:15,480 pour reprocher à un contribuable d'avoir bénéficié d'un régime fiscal favorable 40 00:02:15,550 --> 00:02:19,570 grâce à une instruction administrative publiée 41 00:02:20,360 --> 00:02:22,450 dont il violerait le cas échéant l'esprit, 42 00:02:22,620 --> 00:02:23,560 pour une raison très simple, 43 00:02:23,590 --> 00:02:27,660 c'est que l'esprit de la doctrine est inaccessible. 44 00:02:27,700 --> 00:02:29,940 La doctrine, disent certains, n'a pas d'esprit, 45 00:02:30,090 --> 00:02:36,720 la doctrine est une interprétation et il n'est pas possible, 46 00:02:36,790 --> 00:02:40,360 suggère le Conseil d'État, d'interpréter une interprétation. 47 00:02:40,410 --> 00:02:42,820 Autrement dit, il n'est pas possible de considérer 48 00:02:42,850 --> 00:02:45,022 que cette interprétation administrative 49 00:02:46,911 --> 00:02:49,350 pourrait être tirée dans un sens ou dans un autre. 50 00:02:49,530 --> 00:02:50,270 Nous l'avons vu, 51 00:02:50,340 --> 00:02:53,620 l'idée générale de la jurisprudence relative à l'article L80A, 52 00:02:53,650 --> 00:02:56,280 la doctrine administrative, c'est que de deux choses l'une, 53 00:02:56,330 --> 00:02:58,420 soit le contribuable est exactement 54 00:02:58,460 --> 00:03:02,020 dans le champ des prévisions formelles du texte 55 00:03:02,088 --> 00:03:03,066 et il pourra en bénéficier, 56 00:03:03,133 --> 00:03:04,930 soit il n'y est pas et il ne pourra pas en bénéficier. 57 00:03:05,020 --> 00:03:07,111 Il y a donc cette idée de ne pas interpréter, 58 00:03:07,133 --> 00:03:09,400 de ne pas tirer dans un sens ou dans un autre 59 00:03:11,400 --> 00:03:14,030 la signification d'une instruction administrative. 60 00:03:14,600 --> 00:03:17,810 Logiquement, en tout cas d'après le Conseil d'État, 61 00:03:18,060 --> 00:03:20,355 il n'est pas possible de reprocher à un contribuable 62 00:03:20,422 --> 00:03:22,320 un peu malin d'une certaine manière, 63 00:03:22,570 --> 00:03:25,990 d'avoir habilement respecté la lettre d'une instruction 64 00:03:26,050 --> 00:03:27,333 pour en tirer les bénéfices, 65 00:03:27,422 --> 00:03:29,755 le régime favorable prévu par ladite instruction, 66 00:03:29,980 --> 00:03:36,620 quand bien même ce serait plus ou moins contraire 67 00:03:36,660 --> 00:03:38,688 à l'intention que l'on peut prêter aux auteurs 68 00:03:38,822 --> 00:03:40,440 de cette doctrine administrative. 69 00:03:40,800 --> 00:03:44,160 Ce ne sont pas des parlementaires, ce n'est pas la loi, 70 00:03:44,200 --> 00:03:46,830 c'est une simple doctrine, il n'y a pas à interpréter, 71 00:03:46,880 --> 00:03:55,060 à sonder cet éventuel objectif poursuivi par l'administration 72 00:03:55,090 --> 00:03:57,490 lorsqu'elle a édicté l'instruction en question. 73 00:03:58,770 --> 00:04:01,920 Il n'est pas possible, nous dit le Conseil d'État en 1998, 74 00:04:02,070 --> 00:04:04,090 de redresser pour abus de droit un contribuable 75 00:04:04,460 --> 00:04:08,920 qui a appliqué fidèlement la lettre d'une doctrine administrative. 76 00:04:09,240 --> 00:04:11,650 Cette logique a été mise à mal, 77 00:04:11,690 --> 00:04:15,777 d'abord par le législateur à l'occasion de la réforme de l'abus de droit en 2008 78 00:04:15,866 --> 00:04:16,650 que j'ai déjà évoquée, 79 00:04:16,690 --> 00:04:19,370 puisqu’il a très légèrement modifié sur un point 80 00:04:19,990 --> 00:04:22,560 la formulation de la notion de l'abus de droit, 81 00:04:22,620 --> 00:04:25,220 en suggérant qu'il était désormais possible, 82 00:04:25,260 --> 00:04:27,610 c'est dans la lettre de l'article L64, 83 00:04:27,810 --> 00:04:33,930 de violer un texte fiscal au sens de la législation fiscale 84 00:04:33,970 --> 00:04:38,490 mais aussi en violant une décision de l'administration. 85 00:04:38,520 --> 00:04:43,380 L'expression "décision" apparaît dans l'article L64 86 00:04:43,420 --> 00:04:45,010 du Livre des procédures fiscales, 87 00:04:45,360 --> 00:04:48,350 semblant suggérer que parfois, 88 00:04:48,640 --> 00:04:51,330 l'administration, sur le fondement de l'article L64, 89 00:04:54,250 --> 00:04:56,530 pouvait reprocher à un contribuable 90 00:04:56,620 --> 00:05:00,450 la violation de l'esprit d'une simple décision administrative. 91 00:05:00,780 --> 00:05:03,920 La question s'est beaucoup posée de savoir si derrière ce mot décision, 92 00:05:03,990 --> 00:05:06,840 il fallait entendre instruction administrative 93 00:05:07,130 --> 00:05:08,490 et finalement remettre en cause 94 00:05:08,590 --> 00:05:10,830 la solution que le Conseil d'État avait retenue en 98. 95 00:05:11,400 --> 00:05:13,870 C'est effectivement le sens d'un arrêt 96 00:05:13,920 --> 00:05:16,670 qui est pour le moment un arrêt de Cour administrative d'appel 97 00:05:17,610 --> 00:05:24,780 de Paris du 20 décembre 2018 Charbit qui vient considérer que désormais, 98 00:05:24,810 --> 00:05:27,830 depuis la modification de la loi en 2008, 99 00:05:27,870 --> 00:05:30,480 il est possible à l'administration de reprocher, 100 00:05:30,510 --> 00:05:32,210 ce fut le cas dans cette affaire, 101 00:05:32,430 --> 00:05:36,420 à un contribuable d'avoir trop subtilement respecté 102 00:05:36,460 --> 00:05:39,510 la lettre d'une instruction administrative favorable 103 00:05:39,670 --> 00:05:42,160 et d'en avoir vraisemblablement violé l'esprit, 104 00:05:42,300 --> 00:05:47,750 en admettant de rechercher ce qu'a pu être l'objectif de l'administration, 105 00:05:47,780 --> 00:05:52,420 ce qu'a pu être l'esprit de l'instruction. 106 00:05:52,490 --> 00:05:55,160 Avec une forme de raisonnement très proche 107 00:05:55,320 --> 00:05:57,830 de ce que j'évoquais au titre la dernière fois de l'arrêt Verdannet, 108 00:05:57,940 --> 00:06:00,930 c'est-à-dire avec l'idée dans l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris 109 00:06:00,970 --> 00:06:02,280 qui est assez sophistiqué, 110 00:06:02,430 --> 00:06:06,530 qu'en aucun cas l'administration n'a pu vouloir 111 00:06:06,670 --> 00:06:09,960 mettre en place une instruction favorable à des montages 112 00:06:10,010 --> 00:06:12,610 qui se révéleraient artificiels pour une raison ou pour une autre. 113 00:06:13,480 --> 00:06:15,700 On retrouve cette logique assez intelligente 114 00:06:15,760 --> 00:06:18,860 consistant à ne pas chercher l'intention véritable 115 00:06:18,990 --> 00:06:22,310 ou même supposée de l'auteur d'une instruction 116 00:06:22,350 --> 00:06:24,620 ou de l'auteur d'une convention internationale, 117 00:06:24,650 --> 00:06:27,420 mais simplement de présumer qu'elle n'a pas pu être 118 00:06:27,990 --> 00:06:31,640 de promouvoir un certain nombre de pratiques purement artificielles. 119 00:06:32,880 --> 00:06:41,120 Dans cet arrêt, la Cour administrative d'appel est revenue 120 00:06:41,210 --> 00:06:44,540 sur la solution qu'avait promu en 1998 le Conseil d'État. 121 00:06:44,780 --> 00:06:48,460 À l'heure où je vous parle, le Conseil d'État est saisi de l'arrêt Charbit, 122 00:06:48,650 --> 00:06:52,630 il se prononcera, je suis bien incapable de vous dire dans quel sens 123 00:06:52,660 --> 00:06:55,810 parce que la question est très discutée au Conseil d'État, 124 00:06:55,840 --> 00:06:57,210 il y a des avis très divergents 125 00:06:57,240 --> 00:07:00,170 avec de bons arguments vraisemblablement de part et d'autre. 126 00:07:00,360 --> 00:07:02,810 Nous verrons bien au bout du compte ce qu'il en est. 127 00:07:02,840 --> 00:07:05,930 En tout cas pour conclure, 128 00:07:06,280 --> 00:07:07,990 nous le voyons, cette notion d'abus de droit, 129 00:07:08,040 --> 00:07:09,350 je l'ai dit pour commencer, 130 00:07:09,460 --> 00:07:12,220 suscite une jurisprudence a priori assez peu abondante 131 00:07:12,260 --> 00:07:13,960 parce qu'il y a assez peu de cas chaque année. 132 00:07:14,000 --> 00:07:17,290 Mais cette jurisprudence est véritablement passionnée à chaque fois, 133 00:07:17,330 --> 00:07:19,870 suscite de multiples commentaires de doctrines 134 00:07:20,800 --> 00:07:24,880 tant la notion d'abus de droit fait peser une sorte de menace permanente 135 00:07:24,960 --> 00:07:28,910 sur la pratique de l'ensemble des contribuables, de leurs conseils, 136 00:07:28,990 --> 00:07:32,950 dès lors qu'ils s'aventurent un peu aux marges de la légalité 137 00:07:32,990 --> 00:07:35,860 en souhaitant parfois mettre en œuvre des montages 138 00:07:35,890 --> 00:07:38,640 qui peuvent sembler potentiellement plus fidèles 139 00:07:38,810 --> 00:07:41,880 à la lettre des textes qu'à leur esprit. 140 00:07:42,480 --> 00:07:46,020 Si la pratique est dangereuse, 141 00:07:46,050 --> 00:07:49,770 c'est qu'à l'abus de droit est attachée une répression assez farouche. 142 00:07:50,000 --> 00:07:52,950 Venons-en, paragraphe deuxième, à la répression des abus de droit. 143 00:07:55,530 --> 00:07:56,970 La sanction, je l'ai déjà évoquée, 144 00:07:57,000 --> 00:08:00,600 attachée à l'abus de droit est extrêmement lourde. 145 00:08:01,890 --> 00:08:04,930 L'article L64 ne prévoit pas en tant que tel de sanction, 146 00:08:05,060 --> 00:08:08,050 mais c'est l'article 1729 du Code général des impôts, 147 00:08:08,090 --> 00:08:08,990 dont nous avons déjà parlé, 148 00:08:09,030 --> 00:08:12,990 qui lui prévoit spécifiquement une majoration de 80% 149 00:08:13,290 --> 00:08:17,950 en cas d'abus de droit au sens de l'article L64 du LPF. 150 00:08:19,120 --> 00:08:22,340 J'aurais dû peut-être commencer par là, ce que prévoit l'article L64, 151 00:08:23,110 --> 00:08:26,740 avant la sanction de 80 % que prévoit l'article 1729, 152 00:08:26,910 --> 00:08:29,410 c'est l'inopposabilité de l'acte. 153 00:08:29,460 --> 00:08:32,430 Voilà la première chose, c'est une forme de sanction juridique, 154 00:08:32,460 --> 00:08:34,550 pas de sanction pécuniaire mais de sanction juridique. 155 00:08:34,620 --> 00:08:38,280 Si l'administration identifie un abus de droit comme dans l'affaire Verdannet 156 00:08:38,930 --> 00:08:43,530 avec cet industriel savoyard producteur de reblochon pour tout vous dire, 157 00:08:44,030 --> 00:08:48,260 la première chose c'est d'estimer que le contrat 158 00:08:48,410 --> 00:08:52,270 ou le montage par lequel un investissement a été réalisé 159 00:08:52,370 --> 00:08:56,470 par le Luxembourg plutôt que d'être réalisé directement en France, 160 00:08:56,650 --> 00:09:00,510 ce montage contractuel à travers un ensemble de contrats 161 00:09:00,880 --> 00:09:03,770 pouvait être gommé en quelque sorte par l'administration. 162 00:09:04,380 --> 00:09:08,460 L'administration fiscale peut l'estimer inopposable, se l'estimer inopposable, 163 00:09:08,490 --> 00:09:10,600 faire comme s'il n'existait pas et donc 164 00:09:11,040 --> 00:09:16,530 rétablir la situation juridique que la réalité suggère. 165 00:09:17,420 --> 00:09:21,070 Il y a un travail de requalification de l'opération juridique 166 00:09:21,360 --> 00:09:22,500 par l'administration. 167 00:09:22,700 --> 00:09:25,530 Dans un deuxième temps, une fois cette requalification opérée, 168 00:09:26,220 --> 00:09:30,240 l'imposition sera établie en fonction de la situation réelle, 169 00:09:30,640 --> 00:09:33,140 telle qu'elle a été requalifiée par l'administration, 170 00:09:33,630 --> 00:09:41,170 et ensuite cette pénalité de 80% viendra frapper l'opération en question. 171 00:09:41,580 --> 00:09:43,090 Ajoutons que depuis 2008, 172 00:09:43,280 --> 00:09:45,710 le législateur a amené un tempérament important 173 00:09:45,910 --> 00:09:49,730 à cette pénalité de 80% puisqu'il est désormais prévu 174 00:09:49,780 --> 00:09:52,240 que cette pénalité pouvait être ramenée à 40% 175 00:09:52,510 --> 00:09:55,066 dans le cas où il apparaît que le contribuable n'est pas 176 00:09:55,222 --> 00:09:57,970 à l'initiative même du montage litigieux. 177 00:09:58,620 --> 00:10:03,000 C'est une manière d'atténuer un petit peu la responsabilité fiscale, 178 00:10:03,040 --> 00:10:06,490 si l'on peut dire les choses ainsi, des contribuables qui bien souvent, 179 00:10:06,780 --> 00:10:09,360 se sont fait conseiller par des avocats, 180 00:10:09,430 --> 00:10:14,760 par différents cabinets ayant incité très lourdement leurs clients 181 00:10:15,010 --> 00:10:16,250 à se lancer dans des opérations 182 00:10:16,280 --> 00:10:20,340 qui se révèlent ensuite un tout petit peu abusives. 183 00:10:21,630 --> 00:10:25,320 Il y a cette possibilité de moduler le montant de la sanction 184 00:10:25,420 --> 00:10:27,290 en le rabaissant à 40%, 185 00:10:28,240 --> 00:10:32,380 plutôt que de maintenir cette pénalité extrêmement forte de 80%. 186 00:10:33,240 --> 00:10:34,300 Il n'en reste pas moins que, 187 00:10:34,330 --> 00:10:36,700 et c'est une formule assez connue d'un auteur 188 00:10:36,740 --> 00:10:38,460 ancien membre du Conseil d'État devenu avocat 189 00:10:38,490 --> 00:10:39,733 qui s'appelle Jérôme Turot, 190 00:10:41,066 --> 00:10:42,177 dans bien des cas, 191 00:10:42,470 --> 00:10:47,120 il en coûte plus et je le cite "de chatouiller la loi" que de la bousculer. 192 00:10:47,160 --> 00:10:50,810 En effet, c'est quelque chose qui peut sembler assez paradoxal. 193 00:10:51,210 --> 00:10:54,930 Le contribuable qui aura tenté de respecter la loi, 194 00:10:54,980 --> 00:10:58,260 qui aura tenté de respecter parfaitement la lettre de la loi, 195 00:10:58,370 --> 00:11:02,090 quitte en effet à s'écarter peut-être un peu de son esprit, 196 00:11:02,220 --> 00:11:06,320 pourra dans certains cas se voir opposer cette sanction de 80%. 197 00:11:06,540 --> 00:11:09,150 Là où dans la même situation, 198 00:11:09,200 --> 00:11:12,230 s'il s'était totalement abstenu par exemple de déclarer un revenu, 199 00:11:12,310 --> 00:11:14,290 plutôt que de le faire transiter par le Luxembourg 200 00:11:14,320 --> 00:11:16,610 en déclarant ce transit par le Luxembourg, 201 00:11:16,830 --> 00:11:18,480 en omettant toute déclaration, 202 00:11:18,830 --> 00:11:23,320 il sera le cas échéant poursuivi et sanctionné pour un manquement délibéré 203 00:11:23,660 --> 00:11:26,480 et la sanction ne sera "que" de 40 %. 204 00:11:27,600 --> 00:11:30,880 Cela peut, à certains égards, sembler étonnant, 205 00:11:30,910 --> 00:11:36,770 mais c'est bien une manière de dissuader ces pratiques qui se veulent subtiles, 206 00:11:36,810 --> 00:11:41,030 qui se veulent intelligentes, qui se veulent être une "chatouille de la loi", 207 00:11:41,070 --> 00:11:42,680 pour reprendre la formule de Jérôme Turot, 208 00:11:43,060 --> 00:11:46,830 au risque de se lancer dans des opérations 209 00:11:47,620 --> 00:11:49,640 jugées par l'administration comme abusives. 210 00:11:51,390 --> 00:11:54,880 Il s'agit bien sûr de dissuader la tentation d'être trop intelligent 211 00:11:56,790 --> 00:11:58,440 de la part des contribuables 212 00:11:58,490 --> 00:12:02,070 afin de minorer la charge fiscale qui pèse sur eux. 213 00:12:02,460 --> 00:12:05,530 Enfin, je rappelle, je l'ai déjà dit mais c'est important d'insister, 214 00:12:05,760 --> 00:12:11,140 les nouveaux articles L64-A et 205-A du Code général des impôts 215 00:12:11,380 --> 00:12:12,690 qui viennent compléter l'abus de droit 216 00:12:12,730 --> 00:12:15,130 avec ces deux procédures de mini abus de droit 217 00:12:15,260 --> 00:12:18,670 dans l'hypothèse de montages poursuivant un but principalement, 218 00:12:18,700 --> 00:12:20,830 mais pas exclusivement fiscal, 219 00:12:21,180 --> 00:12:25,960 eux n'ont pas de sanction particulière qui leur est attachée par les textes. 220 00:12:26,340 --> 00:12:29,600 Enfin, cette sanction lourde néanmoins 221 00:12:29,840 --> 00:12:32,890 est accompagnée d'un certain nombre de garanties particulières 222 00:12:33,050 --> 00:12:37,170 puisque la loi et l'article L64 prévoient que les contribuables 223 00:12:37,200 --> 00:12:39,450 qui font l'objet d'une procédure de répression des abus de droit 224 00:12:39,720 --> 00:12:43,270 peuvent saisir une sorte d'autorité administrative indépendante 225 00:12:43,300 --> 00:12:45,550 qui s'appelle le Comité de l'abus de droit fiscal, 226 00:12:46,710 --> 00:12:48,890 présidé par un membre du Conseil d'État, 227 00:12:48,940 --> 00:12:51,280 composé par des spécialistes de la matière 228 00:12:51,320 --> 00:12:53,150 et des gens extérieurs à l'administration, 229 00:12:54,060 --> 00:12:55,600 chargés de donner leur avis 230 00:12:55,770 --> 00:12:57,980 sur la pertinence des redressements pour abus de droit. 231 00:12:58,170 --> 00:13:01,890 Néanmoins, cet avis n'a pas nécessairement 232 00:13:01,920 --> 00:13:03,530 à être suivi par l'administration, 233 00:13:03,560 --> 00:13:06,550 même en cas d'avis négatif, et c'est assez fréquent, 234 00:13:07,270 --> 00:13:10,533 ça dépend des années mais le Comité de l'abus de droit n'est pas 235 00:13:11,200 --> 00:13:14,300 toujours favorable aux positions de l'administration. 236 00:13:15,350 --> 00:13:18,040 Ce n'est finalement qu'une sorte de soupape 237 00:13:18,770 --> 00:13:21,950 puisque la procédure peut suivre son cours 238 00:13:22,030 --> 00:13:25,680 indépendamment de la position adoptée par ce comité. 239 00:13:25,880 --> 00:13:27,980 C'est néanmoins une garantie, en tout cas c'est jugé comme cela, 240 00:13:28,930 --> 00:13:30,190 accordée aux contribuables. 241 00:13:30,420 --> 00:13:32,580 L'autre élément qui peut sembler anecdotique mais qui ne l'est pas, 242 00:13:32,940 --> 00:13:34,177 c'est que la procédure pour abus de droit 243 00:13:34,222 --> 00:13:36,900 ne peut être engagée directement par un vérificateur. 244 00:13:37,110 --> 00:13:41,760 Il doit obtenir ce que la loi qualifie de "visa" du supérieur hiérarchique. 245 00:13:42,660 --> 00:13:45,900 Il faut toujours que, à la différence des autres redressements, 246 00:13:46,230 --> 00:13:50,800 le supérieur hiérarchique de l'agent à l'origine du contrôle et du redressement 247 00:13:51,066 --> 00:13:53,110 fasse valider sa démarche par son supérieur. 248 00:13:53,200 --> 00:13:56,100 C'est une manière tout de même de réguler au sein de l'administration, 249 00:13:56,150 --> 00:13:58,950 de réguler l'usage de cette espèce de bombe atomique 250 00:13:58,980 --> 00:14:01,850 qui a vocation à faire très peur aux contribuables. 251 00:14:02,190 --> 00:14:03,940 Enfin, terminons avec cela, 252 00:14:04,080 --> 00:14:06,400 le Conseil d'Etat a rappelé à plusieurs reprises 253 00:14:06,550 --> 00:14:10,160 que l'abus de droit ne devait pas être utilisé à tort et à travers 254 00:14:10,310 --> 00:14:13,830 et c'est là encore une expression inventée par Jérôme Turot, 255 00:14:14,900 --> 00:14:16,560 la notion "d'abus de droit rampant". 256 00:14:17,040 --> 00:14:22,640 L'idée est que l'administration doit utiliser la procédure d'abus de droit 257 00:14:22,790 --> 00:14:24,500 mais uniquement dans une situation, 258 00:14:24,540 --> 00:14:27,500 et a même l'obligation de le faire dans ladite situation, 259 00:14:27,660 --> 00:14:35,230 c'est le cas dans lequel elle n'a que ça sous la main pour shunter ou effacer, 260 00:14:35,560 --> 00:14:39,470 se rendre inopposable un montage le cas échéant artificiel. 261 00:14:40,050 --> 00:14:43,550 Dans l'hypothèse où il est possible de redresser le contribuable 262 00:14:43,690 --> 00:14:45,340 sur un autre motif, 263 00:14:45,830 --> 00:14:50,070 l'acte anormal de gestion par exemple, l'abus de droit n'est pas disponible. 264 00:14:50,180 --> 00:14:55,170 L'abus de droit n'est disponible que lorsqu'il s'agit d'effacer 265 00:14:55,950 --> 00:15:00,460 un dispositif formellement impeccable qui a été déclaré, 266 00:15:01,240 --> 00:15:07,050 qui n'a rien de mensonger par le contribuable 267 00:15:08,130 --> 00:15:12,390 et qu'il n'est pas possible de redresser avec un autre moyen 268 00:15:12,430 --> 00:15:13,360 que celui de l'abus de droit. 269 00:15:13,480 --> 00:15:19,920 De la même manière, c'est le côté pile de cette idée, 270 00:15:20,400 --> 00:15:25,320 si l'administration, pour ne pas être trop désagréable au contribuable, 271 00:15:25,520 --> 00:15:30,000 préfère utiliser une procédure de redressement normale 272 00:15:30,860 --> 00:15:32,140 plutôt que de passer par l'abus de droit 273 00:15:32,170 --> 00:15:34,450 alors que fondamentalement l'administration estime 274 00:15:34,670 --> 00:15:37,040 qu'il y avait bien une utilisation 275 00:15:37,070 --> 00:15:39,190 à un but exclusivement fiscal d'une disposition 276 00:15:39,220 --> 00:15:41,120 et ce au mépris de son esprit, 277 00:15:42,170 --> 00:15:44,390 l'administration pourra se voir reprocher 278 00:15:44,420 --> 00:15:46,910 de ne pas avoir utilisé la procédure d'abus de droit 279 00:15:46,950 --> 00:15:51,030 qu'elle aurait dû utiliser puisque les critères de l'article L64 sont remplis, 280 00:15:51,520 --> 00:15:54,880 au risque de ne pas offrir aux contribuables 281 00:15:54,910 --> 00:15:56,690 les deux garanties que je viens d'évoquer. 282 00:15:57,240 --> 00:15:59,710 Il y a cette notion d'abus de droit rampant, je n'y insiste pas, 283 00:15:59,750 --> 00:16:04,540 elle n'est que très rarement mise en œuvre par le juge. 284 00:16:04,590 --> 00:16:06,622 Il n'est que très rare que le juge estime 285 00:16:06,666 --> 00:16:09,311 que l'administration aurait dû employer la procédure d'abus de droit 286 00:16:09,377 --> 00:16:10,400 et qu'elle ne l'a pas fait, 287 00:16:11,270 --> 00:16:14,330 mais néanmoins, c'est une manière, et je termine là-dessus, 288 00:16:14,830 --> 00:16:18,060 de contenir la portée de cette procédure d'abus de droit. 289 00:16:18,180 --> 00:16:21,090 Cela reste dans l'esprit du législateur, 290 00:16:21,410 --> 00:16:26,080 dans l'esprit du Conseil d'État et aussi dans la pratique administrative, 291 00:16:26,150 --> 00:16:29,970 une sorte d'arme ultime pour lutter contre certains montages 292 00:16:30,100 --> 00:16:34,760 particulièrement agressifs au regard de leur caractère artificiel. 293 00:16:34,980 --> 00:16:36,960 Mais fondamentalement, 294 00:16:37,010 --> 00:16:39,940 et je reviens à cette métaphore peut-être pas très élégante, 295 00:16:39,980 --> 00:16:41,560 mais celle de la bombe atomique, 296 00:16:41,670 --> 00:16:44,510 il s'agit de faire office de dissuasion 297 00:16:44,840 --> 00:16:47,990 et on retrouve cette logique de régulation 298 00:16:48,160 --> 00:16:51,190 sur laquelle j'ai insisté au début de ce chapitre.