1 00:00:05,670 --> 00:00:06,430 Bonjour. 2 00:00:07,080 --> 00:00:10,100 Nous avons vu que le champ d'application de l'article 1P1 était extrêmement large, 3 00:00:10,100 --> 00:00:14,370 qu'il pouvait même permettre de soulever un certain nombre de violations potentielles 4 00:00:14,370 --> 00:00:16,220 d'autres articles, notamment de l'article 14. 5 00:00:16,330 --> 00:00:19,920 La question reste néanmoins de savoir jusqu'à quel point la mise en œuvre,  6 00:00:19,920 --> 00:00:24,000 c'est-à-dire non plus l'applicabilité,  mais l'application de cet article 1P1,  7 00:00:24,150 --> 00:00:29,240 conduit les juridictions internes à véritablement accorder de nouveaux droits,  8 00:00:29,240 --> 00:00:33,440 à répondre largement ou pas aux demandes accorder de nouveaux droits, des contribuables. 9 00:00:33,440 --> 00:00:37,773 Il faut bien reconnaître que cette application de l'article 1P1 reste 10 00:00:38,190 --> 00:00:41,200 relativement frileuse encore aujourd'hui. 11 00:00:41,550 --> 00:00:44,840 D'abord, la Cour européenne des droits de l'homme elle-même 12 00:00:45,220 --> 00:00:50,900 n'a fait qu'assez peu d'applications flamboyantes de l'article 1P1 en matière fiscale 13 00:00:51,000 --> 00:00:52,625 pour une raison principale, 14 00:00:52,620 --> 00:00:55,550 qui est inscrite dans l'article 1P1 lui-même. 15 00:00:55,680 --> 00:01:00,380 C'est que si la Cour admet très largement l'invocabilité de l'article, 16 00:01:00,480 --> 00:01:04,420 dans l'immense majorité des cas, elle se laisse convaincre par les États, 17 00:01:04,620 --> 00:01:07,280 les États contre lesquels quelqu'un se plaint,  18 00:01:07,910 --> 00:01:13,360 que ceux-ci ont adopté des lois fiscales qui sont effectivement bel et bien justifiées 19 00:01:13,360 --> 00:01:17,440 par un motif d'intérêt général, par l'utilité publique, 20 00:01:17,440 --> 00:01:19,500 selon les deux expressions employées par l'article 1P1,  21 00:01:19,760 --> 00:01:26,240 de sorte qu'en général les tentatives de contestation d'une législation fiscale 22 00:01:26,240 --> 00:01:28,175 sur le fondement de l'article 1P1 23 00:01:28,170 --> 00:01:31,725 se soldent par des échecs devant la Cour européenne des droits de l'homme. 24 00:01:31,750 --> 00:01:35,260 Du côté des juridictions internes, c'est là-dessus qu'on va être un peu plus précis. 25 00:01:35,700 --> 00:01:39,060 Les choses sont plus mitigées,  26 00:01:39,060 --> 00:01:44,210 ou plus exactement sont peut-être  plus offensives à certains égards,  27 00:01:44,540 --> 00:01:49,570 puisque pas tant la Cour de cassation que le Conseil d'État a eu l'occasion,  28 00:01:49,570 --> 00:01:55,540 après une première forme de timidité que l'avis  Labeyrie que j'ai déjà évoqué a soulignée, 29 00:01:55,540 --> 00:02:00,070 c'est-à-dire cet affichage de principe  d'une large invocabilité de l'article 1P1, 30 00:02:00,070 --> 00:02:02,100 mais en même temps, quand il s'agit de le mettre en œuvre,  31 00:02:03,950 --> 00:02:07,000 le contribuable perd dans les grandes largeurs. 32 00:02:07,010 --> 00:02:11,050 Il se trouve que le tournant a eu lieu en 2005. 33 00:02:11,560 --> 00:02:16,400 En 2005, pour la première fois, le Conseil d'État a accepté de faire une application positive, 34 00:02:16,400 --> 00:02:20,640 c'est-à-dire de constater la contrariété d'une norme interne,  35 00:02:20,640 --> 00:02:26,800 d'une loi en l'occurrence, par rapport à la CEDH sur le double fondement des articles 1P1 et 14. 36 00:02:27,060 --> 00:02:29,550 Ce fut au terme d'un arrêt qui n'est pas un grand arrêt, 37 00:02:29,670 --> 00:02:32,300 qui est même un arrêt petit dans le sens 38 00:02:32,300 --> 00:02:35,280 où le Conseil d'État n'a pas souhaité spécialement le médiatiser. 39 00:02:35,430 --> 00:02:38,270 Il est vrai qu'il concernait un cas de figure extrêmement particulier. 40 00:02:38,270 --> 00:02:40,540 Je ne vais pas décrire techniquement le dispositif. 41 00:02:40,860 --> 00:02:43,600 Il s'agissait d'une affaire assez technique, nous y reviendrons,  42 00:02:43,710 --> 00:02:50,590 liée à un droit que le Livre des Procédures Fiscales accorde à l'ensemble des contribuables, 43 00:02:50,590 --> 00:02:55,370 le droit à obtenir un sursis de paiement lorsque le contribuable conteste,  44 00:02:56,810 --> 00:02:59,625 sur le plan contentieux et le cas échéant devant le juge,  45 00:02:59,975 --> 00:03:02,500 l'impôt qui a été établi à son égard. 46 00:03:02,780 --> 00:03:07,630 En matière fiscale, il y a un droit à  obtenir le sursis au paiement de l'impôt 47 00:03:07,760 --> 00:03:11,690 tant que la contestation n'a pas été tranchée par un juge de première instance. 48 00:03:11,690 --> 00:03:18,700 Il se trouve, sans entrer dans les détails, qu'un certain nombre de conditions entourent ce droit, 49 00:03:18,700 --> 00:03:22,050 la mise en œuvre de ce droit au sursis de paiement, 50 00:03:22,160 --> 00:03:26,730 et que la loi, au terme de ce qu'on pourrait qualifier de malfaçons législatives, 51 00:03:26,730 --> 00:03:29,090 c'était une erreur du législateur manifestement, 52 00:03:29,090 --> 00:03:32,420 avait distingué plusieurs cas en leur rattachant des régimes différents. 53 00:03:33,030 --> 00:03:35,440 Ces régimes semblaient  contradictoires entre eux 54 00:03:35,440 --> 00:03:39,330 au regard des différentes conditions posées par le texte. 55 00:03:39,330 --> 00:03:43,240 Bref, le législateur lui-même s'est rendu compte de cette étrangeté 56 00:03:43,240 --> 00:03:44,975 et a modifié le dispositif législatif, 57 00:03:45,075 --> 00:03:47,725 mais il se trouve qu'un contribuable qui avait fait les frais 58 00:03:47,950 --> 00:03:52,625 de ce dispositif avant sa modification l'a porté devant la juridiction. 59 00:03:53,130 --> 00:03:59,770 Le juge, le Conseil d'État a été saisi,  après la modification du dispositif législatif,  60 00:04:00,170 --> 00:04:04,240 d'une situation factuelle qui était antérieure à cette modification. 61 00:04:04,520 --> 00:04:09,760 Pour la première fois, le Conseil d'État a accepté de constater que le législateur,  62 00:04:09,760 --> 00:04:18,210 avant ladite modification, ne respectait pas les exigences des articles 1P1 et 14 63 00:04:18,210 --> 00:04:22,800 puisque ce dispositif conduisait à porter atteinte aux biens des contribuables 64 00:04:22,920 --> 00:04:28,230 de manière discriminatoire, ou plus exactement avec une différence de traitement 65 00:04:28,290 --> 00:04:30,540 qui n'était pas justifiée par l'intérêt général. 66 00:04:30,540 --> 00:04:36,470 Vous vous souvenez, c'est la condition de respect de l'article 1P1. 67 00:04:36,640 --> 00:04:38,280 Cela n'était pas justifié par l'intérêt général. 68 00:04:38,280 --> 00:04:42,550 C'était injustifié, donc c'était contraire à la Convention,  69 00:04:42,930 --> 00:04:45,120 contraire à la combinaison de ces deux articles. 70 00:04:45,170 --> 00:04:48,950 Le Conseil d'État donne cette application positive dans un cas très particulier 71 00:04:48,950 --> 00:04:50,370 qui ne concernait que très peu de monde. 72 00:04:50,370 --> 00:04:53,300 Cela n'était pas complètement révolutionnaire. 73 00:04:53,300 --> 00:04:58,190 Les choses se sont faites un tout petit peu plus intéressantes 74 00:04:58,190 --> 00:05:04,890 à certains égards à partir de 2011, c'est le vrai tournant, et plus encore 2012. 75 00:05:04,890 --> 00:05:12,270 D'abord 2011, un arrêt du 21 octobre 2011, SNC Peugeot Citroën Mulhouse. 76 00:05:12,580 --> 00:05:15,813 Dans cette affaire, pour la première fois, 77 00:05:15,813 --> 00:05:21,530 le Conseil d'État vient constater la contrariété au seul article 1P1, 78 00:05:21,530 --> 00:05:25,470 l'article 14 n'était pas en cause, d'une loi de validation, 79 00:05:25,710 --> 00:05:32,450 loi de validation qui évidemment vient porter atteinte à un espoir,  80 00:05:32,450 --> 00:05:34,610 pas forcément légitime, mais à un espoir du contribuable 81 00:05:34,610 --> 00:05:37,575 puisque le principe même de la loi de validation 82 00:05:37,675 --> 00:05:41,100 est de modifier en cours de route les règles du jeu 83 00:05:41,170 --> 00:05:42,975 lorsque, pour l'hypothèse fiscale,  84 00:05:42,970 --> 00:05:46,125 un contribuable a contesté l'application de la loi fiscale 85 00:05:46,440 --> 00:05:51,380 en arguant du fait qu'un autre contribuable avant lui avait obtenu 86 00:05:51,380 --> 00:05:52,890 gain de cause devant les tribunaux. 87 00:05:52,890 --> 00:05:58,810 Sa situation est la même, il souhaite bénéficier de la même application de la loi 88 00:05:58,810 --> 00:06:00,950 que celle dont l'autre contribuable a bénéficié. 89 00:06:01,040 --> 00:06:02,970 En cours de litige,  90 00:06:03,000 --> 00:06:07,600 puisque souvent de très nombreux contribuables réclament la même chose,  91 00:06:08,930 --> 00:06:12,110 le législateur pourra régulariser,  92 00:06:12,110 --> 00:06:15,920 neutraliser les erreurs qu'avait commises l'administration par le passé,  93 00:06:16,270 --> 00:06:20,400 en rendant légal ce que le juge s'apprêtait à juger illégal. 94 00:06:20,460 --> 00:06:22,220 Ce sont des lois de validation. 95 00:06:22,470 --> 00:06:24,860 On comprend comment, dans cette hypothèse, 96 00:06:25,840 --> 00:06:31,450 l'espoir que le contribuable avait d'obtenir gain de cause devant le juge est contrarié,  97 00:06:31,450 --> 00:06:33,720 et même anéanti par une loi. 98 00:06:34,120 --> 00:06:37,970 Et la question se posait donc de savoir s'il était possible d'invoquer l'article 1P1. 99 00:06:38,190 --> 00:06:44,800 Le Conseil d'État a reconnu que oui, voilà un cas d'espérance potentiellement légitime, 100 00:06:46,360 --> 00:06:53,420 de bien au sens de l'article 1P1, qui se voit atteint par un dispositif législatif, 101 00:06:53,420 --> 00:06:54,180 donc par l'État. 102 00:06:54,480 --> 00:06:59,480 La question se pose ensuite de savoir si cette loi de validation est légitime,  103 00:06:59,480 --> 00:07:04,340 ou plus exactement si elle est guidée par un motif d'intérêt général suffisant,  104 00:07:04,520 --> 00:07:05,520 par l'utilité publique. 105 00:07:06,620 --> 00:07:08,550 Vous retrouvez là un raisonnement qu'on a déjà vu, 106 00:07:08,610 --> 00:07:11,990 qui est celui du Conseil constitutionnel en matière de loi de validation. 107 00:07:12,090 --> 00:07:14,390 Ici, le raisonnement est exactement le même. 108 00:07:14,460 --> 00:07:16,470 Les mots ne sont pas tout à fait les mêmes. 109 00:07:16,560 --> 00:07:18,240 En effet, la Cour européenne des droits de l'homme,  110 00:07:18,240 --> 00:07:23,730 et après le Conseil d'État, parle de motifs impérieux d'intérêt général. 111 00:07:23,730 --> 00:07:28,860 Seul un motif impérieux d'intérêt général peut justifier une loi de validation,  112 00:07:28,910 --> 00:07:33,490 peut justifier une atteinte aux biens au sens de l'article 1P1. 113 00:07:33,630 --> 00:07:35,970 Après, substantiellement,  c'est le même raisonnement. 114 00:07:35,970 --> 00:07:37,275 Et justement, le Conseil constitutionnel  115 00:07:37,500 --> 00:07:40,925 s'efforce de conduire des raisonnements proches ou équivalents 116 00:07:40,920 --> 00:07:43,900 à ceux de la Convention pour éviter des contrariétés 117 00:07:43,900 --> 00:07:46,070 qui seraient tout de même un peu troublantes. 118 00:07:46,070 --> 00:07:51,250 De sorte que le juge, comme en matière constitutionnelle,  119 00:07:51,250 --> 00:07:55,610 ici le juge fiscal, donc le Conseil d'État en tant que juge de cassation généralement,  120 00:07:55,660 --> 00:07:59,280 viendra apprécier les justifications qui ont guidé le législateur 121 00:07:59,280 --> 00:08:00,980 pour adopter cette loi de validation. 122 00:08:00,980 --> 00:08:02,980 Ce sont à peu près les mêmes raisonnements 123 00:08:02,980 --> 00:08:05,090 que ceux que j'ai déjà évoqués en matière constitutionnelle. 124 00:08:05,280 --> 00:08:09,580 Si seul un motif financier guide le législateur, 125 00:08:09,810 --> 00:08:14,140 si c'est uniquement pour éviter d'avoir à rembourser trop de contribuables 126 00:08:14,230 --> 00:08:17,490 qui s'étaient plaints devant les juridictions,  que la loi de validation est adoptée, 127 00:08:17,490 --> 00:08:22,700 en général, ce motif purement financier  ne suffit pas d'après le Conseil d'État, 128 00:08:22,700 --> 00:08:24,780 en phase avec la jurisprudence européenne. 129 00:08:24,930 --> 00:08:28,380 Si en revanche, s'ajoutent à cela d'autres motifs,  130 00:08:28,510 --> 00:08:33,000 un motif par exemple tiré de l'éventuelle désorganisation de l'administration 131 00:08:33,000 --> 00:08:38,250 face à l'afflux potentiel de requêtes ou encore d'autres motifs 132 00:08:38,410 --> 00:08:41,490 liés au fait que certains contribuables pourront bénéficié d'un effet d'aubaine 133 00:08:41,490 --> 00:08:43,210 en obtenant le remboursement d'un impôt 134 00:08:43,510 --> 00:08:47,050 qu'ils ont eux-mêmes répercuté sur leurs clients par exemple 135 00:08:47,050 --> 00:08:53,000 et qu'ils ne pourront pas reverser à leurs clients, dans ce genre de situation, 136 00:08:53,170 --> 00:09:00,670 la question de l'éventuel motif ou non d'intérêt général suffisant 137 00:09:00,670 --> 00:09:05,190 ou impérieux motif d'intérêt général se posera au cas par cas. 138 00:09:06,060 --> 00:09:08,020 Pour terminer sur cet arrêt de 2011,  139 00:09:08,250 --> 00:09:15,090 c'est une affaire qui concernait une question très technique relative à la question de savoir 140 00:09:15,190 --> 00:09:20,050 qui d'un commerçant ou d'un garage,  en l'occurrence Peugeot Citroën,  141 00:09:20,180 --> 00:09:26,470 ou bien des sociétés, Peugeot et Citroën, devait acquitter l'impôt local 142 00:09:26,470 --> 00:09:29,320 au titre de certains appareils qui étaient prêtés 143 00:09:29,780 --> 00:09:33,660 par les entreprises automobiles aux garages  pour installer des plaques d'immatriculation. 144 00:09:33,660 --> 00:09:35,490 Ce sont des choses qui ne sont pas passionnantes,  145 00:09:35,820 --> 00:09:38,950 c'est une question de champ d'application d'une base d'imposition. 146 00:09:39,150 --> 00:09:44,040 L'administration s'était laissée aller à une interprétation ensuite contestée. 147 00:09:44,240 --> 00:09:46,210 Un contribuable avait obtenu gain de cause. 148 00:09:46,280 --> 00:09:51,106 D'autres contribuables, d'autres garagistes avaient voulu l'imiter. 149 00:09:52,410 --> 00:09:57,070 La loi était intervenue pour couper court aux réclamations de ces autres garagistes. 150 00:09:57,070 --> 00:10:01,520 Finalement, le Conseil d'État, dans cette affaire, considère que oui,  151 00:10:01,560 --> 00:10:06,890 il y a un motif d'intérêt général qui est celui d'éviter d'avoir à rembourser ces garagistes,  152 00:10:07,100 --> 00:10:10,230 mais au-delà de ça, il n'y a pas d'autre motif d'intérêt général, 153 00:10:10,230 --> 00:10:13,470 il n'y a pas d'enjeux considérables, ça ne va pas désorganiser l'administration. 154 00:10:13,490 --> 00:10:16,500 Bref, le Conseil d'État dans cette arrêt de 2011, 155 00:10:16,500 --> 00:10:18,790 pour la première fois sur le fondement de la CEDH,  156 00:10:18,920 --> 00:10:23,370 juge qu'une loi de validation non seulement porte atteinte à un bien,  157 00:10:23,380 --> 00:10:28,460 ce bien étant l'espoir légitime d'obtenir gain de cause devant une juridiction, 158 00:10:28,480 --> 00:10:32,520 voilà où est le bien, et que cette atteinte au bien n’est pas justifiée 159 00:10:32,520 --> 00:10:35,913 par un motif d’intérêt général suffisant, par un impérieux motif d’intérêt général, 160 00:10:35,910 --> 00:10:39,306 donc la loi de validation est contraire à la CEDH. 161 00:10:39,420 --> 00:10:43,300 Conséquence, l’administration n’a pas pu s’appuyer sur cette loi 162 00:10:43,300 --> 00:10:50,480 et a dû rembourser les sommes, ou plutôt donner satisfaction aux contribuables. 163 00:10:51,340 --> 00:10:57,960 Enfin, c’est l’apothéose si je puis dire, cela va renvoyer à des choses que nous avons déjà vues. 164 00:10:58,480 --> 00:11:02,400 L’étape ultime, non, puisque la vie continue depuis, 165 00:11:02,400 --> 00:11:05,580 mais l’arrêt le plus marquant et le plus important, 166 00:11:05,580 --> 00:11:12,880 c’est un arrêt légèrement postérieur du 9 mai 2012 du Conseil d’Etat en formation plénière. 167 00:11:13,373 --> 00:11:16,640 C’est la formation qui réunit les quatre chambres fiscales 168 00:11:16,640 --> 00:11:18,310 de la section du contentieux du Conseil d’État. 169 00:11:19,360 --> 00:11:21,613 Il y a l’assemblée du contentieux, la section, 170 00:11:21,610 --> 00:11:24,413 puis la plénière fiscale pour les affaires fiscales importantes. 171 00:11:24,820 --> 00:11:28,866 Dans un arrêt du 9 mai 2012, société EPI. 172 00:11:29,320 --> 00:11:32,000 Cet arrêt est fondamental. 173 00:11:33,386 --> 00:11:39,600 Il vient s’approprier la conception particulièrement large de la notion de bien  174 00:11:39,680 --> 00:11:45,853 dans un cas assez inédit puisqu’il s’agissait d’un cas de figure dans lequel, 175 00:11:46,373 --> 00:11:53,293 un avantage fiscal avait été accordé par le législateur sur une durée initiale de trois ans, 176 00:11:53,546 --> 00:11:56,653 aux entreprises, je simplifie un tout petit peu les faits, 177 00:11:57,493 --> 00:12:01,373 qui s’engageaient à embaucher un certain nombre d’employés. 178 00:12:01,370 --> 00:12:06,080 Ils pouvaient ensuite bénéficier d’un avantage fiscal sur une durée de trois ans. 179 00:12:06,080 --> 00:12:10,120 Il se trouve que la société EPI, au lendemain de la publication de ce texte, 180 00:12:10,613 --> 00:12:13,240 embauche les employés en question qui, initialement, 181 00:12:13,240 --> 00:12:17,160 auraient dû lui permettre de bénéficier de son cadeau fiscal trois ans durant. 182 00:12:17,160 --> 00:12:19,280 Il se trouve qu’à la fin de la première année, 183 00:12:19,480 --> 00:12:23,000 le législateur décide de revenir sur ce cadeau fiscal, 184 00:12:23,000 --> 00:12:26,186 non pas pour le passé, mais seulement pour l’avenir, 185 00:12:26,226 --> 00:12:28,946 en considérant qu’il n’était pas si utile que cela. 186 00:12:29,160 --> 00:12:33,106 La société EPI se retrouve le bec dans l’eau, 187 00:12:33,626 --> 00:12:36,306 ne bénéficiant pas du cadeau en année deux et trois. 188 00:12:36,670 --> 00:12:38,986 Le litige est porté devant les juridictions. 189 00:12:38,986 --> 00:12:40,800 Le Conseil d’État est finalement saisi. 190 00:12:40,800 --> 00:12:45,853 Le Conseil d’État passe la situation au crible de l’article 1P1. 191 00:12:46,360 --> 00:12:49,173 Or, on va retrouver un raisonnement que nous avons déjà vu 192 00:12:49,213 --> 00:12:52,040 parce que c’était celui du Conseil constitutionnel, mais en 2013. 193 00:12:52,050 --> 00:12:56,960 Donc en réalité l’initiative en la matière est celle du Conseil d’État. 194 00:12:56,960 --> 00:13:00,080 Le Conseil constitutionnel s’est aligné un an plus tard. 195 00:13:00,080 --> 00:13:02,453 Qu’est-ce que dit le Conseil d’État en 2012 dans cette affaire ? 196 00:13:03,220 --> 00:13:09,533 Premier élément, il considère que le simple fait que le législateur ait manqué à sa parole, 197 00:13:09,680 --> 00:13:17,786 même pour l’avenir, suffit potentiellement a consisté en une atteinte à un bien 198 00:13:17,813 --> 00:13:25,253 puisqu’il est possible de considérer que le contribuable 199 00:13:25,610 --> 00:13:33,120 en faisant confiance à l’État, a eu une confiance qui n’était pas illégitime. 200 00:13:33,250 --> 00:13:34,986 Un cadeau lui a été promis pour trois ans, 201 00:13:34,980 --> 00:13:40,866 il a pu légitimement croire que ce cadeau lui serait versé les trois ans durant. 202 00:13:41,480 --> 00:13:47,600 L’atteinte à cette promesse constituait une atteinte à une espérance légitime, 203 00:13:47,600 --> 00:13:49,733 donc une atteinte à un bien. 204 00:13:51,373 --> 00:13:53,386 À ce stade de l’identification du bien, 205 00:13:53,380 --> 00:13:58,386 le Conseil d’État insistera sur l’identification du caractère légitime 206 00:13:58,380 --> 00:14:00,253 de cette espérance, de cette croyance. 207 00:14:00,610 --> 00:14:03,346 En l’état actuel de la jurisprudence, 208 00:14:03,600 --> 00:14:08,200 le Conseil d’État considère que seules certaines lois fiscales 209 00:14:08,480 --> 00:14:11,346 font naître potentiellement une espérance légitime 210 00:14:11,386 --> 00:14:13,773 d’obtenir quelque chose sur une durée déterminée. 211 00:14:14,013 --> 00:14:15,600 Concrètement, pour le moment, 212 00:14:15,600 --> 00:14:19,280 seules les lois qui créent un dispositif qu’on peut qualifier de niche, 213 00:14:19,320 --> 00:14:25,413 c’est-à-dire un mécanisme de fiscalité dérogatoire, 1, et 2, pour une durée déterminée, 214 00:14:25,510 --> 00:14:31,040 sont susceptibles d’équivaloir à une sorte de promesse 215 00:14:31,080 --> 00:14:33,173 qui puisse faire naître une espérance légitime. 216 00:14:33,170 --> 00:14:38,506 Concrètement, si demain, le législateur crée un nouvel impôt 217 00:14:38,530 --> 00:14:41,226 ou modifie substantiellement un impôt existant, 218 00:14:41,386 --> 00:14:46,906 cela s’est posé avec la création d’un certain nombre de dispositifs, 219 00:14:46,900 --> 00:14:52,146 notamment la modification de l’ISF, cela a priori, 220 00:14:52,200 --> 00:14:58,946 reste de l’ordre des compétences normales du législateur que de changer la loi fiscale. 221 00:15:00,106 --> 00:15:06,106 Il ne sera pas permis à un contribuable, en tout cas l’argument ne prospérera pas, 222 00:15:06,100 --> 00:15:09,360 de considérer qu’il était convaincu que la loi fiscale ne changerait jamais, 223 00:15:09,360 --> 00:15:12,506 et que le fait que le législateur en ait décidé autrement constitue 224 00:15:12,530 --> 00:15:14,386 une atteinte à ses espérances légitimes. 225 00:15:14,413 --> 00:15:16,946 Non, son espérance n’est pas légitime. 226 00:15:17,280 --> 00:15:19,826 Elle devient légitime, d’après le Conseil d’État aujourd’hui, 227 00:15:19,820 --> 00:15:25,840 uniquement si cette législation fiscale était favorable à une catégorie de contribuables, 228 00:15:25,986 --> 00:15:28,773 dont il faisait partie, pour une durée limitée. 229 00:15:28,866 --> 00:15:36,226 Là, l’atteinte à cette parole donnée est susceptible de constituer l’atteinte à un bien. 230 00:15:37,013 --> 00:15:43,266 Pour terminer, en deuxième lieu, une fois qu’on a identifié une atteinte à un bien, 231 00:15:43,260 --> 00:15:45,026 c’était le cas dans cette affaire EPI, 232 00:15:45,630 --> 00:15:49,120 la question se pose de savoir si des motifs impérieux d’intérêt général, 233 00:15:49,120 --> 00:15:52,770 des motifs d’intérêt général suffisant si vous préférez, peuvent expliquer, 234 00:15:52,770 --> 00:15:54,000 justifier cette attente. 235 00:15:54,000 --> 00:15:58,120 Là, en l’occurrence, peut-être que le législateur y avait pensé, 236 00:15:58,120 --> 00:16:02,173 mais l’affaire est inédite, donc il n’avait pas beaucoup défendu son point de vue. 237 00:16:02,550 --> 00:16:05,940 Si le législateur et le gouvernement avaient amené des arguments expliquant 238 00:16:06,730 --> 00:16:12,493 que le cadeau fiscal donné pendant un an n’avait pas conduit les entreprises 239 00:16:12,490 --> 00:16:18,093 à adopter les comportements espérés, que c’était de l’argent dilapidé par l’État, 240 00:16:18,160 --> 00:16:21,413 peut-être, chiffres à l’appui, aurait-il pu convaincre le juge 241 00:16:21,560 --> 00:16:26,026 qu’il y avait bien un motif d’intérêt général suffisant à stopper 242 00:16:26,020 --> 00:16:29,386 la délivrance de cet avantage fiscal au bout d’un an, 243 00:16:29,380 --> 00:16:31,746 plutôt qu’au bout de trois comme cela avait été prévu. 244 00:16:31,786 --> 00:16:33,546 Sauf que dans cette affaire, 245 00:16:34,120 --> 00:16:37,840 le gouvernement s’est contenté de défendre assez mollement, 246 00:16:37,866 --> 00:16:41,653 avec des considérations financières qui n’ont pas convaincu le Conseil d’État. 247 00:16:41,730 --> 00:16:45,533 Le Conseil d’État considère qu’il n’y a pas assez de motifs d’intérêt général 248 00:16:45,530 --> 00:16:51,675 avancés par le gouvernement pour défendre cette loi 249 00:16:52,450 --> 00:16:57,275 qui porte atteinte à une sorte d’espérance légitime 250 00:16:57,270 --> 00:16:59,575 que les contribuables avaient pu avoir. 251 00:16:59,710 --> 00:17:02,620 Finalement, le contribuable obtient gain de cause. 252 00:17:02,620 --> 00:17:05,946 La loi est jugée contraire à la CEDH. 253 00:17:06,070 --> 00:17:10,426 Concrètement, le cadeau sur trois ans fut récupéré par la société. 254 00:17:12,493 --> 00:17:13,640 À la suite de cette affaire, 255 00:17:13,640 --> 00:17:17,933 plusieurs arrêts ont reproduit cette démarche intellectuelle, 256 00:17:17,933 --> 00:17:21,813 notamment dans un cas très médiatisé puisque les enjeux financiers étaient très importants 257 00:17:21,810 --> 00:17:23,573 et dans une affaire très intéressante. 258 00:17:23,600 --> 00:17:25,850 Citons-le, c’est un autre arrêt du Conseil d’État 259 00:17:26,075 --> 00:17:30,750 rendu en formation plénière fiscale le 25 octobre 2017 260 00:17:30,825 --> 00:17:35,010 à la demande de la société Vivendi qui, dans un cas de figure très particulier 261 00:17:35,010 --> 00:17:39,125 puisque c’était la disparition d’un régime très spécifique 262 00:17:39,125 --> 00:17:42,000 qui s’appelait le régime du bénéfice mondial consolidé, 263 00:17:42,560 --> 00:17:46,186 un régime fiscal potentiellement favorable au traitement de certaines 264 00:17:46,180 --> 00:17:49,186 très grosses entreprises ayant des filiales à l’étranger, 265 00:17:49,186 --> 00:17:52,346 en particulier des filiales déficitaires comme c’était le cas de Vivendi 266 00:17:52,340 --> 00:17:55,280 à la suite du rachat d’Universal aux États-Unis. 267 00:17:55,350 --> 00:17:57,850 Bref, un régime très favorable fiscalement 268 00:17:57,850 --> 00:18:01,653 permettant d’imputer les pertes étrangères sur le résultat français, 269 00:18:01,800 --> 00:18:14,946 qui fut abrogé par le législateur avant le terme initial prévu par l’administration, 270 00:18:14,940 --> 00:18:18,160 puisqu’un agrément administratif avait été donné à Vivendi, 271 00:18:18,210 --> 00:18:23,133 un simple acte administratif lui promettant de bénéficier du régime jusqu’à la fin de l’année, 272 00:18:23,133 --> 00:18:26,493 et avant la fin de l’année, la loi vient faire disparaître le régime. 273 00:18:27,053 --> 00:18:29,640 Dès lors, l’agrément n’avait plus de base légale. 274 00:18:29,660 --> 00:18:34,240 Vivendi, dans un premier temps, n’a pas bénéficié du cadeau fiscal qu’elle espérait. 275 00:18:34,240 --> 00:18:36,510 C’est à peu près la même démarche que tout à l’heure. 276 00:18:36,870 --> 00:18:40,133 Finalement, je simplifie les choses, le Conseil d’État, 277 00:18:40,130 --> 00:18:44,226 suivant exactement le raisonnement de l’affaire EPI, 278 00:18:44,266 --> 00:18:48,773 vient considérer que la société Vivendi avait vu son attente légitime 279 00:18:48,770 --> 00:18:54,040 de bénéficier d’un avantage atteint par cette modification législative, 280 00:18:54,533 --> 00:18:57,573 qui n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, 281 00:18:57,570 --> 00:19:01,746 donc la société Vivendi a pu récupérer l’avantage 282 00:19:01,740 --> 00:19:04,826 qui lui avait été dans un premier temps accordé. 283 00:19:04,906 --> 00:19:09,030 Une différence intéressante mérite d’être soulignée entre l'arrêt Vivendi 284 00:19:09,030 --> 00:19:11,310 et l'arrêt société EPI, c’est que dans la société EPI, 285 00:19:11,310 --> 00:19:18,750 c’est la loi elle-même qui avait fixé un terme, les fameux trois ans, à l’avantage, 286 00:19:18,750 --> 00:19:22,946 alors que dans l’arrêt Vivendi, la loi n’avait pas de durée déterminée. 287 00:19:23,000 --> 00:19:25,680 L’avantage qu’elle ouvrait n’avait pas de durée déterminée. 288 00:19:25,680 --> 00:19:29,333 C’est l’agrément administratif, c’est-à-dire l’acte administratif 289 00:19:29,440 --> 00:19:33,160 qui était venu dire à la société qu’elle pouvait bénéficier de cet avantage 290 00:19:33,160 --> 00:19:35,813 pour une durée déterminée, qui avait ouvert cela. 291 00:19:35,810 --> 00:19:40,173 C’est ce simple acte administratif qui avait fait naître une espérance légitime, 292 00:19:40,266 --> 00:19:41,626 donc un bien au bout du compte. 293 00:19:41,866 --> 00:19:44,426 L’autre élément presque anecdotique, mais pas sans intérêt, 294 00:19:44,420 --> 00:19:48,093 c’est que selon le rapporteur public dans cette affaire, Édouard Crépey, 295 00:19:48,360 --> 00:19:52,560 ledit agrément administratif vraisemblablement était lui-même illégal, 296 00:19:53,066 --> 00:19:57,466 de sorte que c’est vraisemblablement un acte administratif illégal, 297 00:19:57,866 --> 00:20:07,120 mais rédigé de telle sorte que la société avait pu estimer que cet acte était le droit, 298 00:20:07,320 --> 00:20:11,973 qu’il lui offrait un avantage dont elle pouvait légitimement attendre 299 00:20:11,973 --> 00:20:12,960 de bénéficier complètement. 300 00:20:12,960 --> 00:20:16,820 Ce simple acte administratif, sans doute illégal, était bien un bien, 301 00:20:16,820 --> 00:20:20,425 créait un bien auquel il a été porté atteinte 302 00:20:20,425 --> 00:20:22,973 de manière non justifiée par un intérêt général suffisant. 303 00:20:23,040 --> 00:20:25,506 La société Vivendi a obtenu gain de cause. 304 00:20:25,500 --> 00:20:29,533 En conclusion, on le voit avec ces deux arrêts, 305 00:20:29,533 --> 00:20:33,360 la Cour européenne des droits de l’Homme a beau resté relativement prudente 306 00:20:33,360 --> 00:20:37,893 dans l’application de la CEDH, c’est une formidable ressource pour le Conseil d’État, 307 00:20:37,890 --> 00:20:41,173 pour les juridictions fiscales pour aller sur des terrains parfois inexplorés, 308 00:20:41,333 --> 00:20:43,493 notamment celui des espérances légitimes 309 00:20:43,490 --> 00:20:46,720 et pour au bout du compte offrir potentiellement de nouveaux droits, 310 00:20:46,720 --> 00:20:48,613 de nouvelles garanties aux contribuables. 311 00:20:48,610 --> 00:20:51,293 C’est vraisemblablement un domaine 312 00:20:51,290 --> 00:20:54,306 qui continuera d’être approfondi dans les années à venir.