1 00:00:05,640 --> 00:00:06,450 Bonjour,  2 00:00:07,075 --> 00:00:08,775 prolongeons aujourd'hui l'étude 3 00:00:09,225 --> 00:00:12,380 de la Convention européenne des droits de l'homme en tant que source de la matière fiscale. 4 00:00:12,388 --> 00:00:16,628 Alors après les dispositions procédurales de l'article 6,  5 00:00:16,640 --> 00:00:20,148 envisageons des dispositions plus substantielles 6 00:00:20,170 --> 00:00:23,085 qui sont d'abord celles de l'article 1P1,  7 00:00:23,085 --> 00:00:24,994 article 1er du premier protocole additionnel 8 00:00:25,000 --> 00:00:27,625 et nous verrons que cet article permet en outre 9 00:00:27,700 --> 00:00:29,890 d'invoquer d'autres dispositions substantielles,  10 00:00:29,897 --> 00:00:33,828 en particulier le principe d'égalité ou plutôt de non-discrimination de l'article 14. 11 00:00:33,828 --> 00:00:35,725 Donc c'est l'objet d'un deuxième paragraphe. 12 00:00:36,365 --> 00:00:39,897 Alors quelques mots sur ce premier protocole additionnel 13 00:00:39,908 --> 00:00:42,274 que vous connaissez sans doute déjà bien,  14 00:00:42,811 --> 00:00:44,685 donc protocole additionnel  comme son nom l'indique, 15 00:00:44,685 --> 00:00:48,811 eh bien c'est en quelque sorte un avenant à la Convention européenne des droits de l'homme 16 00:00:49,300 --> 00:00:54,450 qui a été signé par les États contractants en 1952 17 00:00:54,450 --> 00:00:57,840 donc deux ans seulement après la signature de la Convention elle-même. 18 00:00:58,000 --> 00:01:02,832 Et donc ce premier protocole additionnel, il y en a eu une bonne dizaine d'autres depuis, 19 00:01:02,840 --> 00:01:04,976 mais ce premier protocole additionnel contient 20 00:01:05,184 --> 00:01:10,592 un certain nombre de droits nouveaux accordés à l'ensemble des personnes 21 00:01:11,216 --> 00:01:14,864 pouvant bénéficier de la protection de la Convention européenne des droits de l'homme 22 00:01:14,944 --> 00:01:17,250 et au titre de ces droits nouveaux, 23 00:01:17,312 --> 00:01:20,128 on trouve, c'est le premier article de ce premier protocole,  24 00:01:20,256 --> 00:01:24,256 on trouve le droit aux biens  ou le respect dû aux biens. 25 00:01:24,440 --> 00:01:27,950 Alors plus précisément et je crois que c'est important de lire 26 00:01:28,200 --> 00:01:30,360 la manière dont cet article est rédigé ,  27 00:01:30,624 --> 00:01:33,136 pour comprendre l'importance de son champ d'application, 28 00:01:33,880 --> 00:01:38,160 toute personne nous indique donc le premier protocole dans son article premier, 29 00:01:38,176 --> 00:01:41,984 donc article 1P1 : "Toute personne physique ou morale",  30 00:01:41,984 --> 00:01:43,808 on voit tout de suite que le champ est très large 31 00:01:44,016 --> 00:01:48,384 puisqu’expressément les entreprises globalement sont prises en compte, 32 00:01:48,480 --> 00:01:51,792 "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens",  33 00:01:52,256 --> 00:01:56,784 plus précisément, "nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique 34 00:01:57,040 --> 00:01:58,816 et dans les conditions prévues par la loi 35 00:01:59,504 --> 00:02:01,568 et les principes généraux du droit international public". 36 00:02:01,640 --> 00:02:04,800 Les dispositions précédentes, attention,  ne portent pas atteinte évidemment 37 00:02:04,875 --> 00:02:08,200 aux droits que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires 38 00:02:08,208 --> 00:02:11,328 pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, 39 00:02:11,320 --> 00:02:15,824 ce point est important, ou pour assurer le paiement de l'impôt, des impôts 40 00:02:16,032 --> 00:02:17,840 ou d'autres contributions ou des amendes.  41 00:02:18,080 --> 00:02:20,848 Alors on le voit immédiatement, encore une fois,  42 00:02:20,860 --> 00:02:22,976 ce champ d'application est extrêmement large 43 00:02:22,970 --> 00:02:25,904 puisque ce sont l'ensemble des atteintes potentielles aux biens 44 00:02:26,192 --> 00:02:29,008 qui sont en cause dans cette affaire,  45 00:02:30,064 --> 00:02:34,368 atteintes aux biens que les États pourraient leur porter 46 00:02:34,656 --> 00:02:39,360 et la matière fiscale est très expressément visée par cet article. 47 00:02:39,360 --> 00:02:42,912 Alors vous me direz a priori non pas pour l'exclure, 48 00:02:42,940 --> 00:02:46,875 mais pour préciser évidemment que ce droit ne s'oppose pas 49 00:02:46,925 --> 00:02:49,790 à l'existence bien entendu d'un système d'imposition,  50 00:02:50,080 --> 00:02:52,320 qui intuitivement et même très évidemment,  51 00:02:52,560 --> 00:02:55,152 constitue une forme d'atteinte aux biens des contribuables 52 00:02:55,152 --> 00:02:57,024 puisque lorsque l'Etat vient vous prendre de l'argent, 53 00:02:57,104 --> 00:02:59,360 c'est évidemment une manière de porter atteinte à vos biens, 54 00:02:59,536 --> 00:03:02,656 donc cela évidemment n'est pas proscrit par la convention, 55 00:03:02,752 --> 00:03:05,760 mais néanmoins, et c'est ça qui est tout à fait essentiel, 56 00:03:05,840 --> 00:03:10,528 néanmoins très expressément, la convention vient poser un cadre juridique,  57 00:03:10,520 --> 00:03:12,875 un cadre conventionnel s'imposant aux États membres 58 00:03:13,000 --> 00:03:17,130 dans la manière dont ceux-ci pourront être appelés à lever des impôts,  59 00:03:17,296 --> 00:03:23,744 ces impôts devront être levés dans un cadre qui respecte l'intérêt général 60 00:03:23,760 --> 00:03:27,232 puisque la réglementation de l'usage des biens doit se faire conformément à l'intérêt général, 61 00:03:27,540 --> 00:03:31,424 et pour cause d'utilité publique seulement, des impôts pourront être levés. 62 00:03:31,568 --> 00:03:36,000 Alors vous me direz évidemment, ce ne sont pas des exigences extrêmement puissantes. 63 00:03:36,528 --> 00:03:38,512 Et en général, lorsqu'un État met en place un impôt,  64 00:03:38,528 --> 00:03:41,312 c'est pour une bonne cause d'utilité publique ou d'intérêt général, 65 00:03:41,490 --> 00:03:45,872 et c'est précisément la loi qui l'établit,  néanmoins on va le voir tout de suite, 66 00:03:46,440 --> 00:03:50,250 cet article donne tout de même une arme potentiellement très puissante 67 00:03:50,300 --> 00:03:53,775 et très innovante aux juridictions pour contrôler 68 00:03:53,825 --> 00:03:56,400 que l'ensemble des législations notamment fiscales, 69 00:03:56,464 --> 00:03:58,288 alors c'est vrai pour l'ensemble des États membres,  70 00:03:58,432 --> 00:04:03,312 eh bien respectent un certain nombre d'exigences et un certain nombre de principes. 71 00:04:04,110 --> 00:04:08,448 Voyons donc d'abord dans un premier temps pour le préciser d'un mot, cette invocabilité,  72 00:04:08,448 --> 00:04:12,032 ce champ d'application en quelque sorte,  cela revient au même, de l'article 1P1, 73 00:04:12,288 --> 00:04:14,256 dans quel cas de figure est-il a priori applicable 74 00:04:14,272 --> 00:04:17,488 donc quand peut-il être invoqué par des personnes physiques ou morales,  75 00:04:17,690 --> 00:04:21,792 et nous verrons dans un second temps les modalités d'application de cet article. 76 00:04:23,450 --> 00:04:27,728 Alors je crois qu'il y a donc  trois choses importantes à noter 77 00:04:27,830 --> 00:04:30,288 s'agissant, A, de l'invocabilité 78 00:04:30,304 --> 00:04:33,392 ou du champ d'application si vous préférez de l'article 1P1. 79 00:04:33,648 --> 00:04:36,320 Alors je viens de le dire, c'est un champ qui est extrêmement large,  80 00:04:36,416 --> 00:04:39,648 qui couvre potentiellement toute la matière fiscale,  81 00:04:39,840 --> 00:04:43,840 toutes les atteintes de près, de loin à la propriété 82 00:04:43,984 --> 00:04:46,640 que l'État peut être conduit à opérer,  83 00:04:46,640 --> 00:04:50,128 que l'État ou d'ailleurs les collectivités publiques en général,  84 00:04:50,160 --> 00:04:55,568 et cette applicabilité très large de l'article 1P1 a été reconnue  85 00:04:55,648 --> 00:04:58,304 par les juridictions internes assez tôt. 86 00:04:58,430 --> 00:05:01,312 Alors il y a un avis contentieux 87 00:05:01,312 --> 00:05:04,816 donc c'est à peu près l'équivalent d'un arrêt du Conseil d'État important 88 00:05:05,040 --> 00:05:08,688 qui pose de manière assez solennelle ce principe d'une invocabilité très large, 89 00:05:08,912 --> 00:05:16,336 c'est l'avis du Conseil d'État du 12 mai 2002 Société financière Labeyrie 90 00:05:16,860 --> 00:05:20,300 qui vient reconnaître effectivement le droit potentiel à tout contribuable 91 00:05:20,350 --> 00:05:25,770 d'invoquer donc cet article 1P1 dès lors que la matière fiscale est concernée. 92 00:05:43,072 --> 00:05:48,544 Donc invocabilité large de ce principe de l'article 1P1 dans l'avis Labeyrie,  93 00:05:48,816 --> 00:05:52,176 c'est la liaison avec l'article 14 ensuite qui a vu son champ restreint, 94 00:05:52,192 --> 00:05:53,232 j'y reviens dans une seconde,  95 00:05:53,232 --> 00:05:58,950 donc retenons l'applicabilité large d'après l'avis Labeyrie en matière fiscale. 96 00:05:59,520 --> 00:06:02,560 Le deuxième point après cette applicabilité large,  97 00:06:02,560 --> 00:06:05,280 et ça, c'est le point sans doute essentiel et le plus intéressant,  98 00:06:05,550 --> 00:06:09,920 c'est la manière dont la notion même de bien a vu son sens considérablement élargi, 99 00:06:09,952 --> 00:06:11,840 d'abord par la Cour européenne des droits de l'homme 100 00:06:11,872 --> 00:06:13,296 et puis par les juridictions internes. 101 00:06:13,630 --> 00:06:16,880 Puisque en effet, à lire un peu rapidement l'article 1P1, 102 00:06:16,992 --> 00:06:22,800 eh bien l'on comprend aisément que tout bien dont on est propriétaire, un immeuble 103 00:06:22,992 --> 00:06:27,024 ou bien encore tout simplement l'argent que l'on a sur son compte en banque,  104 00:06:27,728 --> 00:06:29,190 tout bien dont on est propriétaire, 105 00:06:29,200 --> 00:06:33,904 eh bien ne peut être donc atteint par l'État que dans un certain nombre de conditions 106 00:06:33,904 --> 00:06:35,100 que cet article précise. 107 00:06:35,400 --> 00:06:38,460 Mais en réalité, la Convention européenne des droits de l'homme 108 00:06:38,480 --> 00:06:43,600 telle que lue par la Cour a une conception de la notion de bien 109 00:06:44,032 --> 00:06:48,560 qui vient à être protégé par cet article qui est beaucoup plus large que la notion 110 00:06:48,560 --> 00:06:52,590 notamment que le droit français attache à cette expression 111 00:06:52,672 --> 00:06:54,600 qui n'est pas véritablement juridiquement définie, 112 00:06:54,600 --> 00:06:57,300 mais en tout cas à la notion de propriété 113 00:06:57,300 --> 00:07:00,200 qui est pour la peine très précisément définie par le droit français. 114 00:07:00,420 --> 00:07:03,056 Pour le dire simplement, et je vais vous donner des exemples dans un instant,  115 00:07:03,360 --> 00:07:05,475 un certain nombre de choses 116 00:07:06,075 --> 00:07:09,470 avec lesquelles une personne physique ou morale entretient un rapport 117 00:07:09,488 --> 00:07:11,776 qui n'est pas du tout un rapport de propriété, 118 00:07:12,128 --> 00:07:18,432 peuvent néanmoins être assimilées au sens de la CEDH à de véritables biens. 119 00:07:19,010 --> 00:07:21,600 Et le cas le plus important,  nous allons le voir tout de suite, 120 00:07:21,856 --> 00:07:25,536 alors c'est celui non seulement d'un certain nombre de créances,  121 00:07:26,112 --> 00:07:30,528 à la limite ça n'a rien de bouleversant qu'une créance soit considérée comme un bien, 122 00:07:30,544 --> 00:07:33,520 c'est le cas à beaucoup d'égards en droit interne, 123 00:07:33,630 --> 00:07:34,675 mais au-delà,  124 00:07:34,725 --> 00:07:40,280 c'est un certain nombre simplement d'espérances, d'espérances légitimes 125 00:07:40,280 --> 00:07:41,920 et cela doit vous parler un petit peu, 126 00:07:41,920 --> 00:07:43,690 c'est assez proche de ce que l'on a déjà vu 127 00:07:43,690 --> 00:07:47,350 ne serait-ce qu'en parlant de la jurisprudence constitutionnelle récente,  128 00:07:47,420 --> 00:07:50,750 un certain nombre donc  d'espérances légitimes un jour 129 00:07:50,900 --> 00:07:53,750 de bénéficier d'une créance 130 00:07:54,050 --> 00:07:59,000 sont assimilées par la Cour européenne des droits de l'homme à de véritables biens. 131 00:07:59,120 --> 00:08:01,328 Alors je crois qu'il faut citer un arrêt, 132 00:08:01,360 --> 00:08:04,016 je crois, extrêmement intéressant très marquant 133 00:08:04,272 --> 00:08:07,408 et qui a, je crois, pas mal influencé non seulement la cour, 134 00:08:07,408 --> 00:08:08,944 mais aussi les juridictions internes, 135 00:08:09,296 --> 00:08:11,216 c'est un arrêt qui concerne la Turquie, 136 00:08:11,424 --> 00:08:15,088 un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 30 novembre 2004 137 00:08:15,600 --> 00:08:17,030 qui concerne une affaire turque. 138 00:08:17,152 --> 00:08:19,472 Alors je vous cite le nom de la partie. 139 00:08:21,510 --> 00:08:24,464 Je ne suis pas certain que mon accent soit tout à fait optimal, 140 00:08:24,670 --> 00:08:32,704 Öneryildiz alors ça s'écrit avec un tréma, Öneryildiz contre Turquie. 141 00:08:32,720 --> 00:08:34,752 Alors je simplifie un petit  peu les faits d'espèce, 142 00:08:34,750 --> 00:08:40,608 mais globalement, c'était une histoire absolument abominable d'un effondrement,  143 00:08:42,112 --> 00:08:45,420 d'un glissement de terrain dans la région d'Istanbul,  144 00:08:45,424 --> 00:08:51,632 en tout cas en Turquie, qui a causé la perte d'un certain nombre de maisons 145 00:08:51,760 --> 00:08:55,888 ou plus exactement en fait de bidonvilles  qui s'étaient installés sur un terrain public 146 00:08:55,968 --> 00:09:00,720 et donc à la faveur de ce mouvement de terrain, 147 00:09:01,392 --> 00:09:03,728 des centaines de baraquements ont été emportés. 148 00:09:05,200 --> 00:09:08,112 Il y a eu des morts, enfin c'était  une histoire absolument terrible 149 00:09:08,656 --> 00:09:11,024 et c'est là que les choses deviennent du point de vue 150 00:09:11,024 --> 00:09:14,448 qui nous intéresse tout à fait intéressantes et importantes, 151 00:09:14,610 --> 00:09:18,750 il se trouve que l'une des personnes qui dans cette affaire, 152 00:09:18,768 --> 00:09:20,928 si je puis dire a perdu non seulement sa maison, 153 00:09:20,960 --> 00:09:23,280 mais aussi, et là c'est en dehors de notre champ, 154 00:09:23,456 --> 00:09:28,032 mais je crois, sa femme et une partie de ses enfants qui sont morts dans cette affaire,  155 00:09:28,224 --> 00:09:32,048 a demandé une indemnisation à l'État turc, à la Turquie 156 00:09:32,064 --> 00:09:33,728 donc qui est membre du Conseil de l'Europe. 157 00:09:33,970 --> 00:09:35,475 Et il se trouve que, 158 00:09:35,475 --> 00:09:38,560 et c'est simplement ce point qui mérite d'être retenu pour ce qui nous concerne, 159 00:09:38,912 --> 00:09:42,420 cette personne n'a pas pu obtenir d'indemnisation particulière 160 00:09:42,576 --> 00:09:44,864 du fait tout simplement de son statut particulier. 161 00:09:44,864 --> 00:09:46,620 Je le disais, il s'agissait de bidonvilles. 162 00:09:46,752 --> 00:09:51,328 En fait il s'agissait de baraques établies de manière tout à fait illégale,  163 00:09:51,440 --> 00:09:53,920 sans titre sur le terrain d'autrui. 164 00:09:54,016 --> 00:09:56,944 Il s'agissait en l'espèce d'un terrain qui appartenait à l'État. 165 00:09:57,810 --> 00:10:05,248 Donc, comme d'ailleurs le droit français  aurait répondu dans ce type de situation, 166 00:10:05,680 --> 00:10:09,925 la personne ayant subi un dommage, notamment à ses biens,  167 00:10:10,025 --> 00:10:13,530 mais à ses biens établis  irrégulièrement sur le terrain d'autrui,  168 00:10:13,616 --> 00:10:17,168 évidemment aucun droit de propriété n'y était attaché,  169 00:10:18,432 --> 00:10:21,472 de sorte qu'en l'absence de titre légal, 170 00:10:21,664 --> 00:10:24,864 il eût été en France comme il l'a été en Turquie, 171 00:10:25,008 --> 00:10:28,120 difficile pour cette personne d'obtenir une quelconque indemnisation. 172 00:10:28,360 --> 00:10:30,608 Et pourtant, et c'est là que c'est extrêmement intéressant, 173 00:10:30,970 --> 00:10:34,416 la Cour européenne des droits de l'homme produit un raisonnement qui je le dis tout de suite,  174 00:10:34,416 --> 00:10:36,992 va aboutir à la condamnation de la Turquie,  175 00:10:37,260 --> 00:10:42,225 condamnation de la Turquie à indemniser à certains égards ce particulier  176 00:10:42,325 --> 00:10:50,090 en estimant qu'il pouvait effectivement bénéficier de la protection due aux biens 177 00:10:50,160 --> 00:10:53,925 et qu'en tout cas l'absence d'indemnisation conduisait à une atteinte 178 00:10:54,950 --> 00:10:56,275 contraire à la Convention, 179 00:10:56,375 --> 00:10:58,336 à un bien de cette personne. 180 00:10:58,336 --> 00:10:59,800 Alors en quoi y avait-il un bien ? 181 00:10:59,840 --> 00:11:01,376 C'est là tout l'enjeu, vous l'avez compris,  182 00:11:01,536 --> 00:11:03,888 eh bien il y avait un bien, d'après la Cour européenne des droits de l'homme,  183 00:11:04,064 --> 00:11:09,968 tout simplement en fait de par le comportement de l'administration 184 00:11:10,240 --> 00:11:14,560 puisque depuis des années, cette personne avait établi cette baraque, 185 00:11:14,592 --> 00:11:17,008 donc certes sans titre de manière illégale, 186 00:11:17,104 --> 00:11:21,264 mais avait établi cette baraque sur ce terrain appartenant à l'administration 187 00:11:21,328 --> 00:11:23,500 sans que celle-ci ne réagisse. 188 00:11:23,700 --> 00:11:29,560 Plus exactement en s'abstenant d'agir pour expulser ces personnes, 189 00:11:29,780 --> 00:11:34,080 il n'était pas le seul concerné, l'administration en quelque sorte avait,  190 00:11:34,096 --> 00:11:40,464 et c'est là que le point est essentiel, avait fait naître un espoir, une espérance,  191 00:11:40,760 --> 00:11:47,925 et une espérance jugée par la Cour légitime d'avoir une sorte de droit au moins 192 00:11:47,950 --> 00:11:50,540 à une pérennisation de la situation. 193 00:11:51,420 --> 00:11:55,775 Et donc il se trouve que cette simple espérance légitime 194 00:11:56,475 --> 00:11:59,000 de voir sa situation maintenue en l'état 195 00:11:59,000 --> 00:12:02,525 est assimilée par la Cour européenne des droits de l'homme 196 00:12:02,544 --> 00:12:06,848 à l'espoir légitime d'une sorte de créance. 197 00:12:07,240 --> 00:12:10,400 Et c'est un bien, et c'est la même chose en quelque sorte, 198 00:12:10,464 --> 00:12:14,544 en tout cas c'est la même catégorie juridique que la véritable propriété. 199 00:12:14,704 --> 00:12:19,936 Donc vous le voyez, entre le fait d'être propriétaire juridiquement de sa maison 200 00:12:19,984 --> 00:12:25,952 et le fait d'être squatteur peut être considéré dans les deux cas comme une relation,  201 00:12:26,032 --> 00:12:30,400 une relation qui puisse susciter l'existence d'un bien au sens de la Convention. 202 00:12:30,850 --> 00:12:33,820 C'est ce qui est tout à fait fondamental dans cette décision 203 00:12:33,824 --> 00:12:39,392 qui a donc une conception très large, très englobante de la notion, je le répète, de bien. 204 00:12:39,488 --> 00:12:41,920 Alors il se trouve que ce n'est pas tout. 205 00:12:42,040 --> 00:12:46,624 On l'a vu, l'article 1P1 précise bien que toute atteinte aux biens n'est pas exclue. 206 00:12:46,810 --> 00:12:50,848 L'État peut porter atteinte à un bien, mais dans des conditions prévues par la loi 207 00:12:50,992 --> 00:12:54,290 et si un motif d'utilité publique le justifie. 208 00:12:54,660 --> 00:12:56,960 Et c'est donc là qu'une deuxième question se pose, 209 00:12:56,992 --> 00:12:58,512 alors nous y viendrons dans un instant,  210 00:12:58,576 --> 00:13:00,384 c'est la question ensuite de savoir évidemment 211 00:13:00,432 --> 00:13:03,488 si l'atteinte qui a été portée à un bien, le refus d'indemnisation,  212 00:13:03,480 --> 00:13:09,000 le prélèvement d'un bien,  l'expropriation d'un immeuble, etc., etc.,  213 00:13:09,025 --> 00:13:11,480 sont bel et bien justifiés par l'utilité publique. 214 00:13:11,770 --> 00:13:13,000 Là en l'espèce,  215 00:13:14,050 --> 00:13:17,450 la Cour donc a considéré qu'il n'y avait aucun motif d'utilité publique suffisant 216 00:13:17,600 --> 00:13:20,656 qui justifie le refus d'indemnisation de cette personne 217 00:13:20,752 --> 00:13:24,832 après donc avoir constaté qu'un bien avait été effectivement atteint en quelque sorte 218 00:13:24,864 --> 00:13:27,070 par ce refus d'indemnisation. 219 00:13:27,270 --> 00:13:31,200 Alors il se trouve qu'au-delà,  on le verra dans un instant, 220 00:13:31,840 --> 00:13:36,944 cette conception large d'un bien a aussi des effets majeurs en matière fiscale 221 00:13:37,040 --> 00:13:40,336 puisque sera considéré comme bien en matière fiscale 222 00:13:40,336 --> 00:13:46,352 non seulement l'argent que détient le contribuable que l'État vient prélever, 223 00:13:46,510 --> 00:13:49,696 mais aussi simple espoir de créance, 224 00:13:49,696 --> 00:13:54,064 simple espoir jugé le cas échéant légitime par la juridiction compétente, 225 00:13:54,384 --> 00:13:56,320 de bénéficier demain d'une créance. 226 00:13:56,400 --> 00:14:00,208 Et si cet espoir vient à être contrarié par un texte de loi,  227 00:14:00,304 --> 00:14:04,064 eh bien ce texte de loi peut se voir assimiler à une atteinte 228 00:14:04,512 --> 00:14:07,696 dont il appartiendra au juge de  vérifier qu'elle est bien justifiée,  229 00:14:07,888 --> 00:14:12,224 une atteinte à un bien à travers donc cette atteinte à un simple espoir de créance. 230 00:14:12,340 --> 00:14:14,240 Ce sont des lois de validation pour l'essentiel,  231 00:14:14,256 --> 00:14:19,136 nous allons le voir, qui sont ici en question ou simplement des lois rétroactives de fait,  232 00:14:19,280 --> 00:14:21,850 vous allez le comprendre dans une seconde. 233 00:14:21,888 --> 00:14:25,440 Mais avant cela, un dernier point consistant donc à décrire toujours 234 00:14:25,680 --> 00:14:29,728 le champ d'application large de l'article 1P1, en indiquant, c'est le troisième point,  235 00:14:29,720 --> 00:14:34,544 que ce champ d'application large a une autre forme d'élargissement, si je puis dire,  236 00:14:34,656 --> 00:14:39,120 puisque par ricochet, on peut indiquer les choses comme ça, par ricochet, 237 00:14:39,275 --> 00:14:42,800 eh bien le fait d'entrer dans le champ d'application de l'article 1P1 238 00:14:42,925 --> 00:14:47,500 autorise à invoquer d'autres articles de la Convention européenne des droits de l'homme. 239 00:14:47,504 --> 00:14:50,112 Et c'est en particulier, c'est le seul qui nous intéressera, 240 00:14:50,310 --> 00:14:54,576 le cas de l'article 14, article 14 de la Convention qui vous le savez,  241 00:14:54,896 --> 00:14:59,600 pose le principe de non-discrimination et d'une manière extrêmement large, 242 00:14:59,610 --> 00:15:01,750 alors je vous cite l'article 14 qui indique que 243 00:15:01,775 --> 00:15:05,950 "la jouissance des droits et libertés reconnus par la présente Convention",  244 00:15:06,224 --> 00:15:12,512 ce qui inclut les droits et libertés reconnus par les articles des protocoles additionnels, 245 00:15:12,512 --> 00:15:14,448 donc cela inclut le droit aux biens, 246 00:15:15,376 --> 00:15:21,792 donc la jouissance notamment du droit au respect du aux biens doit l'être, cette jouissance, 247 00:15:21,960 --> 00:15:28,656 "sans distinction aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion 248 00:15:28,656 --> 00:15:30,170 ou toute autre situation". 249 00:15:30,480 --> 00:15:33,952 Donc cet article 14 pose une sorte de principe de non-discrimination,  250 00:15:34,192 --> 00:15:37,072 principe d'égalité pourrait-on dire, extrêmement large,  251 00:15:37,072 --> 00:15:41,568 toute forme de discrimination non justifiée en tout cas est exclue 252 00:15:41,584 --> 00:15:44,810 et proscrite dans la jouissance des droits reconnus par la Convention. 253 00:15:44,944 --> 00:15:48,032 Et donc, disons-le tout de suite, ce point est extrêmement intéressant 254 00:15:48,176 --> 00:15:51,920 puisqu'il suggère que n'importe quelle loi fiscale,  255 00:15:52,112 --> 00:15:56,200 qui donc on l'a vu à l'instant, porte nécessairement atteinte à un bien,  256 00:15:56,224 --> 00:15:59,888 et donc peut être contrôlée  par toute juridiction interne 257 00:16:00,016 --> 00:16:01,552 sur le fondement de l'article 1P1,  258 00:16:01,664 --> 00:16:04,976 peut en outre conduire le contribuable 259 00:16:04,976 --> 00:16:08,496 à soulever l'éventuelle violation de l'article 14 de la CEDH, 260 00:16:08,624 --> 00:16:13,200 concrètement toute loi fiscale peut être contrôlée par toute juridiction fiscale 261 00:16:13,664 --> 00:16:16,416 sur le fondement d'une sorte de principe d'égalité 262 00:16:16,590 --> 00:16:21,520 et donc un contribuable peut demander au tribunal administratif de vérifier 263 00:16:21,568 --> 00:16:23,648 que la loi fiscale qui lui a été appliquée, 264 00:16:23,640 --> 00:16:29,050 eh bien ne vient pas le discriminer en l'ayant imposé  265 00:16:29,150 --> 00:16:32,190 sur un fondement qui puisse apparaître comme une discrimination 266 00:16:32,208 --> 00:16:35,360 puisque son voisin qui a à peu près les mêmes caractéristiques n'aurait pas été imposé. 267 00:16:35,536 --> 00:16:39,024 Donc c'est une arme formidable donnée aux juridictions fiscales. 268 00:16:39,020 --> 00:16:46,350 Alors c'est là pour terminer que l'avis  d'assemblée du Conseil d'État 269 00:16:46,425 --> 00:16:48,275 Labeyrie que j'ai cité tout à l'heure 270 00:16:48,725 --> 00:16:51,320 trouve à limiter légèrement le champ d'application 271 00:16:51,320 --> 00:16:53,725 de ces deux dispositions combinées, 272 00:16:53,775 --> 00:16:57,375 1P1 plus 14, je l'ai dit, 273 00:16:57,584 --> 00:17:01,040 le champ de l'article 1P1 est ouvert largement par cet avis Labeyrie de 2002. 274 00:17:01,070 --> 00:17:04,368 Mais il vient être légèrement restreint sur un point,  275 00:17:05,520 --> 00:17:10,224 c'est qu'il vient préciser que certes l'article 14 peut être mobilisé avec l'article 1P1 276 00:17:10,464 --> 00:17:14,096 par un contribuable pour se plaindre d'une éventuelle discrimination qu'il subirait 277 00:17:14,208 --> 00:17:16,080 par rapport à un autre contribuable, 278 00:17:16,220 --> 00:17:18,080 ce qui est quand même le cas de figure le plus fréquent, 279 00:17:18,290 --> 00:17:21,952 mais petite restriction, cet avis Labeyrie précise qu'en revanche, 280 00:17:22,190 --> 00:17:24,128 si un dispositif fiscal,  281 00:17:24,256 --> 00:17:27,952 en l'occurrence il s'agissait du dispositif lié aux intérêts de retard 282 00:17:27,950 --> 00:17:29,296 et aux intérêts moratoires,  283 00:17:29,952 --> 00:17:34,550 si un dispositif procédural, disons, lié donc encore une fois lié au prix du temps, 284 00:17:35,024 --> 00:17:37,904 vient à frapper différemment,  comme c'était le cas à l'époque, 285 00:17:37,904 --> 00:17:40,864 comme ça ne l'est plus aujourd'hui, le contribuable qui doit de l'argent, 286 00:17:40,864 --> 00:17:42,080 ou qui paye ses impôts trop tard, 287 00:17:42,288 --> 00:17:45,568 et l'administration qui rembourse des impôts prélevés à tort,  288 00:17:45,984 --> 00:17:49,088 eh bien si les intérêts prévus dans les deux cas ne sont pas similaires,  289 00:17:49,104 --> 00:17:54,704 alors même que la relation intellectuellement semble proche dans les deux cas, 290 00:17:54,816 --> 00:17:57,920 eh bien ça n'était pas susceptible de porter atteinte à l'article 14, 291 00:17:58,096 --> 00:18:02,720 car l'article 14 n'est pas invocable par les contribuables dans leurs relations avec l'État. 292 00:18:03,040 --> 00:18:07,952 Le contribuable ne peut pas se plaindre d'être discriminé au terme d'une législation 293 00:18:07,968 --> 00:18:11,616 donc qui ne le traiterait pas comme l'État ou comme une collectivité publique. 294 00:18:12,160 --> 00:18:18,750 Alors en l'espèce, c'est venu contrarier un des arguments qui était tout sauf stupide 295 00:18:18,825 --> 00:18:21,400 du contribuable qui ne comprenait pas d'avoir à payer,  296 00:18:21,408 --> 00:18:22,944 à l'époque c'était extrêmement élevé,  297 00:18:23,296 --> 00:18:26,960 de l'ordre de 9 % d'intérêts de retard lorsque ses impôts étaient payés en retard,  298 00:18:26,960 --> 00:18:30,128 alors que l'administration en revanche ne lui payait qu'un intérêt de l'ordre de 2 % 299 00:18:30,272 --> 00:18:33,824 lorsqu'elle lui remboursait donc un trop-perçu. 300 00:18:34,080 --> 00:18:35,440 Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. 301 00:18:35,630 --> 00:18:38,925 Les intérêts de retard et les intérêts moratoires sont les mêmes 302 00:18:38,950 --> 00:18:41,310 de sorte que la problématique n'existe plus. 303 00:18:41,420 --> 00:18:42,225 Bref, 304 00:18:42,250 --> 00:18:46,050 retenons simplement cette petite restriction du champ d'application de l'article 14 305 00:18:46,050 --> 00:18:49,610 combiné avec l'article 1P1 aux relations entre contribuables. 306 00:18:49,790 --> 00:18:53,440 Nous verrons la prochaine fois la manière plus concrètement dont la France 307 00:18:53,610 --> 00:18:56,925 et notamment les juridictions fiscales mettent en œuvre 308 00:18:56,950 --> 00:18:58,920 concrètement donc cet article 1P1.