1 00:00:06,210 --> 00:00:06,970 Bonjour. 2 00:00:07,830 --> 00:00:10,800 Nous allons terminer l’étude des principes constitutionnels 3 00:00:10,800 --> 00:00:13,075 qui pèsent sur l’élaboration de la loi fiscale 4 00:00:13,125 --> 00:00:19,125 avec un regroupement sous l’étiquette de principe de nécessité 5 00:00:19,125 --> 00:00:21,688 que nous allons aborder dans une troisième sous-section. 6 00:00:22,260 --> 00:00:24,666 Il n’y a pas un principe de nécessité véritablement, 7 00:00:24,755 --> 00:00:30,330 mais je crois que l’on peut employer cette expression dans les deux sens de la nécessité. 8 00:00:30,570 --> 00:00:34,088 Ce qui est nécessaire, c’est à la fois ce qui est indispensable, 9 00:00:34,266 --> 00:00:37,840 mais c’est aussi ce qui doit être juste proportionné. 10 00:00:38,550 --> 00:00:44,330 On peut travailler juste ce qui est nécessaire pour avoir son examen, 11 00:00:44,400 --> 00:00:48,540 c’est-à-dire juste ce qui est indispensable pour réussir. 12 00:00:48,960 --> 00:00:54,125 On peut aussi travailler de manière adaptée, proportionnée 13 00:00:54,125 --> 00:00:55,500 pour avoir les meilleures notes possible. 14 00:00:55,911 --> 00:00:58,620 Il y a cette espèce d’ambivalence entre le caractère indispensable 15 00:00:58,666 --> 00:01:03,288 et le caractère proportionné de ce que le droit traduit sous l’étiquette de nécessité, 16 00:01:03,333 --> 00:01:08,000 qu’on retrouve derrière plusieurs principes 17 00:01:08,977 --> 00:01:10,888 avec un champ d’application plus restreint, 18 00:01:10,977 --> 00:01:14,844 que sont d’une part un principe de non-rétroactivité de la loi fiscale 19 00:01:14,844 --> 00:01:18,622 ou plutôt de principe de limite à cette rétroactivité, 20 00:01:19,155 --> 00:01:22,355 un certain nombre de principes en lien avec les sanctions fiscales, 21 00:01:22,533 --> 00:01:25,111 avec les règles relatives au contrôle fiscal, 22 00:01:25,333 --> 00:01:29,066 et enfin avec la question de la complexité de la loi fiscale 23 00:01:29,155 --> 00:01:32,888 qui fait l’objet d’un encadrement constitutionnel spécifique. 24 00:01:33,210 --> 00:01:36,133 Il se trouve que derrière l’ensemble de ces principes 25 00:01:36,222 --> 00:01:39,111 qu’on va envisager très brièvement pour la plupart d’entre eux, 26 00:01:39,200 --> 00:01:43,333 on retrouve le plus souvent une référence constitutionnelle principale, 27 00:01:43,333 --> 00:01:46,444 pas unique, mais principale, qui est la référence à l’article 16, 28 00:01:46,800 --> 00:01:48,900 en particulier au principe de la garantie des droits. 29 00:01:49,330 --> 00:01:53,800 L’article 16 affirme que toute société dans laquelle la garantie des droits 30 00:01:53,800 --> 00:01:57,555 n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. 31 00:01:57,870 --> 00:02:03,911 Cette référence à la garantie des droits, assez vague dans la formulation retenue en 1789, 32 00:02:04,311 --> 00:02:07,600 donne une sorte de ressource formidable au Conseil constitutionnel 33 00:02:07,911 --> 00:02:10,920 pour faire dire à cette formule tout un tas de choses. 34 00:02:11,130 --> 00:02:14,400 Et en particulier commençons avec cela, c’est l’élément le plus important, 35 00:02:15,330 --> 00:02:19,244 c’est une manière pour le Conseil constitutionnel de limiter 36 00:02:20,000 --> 00:02:21,900 la rétroactivité de la loi fiscale. 37 00:02:21,955 --> 00:02:23,511 C’est l’objet d’un premier paragraphe. 38 00:02:24,960 --> 00:02:32,666 En principe, l’article 2 du Code civil qui affirme que la loi ne dispose que pour l’avenir, 39 00:02:32,977 --> 00:02:36,888 donc qui suggère qu’en matière juridique, 40 00:02:37,822 --> 00:02:41,250 les règles doivent n’être posées que pour l’avenir, 41 00:02:41,610 --> 00:02:43,733 ce principe qui est un principe de bon sens, 42 00:02:44,000 --> 00:02:48,488 l’idée est qu’on ne doit pas pouvoir vous reprocher de ne pas avoir accompli 43 00:02:48,577 --> 00:02:50,222 ce que la loi vous disait, 44 00:02:50,800 --> 00:02:52,950 alors même que cette loi n’existait pas, 45 00:02:53,430 --> 00:02:57,625 donc vous reprochez d’avoir violé une règle que vous ne pouviez pas connaître 46 00:02:57,725 --> 00:03:01,240 dans la mesure où elle n’existait pas au moment où le fait a été accompli. 47 00:03:01,333 --> 00:03:03,690 Évidemment, cela semble relever du bon sens. 48 00:03:04,666 --> 00:03:08,840 Et pourtant, vous l’avez vraisemblablement vu en première et en deuxième années, 49 00:03:09,600 --> 00:03:11,190 dans de multiples situations, 50 00:03:11,288 --> 00:03:15,377 le législateur intervient de manière rétroactive, 51 00:03:15,422 --> 00:03:22,888 le plus souvent plutôt en faveur des personnes concernées pour étendre un avantage au passé, 52 00:03:22,977 --> 00:03:28,400 donc à des faits antérieurs à la promulgation du texte en question. 53 00:03:28,710 --> 00:03:32,888 Il se trouve que ces pratiques, favorables ou défavorables, ça dépend, 54 00:03:32,888 --> 00:03:37,111 on va voir un certain nombre d’exemples, sont assez fréquentes en matière fiscale, 55 00:03:37,555 --> 00:03:41,288 à travers notamment les lois de validation, mais pas seulement. 56 00:03:42,740 --> 00:03:47,155 Ces situations pour les définir, je le répète un peu différemment, 57 00:03:47,288 --> 00:03:50,888 dans lesquelles la loi attache à des faits antérieurs 58 00:03:51,111 --> 00:03:57,333 à sa promulgation un certain nombre d’effets de droit, ces situations sont assez fréquentes. 59 00:03:57,660 --> 00:04:02,755 Il faut les distinguer en envisageant deux types de rétroactivité avec, 60 00:04:02,755 --> 00:04:05,190 à chaque fois, un encadrement constitutionnel différent. 61 00:04:05,490 --> 00:04:08,340 Il y a d’abord ce que l’on peut qualifier de rétroactivité de fait. 62 00:04:08,880 --> 00:04:11,422 Nous verrons ensuite la rétroactivité de droit. 63 00:04:12,088 --> 00:04:14,355 Grand A : la rétroactivité de fait. 64 00:04:14,940 --> 00:04:16,666 Concrètement, pour l’essentiel, 65 00:04:16,711 --> 00:04:22,080 on peut avoir en tête deux situations pratiques assez communes en matière fiscale. 66 00:04:22,470 --> 00:04:23,511 La première situation, 67 00:04:23,910 --> 00:04:29,575 c’est celle dans laquelle le législateur fiscal vient poser un nouveau régime 68 00:04:29,575 --> 00:04:32,000 en créant un nouvel impôt, ou à l’inverse, 69 00:04:32,266 --> 00:04:36,133 en créant un nouvel avantage ou en prônant la disparition d’un impôt. 70 00:04:36,177 --> 00:04:41,466 Bref, il vient créer quelque chose en affirmant dans les travaux préparatoires, 71 00:04:41,600 --> 00:04:48,577 dans le texte même du dispositif, que ce mécanisme a une espérance de vie particulière, 72 00:04:48,755 --> 00:04:51,866 a une sorte de durée de vie particulière. 73 00:04:52,050 --> 00:04:55,770 C’est assez fréquent avec des avantages fiscaux que vient créer le législateur 74 00:04:55,970 --> 00:04:57,060 pour une certaine durée. 75 00:04:58,050 --> 00:05:00,900 Imaginons que dans ce type de situation, en cours de route, 76 00:05:01,920 --> 00:05:06,360 le législateur revienne sur son engagement initial et décide, 77 00:05:07,260 --> 00:05:11,822 pour l’avenir uniquement, de modifier la configuration du dispositif. 78 00:05:12,200 --> 00:05:16,590 On comprend bien en quoi cela peut poser problème à des contribuables 79 00:05:16,711 --> 00:05:20,088 qui s’étaient fiés à cette parole du législateur, 80 00:05:20,177 --> 00:05:25,020 donc avaient adopté un comportement donné en espérant pouvoir bénéficier, en échange, 81 00:05:25,260 --> 00:05:27,600 d’un avantage fiscal sur plusieurs années. 82 00:05:28,110 --> 00:05:31,822 On peut comprendre que ces contribuables se trouveraient quelque peu embêtés 83 00:05:31,911 --> 00:05:33,244 si, au bout d’un an, 84 00:05:33,244 --> 00:05:36,044 le législateur décidait que ça suffisait comme ça 85 00:05:36,044 --> 00:05:40,977 et que ledit avantage ne serait pas renouvelé pour l’avenir. 86 00:05:41,520 --> 00:05:43,866 C’est embêtant, mais vous le comprenez également, 87 00:05:43,866 --> 00:05:48,311 il n’y a pas de situation juridique de rétroactivité dans le cas que je viens de citer 88 00:05:48,355 --> 00:05:52,844 puisque dans cette hypothèse, l’avantage viendrait à être supprimé 89 00:05:53,340 --> 00:05:56,920 au mépris de la parole donnée par le législateur à l’origine, 90 00:05:57,390 --> 00:06:00,888 mais cette disparition n’interviendrait que pour l’avenir, 91 00:06:00,888 --> 00:06:11,155 c’est-à-dire que pour les faits immédiatement postérieurs à l’entrée en vigueur de ladite loi 92 00:06:11,155 --> 00:06:13,920 ou postérieurs à sa promulgation. 93 00:06:16,133 --> 00:06:20,888 Deuxième situation de rétroactivité de fait extrêmement classique en matière fiscale, 94 00:06:20,933 --> 00:06:23,790 c’est celle liée à la notion de fait générateur. 95 00:06:24,040 --> 00:06:26,130 Vous vous souvenez que le fait générateur d’un impôt, 96 00:06:26,177 --> 00:06:30,666 c’est la date, l’évènement plus généralement qui fait naître l’obligation fiscale. 97 00:06:30,930 --> 00:06:33,022 C’est cette date, cet événement 98 00:06:33,066 --> 00:06:38,311 qui permet de déterminer les règles applicables à l’imposition en question, 99 00:06:38,355 --> 00:06:39,511 à la situation donnée. 100 00:06:39,600 --> 00:06:42,120 Prenons simplement un exemple très simple, le plus commun, 101 00:06:42,177 --> 00:06:44,970 mais aussi le plus important en pratique, c’est l’impôt sur le revenu. 102 00:06:45,300 --> 00:06:51,600 L’impôt sur le revenu est payé, les règles ont évolué depuis 2019 103 00:06:51,644 --> 00:06:54,177 avec l’entrée en vigueur du prélèvement à la source, mais fondamentalement, 104 00:06:54,177 --> 00:06:57,644 c’est une problématique qui concerne le recouvrement, 105 00:06:57,733 --> 00:06:59,700 car, in fine, les règles restent les mêmes. 106 00:06:59,900 --> 00:07:04,488 L’idée reste, depuis 1914, que chaque année, 107 00:07:04,622 --> 00:07:09,180 c’est au 31 décembre de l’année que naît ce fait générateur de l’impôt sur le revenu, 108 00:07:09,390 --> 00:07:12,266 que naît l’obligation de payer d'une certaine manière, 109 00:07:13,111 --> 00:07:18,480 celle qui vient d’évoluer précisément, de payer un certain pourcentage 110 00:07:18,690 --> 00:07:21,240 de son revenu global de l’année écoulée. 111 00:07:22,530 --> 00:07:28,400 Ce qui nous intéresse, c’est que ce fait générateur permet de considérer 112 00:07:28,577 --> 00:07:32,850 que c’est le droit applicable au jour du fait générateur 113 00:07:33,930 --> 00:07:37,740 qui est celui sur le fondement duquel l’impôt sera levé. 114 00:07:37,940 --> 00:07:40,888 Concrètement, cela signifie que chaque année, 115 00:07:41,333 --> 00:07:44,355 parce que le fait générateur d’impôt sur le revenu est le 31 décembre, 116 00:07:45,022 --> 00:07:48,540 c’est le droit applicable au 31 décembre qui trouve à s’appliquer. 117 00:07:50,222 --> 00:07:55,200 En pratique, imaginons que le législateur modifie en cours d’année, 118 00:07:55,690 --> 00:08:01,555 gardons l’exemple d’un avantage fiscal, depuis des décennies, admettons, 119 00:08:01,911 --> 00:08:06,400 comme c’est le cas aujourd’hui, que l’embauche d’un personnel à domicile, 120 00:08:06,480 --> 00:08:10,875 ça peut être une femme de ménage, un professeur particulier pour les enfants, 121 00:08:12,575 --> 00:08:15,950 cette embauche, depuis un certain nombre d’années, 122 00:08:15,955 --> 00:08:19,480 conduit à un cadeau fiscal d’un montant relativement généreux. 123 00:08:19,555 --> 00:08:22,400 Cela peut aller jusqu’à 6000 euros 124 00:08:22,400 --> 00:08:27,540 puisque c’est 50 % à concurrence de 12 000 euros de salaires versés au personnel. 125 00:08:27,780 --> 00:08:31,644 Bref, imaginons donc que, en début d’année, 126 00:08:31,688 --> 00:08:35,600 je fasse le choix d’embaucher quelqu’un pour travailler à mon domicile 127 00:08:35,733 --> 00:08:40,222 en pensant que je pourrais bénéficier de ce cadeau fiscal 128 00:08:40,266 --> 00:08:42,533 qui prendra en charge environ la moitié du salaire 129 00:08:42,533 --> 00:08:44,844 que j’aurais versé à concurrence de 12 000 euros comme je viens de vous le dire. 130 00:08:44,888 --> 00:08:49,644 Imaginons que quelques jours avant le 31 décembre, 131 00:08:49,688 --> 00:08:53,022 le législateur intervienne et modifie cet avantage, 132 00:08:53,200 --> 00:08:55,640 par hypothèse dans un sens plus restrictif. 133 00:08:57,333 --> 00:09:01,511 Au bout du compte, je pâtirais de cette modification 134 00:09:01,555 --> 00:09:05,200 puisque, à la fin de l’année, le cadeau que j’attendais ne sera pas reçu, 135 00:09:05,333 --> 00:09:10,900 en tout cas sera moindre que ce que j’espérais, 136 00:09:12,030 --> 00:09:17,160 sans qu’aucune rétroactivité de droit ne puisse être décelée, 137 00:09:17,360 --> 00:09:22,533 puisque le fait générateur de l’impôt sur le revenu est bien postérieur, 31 décembre, 138 00:09:23,733 --> 00:09:25,440 à la date de promulgation de la loi. 139 00:09:25,860 --> 00:09:29,111 Il n’empêche que toute l’année, j’ai pu légitimement penser 140 00:09:29,288 --> 00:09:31,940 que je bénéficierai du même avantage que l’année précédente. 141 00:09:31,955 --> 00:09:33,750 Rien ne pouvait me faire penser l’inverse. 142 00:09:34,590 --> 00:09:39,420 Je serais victime de cette situation de rétroactivité de fait, 143 00:09:39,900 --> 00:09:44,640 qui n’est pas tout à fait différente de celle que j’évoquais précédemment. 144 00:09:44,666 --> 00:09:49,911 Il y a toujours cette idée d’une sorte de parole remise en cause par le législateur. 145 00:09:50,130 --> 00:09:54,180 La différence tient simplement à une caractéristique technique 146 00:09:54,380 --> 00:09:56,610 d’un certain nombre d’impôts, tel que l’impôt sur le revenu, 147 00:09:56,622 --> 00:10:01,111 qui font que c’est à la fin d’une période prise en compte que l’on apprend 148 00:10:01,511 --> 00:10:06,800 quelles sont les règles qui doivent être appliquées, lié au fait générateur. 149 00:10:07,770 --> 00:10:12,888 Il se trouve que jusqu’à il y a très peu de temps, 2012, 2013, 150 00:10:13,777 --> 00:10:17,955 le Conseil constitutionnel considérait que les situations 151 00:10:18,000 --> 00:10:23,688 que je viens de décrire pouvaient sembler problématiques sur un plan éthique, 152 00:10:23,955 --> 00:10:28,680 sur un plan qui n’est pas celui de l’insécurité juridique, 153 00:10:28,755 --> 00:10:31,600 mais celui d’une sorte de prévisibilité dans l’application de la norme, 154 00:10:31,644 --> 00:10:35,200 mais que ce caractère éventuellement problématique n’impliquait 155 00:10:35,288 --> 00:10:37,555 aucune violation de la Constitution dans la mesure 156 00:10:37,600 --> 00:10:41,066 où aucun principe n’interdisait, au législateur, 157 00:10:41,200 --> 00:10:45,466 de changer la loi autant qu’il le souhaitait pour l’avenir, 158 00:10:45,511 --> 00:10:46,710 puisque précisément, 159 00:10:46,755 --> 00:10:51,090 il n’y a pas de rétroactivité de droit dans les situations que je viens d’indiquer. 160 00:10:51,150 --> 00:10:55,300 Juridiquement, il n’y avait pas de forme d’atteinte à ce principe 161 00:10:55,675 --> 00:11:02,040 de la non-rétroactivité de la loi fiscale. 162 00:11:02,311 --> 00:11:03,155 Il n’y avait pas de sujet. 163 00:11:05,511 --> 00:11:10,488 Néanmoins, c’est une évolution à mon sens  absolument considérable du droit positif 164 00:11:10,530 --> 00:11:14,711 parce que les impacts peuvent sembler, pour le moment, assez légers, limités et techniques, 165 00:11:14,711 --> 00:11:17,866 mais en réalité, c’est un changement philosophique majeur 166 00:11:18,355 --> 00:11:20,044 qui est en train de se produire depuis 2012. 167 00:11:20,177 --> 00:11:20,933 2012, pourquoi. 168 00:11:21,066 --> 00:11:22,533 Nous en parlerons un petit peu plus tard. 169 00:11:22,590 --> 00:11:26,311 C’est une décision du Conseil d’État prise sur le fondement non pas de la Constitution, 170 00:11:26,355 --> 00:11:28,044 mais de la Convention européenne des droits de l’homme,  171 00:11:28,040 --> 00:11:29,610 qui est à l’origine d’une évolution majeure, 172 00:11:29,880 --> 00:11:32,755 un arrêt Société EPI du Conseil d’État que nous verrons un peu plus tard, 173 00:11:32,755 --> 00:11:34,311 je n’en dis pas plus pour le moment. 174 00:11:34,844 --> 00:11:38,044 Il a été pour l'essentiel imité, pour l’essentiel, par le Conseil constitutionnel, 175 00:11:38,088 --> 00:11:44,711 dans une décision importante du 19 décembre 2013 qui, pour la première fois, 176 00:11:44,888 --> 00:11:48,488 vient consacrer sur le fondement de l’article 16 de la garantie des droits, 177 00:11:48,666 --> 00:11:50,190 article 16 de la DDHC 178 00:11:51,600 --> 00:11:54,844 - la formulation est un peu alambiquée, peut-être un peu ambiguë - 179 00:11:55,600 --> 00:12:07,333 que le législateur doit respecter les attentes légitimes des contribuables, 180 00:12:07,333 --> 00:12:10,088 au-delà des citoyens, le législateur, 181 00:12:10,088 --> 00:12:12,444 je vous lis l’extrait clé du considérant 182 00:12:12,577 --> 00:12:15,777 "ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant", 183 00:12:16,800 --> 00:12:21,955 ce qui signifie bien qu'il est possible quand même de ne pas respecter cette exigence 184 00:12:22,200 --> 00:12:24,680 dès lors qu’un motif d’intérêt général suffisant vient le justifier, 185 00:12:24,755 --> 00:12:27,511 mais sans motif d’intérêt général suffisant, 186 00:12:27,600 --> 00:12:31,740 il n’est plus possible de "porter atteinte aux situations légalement acquises, 187 00:12:31,940 --> 00:12:33,288 ni remettre en cause les effets 188 00:12:33,288 --> 00:12:37,530 qui peuvent légitimement être attendus de telles situations". 189 00:12:42,030 --> 00:12:46,444 Ce sont ces attentes légitimes qui sont protégées par le Conseil constitutionnel 190 00:12:46,577 --> 00:12:47,955 jusqu’à un certain point. 191 00:12:48,120 --> 00:12:50,430 Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? 192 00:12:50,577 --> 00:12:56,933 Dans l’affaire de 2013, était en cause une réforme du régime fiscal attachée, 193 00:12:57,066 --> 00:13:01,555 je simplifie un tout petit peu les choses, aux contrats d’assurance vie. 194 00:13:01,777 --> 00:13:06,888 L’idée de ces contrats, ce sont des contrats de très longue durée qui, dès l’origine, 195 00:13:06,933 --> 00:13:10,711 se sont vus attacher un régime fiscal favorable. 196 00:13:11,190 --> 00:13:13,866 L’idée, c’est qu’il y a vingt, trente ans, 197 00:13:13,866 --> 00:13:17,777 votre banquier a pu vous encourager à prendre une assurance vie en vous disant : 198 00:13:18,444 --> 00:13:20,490 "Au bout de trente ans, quand vous récupérerez le capital, 199 00:13:20,533 --> 00:13:24,630 vous ne serez pas imposé ou que faiblement imposé sur les revenus 200 00:13:25,290 --> 00:13:30,030 que vous percevrez à cette occasion, attachés au capital initial". 201 00:13:30,870 --> 00:13:36,800 Le législateur avait souhaité modifier ce régime fiscal en le rendant moins favorable. 202 00:13:37,590 --> 00:13:42,444 Il se trouve que le fait générateur de l’imposition étant effectivement postérieur 203 00:13:42,488 --> 00:13:46,488 à l’entrée en vigueur de la loi dans la mesure où c’est le dénouement du contrat, 204 00:13:46,533 --> 00:13:51,511 c’est la fin du contrat qui crée l’obligation fiscale, il n’y avait pas d’atteinte, 205 00:13:51,750 --> 00:13:54,177 il n’y avait pas de rétroactivité de droit à nouveau, 206 00:13:54,310 --> 00:13:59,466 mais une sorte d’atteinte à la parole donnée trente ou vingt ans auparavant 207 00:13:59,466 --> 00:14:00,311 par le législateur. 208 00:14:00,400 --> 00:14:02,580 Le Conseil constitutionnel, pour la première fois, 209 00:14:02,880 --> 00:14:09,466 accepte de contrôler s’il n’y a pas derrière cela, une atteinte disproportionnée 210 00:14:09,466 --> 00:14:13,333 ou plutôt non justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, 211 00:14:13,377 --> 00:14:15,960 à ces attentes légitimes du contribuable. 212 00:14:16,290 --> 00:14:20,290 Les contribuables pouvaient légitimement attendre bénéficier, 213 00:14:20,311 --> 00:14:22,711 espérer bénéficier de ce régime fiscal favorable. 214 00:14:23,310 --> 00:14:26,488 Le législateur en a souhaité différemment. 215 00:14:26,890 --> 00:14:28,890 Ce n’est pas impossible. 216 00:14:28,933 --> 00:14:29,900 Cela n’est pas exclu. 217 00:14:29,955 --> 00:14:34,088 Le législateur peut avoir une bonne raison de revenir sur un avantage fiscal, 218 00:14:34,266 --> 00:14:36,222 mais le Conseil constitutionnel s’en assure. 219 00:14:37,140 --> 00:14:39,111 En l’espèce, le Conseil constitutionnel estime 220 00:14:39,155 --> 00:14:42,666 qu’il n’existe aucun motif suffisant d’intérêt général 221 00:14:42,844 --> 00:14:44,910 pour justifier cette modification. 222 00:14:45,110 --> 00:14:48,177 Concrètement, c’est très inspiré de la jurisprudence CEDH, 223 00:14:48,177 --> 00:14:50,711 c’est pour cela que je suis un peu rapide là-dessus, on y reviendra plus tard, 224 00:14:50,730 --> 00:14:55,733 mais concrètement, le Conseil constitutionnel estime qu'en principe le seul motif financier, 225 00:14:55,777 --> 00:15:02,888 le fait de faire des économies, ne consiste pas, en lui seul, 226 00:15:03,070 --> 00:15:07,430 en un motif d’intérêt général suffisant qui permette de justifier une évolution 227 00:15:07,850 --> 00:15:09,500 de la législation de cette nature. 228 00:15:10,250 --> 00:15:12,440 Concrètement, in fine, ce que le Conseil indique, 229 00:15:12,444 --> 00:15:17,155 c’est que certes, le législateur, en revenant sur sa parole, 230 00:15:17,360 --> 00:15:20,133 l’a fait évidemment pour une raison financière. 231 00:15:20,300 --> 00:15:23,955 Cela ne constitue pas un motif d’intérêt général suffisant 232 00:15:24,400 --> 00:15:27,925 pour justifier d’une telle atteinte illégitime 233 00:15:28,425 --> 00:15:31,640 à des espérances qui étaient légitimes, espérance, 234 00:15:31,733 --> 00:15:37,600 attente légitime de voir le bénéfice de cet avantage fiscal maintenu 235 00:15:38,133 --> 00:15:40,444 jusqu’au terme initialement prévu. 236 00:15:40,870 --> 00:15:43,150 Voilà pour cette ébauche de contrôle. 237 00:15:43,244 --> 00:15:46,240 Encore une fois, cela peut vous sembler un peu vague, 238 00:15:46,266 --> 00:15:50,088 mais nous reviendrons sur cette problématique qui est extrêmement importante. 239 00:15:51,800 --> 00:15:52,844 Pour le dire d’un mot, 240 00:15:53,200 --> 00:15:56,355 la raison pour laquelle je crois que cette problématique est très importante, 241 00:15:57,244 --> 00:16:00,888 au-delà du cas particulier de ces avantages modifiés avant leur terme, 242 00:16:01,333 --> 00:16:05,466 c’est une sorte de révolution véritablement juridique 243 00:16:05,733 --> 00:16:09,022 du point de vue du Conseil constitutionnel et du point de vue du Conseil d’État 244 00:16:09,066 --> 00:16:18,755 qui conduit à prendre au sérieux le ressenti que des contribuables, des administrés, 245 00:16:18,888 --> 00:16:22,088 des citoyens peuvent avoir d’un certain nombre de textes. 246 00:16:22,355 --> 00:16:24,000 Au-delà de la règle objective 247 00:16:24,044 --> 00:16:28,800 selon laquelle le Parlement reste libre de modifier, pour l’avenir, des règles 248 00:16:28,888 --> 00:16:30,666 qu’il a adoptées dans le passé, 249 00:16:30,666 --> 00:16:35,822 c’est l’essence même de la démocratie qui est en cause, le fait que l’on puisse modifier, 250 00:16:36,310 --> 00:16:38,900 à la faveur d’un changement de majorité parlementaire 251 00:16:39,025 --> 00:16:41,420 les règles qui s’appliquaient dans le passé, 252 00:16:41,720 --> 00:16:45,410 cette évidence démocratique doit parfois trouver une limite, 253 00:16:45,710 --> 00:16:50,760 dans la prise en compte du ressenti des personnes à qui la règle s’adresse. 254 00:16:51,180 --> 00:16:54,533 Il y a quelque chose d’assez révolutionnaire en droit français derrière tout cela 255 00:16:54,577 --> 00:16:58,400 parce que c’est une manière d’assumer une forme de subjectivisation 256 00:16:58,533 --> 00:16:59,822 dans l’application de la règle. 257 00:16:59,840 --> 00:17:04,100 On prend en compte le sujet de la règle, le citoyen, le contribuable, 258 00:17:04,300 --> 00:17:06,770 le ressenti que le sujet a de cette règle. 259 00:17:07,511 --> 00:17:13,820 On baigne dans de la subjectivité, ce qui est assez contraire à l’esprit 260 00:17:14,150 --> 00:17:18,222 et aux valeurs sur lesquelles le droit français s’est construit depuis 1789, 261 00:17:18,266 --> 00:17:21,911 épris au contraire de l’égalité de traitement, 262 00:17:21,955 --> 00:17:25,550 donc d’objectivité et pas de prise en compte des situations individuelles, 263 00:17:25,780 --> 00:17:27,310 des ressentis individuels etc. 264 00:17:28,266 --> 00:17:33,422 Néanmoins, sous l’influence de la globalisation d’un certain nombre de règles, 265 00:17:33,510 --> 00:17:35,822 notamment du fait de l’entrée en vigueur 266 00:17:35,911 --> 00:17:37,866 et du développement de la Convention européenne des droits de l’homme, 267 00:17:37,911 --> 00:17:40,222 on assiste à ce genre d’évolutions très marquantes. 268 00:17:40,400 --> 00:17:43,066 Je reviendrai à plusieurs reprises sur ce cas. 269 00:17:43,830 --> 00:17:46,760 Avant cela, quelques mots, mais ce sera pour la prochaine fois, 270 00:17:46,844 --> 00:17:48,740 sur la rétroactivité de droit.