1 00:00:06,870 --> 00:00:13,600 Après en amont, pendant, il nous reste à examiner une dernière question, celle de l'aval. 2 00:00:14,490 --> 00:00:17,066 En aval du recours pour excès de pouvoir, 3 00:00:17,111 --> 00:00:20,400 le juge administratif est en effet doté aujourd'hui de prérogatives 4 00:00:20,755 --> 00:00:27,111 qui lui permettent de s'intéresser aux conséquences concrètes du jugement 5 00:00:27,244 --> 00:00:29,320 ou de l'arrêt qu'il rend. 6 00:00:30,720 --> 00:00:34,750 Ce fut là aussi pendant très longtemps l'un des grands talons d'Achille 7 00:00:35,925 --> 00:00:37,460 du recours pour excès de pouvoir. 8 00:00:38,650 --> 00:00:44,222 Le Conseil d'État s'est longtemps considéré 9 00:00:44,755 --> 00:00:50,177 comme devant limiter son travail de juge de l'excès de pouvoir 10 00:00:50,711 --> 00:00:56,266 à la simple et pure annulation de l'acte illégal attaqué. 11 00:00:57,066 --> 00:01:02,800 Et donc son travail de juge s'arrêtait avec la lecture du jugement. 12 00:01:03,860 --> 00:01:09,333 Il refusait délibérément de s'intéresser à l'après-jugement. 13 00:01:09,740 --> 00:01:17,644 Que se passait-il une fois que le justiciable,  muni de son jugement d'annulation,  14 00:01:18,044 --> 00:01:22,311 cherchait à obtenir l'exécution du jugement 15 00:01:22,577 --> 00:01:28,355 par l'administration entre guillemets "condamnée" par le juge de l'excès de pouvoir ? 16 00:01:30,520 --> 00:01:36,533 Or en pratique, notre administré pouvait éprouver les pires difficultés 17 00:01:36,770 --> 00:01:39,688 pour obtenir l'exécution du jugement d'annulation 18 00:01:40,133 --> 00:01:45,288 parce qu'il se trouvait confronté à une administration qui faisait la sourde oreille 19 00:01:45,555 --> 00:01:52,933 ou qui même délibérément, ignorait la décision d'annulation qui avait été rendue contre elle. 20 00:01:54,000 --> 00:01:59,288 Et donc en réalité,  l'après-jugement était un terrain 21 00:01:59,333 --> 00:02:02,000 où les pires comportements administratifs se voyaient 22 00:02:02,177 --> 00:02:03,555 et où l'on voyait en réalité 23 00:02:03,720 --> 00:02:08,622 une administration concrètement se moquer de la justice administrative,  24 00:02:08,660 --> 00:02:13,955 puisque l'administration n'exécutait  pas les décisions d'annulation. 25 00:02:14,160 --> 00:02:19,555 Il faut dire qu'il n'était pas toujours simple, 26 00:02:19,910 --> 00:02:25,377 pour une autorité administrative,  de savoir, en matière d'exécution,  27 00:02:25,733 --> 00:02:30,222 ce qu'impliquait l'annulation de l'acte administratif. 28 00:02:31,377 --> 00:02:37,600 Et puis par ailleurs, il y avait en aval un autre problème, 29 00:02:38,844 --> 00:02:44,533 à savoir que le jugement d'annulation est rétroactif. 30 00:02:45,180 --> 00:02:50,888 On fait comme si l'acte administratif illégal, annulé donc, n'avait jamais existé. 31 00:02:51,550 --> 00:02:59,244 Et cela évidemment pouvait entraîner de très profondes difficultés d'exécution. 32 00:02:59,377 --> 00:03:03,466 Alors aujourd'hui, ces deux questions sont résolues. 33 00:03:06,100 --> 00:03:09,333 Examinons donc d'abord la première problématique. 34 00:03:11,190 --> 00:03:19,688 Grâce au pouvoir d'injonction et d'astreinte que le législateur lui a conféré, 35 00:03:20,530 --> 00:03:29,022 le juge administratif de l'excès de pouvoir est désormais en mesure d'ordonner les mesures 36 00:03:29,022 --> 00:03:34,222 qu'implique l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt d'annulation. 37 00:03:35,660 --> 00:03:40,266 En effet, l'adoption de la loi du 8 février 1995,  38 00:03:41,200 --> 00:03:46,975 aujourd'hui codifiée aux articles L 911-1 et suivants du Code de justice administrative 39 00:03:47,822 --> 00:03:52,133 constitue un tournant décisif dans l'histoire du contentieux administratif 40 00:03:52,970 --> 00:03:59,250 parce que cette loi attribue à toutes les juridictions administratives 41 00:03:59,700 --> 00:04:01,910 le pouvoir d'ordonner elles-mêmes, 42 00:04:02,444 --> 00:04:04,222 à toutes les collectivités publiques 43 00:04:04,488 --> 00:04:07,244 comme aux personnes privées chargées d'une mission de service public, 44 00:04:08,266 --> 00:04:14,400 les mesures qu'implique l'exécution d'une décision de la justice administrative, 45 00:04:15,110 --> 00:04:21,688 et au besoin en assortissant ces décisions de délais d'exécution 46 00:04:21,777 --> 00:04:25,022 et de menaces de condamnation pécuniaire 47 00:04:25,511 --> 00:04:29,466 sous la forme de ce qu'on appelle une astreinte. 48 00:04:30,510 --> 00:04:37,688 Or ce pouvoir d'injonction éventuellement assorti d'astreinte 49 00:04:38,355 --> 00:04:41,460 change tout en matière d'excès de pouvoir, 50 00:04:43,244 --> 00:04:46,044 parce qu'il n'est pas toujours évident 51 00:04:47,333 --> 00:04:54,577 de savoir ce qu'implique l'exécution d'un jugement d'annulation. 52 00:04:56,260 --> 00:05:02,577 Et donc ici, le juge administratif est donc désormais 53 00:05:02,577 --> 00:05:09,644 en mesure de tirer les conséquences concrètes de ces jugements d'annulation. 54 00:05:11,680 --> 00:05:16,622 Conformément à l'article L 911-1  du Code de justice administrative,  55 00:05:17,240 --> 00:05:26,475 le juge administratif peut d'abord ordonner à l'administration de prendre la mesure  56 00:05:26,925 --> 00:05:31,240 qu'implique nécessairement l'exécution d'un jugement d'annulation. 57 00:05:34,800 --> 00:05:45,244 En effet, imaginons que l'administration soit en situation de pouvoir ou de compétence liée,  58 00:05:45,911 --> 00:05:47,688 elle n'a pas le choix de la décision. 59 00:05:49,000 --> 00:05:50,444 Prenons un exemple,  60 00:05:50,660 --> 00:05:57,333 l'annulation d'un refus d'abrogation obligatoire d'un règlement illégal, 61 00:05:57,640 --> 00:06:00,933 l'annulation du refus, pourtant, 62 00:06:02,266 --> 00:06:09,111 de prendre obligatoirement l'abrogation d'un règlement illégal,  63 00:06:09,688 --> 00:06:13,955 vaut donc obligation de l'abroger. 64 00:06:15,840 --> 00:06:20,133 L'annulation d'un refus de prendre obligatoirement une position 65 00:06:21,111 --> 00:06:26,577 ou une décision positive vaut obligation de prendre la décision positive. 66 00:06:28,800 --> 00:06:36,666 Et donc ici, le juge peut, dans son jugement d'annulation, dès lors que celui-ci,  67 00:06:36,660 --> 00:06:41,955 dès lors que le recours pour excès de pouvoir a été assorti d'une demande d'injonction, 68 00:06:42,310 --> 00:06:46,311 notre juge de l'excès de pouvoir va pouvoir dire dans la même décision : 69 00:06:46,311 --> 00:06:54,355 "j'annule cette décision et cette annulation implique l'obligation dans tel délai, 70 00:06:54,533 --> 00:06:56,711  éventuellement sous astreinte,  71 00:06:56,711 --> 00:07:01,111 c'est-à-dire sous risque de condamnation pécuniaire 72 00:07:01,333 --> 00:07:03,822 par jour de retard avant l'exécution de ma décision, 73 00:07:04,266 --> 00:07:09,466 ma décision d'annulation vaut l'obligation de prendre telle décision". 74 00:07:09,760 --> 00:07:14,177 Prenons un exemple en matière de contentieux des étrangers. 75 00:07:15,360 --> 00:07:22,222 L'annulation d'un refus d'une délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire 76 00:07:22,533 --> 00:07:24,400 à un étranger qui a le droit, 77 00:07:28,480 --> 00:07:40,577 l'annulation de ce refus vaut obligation de lui délivrer le titre de séjour auquel il a le droit. 78 00:07:41,150 --> 00:07:46,355 Donc dans son jugement d'annulation,  le juge administratif va ainsi pouvoir, 79 00:07:46,400 --> 00:07:49,866 après avoir annulé le refus,  indiquer à l'administration 80 00:07:50,070 --> 00:07:53,111 quelle est la mesure qu'elle doit prendre 81 00:07:53,200 --> 00:07:56,755 afin de tirer toutes les conséquences de l'annulation prononcée. 82 00:07:58,700 --> 00:08:07,955 L'article L 911-2 du Code de justice administrative offre une seconde option. 83 00:08:09,170 --> 00:08:17,511 Dans l'hypothèse où l'administration disposait,  dans l'exercice de son pouvoir de décision, 84 00:08:17,911 --> 00:08:22,800 d'une marge de manœuvre, bref,  d'un pouvoir discrétionnaire, 85 00:08:24,044 --> 00:08:32,800 eh bien dans ce cas, le juge, certes ne peut pas dire à l'administration 86 00:08:33,511 --> 00:08:36,622 quelle est la décision qu'elle doit prendre, 87 00:08:36,930 --> 00:08:41,600 mais au moins, le juge peut-il ordonner à l'administration 88 00:08:42,044 --> 00:08:47,777 le réexamen de la décision annulée après nouvelle instruction. 89 00:08:48,690 --> 00:08:54,533 Exemple, si je reprends mon exemple du droit des étrangers,  90 00:08:54,840 --> 00:09:03,900 l'annulation d'une mesure illégale d'éloignement du territoire est sans effet 91 00:09:04,600 --> 00:09:13,370 sur la légalité des décisions relatives au droit au séjour sur le sol français, 92 00:09:13,460 --> 00:09:14,755 mais malgré tout, 93 00:09:15,511 --> 00:09:22,533 puisque la mesure d'éloignement du territoire a été illégale et donc annulée, 94 00:09:23,377 --> 00:09:29,688 son annulation implique non certes pas de délivrer à l'étranger un titre de séjour, 95 00:09:29,911 --> 00:09:35,644 mais au moins, d'ordonner à l'administration de réexaminer la situation de l'étranger 96 00:09:35,950 --> 00:09:41,955 et peut-être même dans l'attente de lui délivrer une autorisation temporaire de séjour. 97 00:09:42,133 --> 00:09:45,600 Donc vous le voyez, au fond, peu importe, 98 00:09:47,150 --> 00:09:53,688 soit le juge administratif va disposer du pouvoir d'enjoindre,  99 00:09:53,770 --> 00:09:57,288 d'ordonner à l'administration de prendre la décision 100 00:09:57,377 --> 00:10:00,755 qu'implique nécessairement l'annulation prononcée, 101 00:10:00,970 --> 00:10:08,800 soit au moins de réexaminer la situation du requérant pour déterminer 102 00:10:08,888 --> 00:10:13,244 quelle est ou quelle nouvelle décision doit être prise. 103 00:10:13,810 --> 00:10:17,377 Mais dans les deux cas,  c'est une véritable révolution, 104 00:10:17,740 --> 00:10:22,000 car désormais, dans les jugements d'annulation,  105 00:10:22,000 --> 00:10:24,177 dans les arrêts d'annulation pour excès de pouvoir,  106 00:10:24,533 --> 00:10:28,088 nous pouvons voir à la condition évidemment que le requérant l'ait demandé, 107 00:10:28,444 --> 00:10:33,777 nous pouvons voir un juge administratif, outre le prononcé de l'annulation, 108 00:10:34,050 --> 00:10:40,888 indiquer ensuite les conséquences concrètes pour l'administration 109 00:10:40,990 --> 00:10:44,488 à tirer de l'exécution de la décision d'annulation. 110 00:10:45,000 --> 00:10:50,177 Et ceci est si vrai que dans les années qui ont suivi la loi de 1995, 111 00:10:50,970 --> 00:10:54,133 le juge administratif s'est senti désinhibé  112 00:10:54,400 --> 00:10:56,222 et donc s'est même permis 113 00:10:56,622 --> 00:11:00,355 de faire ce qu'on a appelé des injonctions prétoriennes pédagogiques. 114 00:11:00,670 --> 00:11:07,555 Autrement dit, on ne se situe pas dans le cadre formel de l'article L 911-1 ou L 911-2, 115 00:11:07,680 --> 00:11:12,044 il n'y a pas de requête en injonction déposée par le justiciable 116 00:11:12,088 --> 00:11:14,800 pour accompagner sa demande d'annulation, 117 00:11:15,040 --> 00:11:20,977 mais cela n'empêche pas au juge administratif, dans les motifs de son arrêt, 118 00:11:21,150 --> 00:11:26,755 alors même que le requérant ne lui a rien demandé, de pouvoir dire pédagogiquement,  119 00:11:26,977 --> 00:11:31,288 de pouvoir expliciter à l'encontre de l'administration 120 00:11:32,000 --> 00:11:34,711 les conséquences qu'il conviendra de tirer,  121 00:11:35,200 --> 00:11:37,822 les conséquences concrètes qu'il conviendra de tirer 122 00:11:37,866 --> 00:11:41,980 de l'annulation de l'acte administratif attaqué. 123 00:11:42,280 --> 00:11:45,955 Et dans une série d'arrêts du début des années 2000,  124 00:11:46,088 --> 00:11:50,977 notamment des arrêts Vassilikiotis de 2001 ou Titran également de 2001,  125 00:11:51,200 --> 00:11:58,088 le Conseil d'État s'est permis lui-même de dire,  126 00:11:58,088 --> 00:12:04,177 dans les motifs de sa décision d'excès de pouvoir,  127 00:12:04,620 --> 00:12:09,466 de dire quelles sont au fond les conséquences qu'implique l'annulation 128 00:12:09,511 --> 00:12:11,460 de la décision administrative attaquée. 129 00:12:11,860 --> 00:12:15,511 Donc nous pouvons dire aujourd'hui que tout a été fait en contentieux administratif  130 00:12:15,600 --> 00:12:16,622 de l'excès de pouvoir 131 00:12:16,888 --> 00:12:22,533 pour essayer que le juge puisse s'intéresser à l'après-jugement 132 00:12:22,933 --> 00:12:28,088 et notamment dire à l'administration ce qu'elle doit faire face à un jugement 133 00:12:28,266 --> 00:12:30,730 qui a prononcé l'annulation de sa décision. 134 00:12:32,900 --> 00:12:36,444 Je vous l'ai dit, en aval il y a un deuxième problème,  135 00:12:37,022 --> 00:12:43,244 c'est le caractère invariablement rétroactif de l'annulation. 136 00:12:44,890 --> 00:12:47,200 L'acte est censé n'avoir jamais existé. 137 00:12:47,440 --> 00:12:49,822 En théorie, c'est là une bien belle chose. 138 00:12:50,830 --> 00:12:52,266 C'est là une très belle sanction. 139 00:12:53,377 --> 00:12:56,755 C'est, on pourrait dire, la meilleure sanction qu'on puisse faire à l'administration,  140 00:12:56,800 --> 00:12:58,755 elle s'est mal comportée, elle a commis une irrégularité, 141 00:12:58,755 --> 00:13:02,488 elle a méconnu, elle a violé le droit, eh bien son acte, il disparaît. 142 00:13:04,290 --> 00:13:06,800 Il est retiré de l'ordonnancement juridique. 143 00:13:08,260 --> 00:13:12,222 Oui d'accord, mais cette opération de disparition, 144 00:13:12,933 --> 00:13:14,533 elle n'est pas si simple en pratique, 145 00:13:15,280 --> 00:13:19,822 et elle peut en réalité engendrer même des difficultés. 146 00:13:20,430 --> 00:13:23,244 Cette fois-ci, ce n'est pas le législateur qui va les résoudre, 147 00:13:23,370 --> 00:13:27,111 c'est le Conseil d'Etat dans évidemment ce qui constitue un des grands arrêts 148 00:13:27,822 --> 00:13:31,555 de la fin de ces dernières années,  du tout début du 21e siècle. 149 00:13:31,860 --> 00:13:39,288 Je veux parler ici de l'arrêt du Conseil d'État d'Assemblée du 11 mai 2004, 150 00:13:39,422 --> 00:13:41,911 l'arrêt Association AC !. 151 00:13:42,711 --> 00:13:46,000 Dans cette affaire, le Conseil d'État avait été saisi d'un recours pour excès de pouvoir 152 00:13:46,000 --> 00:13:49,066 dirigé contre des arrêtés ministériels qui approuvaient des avenants 153 00:13:49,155 --> 00:13:54,000 aux conventions d'assurance chômage conclues entre les partenaires sociaux. 154 00:13:54,240 --> 00:14:01,733 Or, ces arrêtés ministériels d'approbation étaient entachés d'illégalité. 155 00:14:03,240 --> 00:14:07,377 Donc si on me suit bien, ils devaient être annulés. 156 00:14:08,030 --> 00:14:11,155 S'ils étaient annulés,  ils n'avaient jamais été pris. 157 00:14:11,450 --> 00:14:15,777 Cela voulait donc dire qu'il n'y avait aucun fondement juridique 158 00:14:16,040 --> 00:14:21,333 à tous les versements qui avaient été effectués antérieurement 159 00:14:21,511 --> 00:14:27,688 aux millions de cotisants et de bénéficiaires des indemnités chômage. 160 00:14:28,100 --> 00:14:31,200 Ce qui aurait voulu donc dire,  si on va au bout de la rétroactivité,  161 00:14:31,340 --> 00:14:36,355 que tous les chômeurs auraient dû rembourser les allocations chômage qu'ils avaient perçues 162 00:14:36,480 --> 00:14:38,444 sur le fondement de conventions 163 00:14:38,488 --> 00:14:41,200 qui n'avaient pas été approuvées régulièrement par le ministre. 164 00:14:42,250 --> 00:14:48,000 Évidemment, nous avons ici une situation totalement absurde,  165 00:14:48,088 --> 00:14:52,844 une conséquence absurde d'une logique juridique poussée jusqu'au bout. 166 00:14:53,240 --> 00:14:54,133 Ici, on voit bien,  167 00:14:54,222 --> 00:15:00,530 l'annulation rétroactive est en réalité source d'une véritable insécurité juridique. 168 00:15:01,440 --> 00:15:04,711 Et c'est pourquoi pour la première fois dans cet arrêt,  169 00:15:05,111 --> 00:15:11,644 le Conseil d'État va choisir de s'octroyer 170 00:15:11,970 --> 00:15:17,688 et d'octroyer au juge administratif de manière générale, de manière prétorienne,  171 00:15:17,910 --> 00:15:25,822 la prérogative de moduler les effets dans le temps d'une annulation contentieuse, 172 00:15:28,666 --> 00:15:31,644 à la fois en réputant définitifs  173 00:15:32,622 --> 00:15:38,266 les effets produits dans le passé par certaines dispositions illégales 174 00:15:38,990 --> 00:15:41,600 et surtout en se permettant de différer, 175 00:15:41,955 --> 00:15:47,155 de repousser le point de départ du jugement d'annulation, 176 00:15:47,680 --> 00:15:53,422 autrement dit en faisant démarrer l'annulation à une date postérieure à l'arrêt,  177 00:15:53,733 --> 00:15:58,533 afin, vous voyez l'idée, que l'administration ait le temps de se retourner,  178 00:15:58,930 --> 00:16:03,155 de prendre un nouvel acte cette fois-ci légal et qu'ainsi,  179 00:16:03,466 --> 00:16:07,910 soit neutralisé l'effet rétroactif du jugement d'annulation. 180 00:16:09,320 --> 00:16:15,000 Cet arrêt Association AC ! est donc un très grand évènement 181 00:16:15,400 --> 00:16:17,420 dans l'histoire du contentieux administratif 182 00:16:17,866 --> 00:16:23,466 parce que le Conseil d'État accorde à tout juge administratif  183 00:16:23,600 --> 00:16:29,688 la possibilité de moduler les effets dans le temps d'une annulation contentieuse,  184 00:16:30,355 --> 00:16:33,955 en disant, soit que l'annulation n'aura pas d'effet rétroactif, 185 00:16:35,020 --> 00:16:42,666 autrement dit on sécurise dans le passé les effets produits par l'acte qu'on va annuler 186 00:16:42,666 --> 00:16:44,666 et l'annulation ne vaudra que pour l'avenir,  187 00:16:44,933 --> 00:16:49,377 ou même en décidant de différer la date d'entrée en vigueur de l'annulation  188 00:16:49,460 --> 00:16:54,825 en disant par exemple que mon arrêt du 11 mai 2004 n'entrera en vigueur 189 00:16:54,820 --> 00:16:55,875 que le 1er septembre. 190 00:16:56,310 --> 00:16:57,925 Et ainsi entre-temps, 191 00:16:58,100 --> 00:17:01,000 eh bien l'administration va avoir le temps de se retourner 192 00:17:01,200 --> 00:17:03,688 et de reprendre un acte illégal. 193 00:17:03,990 --> 00:17:11,475 Donc nous voyons bien ici que l'arrêt Association AC ! constitue là aussi 194 00:17:11,625 --> 00:17:17,020 l'exemple typique d'un juge administratif moderne qui à la fin du 20e siècle,  195 00:17:17,060 --> 00:17:24,488 début du 21e siècle, comme dans l'arrêt El Bahi, comme dans l'arrêt Hallal, 196 00:17:24,622 --> 00:17:30,755 comme par le référé suspension,  comme par le pouvoir d'injonction, 197 00:17:30,933 --> 00:17:34,711 nous sommes en présence d'un juge administratif de l'excès de pouvoir 198 00:17:34,933 --> 00:17:40,355 qui a considéré que son rôle ne se bornait pas à annuler l'acte illégal, 199 00:17:40,540 --> 00:17:42,888 mais à gérer l'après jugement, 200 00:17:43,066 --> 00:17:46,844 les conséquences concrètes de l'annulation prononcée par le juge. 201 00:17:47,110 --> 00:17:50,400 Il faut s'intéresser à ce qui se passe après. 202 00:17:52,130 --> 00:17:56,050 La portée de la jurisprudence Association AC ! ne doit pas pour autant être surestimée. 203 00:17:56,210 --> 00:17:59,066 D'une part, et vous pourrez le lire, dans l'arrêt Association AC !,  204 00:17:59,150 --> 00:18:00,977 le Conseil d'État rappelle 205 00:18:00,977 --> 00:18:06,666 que le caractère rétroactif d'une annulation juridictionnelle demeure le principe 206 00:18:07,110 --> 00:18:12,222 et que donc la modulation dans le temps est tout simplement une exception laissée 207 00:18:12,266 --> 00:18:13,688 à la discrétion du juge. 208 00:18:14,420 --> 00:18:18,140 D'autre part, l'exercice d'un tel pouvoir n'est pas sans limites. 209 00:18:19,940 --> 00:18:22,844 Comme l'indique lui-même l'arrêt Association AC !, 210 00:18:22,930 --> 00:18:24,755 le juge est évidemment d'abord tenu 211 00:18:25,155 --> 00:18:27,777 de recueillir préalablement les observations des parties. 212 00:18:29,080 --> 00:18:31,511 Il doit avoir épuisé tous les moyens de légalité, 213 00:18:31,955 --> 00:18:35,377 ceux soulevés par les parties comme ceux relevés d'office. 214 00:18:35,740 --> 00:18:38,844 Surtout, le juge ne peut user d'un tel pouvoir 215 00:18:39,155 --> 00:18:43,777 qu'après avoir effectué un bilan de proportionnalité,  216 00:18:43,911 --> 00:18:50,088 c'est-à-dire avoir pesé minutieusement les avantages et les inconvénients respectifs 217 00:18:50,470 --> 00:18:55,330 d'une annulation rétroactive et d'une annulation sans rétroactivité 218 00:18:55,630 --> 00:18:58,088 et différée dans le temps. 219 00:19:00,260 --> 00:19:06,222 Et il doit faire ce bilan au regard de divers paramètres, les intérêts publics et privés, 220 00:19:06,311 --> 00:19:08,080 mais aussi l'intérêt général. 221 00:19:08,210 --> 00:19:13,555 Et donc ce n'est que si cette mise en balance des avantages 222 00:19:13,555 --> 00:19:15,733 et des inconvénients fait apparaître 223 00:19:16,222 --> 00:19:21,022 que l'annulation rétroactive entraînerait des effets excessivement néfastes 224 00:19:21,555 --> 00:19:27,200 que le juge peut alors décider de mettre en œuvre son pouvoir de modulation 225 00:19:27,333 --> 00:19:30,533 dans le temps des effets de son annulation. 226 00:19:32,670 --> 00:19:34,755 Donc rien d'automatique. 227 00:19:35,730 --> 00:19:38,044 Au fond, le principe n'est pas changé, 228 00:19:38,444 --> 00:19:43,155 mais de manière intéressante, le juge administratif se décide tout de même, 229 00:19:43,240 --> 00:19:47,511 le juge administratif de l'excès de pouvoir se décide de sortir, vous le voyez,  230 00:19:47,644 --> 00:19:50,088 d'une vision binaire de son office. 231 00:19:50,220 --> 00:19:52,860 L'acte est légal, je rejette le recours. 232 00:19:53,130 --> 00:19:57,822 L'acte est illégal, j'annule et je fais donc tout disparaître. 233 00:19:58,710 --> 00:20:02,340 Entre ces deux options, un acte peut être entaché d'illégalité, 234 00:20:02,540 --> 00:20:04,755 mais l'illégalité peut-être sans portée. 235 00:20:05,030 --> 00:20:08,266 Il y a des annulations inutiles, autant s'en dispenser. 236 00:20:08,680 --> 00:20:12,711 Et puis ici, il y a des annulations qui peuvent entraîner en fait des effets néfastes 237 00:20:12,755 --> 00:20:15,377 en raison de leur caractère rétroactif 238 00:20:15,422 --> 00:20:18,933 et donc il appartient à un juge moderne, un juge du 21e siècle,  239 00:20:18,977 --> 00:20:21,911 de s'intéresser aux effets concrets de ses décisions 240 00:20:21,910 --> 00:20:27,111 et notamment lorsque l'annulation entraînerait des effets néfastes,  241 00:20:27,155 --> 00:20:28,577 excessivement néfastes, 242 00:20:29,310 --> 00:20:33,688 il revient à un juge ancré dans la réalité de dire dans ce cas là : 243 00:20:33,840 --> 00:20:36,044 "j'annule, oui puisque l'acte est illégal,  244 00:20:36,222 --> 00:20:38,488 mais mon annulation ne vaut pas pour le passé, 245 00:20:38,577 --> 00:20:42,000 mais que pour l'avenir et je me permets même de différer 246 00:20:42,177 --> 00:20:47,155 à une date ultérieure l'entrée en vigueur de mon jugement d'annulation". 247 00:20:47,430 --> 00:20:52,622 Vous le voyez donc, c'est bien en matière d'office de l'annulation 248 00:20:52,680 --> 00:20:55,244 que nous avons assisté dans les dernières années 249 00:20:55,288 --> 00:20:59,200 à une véritable mutation du juge de l'excès de pouvoir.