1 00:00:07,170 --> 00:00:12,150 Après avoir examiné les qualités inhérentes à tout juge digne de ce nom 2 00:00:12,150 --> 00:00:17,675 que l'on attend d'un juge,  l'indépendance et l'impartialité,  3 00:00:17,770 --> 00:00:20,450 je voudrais maintenant insister plus spécifiquement 4 00:00:20,450 --> 00:00:24,275 pour la présentation du statut du juge administratif français sur les qualités 5 00:00:24,270 --> 00:00:27,275 qui sont véritablement propres à la juridiction administrative française,  6 00:00:27,600 --> 00:00:32,875 qui lui sont singulières et qu'on ne retrouve pas dans d'autres États étrangers 7 00:00:32,870 --> 00:00:34,525 et même dans des systèmes juridiques proches, 8 00:00:34,550 --> 00:00:38,025 même là où il existe des juridictions administratives,  9 00:00:38,225 --> 00:00:40,975 comme dans de nombreux pays européens par exemple. 10 00:00:42,800 --> 00:00:46,775 Ces deux qualités qui sont vraiment propres au système français et on va voir pourquoi, 11 00:00:46,825 --> 00:00:51,225 c'est à la fois la séparation à l'égard du juge judiciaire 12 00:00:51,220 --> 00:00:55,100 et le cumul de fonctions administratives et juridictionnelles. 13 00:00:55,800 --> 00:00:59,750 Première qualité, vous le savez, première caractéristique fondamentale,  14 00:00:59,750 --> 00:01:03,525 la séparation à l'égard du juge judiciaire. 15 00:01:03,840 --> 00:01:07,175 Nous l'avons déjà examiné, nous l'avons présenté de manière générale :  16 00:01:07,290 --> 00:01:09,475 en France, il n'y a pas des juridictions administratives 17 00:01:09,470 --> 00:01:12,675 comme il y a des tribunaux de commerce ou des conseils de prud'hommes. 18 00:01:13,530 --> 00:01:18,550 Nous avons bien affaire à un ordre juridictionnel totalement distinct,  19 00:01:18,750 --> 00:01:22,500 totalement séparé de l'ordre judiciaire. 20 00:01:22,920 --> 00:01:26,975 La formation des magistrats n'est pas la même,  l'origine des magistrats n'est pas la même, 21 00:01:26,970 --> 00:01:29,050 la carrière des juges n'est pas la même. 22 00:01:29,100 --> 00:01:35,925 Nous avons véritablement affaire à deux ordres  qui chacun ont leur propre juridiction suprême, 23 00:01:35,920 --> 00:01:40,625 la Cour de cassation pour l'ordre judiciaire,  le Conseil d'État pour l'ordre administratif. 24 00:01:40,650 --> 00:01:45,425 Donc tout ceci, nous le savons, nous l'avons présenté. 25 00:01:45,420 --> 00:01:53,700 C'est cette caractéristique française d'une véritable dualité de juridictions. 26 00:01:57,000 --> 00:01:58,550 Je voudrais simplement ici revenir 27 00:01:59,250 --> 00:02:03,375 et m'attarder un peu plus sur la question du pourquoi. 28 00:02:03,990 --> 00:02:06,350 Pourquoi cette singularité ? 29 00:02:07,075 --> 00:02:11,225 Alors il n'y a pas de longues explications à chercher. 30 00:02:11,730 --> 00:02:15,450 L'origine, l'explication, elle  est principalement historique. 31 00:02:16,590 --> 00:02:20,850 Elle est principalement historique, mais l'histoire est assez intéressante. 32 00:02:21,450 --> 00:02:26,950 A l'origine, ce que le droit français a voulu de consacrer avec fermeté, 33 00:02:27,400 --> 00:02:34,550 ce sur quoi le droit français a véritablement voulu insister, 34 00:02:34,875 --> 00:02:38,650 ce n'est pas la séparation du juge judiciaire et du juge administratif, 35 00:02:39,025 --> 00:02:43,825 c'est la séparation du juge judiciaire et de l'administration. 36 00:02:45,210 --> 00:02:47,750 Nous avons en effet deux textes classiques 37 00:02:47,750 --> 00:02:50,625 qui vont vous donner tout de suite une clé d'explication. 38 00:02:51,650 --> 00:02:58,325 Ces deux textes classiques, c'est d'abord l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 qui ? 39 00:02:58,320 --> 00:03:03,622 je cite, énonce : " Les fonctions judiciaires sont distinctes 40 00:03:03,622 --> 00:03:07,650 et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. 41 00:03:08,190 --> 00:03:10,825 Les juges ne pourront à peine de forfaiture 42 00:03:11,020 --> 00:03:14,975 troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs 43 00:03:15,450 --> 00:03:20,650 ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions". 44 00:03:21,620 --> 00:03:24,600 Article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 45 00:03:24,600 --> 00:03:30,700 qui va être repris notamment dans un décret du 16 fructidor An III. 46 00:03:30,800 --> 00:03:35,325 C'est le 2 septembre 1795 en calendrier républicain : 47 00:03:35,675 --> 00:03:41,000 "Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration 48 00:03:41,075 --> 00:03:44,375 de quelques espèces qu'ils soient aux peines de droit". 49 00:03:45,375 --> 00:03:48,400 Alors que voyons-nous ici ? 50 00:03:49,325 --> 00:03:50,675 Nous voyons qu'ici,  51 00:03:51,625 --> 00:03:55,425 les révolutionnaires français ont voulu inscrire dans le marbre 52 00:03:55,650 --> 00:03:58,225 un principe auquel ils étaient très attachés : 53 00:03:58,375 --> 00:04:04,500 l'interdiction pour le juge judiciaire de s'immiscer dans les affaires administratives. 54 00:04:05,440 --> 00:04:07,425 Et en réalité dans les affaires administratives,  55 00:04:07,420 --> 00:04:09,875 c'est-à-dire dans les affaires du pouvoir exécutif. 56 00:04:10,600 --> 00:04:18,725 Car en réalité, cet article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 n'est rien d'autre qu'une application, 57 00:04:18,720 --> 00:04:22,775 mais une application très poussée, de la théorie la séparation des pouvoirs, 58 00:04:23,020 --> 00:04:25,225 au point qu'il n'est pas rare que l'on parle souvent 59 00:04:25,225 --> 00:04:27,750 de conception française de la séparation des pouvoirs,  60 00:04:27,970 --> 00:04:32,575 parce qu'il y a une attention toute particulière des révolutionnaires français 61 00:04:32,650 --> 00:04:38,150 sur une très très très stricte séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire,  62 00:04:38,510 --> 00:04:41,775 et le pouvoir exécutif, vous le savez, dans la tradition française, 63 00:04:41,770 --> 00:04:45,650 c'est l'administration, ou l'administration,  c'est le pouvoir exécutif. 64 00:04:46,350 --> 00:04:48,550 Et ici, ce qu'on ne veut pas,  65 00:04:48,850 --> 00:04:53,825 c'est que le juge judiciaire vienne se mêler des affaires administratives. 66 00:04:54,030 --> 00:04:54,790 Pourquoi ? 67 00:04:55,125 --> 00:04:57,300 Parce que les révolutionnaires,  68 00:04:57,400 --> 00:05:00,975 qui pour la plupart étaient d'anciens avocats sous l'Ancien Régime,  69 00:05:01,400 --> 00:05:10,250 avaient gardé une véritable hostilité à l'encontre des juridictions de l'Ancien Régime 70 00:05:10,250 --> 00:05:14,625 et notamment des juridictions d'appel qu'on appelait alors les Parlements, 71 00:05:14,775 --> 00:05:21,225 les Parlements d'Ancien régime, et qui étaient composés de juges inamovibles,  72 00:05:21,220 --> 00:05:22,925 titulaires de leur charge,  73 00:05:23,300 --> 00:05:32,250 et qui avaient freiné énormément de tentatives de réforme de la part du pouvoir royal. 74 00:05:33,270 --> 00:05:38,350 Ces juridictions d'Ancien Régime étaient considérées comme des lieux 75 00:05:38,600 --> 00:05:41,920 de conservatisme total et d'immobilisme 76 00:05:42,025 --> 00:05:47,250 qui avaient empêché finalement le pouvoir politique royal de se réformer 77 00:05:47,250 --> 00:05:49,625 et de proposer de nouvelles évolutions. 78 00:05:50,275 --> 00:05:53,700 Et notamment, vous l'avez appris, je ne vais pas ici m'appesantir,  79 00:05:55,075 --> 00:06:00,400 ces Parlements avaient un droit d'enregistrement des actes législatifs royaux 80 00:06:00,450 --> 00:06:03,375 et pouvaient faire à cette occasion des observations, des remarques, 81 00:06:03,370 --> 00:06:06,075 des remontrances comme on disait dans le vocabulaire de l'époque. 82 00:06:06,425 --> 00:06:07,350 Et puis parallèlement,  83 00:06:07,350 --> 00:06:10,475 ces juridictions avaient également des fonctions administratives. 84 00:06:10,470 --> 00:06:11,525 À l'occasion d'un litige,  85 00:06:11,520 --> 00:06:14,675 ils pouvaient en profiter pour édicter une règle générale et impersonnelle 86 00:06:14,750 --> 00:06:17,425 et on appelait ça "rendre des arrêts de règlement". 87 00:06:17,420 --> 00:06:21,225 Et tout cela, les révolutionnaires français l'avaient en horreur absolue. 88 00:06:21,220 --> 00:06:25,750 Pour eux, c'était l'une des causes de l'impossibilité pour le pouvoir royal d'évoluer, 89 00:06:25,750 --> 00:06:26,600 de se réformer. 90 00:06:26,850 --> 00:06:32,425 Et donc ils étaient très attachés à l'idée que pour que l'ordre nouveau fonctionne,  91 00:06:32,420 --> 00:06:34,150 pour que la révolution marche,  92 00:06:34,150 --> 00:06:38,775 il fallait absolument qu'un juge reste dans le périmètre de sa fonction de juge : 93 00:06:38,770 --> 00:06:42,950 un juge, c'est un juge civil, ça tranche des litiges entre particuliers, 94 00:06:42,950 --> 00:06:44,300 c'est un juge pénal,  95 00:06:44,300 --> 00:06:47,975 ça prononce des condamnations lorsque des infractions sont commises, 96 00:06:47,970 --> 00:06:50,450 mais c'est tout, ça ne fait rien d'autre. 97 00:06:50,450 --> 00:06:52,875 Et notamment, ça n'intervient pas du tout,  98 00:06:52,870 --> 00:06:59,425 ça ne s'immisce pas du tout dans les activités du pouvoir exécutif et de son administration. 99 00:06:59,850 --> 00:07:07,050 D'où les textes que je vous ai énoncés qui posent un principe très strict de séparation, 100 00:07:07,050 --> 00:07:09,075 mais en réalité, ce n'est pas une séparation,  101 00:07:09,070 --> 00:07:11,250 c'est une interdiction qui est prononcée surtout, 102 00:07:11,450 --> 00:07:15,400 et une interdiction à l'égard d'une autorité, l'autorité judiciaire. 103 00:07:16,470 --> 00:07:20,425 Les juges judiciaires ne pourront pas s'immiscer 104 00:07:20,420 --> 00:07:24,600 dans les affaires du pouvoir exécutif et de l'administration. 105 00:07:25,840 --> 00:07:26,425 Donc là déjà,  106 00:07:26,420 --> 00:07:30,000 c'est le premier élément de cette conception française de la séparation des pouvoirs. 107 00:07:30,000 --> 00:07:33,500 On s'intéresse plus spécifiquement entre les trois pouvoirs 108 00:07:33,675 --> 00:07:37,250 à la question de la séparation très nette entre exécutif et judiciaire. 109 00:07:38,220 --> 00:07:41,450 Mais quand on parle de séparation française des pouvoirs, 110 00:07:41,450 --> 00:07:43,675 de conception française de la séparation des pouvoirs,  111 00:07:43,670 --> 00:07:46,850 ce qui a un accent un peu un peu patriotique et chauvin, 112 00:07:47,275 --> 00:07:50,325 on veut en fait parler de la suite de l'histoire. 113 00:07:50,750 --> 00:07:55,230 C'est que sous Napoléon et puis au début de la Restauration, 114 00:07:55,230 --> 00:07:57,975 de la Monarchie de Juillet, bref au début du 19e siècle,  115 00:07:58,775 --> 00:08:01,675 ce premier principe de séparation va muter,  116 00:08:01,825 --> 00:08:09,950 va se transformer et on va dire que la loi des 16 et 24 août 1790 ne crée pas simplement 117 00:08:09,950 --> 00:08:13,700 une séparation entre le juge judiciaire et l'administration,  118 00:08:14,075 --> 00:08:18,375 mais entre le juge judiciaire et le contentieux administratif,  119 00:08:19,100 --> 00:08:24,550 parce qu'on estime à l'époque que si le juge judiciaire était compétent 120 00:08:24,550 --> 00:08:26,950 à l'égard du contentieux de l'administration,  121 00:08:27,475 --> 00:08:32,725 cela reviendrait pour lui à s'immiscer dans les affaires de l'administration elle-même,  122 00:08:32,800 --> 00:08:34,750 ce qui n'est pas faux. 123 00:08:35,930 --> 00:08:39,133 Réfléchissez bien, si on demande à un fonctionnaire 124 00:08:39,130 --> 00:08:41,622 de venir répondre de ses actes devant un juge judiciaire, 125 00:08:41,900 --> 00:08:44,725 forcément ce juge va devoir examiner le dossier,  126 00:08:44,875 --> 00:08:48,425 va devoir porter un jugement de valeur sur les comportements,  127 00:08:48,420 --> 00:08:50,175 sur les actes de son fonctionnaire. 128 00:08:50,170 --> 00:08:54,175 Mais ce fonctionnaire, il n'est pas tout seul, il a reçu des ordres, il a reçu des instructions. 129 00:08:54,170 --> 00:08:57,325 Il est enserré dans une hiérarchie et donc en réalité, 130 00:08:57,320 --> 00:09:02,975 juger ce fonctionnaire pour répondre de ses actes, cela reviendrait pour le juge judiciaire,  131 00:09:02,970 --> 00:09:06,300 à porter un jugement de valeur sur le fonctionnement même de l'administration, 132 00:09:06,750 --> 00:09:10,900 pour essayer éventuellement d'y déceler une défaillance, un dysfonctionnement. 133 00:09:11,940 --> 00:09:15,750 Mais il y a mieux, il ne s'agit même pas de parler de la personne du fonctionnaire. 134 00:09:16,100 --> 00:09:19,925 Imaginez que vous contestez la légalité d'une décision de l'administration 135 00:09:19,920 --> 00:09:21,300 devant le juge judiciaire. 136 00:09:22,130 --> 00:09:25,475 Les révolutionnaires français et puis  plus tard les juristes français vont dire,  137 00:09:26,220 --> 00:09:28,025 cela reviendrait pour le juge judiciaire 138 00:09:28,025 --> 00:09:30,950 à porter un jugement de valeur sur l'administration elle-même. 139 00:09:31,310 --> 00:09:34,150 Parce que si vous portez un jugement de valeur sur la décision prise,  140 00:09:34,370 --> 00:09:39,700 en réalité, vous jugez le système qui a pris la décision,  141 00:09:40,325 --> 00:09:43,075 et donc au fur à mesure du temps,  142 00:09:43,270 --> 00:09:49,488 on est venu à considérer que le juge judiciaire ne doit pas simplement ne pas se mêler 143 00:09:49,800 --> 00:09:51,300 des affaires de l'administration, 144 00:09:51,475 --> 00:09:55,250 il ne doit pas non plus se mêler des affaires contentieuses de l'administration. 145 00:09:55,490 --> 00:10:02,025 Il ne doit pas se mêler du contentieux de l'administration et donc dernière mutation,  146 00:10:02,700 --> 00:10:05,590 on en est arrivé à dire, puisqu'au même moment, 147 00:10:05,590 --> 00:10:08,550 Napoléon avait créé le Conseil d'État et les conseils de préfecture, 148 00:10:08,800 --> 00:10:11,075 on en est arrivé à dire qu'en France, 149 00:10:11,075 --> 00:10:14,700 il existe non seulement une séparation du juge judiciaire et de l'administration, 150 00:10:14,700 --> 00:10:18,375 non seulement l'impossibilité pour le juge judiciaire de juger l'administration,  151 00:10:19,150 --> 00:10:24,550 mais il existe donc une séparation entre le juge judiciaire et le juge administratif. 152 00:10:25,330 --> 00:10:31,350 Et voilà comment s'est développée  en France cette dualité de juridiction 153 00:10:31,350 --> 00:10:37,150 qui n'a pas ensuite été remise en cause par les différents régimes politiques 154 00:10:37,150 --> 00:10:41,375 qui se sont succédé au 19e  siècle puis au 20e siècle. 155 00:10:41,530 --> 00:10:45,750 Et voilà comment nous avons en France une dualité de juridictions, 156 00:10:45,750 --> 00:10:48,450 deux juges qui sont totalement séparés,  157 00:10:48,450 --> 00:10:53,000 qui ne doivent pas empiéter sur les attributions des uns et des autres. 158 00:10:53,950 --> 00:11:00,500 Alors il reste malgré tout une dernière question à évoquer, 159 00:11:00,675 --> 00:11:04,400 c'est que puisque cette séparation est le fruit d'une histoire,  160 00:11:04,975 --> 00:11:15,475 est le fruit d'un processus lent et constructif, il ne figurait nulle part dans la Constitution,  161 00:11:17,200 --> 00:11:21,575 ce qui voulait dire que cette dualité juridictionnelle, 162 00:11:21,575 --> 00:11:23,325 à laquelle les Français sont attachés, 163 00:11:23,590 --> 00:11:28,925 aurait très bien pu être remise en cause par n'importe quelle nouvelle loi. 164 00:11:30,270 --> 00:11:33,275 Il n'y avait pas d'ancrage constitutionnel 165 00:11:34,525 --> 00:11:37,350 au principe de la séparation du juge  judiciaire et du juge administratif 166 00:11:38,675 --> 00:11:39,950 et donc une nouvelle fois, 167 00:11:40,175 --> 00:11:44,425 c'est au juge constitutionnel qu'est revenu le soin de combler cette lacune 168 00:11:44,500 --> 00:11:48,844 et de nouveau grâce à la technique des principes fondamentaux reconnus 169 00:11:48,955 --> 00:11:50,250 par les lois de la République. 170 00:11:50,625 --> 00:11:56,325 Je veux cette fois-ci citer une décision très importante, fondamentale, 171 00:11:57,111 --> 00:11:59,370 probablement l'une des décisions les plus importantes 172 00:11:59,370 --> 00:12:01,150 qu'on examine dans ce premier semestre,  173 00:12:01,550 --> 00:12:06,350 qu'est la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987, 174 00:12:06,570 --> 00:12:09,800 la décision dite Conseil de la concurrence,  175 00:12:09,800 --> 00:12:13,200 c'est la décision numéro 86-224 DC. 176 00:12:13,950 --> 00:12:15,025 L'histoire est très simple. 177 00:12:15,020 --> 00:12:20,500 Nous sommes sous le régime de la première cohabitation en 1986,  178 00:12:20,500 --> 00:12:22,150 François Mitterrand est Président de République. 179 00:12:22,150 --> 00:12:24,930 Les élections législatives ont été perdues par les socialistes. 180 00:12:24,930 --> 00:12:27,575 C'est la droite qui est revenue au pouvoir au Parlement. 181 00:12:27,800 --> 00:12:29,200 Premier ministre, Jacques Chirac. 182 00:12:29,640 --> 00:12:39,675 Ce nouveau gouvernement veut moderniser et instaurer le droit de la concurrence 183 00:12:39,670 --> 00:12:47,650 et à cette occasion, il adopte un projet de loi 184 00:12:48,400 --> 00:12:54,775 dans lequel on confie à une autorité administrative,  185 00:12:54,950 --> 00:12:56,575 le Conseil de la concurrence,  186 00:12:56,600 --> 00:13:01,200 le soin de se prononcer sur les comportements anticoncurrentiels 187 00:13:02,900 --> 00:13:04,160 adoptés par les entreprises. 188 00:13:04,160 --> 00:13:07,200 Mais ce projet de loi décide que les recours 189 00:13:07,670 --> 00:13:11,150 contre les décisions du Conseil de la concurrence seront portés 190 00:13:11,150 --> 00:13:13,950 devant la Cour d'appel de Paris, juridiction judiciaire, 191 00:13:13,950 --> 00:13:18,450 parce qu'on estime que le juge judiciaire est le juge naturellement compétent 192 00:13:18,450 --> 00:13:21,525 en matière de droit commercial,  de droit de la concurrence, 193 00:13:21,520 --> 00:13:23,650 de problèmes de concurrence entre entreprises. 194 00:13:23,650 --> 00:13:24,650 Donc on décide,  195 00:13:24,775 --> 00:13:30,275 on fait volontairement le choix non pas du juge administratif, mais du juge judiciaire,  196 00:13:30,325 --> 00:13:35,850 et en plus, on affecte le recours à une juridiction connue pour son pôle financier,  197 00:13:35,850 --> 00:13:37,850 pour son expertise en matière économique, 198 00:13:38,800 --> 00:13:45,025 la cour d'appel de Paris et puis en appel, et ensuite en cassation, la Cour de cassation. 199 00:13:46,760 --> 00:13:50,775 Ce projet arrive devant le Conseil constitutionnel  200 00:13:50,770 --> 00:13:59,300 parce que certains membres de l'opposition contestent ce texte qui convient, 201 00:13:59,550 --> 00:14:05,125 qui consiste à attribuer à une juridiction judiciaire la connaissance de recours, 202 00:14:05,200 --> 00:14:06,950 dirigés contre des actes administratifs ; 203 00:14:07,175 --> 00:14:08,350 puisqu'il ne fait aucun doute 204 00:14:08,350 --> 00:14:11,625 que le Conseil de la concurrence est une juridiction administrative.  205 00:14:11,725 --> 00:14:18,050 Et donc on conteste la constitutionnalité de ce dispositif législatif. 206 00:14:18,620 --> 00:14:23,600 La difficulté, c'est qu'il n'y a rien dans la Constitution 207 00:14:24,800 --> 00:14:29,520 sur la séparation entre le juge administratif et le juge judiciaire. 208 00:14:29,675 --> 00:14:34,850 Il n'y a rien sur un domaine de compétences, 209 00:14:34,850 --> 00:14:39,350 qui serait constitutionnellement garanti, au profit du juge administratif, 210 00:14:39,590 --> 00:14:45,250 puisque vous l'avez compris, cette séparation est un produit de l'histoire. 211 00:14:45,560 --> 00:14:48,600 Alors la difficulté, c'est qu'il est impossible 212 00:14:49,800 --> 00:14:54,450 d'élever au rang constitutionnel la loi des 16 et 24 août 1790 ; 213 00:14:54,450 --> 00:14:56,925 qui en plus vous l'avez reconnu, vous l'avez constaté, 214 00:14:56,920 --> 00:14:59,625 n'a jamais posé un principe de séparation des juges, 215 00:15:00,170 --> 00:15:03,900 mais simplement un principe d'interdiction faite au juge judiciaire de s'immiscer 216 00:15:03,900 --> 00:15:05,275 dans les affaires du pouvoir exécutif. 217 00:15:05,625 --> 00:15:08,600 Donc de toute façon ici, il y a une difficulté. 218 00:15:08,600 --> 00:15:11,750 Alors la difficulté va être contournée de la manière suivante 219 00:15:11,750 --> 00:15:17,825 et écoutez bien ici les propos utilisés par le Conseil constitutionnel, 220 00:15:17,820 --> 00:15:22,425 qui notamment de manière assez curieuse et contestée fait référence 221 00:15:22,670 --> 00:15:25,925 à la conception française de la séparation des pouvoirs. 222 00:15:26,540 --> 00:15:32,500 "Considérant", je cite, "que les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 223 00:15:32,750 --> 00:15:34,725 et du décret du 16 Fructidor An III, 224 00:15:34,770 --> 00:15:37,700 qui ont posé dans sa généralité le principe de séparation 225 00:15:37,700 --> 00:15:39,575 des autorités administratives et judiciaires, 226 00:15:39,625 --> 00:15:42,150 n'ont pas en elles-mêmes valeur constitutionnelle ; 227 00:15:42,450 --> 00:15:47,550 que néanmoins, conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, 228 00:15:47,925 --> 00:15:52,425 figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République 229 00:15:52,575 --> 00:15:56,125 celui selon lequel relève en dernier ressort 230 00:15:56,200 --> 00:15:58,900 de la compétence de la juridiction administrative, 231 00:15:59,020 --> 00:16:04,300 l'annulation ou la réformation", je fais simple ici, "des décisions administratives". 232 00:16:05,060 --> 00:16:07,850 Ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas la fin du considérant, 233 00:16:08,030 --> 00:16:15,275 qui isole un bloc de compétences au profit du juge administratif 234 00:16:15,375 --> 00:16:16,700 constitutionnellement protégé 235 00:16:16,875 --> 00:16:19,275 - j'en reparlerai dans des vidéos ultérieures -, 236 00:16:19,700 --> 00:16:23,550 mais ce qui m'intéresse ici, c'est qu'on nous dit qu'en elles-mêmes, 237 00:16:23,800 --> 00:16:27,950 les lois de 1790 et de l'An III n'ont pas valeur constitutionnelle, 238 00:16:28,300 --> 00:16:33,275 mais qu'en vertu, conformément à une conception française de la séparation des pouvoirs, 239 00:16:33,550 --> 00:16:37,300 il y a bien en France une dualité de juridiction. 240 00:16:37,700 --> 00:16:41,875 Et donc il y a bien un juge administratif, qui est totalement distinct du judiciaire, 241 00:16:41,875 --> 00:16:45,650 qui est totalement séparé et qui a donc son domaine de compétences, 242 00:16:45,925 --> 00:16:48,700 sur lequel le juge judiciaire ne peut pas venir empiéter. 243 00:16:49,975 --> 00:16:56,175 Donc voilà comment le juge administratif s'est vu attribuer 244 00:16:56,800 --> 00:17:00,675 un domaine de compétences protégé par la Constitution. 245 00:17:00,670 --> 00:17:04,450 Et vous comprenez donc bien pourquoi cette décision est importante, 246 00:17:04,450 --> 00:17:10,175 parce qu'avouez-le, cette dualité est une pure construction de l'histoire française 247 00:17:10,170 --> 00:17:15,650 et elle aurait pu ne pas trouver d'issue dans la jurisprudence constitutionnelle. 248 00:17:15,650 --> 00:17:18,911 Sauf que grâce à la technique des principes fondamentaux reconnus 249 00:17:18,910 --> 00:17:19,888 par les lois la République, 250 00:17:20,066 --> 00:17:23,266 notamment la fameuse loi du 24 mai 1872, 251 00:17:23,420 --> 00:17:29,750 le Conseil constitutionnel a pu parvenir à donner un statut constitutionnel 252 00:17:30,025 --> 00:17:33,375 à l'existence et à la compétence du juge administratif. 253 00:17:35,030 --> 00:17:42,850 La seconde caractéristique de notre justice administrative française, 254 00:17:43,050 --> 00:17:47,375 ce n'est pas simplement d'être séparée rigoureusement du juge judiciaire, 255 00:17:47,625 --> 00:17:56,550 c'est aussi d'avoir ce cumul des fonctions juridictionnelles et administratives. 256 00:17:57,600 --> 00:17:59,425 Alors bien évidemment vous l'avez constaté, 257 00:17:59,420 --> 00:18:04,900 ce cumul n'est pas caractéristique de toutes les juridictions administratives. 258 00:18:04,975 --> 00:18:07,400 Je pense notamment aux juridictions administratives générales du fond : 259 00:18:07,400 --> 00:18:08,500 les tribunaux administratifs, 260 00:18:08,500 --> 00:18:11,125 les cours administratives d'appel sont exclusivement des juges. 261 00:18:11,120 --> 00:18:15,325 Mais vous l'avez constaté, le Conseil d'État - juridiction administrative suprême - 262 00:18:15,550 --> 00:18:20,275 cumule en réalité des fonctions de conseiller juridique de l'État, 263 00:18:20,500 --> 00:18:22,625 fonctions consultatives et de juges. 264 00:18:23,050 --> 00:18:27,000 La Cour des comptes cumule des fonctions de juge 265 00:18:27,000 --> 00:18:35,275 et des fonctions d'établissement d'un rapport annuel et d'étude sur la vie financière de l'État. 266 00:18:35,620 --> 00:18:39,200 Les juridictions administratives spécialisées - nous l'avons vu ensemble - 267 00:18:39,650 --> 00:18:44,920 ont des fonctions très cumulées, 268 00:18:44,950 --> 00:18:48,875 qui ressortissent à la fois de la fonction administrative et de la fonction judiciaire. 269 00:18:48,870 --> 00:18:54,800 Donc nous avons véritablement en France - et notamment au Conseil d'État - un véritable cumul. 270 00:18:54,800 --> 00:19:01,725 Alors cette fois-ci, cela tient à une autre tradition qui a été exprimée dans un adage, 271 00:19:02,100 --> 00:19:04,350 qui s'est développé au 19e siècle. 272 00:19:04,825 --> 00:19:05,825 Nous l'avons vu, 273 00:19:06,700 --> 00:19:10,900 ce qui explique la conception française de la séparation des pouvoirs, 274 00:19:10,925 --> 00:19:16,975 c'est l'idée que juger l'administration, 275 00:19:17,300 --> 00:19:24,300 c'est nécessairement s'immiscer dans le fonctionnement même de l'administration. 276 00:19:24,960 --> 00:19:31,425 Ici, nous avons une autre justification, qui est présentée sous la forme de l'adage suivant : 277 00:19:31,950 --> 00:19:34,800 "Juger l'administration c'est encore administrer". 278 00:19:35,460 --> 00:19:39,425 C'est-à-dire qu'il y a cette idée que lorsque vous jugez l'administration, 279 00:19:40,025 --> 00:19:43,825 vous faites œuvre d'administrateur ; 280 00:19:44,120 --> 00:19:50,850 qu'il y a une imbrication très forte entre le fait d'administrer 281 00:19:51,125 --> 00:19:52,750 et le fait de juger l'administration. 282 00:19:53,060 --> 00:19:53,400 Pourquoi ? 283 00:19:53,400 --> 00:19:57,025 Parce que lorsqu'il y a un litige, en matière administrative, 284 00:19:57,020 --> 00:20:00,550 il n'y a pas simplement deux parties opposées : l'administration et l'administré, 285 00:20:00,550 --> 00:20:05,250 il y a une sorte de troisième partie, qui est toujours là, en arrière-plan, 286 00:20:05,250 --> 00:20:06,375 qui est l'intérêt général. 287 00:20:08,670 --> 00:20:11,733 Et donc dans la culture française, il y a cette idée 288 00:20:12,533 --> 00:20:18,022 que la frontière entre administrés et juge d'administration est 289 00:20:18,022 --> 00:20:22,375 une frontière assez poreuse et de toute façon très étroite. 290 00:20:22,930 --> 00:20:31,150 Par conséquent, il y a cette idée que pour être un bon juge de l'administration, 291 00:20:31,425 --> 00:20:36,700 il faut bien connaître l'administration et que l'on juge mieux l'administration, 292 00:20:37,450 --> 00:20:45,550 on la censure mieux si l'on connaît ses difficultés, ses contraintes, ses spécificités. 293 00:20:46,010 --> 00:20:54,125 D'où - vous l'avez noté - cette volonté délibérée des textes de droit français, 294 00:20:54,450 --> 00:20:59,775 de permettre un cumul de fonctions, notamment au sein du Conseil d'État. 295 00:21:00,440 --> 00:21:05,975 Et cela va même plus loin qu'un cumul de fonctions, tout conseiller d'État est à la fois 296 00:21:05,970 --> 00:21:11,925 - lorsqu'il est nommé - affecté à une section administrative et à la section du contentieux. 297 00:21:12,600 --> 00:21:15,800 Et comme nous l'avons vu, il fera des allers-retours, 298 00:21:15,900 --> 00:21:18,800 au cours de sa carrière, entre les deux fonctions. 299 00:21:19,070 --> 00:21:24,325 Au fond, lorsqu'on a participé à rendre un avis sur un projet de décret, 300 00:21:24,325 --> 00:21:27,575 on connaît bien le dossier, on connaît bien l'affaire. 301 00:21:27,740 --> 00:21:30,900 Et si on connaît bien le fonctionnement de l'administration, 302 00:21:31,310 --> 00:21:35,750 on sera d'autant plus un meilleur juge de l'administration. 303 00:21:35,750 --> 00:21:39,125 D'où vraiment cette caractéristique à la Cour des comptes, 304 00:21:39,200 --> 00:21:40,575 mais surtout au Conseil d'État, 305 00:21:40,570 --> 00:21:44,700 de ce cumul de fonctions administrative et juridictionnelle. 306 00:21:45,020 --> 00:21:51,150 Ce qui n'a pas été sans soulever une difficulté - qui a donné lieu à un psychodrame -, 307 00:21:51,375 --> 00:21:55,150 due à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 28 septembre 1995, 308 00:21:55,225 --> 00:21:58,200 l'arrêt Procola contre Luxembourg. 309 00:21:58,670 --> 00:22:05,825 Affaire dans laquelle la Cour européenne des droits de l'homme devait juger de la conformité 310 00:22:05,820 --> 00:22:09,850 - à l'article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l'homme - 311 00:22:10,275 --> 00:22:13,050 de la composition du Conseil d'État luxembourgeois. 312 00:22:13,610 --> 00:22:20,550 Conseil d'État inspiré du modèle français napoléonien, parce que dans cette affaire, 313 00:22:20,550 --> 00:22:25,900 quatre des cinq membres avaient jugé la légalité d'un règlement 314 00:22:26,825 --> 00:22:31,700 qu'ils avaient déjà examiné auparavant, dans le cadre de leur fonction consultative. 315 00:22:33,120 --> 00:22:38,750 Et voilà que la Cour européenne des droits de l'homme va censurer cette affaire, 316 00:22:39,850 --> 00:22:48,050 au motif qu'il y avait eu atteinte à une impartialité objective structurelle. 317 00:22:50,340 --> 00:22:51,450 Est né un psychodrame, 318 00:22:51,450 --> 00:22:54,750 parce que tout le monde savait bien que derrière le Conseil d'État luxembourgeois, 319 00:22:54,750 --> 00:23:00,675 ce qui était visé, c'était l'organisation même du Conseil d'État français. 320 00:23:01,720 --> 00:23:03,775 Et affaire surtout qui a suscité beaucoup d'émoi, 321 00:23:03,770 --> 00:23:07,225 parce que la Cour européenne des droits de l'homme avait l'air de dire qu'en lui-même 322 00:23:07,460 --> 00:23:11,725 le cumul de fonctions débouche nécessairement 323 00:23:11,925 --> 00:23:14,450 sur une partialité structurelle. 324 00:23:18,120 --> 00:23:21,375 Heureusement avec le temps, les choses se sont tassées, 325 00:23:21,870 --> 00:23:26,825 parce que le Conseil d'État a plaidé auprès de Strasbourg 326 00:23:26,875 --> 00:23:30,250 et la Cour européenne des droits de l'homme elle-même est revenue 327 00:23:30,250 --> 00:23:34,600 sur sa jurisprudence Procola, en rappelant que la partialité objective, 328 00:23:35,120 --> 00:23:40,550 c'est le fait pour des mêmes juges, en raison de fonctions successives, 329 00:23:41,075 --> 00:23:43,525 d'avoir statué sur la même affaire. 330 00:23:43,525 --> 00:23:47,675 Donc ce que l'on condamne, c'est qu'une même personne, un même magistrat, 331 00:23:48,125 --> 00:23:53,075 à l'occasion de fonctions successives, se soit prononcé plusieurs fois sur la même affaire, 332 00:23:53,400 --> 00:23:56,250 ce qui l'a conduit à se forger un pré jugement. 333 00:23:57,130 --> 00:24:03,525 Mais en soi, le cumul de fonctions par une institution n'est pas condamnable. 334 00:24:03,680 --> 00:24:04,422 Ce qui est condamnable, 335 00:24:04,420 --> 00:24:07,888 c'est qu'un même juge se soit prononcé successivement sur la même affaire, 336 00:24:08,377 --> 00:24:11,000 parce que là, il s'est forgé une opinion préétablie, 337 00:24:11,850 --> 00:24:14,900 mais ce n'est pas en soi le cumul de fonctions. 338 00:24:15,290 --> 00:24:17,875 Alors bien évidemment, dans le Conseil d'État luxembourgeois, 339 00:24:17,870 --> 00:24:21,450 qui était un tout petit Conseil d'État, par la force des choses, 340 00:24:21,540 --> 00:24:24,950 c'étaient toujours les mêmes membres que l'on retrouvait dans les fonctions consultatives 341 00:24:24,950 --> 00:24:29,800 et dans les fonctions juridictionnelles, 342 00:24:30,000 --> 00:24:33,050 d'où l'arrêt Procola et la condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme. 343 00:24:33,220 --> 00:24:36,775 Mais dans un Conseil d'État français, qui comporte 300 membres 344 00:24:36,770 --> 00:24:39,625 - et en tout cas en exercice, à peu près 150 -, 345 00:24:39,620 --> 00:24:43,650 il n'est pas très difficile de s'assurer que sur les mêmes affaires, 346 00:24:43,960 --> 00:24:48,075 ne siègent pas des personnes, les mêmes conseillers d'État, 347 00:24:48,170 --> 00:24:51,750 qui auraient prononcé un avis lors de la phase consultative 348 00:24:51,875 --> 00:24:54,875 et qui, ensuite, rendraient un arrêt lors de la phase juridictionnelle : 349 00:24:54,970 --> 00:24:58,750 il suffit que ça ne soit pas les mêmes personnes qui siègent deux fois sur la même affaire. 350 00:25:00,070 --> 00:25:06,250 Donc avec le temps, on est parvenu à surmonter le psychodrame de l'affaire Procola. 351 00:25:06,250 --> 00:25:09,550 Mais l'affaire Procola a vraiment été une affaire très importante, 352 00:25:09,550 --> 00:25:14,350 parce qu'on a cru vraiment un moment que c'était la structure même du Conseil d'État, 353 00:25:14,350 --> 00:25:18,300 le cumul des fameuses fonctions consultative et juridictionnelle, 354 00:25:18,300 --> 00:25:20,475 qui allait être remis en cause. 355 00:25:20,570 --> 00:25:22,025 Finalement avec le temps, 356 00:25:22,020 --> 00:25:26,800 on s'est aperçu que ce n'est pas en soi le cumul des fonctions qui est condamnable, 357 00:25:26,800 --> 00:25:31,950 il n'y a pas en soi de partialité structurelle, tout dépend de chacune des affaires 358 00:25:32,000 --> 00:25:35,225 et qu'il faut donc s'assurer qu'il n'y a pas de mélange des genres 359 00:25:35,220 --> 00:25:38,550 entre la fonction consultative et la fonction juridictionnelle. 360 00:25:38,550 --> 00:25:45,000 Alors l'arrêt Procola a quand même suscité un émoi et a suscité d'utiles mises au point. 361 00:25:45,000 --> 00:25:48,925 Parce que le Conseil d'État avait un peu trop tendance à considérer 362 00:25:48,920 --> 00:25:51,925 que son indépendance et son impartialité allaient de soi. 363 00:25:52,400 --> 00:25:56,150 Mais en réalité, il était bon de rappeler un certain nombre de règles 364 00:25:56,150 --> 00:25:58,975 et c'est ce qu'a fait un décret du 6 mars 2008, 365 00:25:59,125 --> 00:26:05,525 qui est venu écrire explicitement dans le Code de justice administrative des éléments 366 00:26:05,520 --> 00:26:07,300 pour rassurer les justiciables. 367 00:26:09,060 --> 00:26:12,933 Article R122-21-1 : 368 00:26:15,288 --> 00:26:17,333 désormais, il est écrit explicitement 369 00:26:18,244 --> 00:26:21,850 que"les membres du Conseil d'État ont l'interdiction de participer 370 00:26:21,850 --> 00:26:26,866 au jugement des recours dirigés contre les actes pris après avis du Conseil d'État, 371 00:26:27,000 --> 00:26:29,225 s'ils ont pris part à la délibération de cet avis". 372 00:26:30,360 --> 00:26:32,555 Article R122-21-2 : 373 00:26:33,266 --> 00:26:38,070 "En cas de recours contre un acte pris après avis d'une de ces formations consultatives, 374 00:26:38,500 --> 00:26:42,675 la liste des conseillers d'État ayant pris part à la délibération de cet avis est communiquée 375 00:26:42,670 --> 00:26:44,475 au requérant qui en fait la demande". 376 00:26:44,720 --> 00:26:48,900 Donc on peut aujourd'hui vérifier, lorsque l'on a un recours devant le Conseil d'État, 377 00:26:49,320 --> 00:26:54,050 que les membres qui vont siéger dans la formation de jugement n'ont pas participé 378 00:26:54,270 --> 00:26:56,875 à la section administrative qui s'était prononcée 379 00:26:56,870 --> 00:26:58,950 sur le texte qui fait l'objet d'un litige. 380 00:26:59,550 --> 00:27:05,500 Et puis enfin article R122-21-3 : "Les membres du Conseil d'État 381 00:27:05,700 --> 00:27:09,425 qui participent au jugement des recours dirigés contre des actes pris 382 00:27:09,420 --> 00:27:13,250 après avis ne peuvent pas prendre connaissance de ces avis, 383 00:27:13,380 --> 00:27:17,225 ni des dossiers de formation consultative relatifs à ces avis". 384 00:27:17,710 --> 00:27:23,325 Donc on fait tout pour qu'au contentieux siègent des conseillers d'État 385 00:27:23,600 --> 00:27:30,500 qui n'ont pas pu à l'occasion des formations consultatives se faire une première opinion, 386 00:27:30,675 --> 00:27:38,550 une opinion préétablie, un préjugement sur le recours qu'ils vont être amenés à juger.