1 00:00:07,170 --> 00:00:10,850 Avec cette vidéo, je voudrais maintenant aborder la question de la valeur 2 00:00:10,850 --> 00:00:13,325 des sources du droit administratif. 3 00:00:15,210 --> 00:00:20,125 En cas de différend entre l'administration et un administré,  4 00:00:21,000 --> 00:00:26,300 il ne suffit pas de savoir quelles sont les règles de droit qui sont bien applicables 5 00:00:26,500 --> 00:00:28,050 dans l'ordre juridique français. 6 00:00:29,940 --> 00:00:34,125 En cas de conflit, de contradiction entre deux règles,  7 00:00:34,975 --> 00:00:43,375 encore faut-il savoir comment déterminer celle qui va prévaloir sur les autres. 8 00:00:45,370 --> 00:00:48,850 Et l'hypothèse de conflit, de contradiction entre deux règles 9 00:00:48,850 --> 00:00:52,925 qui ne disent pas la même chose, qui n'ont pas le même sens, qui n'ont pas la même signification,  10 00:00:53,670 --> 00:00:55,125 qui ne donnent pas la même solution,  11 00:00:55,325 --> 00:00:58,375 est évidemment une hypothèse extrêmement fréquente. 12 00:00:59,890 --> 00:01:06,725 Les juristes, depuis toujours, se préoccupent de résoudre les questions de conflits de normes. 13 00:01:10,100 --> 00:01:16,375 Et parmi les modes, les modèles même,  presque au sens mathématique du terme, 14 00:01:16,650 --> 00:01:19,550 les modèles de résolution des conflits de normes,  15 00:01:19,750 --> 00:01:22,600 il y en a plusieurs qui sont mis à disposition 16 00:01:22,600 --> 00:01:26,475 et qui ont été inventés par les juristes depuis très longtemps. 17 00:01:29,050 --> 00:01:36,075 S'agissant de la question des sources du droit, à compter de la moitié du 20e siècle, 18 00:01:36,625 --> 00:01:39,875 parmi ces modèles proposés par la pensée juridique, 19 00:01:40,975 --> 00:01:47,350 celui qui l'emporte est un modèle hiérarchique et pyramidal. 20 00:01:49,000 --> 00:01:53,575 Il y a, autrement dit, cette idée que l'ordre juridique a une architecture 21 00:01:54,600 --> 00:01:59,875 et qu'il est donc structuré selon une vision hiérarchique et pyramidale. 22 00:02:00,770 --> 00:02:07,200 Ce modèle est suivi par de très nombreux ordres juridiques contemporains 23 00:02:07,575 --> 00:02:14,975 en raison de la séduction qu'opère la pensée d'un des plus grands juristes du 20e siècle. 24 00:02:15,750 --> 00:02:17,325 Certains diraient même le plus grand. 25 00:02:17,910 --> 00:02:20,625 En tout cas de l'un des plus grands juristes du 20e siècle,  26 00:02:21,200 --> 00:02:29,725 un juriste et philosophe du droit, à savoir Hans Kelsen, né en 1881, mort en 1973, 27 00:02:29,720 --> 00:02:32,000 qui était à l'origine autrichien,  28 00:02:32,200 --> 00:02:37,200 chef de file de ce qu'on appelle l'École de Vienne ou encore l'école normativiste, 29 00:02:37,200 --> 00:02:42,500 auteur d'un ouvrage essentiel qu'on appelle La Théorie pure du droit,  30 00:02:42,650 --> 00:02:46,225 qui s'était exilé aux États-Unis après la montée du nazisme, 31 00:02:46,300 --> 00:02:49,300 où il y restera toute sa vie et où il décédera,  32 00:02:49,300 --> 00:02:53,175 où il enseignera à l'Université de Berkeley en Californie. 33 00:02:54,900 --> 00:02:57,325 S'inspirant de la pensée de Kelsen - qui, en réalité, 34 00:02:57,325 --> 00:03:01,950 est beaucoup plus subtile que ce que les États peuvent imaginer - 35 00:03:03,920 --> 00:03:09,950 les États et leurs juristes ont ainsi façonné une vision structurée des sources du droit. 36 00:03:11,075 --> 00:03:14,675 Et comme dans une monnaie,  chaque pièce a une valeur. 37 00:03:16,760 --> 00:03:23,525 Chaque pièce a une valeur et plus spécifiquement, ici, la valeur d'une source,  38 00:03:23,700 --> 00:03:31,675 la valeur d'une règle dépend de son rang dans la hiérarchie des règles de droit. 39 00:03:33,830 --> 00:03:39,800 Le droit français s'est converti à cette vision, 40 00:03:40,175 --> 00:03:44,500 à cette structure hiérarchique, à cette architecture pyramidale. 41 00:03:45,150 --> 00:03:49,275 Alors, bien évidemment, c'est une adaptation de la pensée de Kelsen, 42 00:03:49,270 --> 00:03:51,825 qui, comme je viens de vous l'indiquer, est un philosophe du droit 43 00:03:51,825 --> 00:03:54,400 et dont la pensée est évidemment bien plus riche et bien plus subtile 44 00:03:54,400 --> 00:03:56,425 que ce que nous, nous en déduisons aujourd'hui. 45 00:03:56,500 --> 00:04:01,500 Mais, le fait est que le droit français,  que l'ordre juridique national 46 00:04:01,750 --> 00:04:09,900 a adopté cette idée générale d'une structure hiérarchique, d'une architecture pyramidale. 47 00:04:10,730 --> 00:04:16,900 En l'état du droit positif français, au jour d'aujourd'hui, en 2018, 48 00:04:17,690 --> 00:04:21,100 cette pyramide peut être présentée de la manière suivante 49 00:04:21,325 --> 00:04:26,325 et je me permettrai évidemment d'aller par un ordre décroissant 50 00:04:26,320 --> 00:04:29,025 en commençant par la norme la plus élevée,  51 00:04:29,100 --> 00:04:33,975 celle qui a la plus grande valeur et en descendant vers les normes les moins élevées,  52 00:04:34,150 --> 00:04:36,675 celles qui ont une valeur inférieure. 53 00:04:38,380 --> 00:04:44,700 Au sommet de cet ordre juridique, nous trouvons la Constitution,  54 00:04:45,850 --> 00:04:49,225 rien que la Constitution,  mais, toute la Constitution,  55 00:04:49,900 --> 00:04:54,625 toutes les composantes du bloc de constitutionnalité,  56 00:04:54,750 --> 00:04:59,825 le texte lui-même de la Constitution de 1958 avec ses 89 articles,  57 00:05:00,750 --> 00:05:04,750 mais également, son préambule qui,  lui-même renvoie - je vous le rappelle -  58 00:05:04,750 --> 00:05:08,250 à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789,  59 00:05:08,375 --> 00:05:13,250 au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l'environnement. 60 00:05:14,200 --> 00:05:17,850 Toutes ces dispositions ont valeur constitutionnelle, 61 00:05:18,075 --> 00:05:20,350 ont la même valeur constitutionnelle. 62 00:05:20,370 --> 00:05:23,825 Il n'y a pas de règle constitutionnelle  plus importante que d'autres 63 00:05:24,850 --> 00:05:30,250 et ce bloc se situe au sommet de la hiérarchie des normes juridiques. 64 00:05:31,175 --> 00:05:31,880 Pourquoi ? 65 00:05:32,080 --> 00:05:36,900 Parce que la Constitution est l'acte du souverain. 66 00:05:37,510 --> 00:05:41,925 Le peuple, la nation se donne à elle-même une Constitution 67 00:05:42,275 --> 00:05:47,725 qui fixe les règles du jeu de la vie politique et programme la garantie des droits fondamentaux. 68 00:05:48,370 --> 00:05:52,850 C'est le produit de l'exercice par un peuple de sa souveraineté. 69 00:05:53,550 --> 00:06:00,175 Par conséquent, c'est nécessairement la règle qui se situe au sommet le plus élevé 70 00:06:00,420 --> 00:06:03,950 de la hiérarchie des normes juridiques,  puisque c'est elle qui fonde,  71 00:06:04,025 --> 00:06:09,000 qui institue l'ensemble des autres règles juridiques. 72 00:06:11,000 --> 00:06:16,900 Cette valeur suprême - ici, nous parlons bien de suprématie,  73 00:06:16,900 --> 00:06:20,725 puisqu'elle est tout en haut de la hiérarchie des normes juridiques -  74 00:06:20,825 --> 00:06:24,850 Cette valeur suprême de la Constitution, au sens large du terme, 75 00:06:24,900 --> 00:06:30,100 a été régulièrement énoncée par les juridictions. 76 00:06:30,100 --> 00:06:34,025 Voyez par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007, 77 00:06:34,250 --> 00:06:35,950 décision au Traité de Lisbonne. 78 00:06:36,090 --> 00:06:40,400 C'est une décision numéro 2007-560 DC. 79 00:06:42,000 --> 00:06:47,425 À l'étage inférieur, nous trouvons les règles internationales. 80 00:06:48,880 --> 00:06:53,225 L'article 55 de la Constitution nous dit que les règles internationales 81 00:06:53,220 --> 00:06:56,975 ont une autorité supérieure aux lois, donc, nécessairement,  82 00:06:57,025 --> 00:06:59,050 ces règles internationales viennent en second. 83 00:06:59,050 --> 00:07:04,060 Alors, attention, l'article 55 de la Constitution dit plus précisément 84 00:07:04,060 --> 00:07:07,650 que "les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés 85 00:07:07,650 --> 00:07:10,400 ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois". 86 00:07:10,550 --> 00:07:13,750 Donc, si à la limite on peut y rattacher les actes de droit dérivés 87 00:07:13,750 --> 00:07:16,900 parce que le droit dérivé dérive - comme l'indique son nom - des traités, 88 00:07:17,850 --> 00:07:22,750 il est en revanche plus difficile de faire dire à cet article 55 89 00:07:23,750 --> 00:07:27,450 qu'il impose une supériorité des règles internationales non écrites. 90 00:07:28,100 --> 00:07:31,350 Les traités et accords ont une autorité supérieure aux lois,  91 00:07:31,450 --> 00:07:35,400 c'est-à-dire des conventions internationales,  des engagements internationaux écrits. 92 00:07:36,400 --> 00:07:42,100 Et c'est pourquoi le juge administratif en déduit que la supériorité 93 00:07:42,620 --> 00:07:48,825 conférée par l'article 55 de la Constitution aux engagements internationaux sur les lois 94 00:07:49,500 --> 00:07:54,370 ne concerne donc pas le droit international non écrit. 95 00:07:55,430 --> 00:07:59,700 Autrement dit, en cas de conflit, c'est la loi nationale 96 00:07:59,700 --> 00:08:03,675 qui l'emportera sur la coutume internationale 97 00:08:04,200 --> 00:08:07,250 ou sur un principe général du droit international. 98 00:08:08,310 --> 00:08:10,975 Il n'y a rien de contradictoire à ce que je vous ai dit avant. 99 00:08:11,430 --> 00:08:15,525 Avant, je vous ai cité dans une vidéo précédente l'Arrêt du Conseil d'État d'Assemblée 100 00:08:15,520 --> 00:08:20,300 du 6 juin 1997, Aquarone,  sur la coutume internationale. 101 00:08:20,670 --> 00:08:23,150 Je vous ai cité l'Arrêt du Conseil d'État du 28 juillet 2000 102 00:08:23,150 --> 00:08:27,725 Paulin sur les principes généraux du droit international. 103 00:08:28,510 --> 00:08:32,725 Je vous ai dit qu'en vertu de ces jurisprudences,  104 00:08:32,925 --> 00:08:35,625 la coutume internationale et les principes non écrits  105 00:08:37,225 --> 00:08:43,525 avaient vocation à être appliqués en droit français, à être des sources du droit français. 106 00:08:43,775 --> 00:08:46,625 Mais, là, je vous dis simplement que ces mêmes arrêts nous disent simplement 107 00:08:46,850 --> 00:08:49,300 qu'en cas de conflit avec la loi,  108 00:08:49,800 --> 00:08:53,675 c'est la loi nationale qui l'emportera sur la coutume internationale 109 00:08:53,670 --> 00:08:56,300 ou sur le principe de droit international. 110 00:08:56,425 --> 00:08:57,080 Pourquoi ? 111 00:08:57,125 --> 00:09:04,025 Parce que l'article 55 de la Constitution ne  confère une autorité supérieure aux lois 112 00:09:04,275 --> 00:09:06,725 qu'aux seuls engagements internationaux, 113 00:09:06,900 --> 00:09:10,850 entendez aux seules conventions internationales écrites. 114 00:09:12,625 --> 00:09:17,100 Alors, vous pourriez me dire si les engagements internationaux ont d'une primauté, 115 00:09:17,475 --> 00:09:20,100 pourquoi n'ont-ils pas une valeur de suprématie ? 116 00:09:21,370 --> 00:09:27,000 Après tout, je cite en disposant "qu'une partie ne peut invoquer des dispositions 117 00:09:27,000 --> 00:09:31,725 de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un Traité". 118 00:09:32,680 --> 00:09:39,325 Le droit international a l'air de nous dire - et  c'est plus à l'air, le droit international affirme -  119 00:09:39,650 --> 00:09:43,550 que l'ordre juridique international est un ordre juridique suprême 120 00:09:44,750 --> 00:09:47,775 et que les États ne peuvent pas invoquer leur droit interne 121 00:09:47,770 --> 00:09:49,575 pour échapper à leurs obligations internationales. 122 00:09:52,300 --> 00:09:53,775 Nous avons donc ici un problème, 123 00:09:54,475 --> 00:09:57,425 car l'ordre juridique international affirme sa suprématie, 124 00:09:57,675 --> 00:10:00,575 mais l'ordre juridique français affirme également sa suprématie et plus précisément, 125 00:10:00,625 --> 00:10:02,675 la suprématie de la Constitution. 126 00:10:04,810 --> 00:10:13,450 Alors, pour résoudre cette antinomie, les juristes font un raisonnement séparé. 127 00:10:14,890 --> 00:10:17,550 Les juristes raisonnent selon une logique duale. 128 00:10:19,170 --> 00:10:22,650 Dans le cadre de l'ordre juridique international,  129 00:10:22,650 --> 00:10:25,150 dans le cadre des relations internationales,  130 00:10:26,750 --> 00:10:30,825 il va de soi que le droit international a une valeur de suprématie. 131 00:10:31,990 --> 00:10:35,550 Il est supérieur au droit des ordres juridiques nationaux. 132 00:10:36,350 --> 00:10:39,400 Si on ne dit pas cela, ça ne sert à rien de faire du droit international. 133 00:10:39,860 --> 00:10:46,050 S'il suffisait aux États parties contractantes d'une convention internationale  134 00:10:46,125 --> 00:10:48,800 d'invoquer leur propre droit pour échapper à leurs obligations internationales, 135 00:10:48,970 --> 00:10:52,675 après tout, ça ne sert même à rien du tout d'inventer, de créer du droit international. 136 00:10:52,840 --> 00:10:55,610 Donc, on comprend bien que dans l'ordre juridique international, 137 00:10:56,525 --> 00:10:59,725 le droit international est la norme suprême. 138 00:11:00,870 --> 00:11:09,850 Mais, dans l'ordre juridique interne, c'est nécessairement la norme fondamentale 139 00:11:10,525 --> 00:11:19,125 qui attribue la place qui revient à chacune des règles, qu'elle soit externe ou interne. 140 00:11:20,550 --> 00:11:26,625 La règle internationale n'a de place et n'a de valeur dans l'ordre juridique français 141 00:11:27,275 --> 00:11:32,125 que parce que la Constitution le veut bien,  que parce que la Constitution le décide, 142 00:11:32,120 --> 00:11:35,425 l'autorise en vertu de l'article 88-1 de la Constitution. 143 00:11:37,425 --> 00:11:41,450 Et c'est exactement ce qu'a jugé le Conseil d'État dans une très célèbre affaire 144 00:11:41,450 --> 00:11:45,825 où il a refusé - alors que les requérants l'y invitaient pourtant -  145 00:11:46,300 --> 00:11:50,375 il a refusé de déclarer la Constitution française 146 00:11:50,575 --> 00:11:54,350 contraire au pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques 147 00:11:55,470 --> 00:11:57,950 ou au contraire à la Convention européenne des droits de l'homme, 148 00:11:58,710 --> 00:12:05,125 au motif, je cite : "qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution, 149 00:12:05,750 --> 00:12:09,200 la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux 150 00:12:09,575 --> 00:12:15,650 ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle". 151 00:12:16,500 --> 00:12:22,025 Conseil d'État Assemblée 30 octobre 1998, un Arrêt Sarran. 152 00:12:23,210 --> 00:12:27,800 Le même raisonnement est appliqué pour résoudre le sort du droit à l'Union européenne. 153 00:12:28,820 --> 00:12:32,625 Ce raisonnement est d'autant plus audacieux que le droit à l'Union européenne 154 00:12:32,620 --> 00:12:35,225 repose sur un processus supranational, 155 00:12:35,450 --> 00:12:37,850 un processus où l'ordre juridique de l'Union européenne 156 00:12:37,850 --> 00:12:42,400 est censé s'intégrer dans chacun des ordres juridiques des États membres. 157 00:12:43,040 --> 00:12:47,525 Mais, voilà, le problème,  c'est que les Constitutions 158 00:12:47,925 --> 00:12:50,350 sont l'expression de la souveraineté des nations. 159 00:12:50,960 --> 00:12:53,375 Dans l'Union européenne, on ne remet pas en cause le principe 160 00:12:53,370 --> 00:12:55,450 que les États membres restent souverains. 161 00:12:55,880 --> 00:13:02,575 Regardez encore l'exemple du Brexit où l'on voit un État se retirer de l'aventure européenne. 162 00:13:03,200 --> 00:13:05,975 Se retirer, ça veut dire donc qu'il conserve le dernier mot. 163 00:13:06,240 --> 00:13:10,500 Or, je vous rappelle que pour un juriste, le souverain, c'est celui qui a le dernier mot. 164 00:13:11,070 --> 00:13:15,600 Donc, nous avons ici un raisonnement dual adopté. 165 00:13:16,260 --> 00:13:20,275 Dans l'ordre juridique européen,  dans le droit de l'Union européenne, 166 00:13:20,550 --> 00:13:24,300 il va de soi que les traités européens ont une valeur suprême. 167 00:13:24,540 --> 00:13:29,400 C'est ce qu'avait d'ailleurs affirmé la Cour de Justice de Luxembourg, la CJCE, 168 00:13:29,400 --> 00:13:33,000 dans un arrêt du 15 juillet 1964,  un arrêt Costa contre ENEL. 169 00:13:33,290 --> 00:13:38,075 Mais, dans l'ordre juridique français, les normes européennes 170 00:13:38,070 --> 00:13:42,450 ne s'imposent que parce que la Constitution l'a prévu et le veut bien, 171 00:13:42,525 --> 00:13:45,200 article 88-1 de la Constitution 172 00:13:45,750 --> 00:13:49,700 qui autorise la France à participer à la construction communautaire. 173 00:13:50,240 --> 00:13:53,050 Donc, on en déduit que puisque c'est la Constitution 174 00:13:53,050 --> 00:13:56,475 qui autorise le droit de l'Union européenne à s'appliquer dans l'ordre juridique français,  175 00:13:56,470 --> 00:14:00,275 c'est donc que la Constitution est bien dans l'ordre juridique français 176 00:14:00,350 --> 00:14:03,725 la norme la plus élevée, la norme suprême. 177 00:14:06,610 --> 00:14:11,100 Pour le droit international comme pour le droit de l'Union européenne, 178 00:14:11,330 --> 00:14:16,475 oui à la primauté, primauté sur les lois françaises, mais, pas de suprématie. 179 00:14:16,575 --> 00:14:20,320 La norme suprême dans l'ordre juridique français, c'est la Constitution 180 00:14:20,750 --> 00:14:25,925 parce que c'est elle qui exprime la souveraineté du peuple français, de la nation. 181 00:14:27,650 --> 00:14:30,600 Au troisième niveau de notre hiérarchie, 182 00:14:30,725 --> 00:14:34,425 après la Constitution ou du moins les normes constitutionnelles, 183 00:14:34,620 --> 00:14:40,350 après le droit international,  les normes extranationales, 184 00:14:41,225 --> 00:14:43,475 au troisième niveau, nous trouvons les lois. 185 00:14:44,120 --> 00:14:48,375 Ici, pas de difficulté, puisque l'article 55 de la Constitution 186 00:14:48,370 --> 00:14:50,925 nous dit que les traités et accords régulièrement ratifiés 187 00:14:50,920 --> 00:14:52,275 ont une autorité supérieure aux lois. 188 00:14:52,270 --> 00:14:56,250 Donc, ici, l'article 55 de la Constitution de 1958 189 00:14:56,375 --> 00:15:04,575 place bien les lois à une valeur infra-internationale. 190 00:15:06,020 --> 00:15:08,875 En dessous des lois, nous trouvons les PGD. 191 00:15:09,410 --> 00:15:11,275 Je dis bien les principes généraux du droit. 192 00:15:11,840 --> 00:15:16,350 Je ne dis pas les principes jurisprudentiels,  parce que les principes, je dirais simples, 193 00:15:16,775 --> 00:15:20,850 ont une valeur inférieure aux lois et règlements de l'administration. 194 00:15:21,100 --> 00:15:23,775 Ils ont une valeur purement supplétive. 195 00:15:24,425 --> 00:15:30,750 Pour les PGD, pour les principes généraux du droit, nous trouvons une jurisprudence fameuse, 196 00:15:30,850 --> 00:15:34,325 l'Arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils, ingénieurs-conseils, 197 00:15:34,370 --> 00:15:40,850  jurisprudence qui date d'un Arrêt du Conseil d'État de section du 26 juin 1959, 198 00:15:41,000 --> 00:15:42,725 Syndicat général des ingénieurs-conseils. 199 00:15:43,670 --> 00:15:49,025 Cette affaire est très intéressante parce que, par un hasard du calendrier judiciaire, 200 00:15:49,420 --> 00:15:56,725 le Conseil d'État est venu rendre une décision sur les rapports 201 00:15:56,725 --> 00:16:01,325 entre les règlements administratifs et les principes généraux du droit. 202 00:16:01,700 --> 00:16:07,260 Or, vous le savez, la Constitution de 1958 a,  203 00:16:08,400 --> 00:16:12,700 au moment de son adoption, suscité beaucoup d'interrogations chez les juristes 204 00:16:12,950 --> 00:16:15,675 parce que notamment - on en reparlera, j'en ai déjà un petit peu parlé - 205 00:16:15,675 --> 00:16:17,475 cette Constitution de 1958 206 00:16:17,470 --> 00:16:24,200 a multiplié les hypothèses de règlements administratifs originaux 207 00:16:25,050 --> 00:16:27,975 en autorisant notamment le pouvoir exécutif à réglementer dans les matières 208 00:16:27,975 --> 00:16:30,575 qui, traditionnellement, étaient réservées au législateur. 209 00:16:31,000 --> 00:16:34,650 Donc, certains juristes se sont demandé si certains de ces règlements,  210 00:16:34,770 --> 00:16:39,500 lorsqu'ils portaient sur le domaine de la loi,  n'avaient pas eux-mêmes valeur législative. 211 00:16:40,410 --> 00:16:46,375 Et le hasard du calendrier a fait qu'à peine la Constitution de 1958 entrait-elle en vigueur 212 00:16:46,575 --> 00:16:49,075 que le Conseil d'État a été saisi d'une affaire 213 00:16:49,775 --> 00:16:54,625 dans laquelle on contestait devant lui la légalité d'un décret 214 00:16:55,120 --> 00:17:00,575 qui portait sur le monopole des architectes installés dans les territoires d'outre-mer. 215 00:17:01,475 --> 00:17:07,400 Or, ce décret n'était pas évidemment un décret pris sur le fondement de la Constitution de 1958. 216 00:17:07,410 --> 00:17:08,525 Mais, peu importe. 217 00:17:09,100 --> 00:17:11,275 Les situations étaient similaires. 218 00:17:11,320 --> 00:17:17,775 Ce décret avait été pris sur le fondement d'un sénatus-consulte de 1854, 219 00:17:17,770 --> 00:17:20,475 donc, autrement dit, édicté au temps de l'empereur Napoléon III, 220 00:17:21,220 --> 00:17:25,675 sénatus-consulte qui habilitait  le gouvernement français 221 00:17:26,375 --> 00:17:31,850 à réglementer par décret dans les colonies ce qui, en métropole, relevait du domaine de la loi. 222 00:17:33,425 --> 00:17:38,150 Donc, immédiatement, il y avait une similitude avec l'avènement 223 00:17:38,150 --> 00:17:41,375 dans la Constitution de 1958 de ces nouveaux règlements 224 00:17:41,575 --> 00:17:44,075 qu'on allait très vite appeler des règlements autonomes,  225 00:17:45,280 --> 00:17:50,375 autrement dit, des règlements qui portent sur le domaine de la loi  226 00:17:52,850 --> 00:17:56,425 dans des matières qui, avant, relevaient du domaine législatif. 227 00:17:58,675 --> 00:18:01,300 Le Conseil d'État a évidemment répondu sur le cas 228 00:18:01,525 --> 00:18:04,225 de ce décret pris en vertu d'un sénatus-consulte de 1954. 229 00:18:04,220 --> 00:18:08,300 Mais, tout le monde a bien compris que sa décision avait une portée plus générale. 230 00:18:08,300 --> 00:18:09,975 Et que nous dit cette décision ? 231 00:18:10,480 --> 00:18:15,100 Elle nous dit que "quel que soit le contenu d'un règlement administratif, 232 00:18:15,450 --> 00:18:19,825 un règlement administratif doit respecter les principes généraux du droit, 233 00:18:19,900 --> 00:18:23,875 parce que les principes généraux du droit s'imposent à l'administration 234 00:18:23,970 --> 00:18:28,025 et donc, s'imposent administration quel que soit le contenu,  235 00:18:28,020 --> 00:18:30,575 la forme de ces règlements administratifs". 236 00:18:31,120 --> 00:18:37,050 Je cite l'Arrêt : "Considérant que dans l'exercice de ses attributions" 237 00:18:37,050 --> 00:18:42,700 - il parle du chef du gouvernement - "il était cependant tenu de respecter d'une part,  238 00:18:42,950 --> 00:18:45,800 les dispositions des lois applicables dans les territoires d'outre-mer, 239 00:18:46,070 --> 00:18:48,425 d'autre part, les principes généraux du droit qui, 240 00:18:48,525 --> 00:18:51,450 résultant notamment, du préambule de la Constitution, 241 00:18:51,900 --> 00:18:59,000 s'imposent à toute autorité réglementaire, même en l'absence de dispositions législatives". 242 00:19:01,030 --> 00:19:03,500 "S'imposent à toute autorité réglementaire". 243 00:19:04,600 --> 00:19:09,050 Voilà donc un Arrêt qui affirme que les principes généraux du droit 244 00:19:09,050 --> 00:19:13,750 s'imposent aux autorités gouvernementales administratives 245 00:19:13,850 --> 00:19:18,525 lorsqu'elles édictent des règlements,  tous types de règlements confondus. 246 00:19:21,100 --> 00:19:25,220 Cet Arrêt a fait l'objet d'une célèbre analyse d'un des grands administrativistes, 247 00:19:25,400 --> 00:19:29,350 d'un des grands juristes administrativistes  de la seconde moitié du 20e siècle,  248 00:19:29,425 --> 00:19:35,450 René Chapus, qui en avait donc déduit de l'Arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils 249 00:19:35,700 --> 00:19:40,400 que les PGD avaient donc une valeur infralégislative 250 00:19:40,550 --> 00:19:46,275 puisque la loi peut les modifier, mais, en revanche, une valeur supra-réglementaire.