1 00:00:06,660 --> 00:00:10,222 Examinons aujourd'hui les moyens,  2 00:00:10,222 --> 00:00:13,200 c'est-à-dire les prérogatives  de puissance publique. 3 00:00:15,810 --> 00:00:17,600 La fin ne justifie pas tous les moyens 4 00:00:18,933 --> 00:00:23,066 et tout le monde s'accordera autour de cette idée dans une démocratie,  5 00:00:23,066 --> 00:00:24,750 dans un état de droit moderne. 6 00:00:25,110 --> 00:00:27,520 La fin ne justifie pas n'importe quel moyen. 7 00:00:28,590 --> 00:00:30,330 Mais il n'y a pas de fin sans moyens. 8 00:00:31,770 --> 00:00:34,533 Pour que les finalités puissent être accomplies, 9 00:00:35,288 --> 00:00:37,540 il faut des moyens pour les réaliser. 10 00:00:39,510 --> 00:00:40,711 En droit administratif,  11 00:00:40,800 --> 00:00:45,220 ces moyens portent le nom de "prérogatives de puissance publique". 12 00:00:45,866 --> 00:00:51,911 Et le mot montre bien que si la fin ne justifie pas n'importe quel moyen, 13 00:00:52,133 --> 00:00:54,360 il n'en demeure pas moins que le droit administratif,  14 00:00:54,444 --> 00:00:56,000 que les finalités d'intérêt général,  15 00:00:56,044 --> 00:00:59,066 que les missions de service public ne peuvent se réaliser 16 00:00:59,200 --> 00:01:03,100 que si ceux qui en sont chargés disposent de moyens pour le faire. 17 00:01:05,000 --> 00:01:08,044 Le droit administratif accorde donc nécessairement une place 18 00:01:08,755 --> 00:01:11,955 aux moyens dont les autorités administratives disposent 19 00:01:12,044 --> 00:01:18,000 pour accomplir leur mission et ces moyens portent l'intitulé relativement prestigieux 20 00:01:18,266 --> 00:01:20,800 de "prérogatives de puissance publique". 21 00:01:22,355 --> 00:01:25,970 Ces prérogatives de puissance publique peuvent donc être définies 22 00:01:26,720 --> 00:01:30,000 comme les procédés exorbitants du droit privé 23 00:01:30,844 --> 00:01:34,933 permettant à ceux qui sont en charge d'une activité administrative 24 00:01:35,777 --> 00:01:41,555 d'accomplir les finalités de cette action en faisant prévaloir l'intérêt général 25 00:01:41,955 --> 00:01:44,230 sur les intérêts particuliers. 26 00:01:46,090 --> 00:01:48,577 Et vous le voyez bien que pour faire prévaloir,  27 00:01:49,111 --> 00:01:52,444 pour faire triompher l'intérêt général sur un égoïsme privé,  28 00:01:52,577 --> 00:01:58,530 pour pouvoir donc imposer l'intérêt général,  il faut bien disposer d'une prérogative, 29 00:01:59,010 --> 00:02:02,910 on dit parfois même d'un privilège qui puisse permettre à l'administration 30 00:02:03,210 --> 00:02:06,640 de faire prévaloir l'intérêt général sur l'intérêt particulier. 31 00:02:07,050 --> 00:02:08,130 Il faut bien l'emporter. 32 00:02:10,330 --> 00:02:12,450 Alors quelles sont ces prérogatives  de puissance publique ? 33 00:02:13,230 --> 00:02:16,200 Dans cette vidéo, je ne vais pas toutes les passer en revue, 34 00:02:16,888 --> 00:02:19,377 notamment parce que dans la suite du cours,  35 00:02:19,377 --> 00:02:23,600 nous serons conduits à s'arrêter sur certaines d'entre elles, 36 00:02:23,730 --> 00:02:26,400 et je pense notamment à la prérogative par excellence 37 00:02:26,622 --> 00:02:28,050 qu'est le pouvoir d'action unilatéral, 38 00:02:28,311 --> 00:02:32,622 c'est-à-dire le pouvoir par l'administration d'édicter des actes juridiques unilatéraux, 39 00:02:32,844 --> 00:02:37,110 c'est-à-dire des actes qui sont obligatoires alors même 40 00:02:37,800 --> 00:02:41,880 que ceux auxquels ils sont destinés n'ont pas apporté leur consentement. 41 00:02:43,360 --> 00:02:44,970 Mais je réserve cela à plus tard. 42 00:02:44,977 --> 00:02:47,880 Et je voudrais donc ici simplement prendre quelques exemples. 43 00:02:49,470 --> 00:02:54,577 Quelques exemples que les juristes administrativistes ont l'habitude 44 00:02:54,622 --> 00:02:56,622 de regrouper en deux grandes catégories,  45 00:02:56,666 --> 00:02:58,711 parmi les prérogatives de puissance publique, 46 00:02:58,711 --> 00:03:03,870 il y aurait les prérogatives d'action et les prérogatives de protection. 47 00:03:04,070 --> 00:03:07,200 Reprenons rapidement cette dichotomie. 48 00:03:09,050 --> 00:03:11,090 Les prérogatives d'action tout d'abord. 49 00:03:11,750 --> 00:03:14,240 Je vais ici prendre deux exemples. 50 00:03:15,644 --> 00:03:19,955 Premier exemple, une prérogative d'exécution. 51 00:03:20,710 --> 00:03:21,911 C'est ce qu'on appelle,  52 00:03:22,088 --> 00:03:26,780 c'est ce que Maurice Hauriou notamment avait appelé le "privilège du préalable". 53 00:03:28,460 --> 00:03:29,220 De quoi s'agit-il ? 54 00:03:31,340 --> 00:03:34,844 En droit privé, il y a un principe fondamental de vie en commun 55 00:03:35,777 --> 00:03:38,888 selon lequel nul ne peut se faire justice à soi-même. 56 00:03:39,590 --> 00:03:41,422 Autrement dit, lorsqu'on est un individu,  57 00:03:41,866 --> 00:03:45,290 on ne peut pas saisir de force soi-même les biens de son débiteur. 58 00:03:45,860 --> 00:03:48,711 On ne peut pas expulser par la force et la violence 59 00:03:48,844 --> 00:03:51,130 l'occupant irrégulier de son bien immobilier. 60 00:03:52,930 --> 00:03:54,400 Face à de telles situations, 61 00:03:54,844 --> 00:03:58,444 il faut saisir le juge pour lui demander l'autorisation préalable 62 00:03:59,288 --> 00:04:06,755 de passer à l'exécution de son droit, si besoin en recourant à la force publique,  63 00:04:07,733 --> 00:04:12,040 des forces de police ou d'abord tout simplement en sollicitant l'aide d'un huissier 64 00:04:12,240 --> 00:04:15,911 qui va venir essayer d'obtenir l'exécution d'une obligation 65 00:04:16,000 --> 00:04:19,060 à laquelle un individu refuse de se soumettre. 66 00:04:20,888 --> 00:04:29,688 En matière publique, nous avons une règle bien différente puisque précisément, 67 00:04:30,888 --> 00:04:35,644 l'administration, non pas peut se faire justice à soi-même, 68 00:04:35,640 --> 00:04:39,644 cette expression d'abord serait très choquante, mais surtout, elle ne veut rien dire, 69 00:04:40,711 --> 00:04:46,933 mais l'administration est dispensée de saisir préalablement le juge 70 00:04:48,044 --> 00:04:53,511 pour obtenir des administrés qu'ils obéissent à ses décisions, 71 00:04:55,688 --> 00:04:59,200 et c'est ce qu'on appelle le "privilège du préalable". 72 00:04:59,580 --> 00:05:01,955 Comprenez bien, privilège du préalable, 73 00:05:02,222 --> 00:05:07,422 c'est la prérogative de conférer littéralement unilatéralement à ces opérations 74 00:05:08,177 --> 00:05:11,244 un caractère exécutable par elles-mêmes,  75 00:05:12,044 --> 00:05:16,830 c'est-à-dire indépendamment de l'autorisation préalable d'un juge. 76 00:05:17,970 --> 00:05:24,755 En d'autres termes, l'administration est dispensée de s'adresser préalablement à un juge, 77 00:05:24,755 --> 00:05:26,755 quel qu'il soit, judiciaire, administratif,  78 00:05:27,111 --> 00:05:31,290 pour obtenir des administrés qu'ils  obéissent à ses commandements. 79 00:05:32,370 --> 00:05:37,688 L'administration est dotée du pouvoir de se délivrer à elle-même 80 00:05:38,177 --> 00:05:45,377 le titre juridique en vertu duquel ses opérations sont exécutables, 81 00:05:46,133 --> 00:05:52,355 c'est-à-dire que le moment venu,  elle pourra procéder à leur exécution. 82 00:05:55,170 --> 00:06:00,044 Cette prérogative de puissance publique, ce privilège du préalable, 83 00:06:01,600 --> 00:06:04,577 comme l'indique son nom, écarte  donc simplement le rôle du juge 84 00:06:05,155 --> 00:06:09,555 dans l'attribution préalable du caractère exécutable d'une opération. 85 00:06:12,430 --> 00:06:17,090 Les textes illustrent ce caractère, cette prérogative. 86 00:06:18,190 --> 00:06:22,933 Je ne prendrai ici qu'un seul exemple,  en matière évidemment financière, 87 00:06:23,111 --> 00:06:27,955 lorsque l'administration détermine les créances qu'elle détient sur ses débiteurs. 88 00:06:28,350 --> 00:06:30,977 Ainsi, en matière d'impôts et de recettes assimilées,  89 00:06:30,970 --> 00:06:36,666 l'article L 252-A du Livre des Procédures Fiscales prévoit que les actes émis 90 00:06:36,755 --> 00:06:41,822 par l'administration fiscale constituent des titres exécutoires par eux-mêmes, 91 00:06:42,266 --> 00:06:45,688 qu'il s'agisse de ce qu'on appelle le rôle pour l'impôt sur le revenu 92 00:06:45,688 --> 00:06:47,066 et les autres impôts directs locaux, 93 00:06:47,420 --> 00:06:51,600 dont je précise d'ailleurs que seul un extrait individuel est envoyé aux contribuables 94 00:06:51,644 --> 00:06:53,511 sous la forme d'un avis d'imposition,  95 00:06:54,222 --> 00:06:56,844 ou encore de ce qu'on appelle les "avis de mise en recouvrement"  96 00:06:57,200 --> 00:07:02,266 en matière d'impôt sur les sociétés, de TVA ou autres impôts directs. 97 00:07:02,900 --> 00:07:06,888 Donc voyez, grâce à ce texte,  98 00:07:07,420 --> 00:07:11,125 le titre en vertu duquel l'administration constitue 99 00:07:11,275 --> 00:07:17,550 les contribuables débiteurs des créances d'impôts est un titre 100 00:07:17,600 --> 00:07:19,680 qui est exécutable en lui-même, 101 00:07:20,170 --> 00:07:24,300 l'administration fiscale n'a pas besoin de demander d'abord au juge l'autorisation 102 00:07:24,575 --> 00:07:27,600 d'envoyer des avis d'imposition aux contribuables français. 103 00:07:28,230 --> 00:07:29,866 Elle peut le faire elle-même. 104 00:07:31,800 --> 00:07:36,577 Cette prérogative, ce privilège du préalable comme on l'appelle, 105 00:07:37,020 --> 00:07:41,911 est intéressant à donner comme exemple parce qu'il montre aussi que tout privilège, 106 00:07:43,066 --> 00:07:47,777 pour celui qui le détient, est aussi une contrainte, parfois même un handicap. 107 00:07:48,570 --> 00:07:50,222 En l'espèce ici, une contrainte. 108 00:07:50,500 --> 00:07:53,950 Et la contrainte, c'est que les détenteurs d'un tel privilège, 109 00:07:53,955 --> 00:07:57,466 d'une telle prérogative de puissance publique, n'ont pas le droit d'y renoncer. 110 00:07:58,050 --> 00:08:00,560 Quand on a un privilège, on l'exerce. 111 00:08:02,040 --> 00:08:04,577 Autrement dit, concrètement, techniquement,  112 00:08:04,570 --> 00:08:09,825 cela veut dire que les collectivités publiques sont irrecevables 113 00:08:09,820 --> 00:08:14,850 à demander au juge de leur délivrer un titre exécutoire 114 00:08:15,225 --> 00:08:21,150 pour des opérations auxquelles elles peuvent elles-mêmes conférer ce caractère exécutable. 115 00:08:21,660 --> 00:08:27,733 Le juge rejettera le recours parce que le requérant est irrecevable à demander au juge 116 00:08:27,911 --> 00:08:29,688 ce qu'il peut faire lui-même tout seul. 117 00:08:30,444 --> 00:08:34,470 Et c'est ce qu'avait jugé un arrêt du Conseil d'État du 30 mai 1913, 118 00:08:34,860 --> 00:08:36,460 un arrêt préfet de l'Eure. 119 00:08:38,210 --> 00:08:42,622 Second exemple de prérogative d'action, 120 00:08:43,866 --> 00:08:46,711 c'est cette fois-ci une prérogative  non plus d'exécution, 121 00:08:46,711 --> 00:08:50,488 mais de coercition, l'exécution matérielle directe. 122 00:08:52,400 --> 00:08:55,333 En effet, réalisez bien la chose suivante,  123 00:08:56,666 --> 00:09:01,280 de ce que l'administration a le pouvoir de conférer elle-même à ses actions 124 00:09:01,911 --> 00:09:03,866 un caractère exécutable,   125 00:09:05,066 --> 00:09:11,244 il ne s'ensuit pas nécessairement qu'elle ait le droit de les exécuter elle-même. 126 00:09:12,711 --> 00:09:20,133 Faites bien la différence entre ce qui est exécutoire et ce qui est à exécuter. 127 00:09:21,510 --> 00:09:25,960 Donc l'exécution directe et matérielle d'une opération administrative,  128 00:09:26,350 --> 00:09:29,822 c'est toute autre chose que ce que je viens de voir avec vous. 129 00:09:30,920 --> 00:09:38,533 Il faut imaginer l'hypothèse où l'administration a émis un acte 130 00:09:38,650 --> 00:09:40,360 qui est par lui-même exécutable. 131 00:09:40,720 --> 00:09:42,200 Elle n'a pas eu besoin d'aller demander au juge. 132 00:09:42,810 --> 00:09:44,133 Mais peut-elle l'exécuter elle-même ? 133 00:09:45,200 --> 00:09:49,466 Autrement dit, peut-elle procéder elle-même à son exécution concrète,  134 00:09:49,790 --> 00:09:50,870 à son exécution matérielle ? 135 00:09:51,688 --> 00:09:55,200 Et la réponse à cette question n'a rien d'évident 136 00:09:55,511 --> 00:10:00,133 et on peut même dire que dans un état de droit moderne, dans une démocratie libérale, 137 00:10:00,400 --> 00:10:03,230 on pourrait peut-être s'inquiéter de ce que l'administration, 138 00:10:03,288 --> 00:10:05,570 si elle a le droit de rendre ses opérations exécutables,  139 00:10:06,488 --> 00:10:08,711 aurait le droit de les exécuter elle-même. 140 00:10:09,511 --> 00:10:10,044 Pourquoi ? 141 00:10:10,640 --> 00:10:18,044 Parce que l'exécution directe, l'exécution matérielle d'une décision administrative, 142 00:10:19,022 --> 00:10:24,533 c'est nécessairement une opération qui se situe d'abord sur le registre de l'action 143 00:10:25,200 --> 00:10:29,111 et ensuite surtout qui se situe sur le registre de la contrainte, 144 00:10:29,688 --> 00:10:32,044 de la coercition puisque par définition, 145 00:10:33,155 --> 00:10:35,555 si l'administration est obligée de recourir à un tel procédé, 146 00:10:36,000 --> 00:10:41,650 c'est que les administrés  n'ont pas spontanément obéi 147 00:10:42,225 --> 00:10:44,725 à la décision de l'administration. 148 00:10:44,888 --> 00:10:52,355 Et donc l'administration se retrouve face à un administré récalcitrant qui refuse d'obéir. 149 00:10:55,000 --> 00:10:59,911 L'exécution d'intérêts matériels peut alors emprunter deux voies différentes, 150 00:11:01,333 --> 00:11:04,320 qui toutes les deux sont potentiellement dangereuses. 151 00:11:05,550 --> 00:11:07,422 Première voie, l'exécution d'office,  152 00:11:08,620 --> 00:11:11,555 qui consiste à exécuter l'obligation d'administrer 153 00:11:12,177 --> 00:11:14,444 par voie de substitution ou d'équivalence. 154 00:11:16,400 --> 00:11:20,000 C'est très fréquent pour les obligations qui touchent les biens des administrés. 155 00:11:21,200 --> 00:11:27,911 L'exécution d'office permettra alors à l'administration de passer outre l'inertie 156 00:11:27,911 --> 00:11:34,666 ou la résistance d'un administré  en agissant à sa place et à ses frais,  157 00:11:36,222 --> 00:11:39,511 par exemple réaliser des travaux de rénovation d'un bâtiment, 158 00:11:41,066 --> 00:11:44,090 enlever et mettre en fourrière un véhicule mal stationné. 159 00:11:45,130 --> 00:11:47,425 L'administration ne le fait pas, l'administration va le faire à sa place, 160 00:11:47,520 --> 00:11:48,711 c'est l'exécution d'office. 161 00:11:50,420 --> 00:11:53,466 Mais l'exécution matérielle peut aussi emprunter la voie 162 00:11:53,466 --> 00:11:56,840 de ce qu'on appelle non pas l'exécution d'office, mais l'exécution forcée,  163 00:11:57,777 --> 00:12:00,133 exécution forcée qui consiste pour l'administration 164 00:12:00,533 --> 00:12:06,533 à recourir à l'usage de la force physique et de la contrainte corporelle 165 00:12:07,022 --> 00:12:11,288 pour passer outre la résistance d'un administré,  166 00:12:12,133 --> 00:12:17,200 ce qui peut ainsi permettre de toucher à ses biens, 167 00:12:17,955 --> 00:12:24,133 par exemple détruire un bien, ou même s'adresser ou toucher la personne elle-même,  168 00:12:24,755 --> 00:12:28,177 par exemple placer, à son arrivée sur le territoire national,  169 00:12:28,577 --> 00:12:32,488 un étranger en zone d'attente,  expulser par la force, 170 00:12:32,933 --> 00:12:34,610 l'actualité en offre de nombreux exemples, 171 00:12:35,350 --> 00:12:38,980 des occupants irréguliers d'une usine ou d'un camp de fortune,  172 00:12:39,940 --> 00:12:41,111 un camp de migrants par exemple, 173 00:12:41,866 --> 00:12:45,510 reconduire de force à la frontière un étranger en situation irrégulière. 174 00:12:48,133 --> 00:12:51,644 Alors vous le voyez, tout ceci est potentiellement dangereux 175 00:12:52,280 --> 00:12:57,688 et donc la question est la suivante :  l'administration, nous l'avons vu, 176 00:12:58,000 --> 00:13:02,030 a le droit de conférer à ces opérations à caractère exécutable, 177 00:13:02,780 --> 00:13:06,311 mais a-t-elle pour autant le droit de passer elle-même 178 00:13:06,977 --> 00:13:09,980 à l'exécution matérielle de ces opérations ? 179 00:13:12,950 --> 00:13:16,177 C'est au commissaire du gouvernement, Jean Romieu, 180 00:13:16,755 --> 00:13:21,022 un membre du Conseil d'État du début du 20e siècle, dans des conclusions,  181 00:13:22,000 --> 00:13:27,240 qu'est revenu le soin de répondre à cette question. 182 00:13:27,777 --> 00:13:31,680 Donc nous avons ici un bel exemple où l'arrêt est moins important 183 00:13:31,733 --> 00:13:36,222 que les conclusions rendues par le commissaire du gouvernement, en l'espèce Jean Romieu,  184 00:13:36,666 --> 00:13:40,577 qui avait répondu à cette question dans des conclusions rendues sous une affaire, 185 00:13:40,711 --> 00:13:45,200 tribunal des conflits, 2 décembre 1902,  Société immobilière de Saint-Just. 186 00:13:47,290 --> 00:13:49,890 De la théorie élaborée par Jean Romieu dans ses conclusions,  187 00:13:50,177 --> 00:13:52,800 il résulte un principe et trois exceptions. 188 00:13:53,955 --> 00:13:58,400 Le principe, c'est que les autorités administratives en France n'ont pas le droit 189 00:13:58,711 --> 00:14:04,311 de procéder directement à l'exécution matérielle des actions dont elles ont la charge. 190 00:14:08,230 --> 00:14:15,555 Si elles sont confrontées à la résistance ou à la négligence ou à l'inertie d'un administré, 191 00:14:16,133 --> 00:14:19,911 eh bien elles ne peuvent pas forcer elles-mêmes cet administré à obéir. 192 00:14:20,720 --> 00:14:25,911 Elles doivent s'adresser préalablement à un juge, notamment un juge pénal, 193 00:14:26,711 --> 00:14:29,911 qui, s'il constate une infraction,  194 00:14:30,488 --> 00:14:35,244 ordonnera toutes les mesures nécessaires pour la faire cesser,  195 00:14:35,422 --> 00:14:41,800 ordonnera le recours aux agents de la force publique ou à tout autre procédé d'exécution. 196 00:14:43,111 --> 00:14:45,555 Donc il y a un privilège du préalable, 197 00:14:46,088 --> 00:14:51,360 mais il n'y a pas de privilège général d'exécution matérielle des actions de l'administration. 198 00:14:53,800 --> 00:14:58,444 À ce principe, le droit administratif  français, nous dit Jean Romieu,  199 00:14:59,111 --> 00:15:01,000 apporte toutefois trois exceptions. 200 00:15:02,350 --> 00:15:03,200 La première, elle est toute simple,  201 00:15:04,088 --> 00:15:08,755 c'est l'exception où tout simplement une loi autorise l'administration 202 00:15:09,200 --> 00:15:14,844 à exécuter directement ses opérations sans solliciter l'autorisation préalable du juge, 203 00:15:14,844 --> 00:15:15,950 et notamment du juge répressif. 204 00:15:17,180 --> 00:15:22,820 Quelques exemples, article L 222-1 du Code des étrangers,  205 00:15:24,020 --> 00:15:27,377 les autorités administratives compétentes peuvent procéder au placement forcé 206 00:15:27,370 --> 00:15:28,622 en zone d'attente portuaire 207 00:15:29,022 --> 00:15:32,933 ou aéroportuaire des étrangers entrés illégalement sur le territoire français, 208 00:15:33,866 --> 00:15:38,000 de même qu'ils peuvent procéder au placement forcé en centre de rétention 209 00:15:38,622 --> 00:15:42,830 des étrangers qui sont en attente de leur sortie du territoire. 210 00:15:44,000 --> 00:15:48,266 Autre exemple bien célèbre pour tous les utilisateurs de voitures, d'automobiles, 211 00:15:48,577 --> 00:15:54,222 l'article L 325-1 du Code de la route prévoit que l'autorité administrative 212 00:15:54,222 --> 00:15:58,444 peut procéder d'office immédiatement à l'immobilisation, l'enlèvement, 213 00:15:58,622 --> 00:16:02,000 la mise en fourrière voire la destruction des véhicules 214 00:16:02,311 --> 00:16:06,020 qui étaient en infraction avec les règles du Code de la route, 215 00:16:07,155 --> 00:16:08,488 et notamment en matière de stationnement. 216 00:16:10,400 --> 00:16:13,422 Donc première exception,  la loi peut elle-même prévoir 217 00:16:13,422 --> 00:16:16,311 que l'autorité administrative peut procéder elle-même 218 00:16:16,444 --> 00:16:19,080 à l'exécution d'office ou forcée de ses opérations. 219 00:16:20,760 --> 00:16:22,000 Deuxième exception,  220 00:16:22,977 --> 00:16:26,266 nous retrouvons une leçon que nous avons étudiée précédemment, l'urgence. 221 00:16:26,755 --> 00:16:28,044 Eh oui, l'urgence. 222 00:16:28,400 --> 00:16:29,644 Et dans ses conclusions, 223 00:16:29,777 --> 00:16:33,422 Jean Romieu a notamment écrit cette phrase qui est restée célèbre 224 00:16:33,422 --> 00:16:37,200 dans le vocabulaire et la littérature administrativiste : 225 00:16:37,555 --> 00:16:38,711 "Quand la maison brûle,  226 00:16:38,933 --> 00:16:43,760 on ne va pas demander au juge l'autorisation d'y envoyer les pompiers". 227 00:16:44,570 --> 00:16:48,177 Autrement dit, face à une situation d'urgence,  228 00:16:48,844 --> 00:16:52,488 un péril imminent pour l'ordre et la sécurité,  229 00:16:52,711 --> 00:16:59,150 l'administration peut agir elle-même et est  dispensée de saisir préalablement le juge. 230 00:17:00,100 --> 00:17:06,400 Enfin, cette affaire nous rappelait qu'en l'absence de texte et en l'absence d'urgence, 231 00:17:06,933 --> 00:17:11,422 Jean Romieu nous dit que l'exécution administrative, 232 00:17:11,422 --> 00:17:16,400 matérielle et directe peut également avoir lieu et être possible, 233 00:17:16,666 --> 00:17:21,600 mais à la condition qu'elle soit justifiée par un refus manifeste d'obéir, 234 00:17:21,820 --> 00:17:26,755 qu'elle soit légalement fondée par un texte imposant une obligation précise et adéquate, 235 00:17:27,022 --> 00:17:30,266 c'est-à-dire proportionnée dans l'hypothèse 236 00:17:31,688 --> 00:17:39,600 où les autres situations ne permettraient pas d'obtenir cette exécution forcée ou d'office, 237 00:17:39,680 --> 00:17:43,466 bref, cette exécution matérielle et directe d'une action de l'administration. 238 00:17:44,610 --> 00:17:47,600 Voilà quelques exemples de prérogative d'action. 239 00:17:47,850 --> 00:17:51,350 Quelques mots maintenant sur des prérogatives de protection. 240 00:17:52,170 --> 00:17:53,400 Là aussi, elles sont nombreuses. 241 00:17:53,422 --> 00:17:55,050 Je me limiterai à deux exemples. 242 00:17:55,320 --> 00:17:57,555 Mais leur point commun, c'est que parfois, 243 00:17:57,555 --> 00:18:02,488 l'administration bénéficie de protections pour la protéger contre elle-même,  244 00:18:02,800 --> 00:18:06,610 pour la protéger contre certains abus ou contre certaines dérives. 245 00:18:07,170 --> 00:18:10,975 Parce que précisément, il faut toujours se rappeler 246 00:18:11,125 --> 00:18:13,460 que l'administration n'agit pas dans son intérêt propre,  247 00:18:13,777 --> 00:18:15,066 elle n'agit pas pour elle-même, 248 00:18:15,288 --> 00:18:18,088 mais elle poursuit des finalités d'intérêt général 249 00:18:18,300 --> 00:18:20,725 et accomplit des missions de service public. 250 00:18:22,040 --> 00:18:26,400 Premier exemple, le caractère insaisissable des biens publics. 251 00:18:28,360 --> 00:18:30,440 Là, on voit bien l'idée de la protection. 252 00:18:31,860 --> 00:18:37,777 Il faut que la puissance publique ne soit jamais privée des biens,  253 00:18:38,622 --> 00:18:44,266 des ressources publiques dont elle a besoin pour accomplir ses missions d'intérêt général. 254 00:18:45,420 --> 00:18:52,311 Par conséquent, le droit français prévoit une règle d'insaisissabilité des biens publics. 255 00:18:53,400 --> 00:18:56,160 Cette règle est ancienne, elle remonte à la Révolution française. 256 00:18:57,180 --> 00:19:03,644 Elle a été implicitement adoptée dans la loi relative aux procédures civiles d'exécution, 257 00:19:03,822 --> 00:19:05,920 la loi du 9 juillet 1991. 258 00:19:06,780 --> 00:19:12,488 Elle est désormais explicitement prévue par l'article L 2311-1 259 00:19:12,711 --> 00:19:17,450 du Code général de la propriété des personnes publiques. 260 00:19:18,830 --> 00:19:24,650 La règle de l'insaisissabilité signifie que les biens publics 261 00:19:25,490 --> 00:19:30,200 ne peuvent faire l'objet d'aucune des voies civiles d'exécution. 262 00:19:31,275 --> 00:19:33,525 Les créanciers des dettes publiques ne peuvent 263 00:19:33,675 --> 00:19:39,150 ni constituer des garanties sur les biens publics, une sûreté type hypothèque,  264 00:19:39,688 --> 00:19:42,844 ni en cas de défaillance du débiteur public,  265 00:19:43,466 --> 00:19:47,022 contraindre celui-ci à l'exécution forcée 266 00:19:47,688 --> 00:19:53,022 en déclenchant par exemple des opérations de saisie sur les biens publics. 267 00:19:54,650 --> 00:20:00,133 C'est là une règle fondamentale que vous aurez l'occasion d'approfondir en troisième année 268 00:20:00,133 --> 00:20:02,710 dans un cours de droit administratif des biens. 269 00:20:03,480 --> 00:20:09,511 Mais cet exemple est intéressant à utiliser parce qu'il vous rappelle toujours 270 00:20:09,733 --> 00:20:12,355 qu'un privilège est en même temps une contrainte et un handicap. 271 00:20:12,933 --> 00:20:15,733 Ici, c'est incontestablement un privilège puisque finalement,  272 00:20:15,733 --> 00:20:19,466 les autorités administratives  sont à l'abri de toute saisie 273 00:20:19,466 --> 00:20:20,590 et de toute hypothèque sur leurs biens. 274 00:20:21,400 --> 00:20:25,866 Mais la contrainte, c'est que cette règle complique fondamentalement 275 00:20:25,866 --> 00:20:27,200 le financement des ouvrages publics 276 00:20:27,422 --> 00:20:30,622 puisque les collectivités publiques peuvent difficilement emprunter auprès des banques, 277 00:20:31,244 --> 00:20:34,266 les banques étant assez réticentes à prêter de l'argent 278 00:20:34,577 --> 00:20:38,711 à des personnes sur les biens desquelles elles ne peuvent pas se garantir. 279 00:20:39,650 --> 00:20:43,111 Donc c'est une règle finalement  qui apparaît comme une contrainte 280 00:20:43,288 --> 00:20:47,777 voire un handicap pour le financement de la construction d'ouvrages publics. 281 00:20:49,330 --> 00:20:52,720 Second exemple enfin,  l'interdiction de faire des libéralités. 282 00:20:53,110 --> 00:20:55,111 Là aussi, la règle est très claire,  283 00:20:55,244 --> 00:20:58,088 cette prérogative de puissance publique répond bien à la nécessité 284 00:20:58,088 --> 00:20:59,777 de protéger l'administration contre elle-même. 285 00:21:01,380 --> 00:21:04,000 Parce que les ressources publiques sont entièrement affectées 286 00:21:04,440 --> 00:21:06,600 aux finalités d'intérêt général, 287 00:21:07,120 --> 00:21:09,925 tous ceux qui sont conduits à détenir des ressources publiques 288 00:21:10,250 --> 00:21:11,860 ne peuvent pas en disposer librement,  289 00:21:12,260 --> 00:21:18,000 ne peuvent pas faire par générosité des dons ou des donations à telle ou telle personne. 290 00:21:18,720 --> 00:21:21,100 Les collectivités publiques ne disposent pas 291 00:21:22,150 --> 00:21:24,900 personnellement et librement de l'argent public 292 00:21:25,150 --> 00:21:28,875 parce que cet argent public est uniquement affecté aux missions d'intérêt général,  293 00:21:28,875 --> 00:21:30,080 aux finalités d'intérêt général, 294 00:21:30,080 --> 00:21:33,555 aux missions de service public que nos collectivités publiques doivent accomplir. 295 00:21:33,870 --> 00:21:34,666 Par conséquent,  296 00:21:34,930 --> 00:21:40,800 interdiction à l'administration de faire des libéralités au sens du droit civil. 297 00:21:41,510 --> 00:21:43,688 Et cette règle est intéressante 298 00:21:43,688 --> 00:21:49,740 parce qu'elle trouve des illustrations récentes plus précises. 299 00:21:50,750 --> 00:21:54,577 Par exemple, le (juge administratif) en a déduit 300 00:21:55,240 --> 00:21:59,777 que les collectivités publiques ne peuvent jamais être condamnées par le juge 301 00:21:59,955 --> 00:22:03,370 à payer une somme d'argent qu'elles ne doivent pas. 302 00:22:04,450 --> 00:22:07,822 C'est là un principe général du droit et c'est ce qu'a affirmé le Conseil d'État 303 00:22:08,000 --> 00:22:13,422 dans un arrêt de section du 19 mars 1971, un arrêt Mergui. 304 00:22:15,470 --> 00:22:19,644 Autre approfondissement, autre développement,  305 00:22:22,222 --> 00:22:28,755 le juge estime que ni le législateur  ni aucune autorité administrative  306 00:22:29,200 --> 00:22:33,333 ne peut vendre à une personne poursuivant une fin d'intérêt privé 307 00:22:33,866 --> 00:22:38,720 un élément du patrimoine public à un prix inférieur à sa valeur marchande. 308 00:22:39,260 --> 00:22:44,577 Autrement dit, le principe, la prohibition des libéralités se prolonge dans l'idée 309 00:22:44,888 --> 00:22:50,311 qu'il est interdit aux collectivités publiques tout simplement de brader leurs biens, 310 00:22:50,844 --> 00:22:54,355 de les vendre à un prix inférieur à leur valeur. 311 00:22:54,844 --> 00:22:58,533 Et cet exemple est intéressant pour terminer parce qu'il nous montre 312 00:22:59,288 --> 00:23:02,888 que ce que l'intérêt général prohibe,  313 00:23:04,311 --> 00:23:06,670 l'intérêt général peut exceptionnellement le justifier. 314 00:23:07,450 --> 00:23:13,555 En effet, a priori, sont donc considérées en droit français comme nulles 315 00:23:13,860 --> 00:23:18,755 toutes les ventes par lesquelles les personnes publiques vendent des biens 316 00:23:18,755 --> 00:23:23,377 à un prix inférieur à leur valeur marchande, sauf que parfois, 317 00:23:24,133 --> 00:23:30,888 il peut être dans l'intérêt d'une commune de faire une cession à l'euro symbolique,  318 00:23:32,000 --> 00:23:36,620 d'un bien, par exemple pour y installer un médecin. 319 00:23:37,190 --> 00:23:40,488 C'est le cas dans de nombreuses zones rurales où on manque de médecins 320 00:23:40,488 --> 00:23:42,770 ou encore pour attirer des entreprises sur leur territoire. 321 00:23:43,100 --> 00:23:48,622 Les collectivités territoriales peuvent avoir intérêt à livrer clés en main des bâtiments 322 00:23:48,933 --> 00:23:52,000 pour permettre à une usine de s'y installer et à ce moment-là, 323 00:23:52,177 --> 00:23:53,870 on fait une cession à l'euro symbolique. 324 00:23:55,066 --> 00:23:57,688 Saisi de ce genre de question, le Conseil d'État,  325 00:23:57,688 --> 00:24:01,111 dans un arrêt de section du 3 novembre 1997,  326 00:24:01,420 --> 00:24:06,444 un arrêt commune de Fougerolles a considéré ces ventes à l'euro symbolique 327 00:24:06,488 --> 00:24:10,577 comme légales parce que dans ce cas-là,  328 00:24:11,066 --> 00:24:15,466 la cession est justifiée par un motif d'intérêt général, 329 00:24:16,711 --> 00:24:21,777 la lutte contre la désertification rurale,  le développement économique d'une région,  330 00:24:21,777 --> 00:24:23,200 d'un département ou d'une commune. 331 00:24:23,600 --> 00:24:24,444 Et à ce moment-là,  332 00:24:24,750 --> 00:24:28,200 la vente d'un immeuble public  à un euro symbolique 333 00:24:28,725 --> 00:24:30,775 va être considérée par le juge comme légal 334 00:24:30,850 --> 00:24:35,020 parce qu'il y a intérêt général à la considérer ainsi.