1 00:00:05,590 --> 00:00:06,430 Deuxièmement : octroyer. 2 00:00:10,390 --> 00:00:17,950 Au 14ᵉ siècle, le roi peut offrir sa miséricorde à un coupable en 3 00:00:18,150 --> 00:00:20,620 accordant une lettre de rémission. 4 00:00:22,210 --> 00:00:29,860 Le roi octroie sa miséricorde par lettre de rémission ou par lettre 5 00:00:30,160 --> 00:00:31,090 d'abolition. 6 00:00:32,110 --> 00:00:40,600 Il convient de distinguer ici que la pénitence et le pardon relèvent 7 00:00:40,800 --> 00:00:47,740 de l'Église, mais que la grâce et la rémission relèvent du roi. 8 00:00:49,300 --> 00:00:55,930 Le sacre fonde pour le roi la vertu de miséricorde. 9 00:00:56,770 --> 00:01:02,050 C'est un principe qui n'a pas d'exception, sinon une seule. 10 00:01:04,090 --> 00:01:09,460 Une exception existe au monopole royal de la grâce. 11 00:01:10,090 --> 00:01:18,040 C'est la coutume en certains lieux qui veut qu'un condamné à mort 12 00:01:18,700 --> 00:01:25,990 puisse être sauvé si, au moment de son exécution, 13 00:01:27,160 --> 00:01:29,500 il est demandé en mariage. 14 00:01:31,720 --> 00:01:39,160 Cette rémission, que l'on appelle rémission par mariage subséquent, 15 00:01:40,390 --> 00:01:49,240 cette rémission se trouve relatée en juillet 1388, dans la région 16 00:01:49,440 --> 00:01:50,200 de Provins. 17 00:01:51,250 --> 00:01:59,080 Il se trouve qu'un voleur de cheval de 22 ans, condamné à mort est 18 00:01:59,280 --> 00:02:08,020 demandé en mariage par une chambrière, alors qu'il est mené au supplice 19 00:02:08,650 --> 00:02:10,510 sur le bûcher. 20 00:02:11,470 --> 00:02:20,260 Le prévôt sursoit alors immédiatement à l'exécution et accorde la grâce 21 00:02:20,710 --> 00:02:25,060 pour le bien et pour l'honneur de leur mariage. 22 00:02:26,110 --> 00:02:33,220 Le monopole royal ne trouve d'ailleurs pas ici de réelle exception, 23 00:02:33,730 --> 00:02:41,020 puisque le roi intervient ensuite pour que la lettre de rémission 24 00:02:41,440 --> 00:02:43,390 soit enregistrée. 25 00:02:46,390 --> 00:02:54,880 La définition du pouvoir royal au 14ᵉ siècle passe par l'équilibre 26 00:02:55,080 --> 00:03:04,090 de rigueur et d'équité que traduisent à la fois la justice et la miséricorde. 27 00:03:05,140 --> 00:03:13,540 Lorsque la justice rendue au nom du roi devient le fait de tribunaux 28 00:03:14,500 --> 00:03:21,340 et d'officiers royaux, le nombre des lettres de rémission 29 00:03:21,820 --> 00:03:23,740 tend à augmenter. 30 00:03:24,820 --> 00:03:31,810 Les notaires de la chancellerie affirment que le roi préfère la 31 00:03:32,010 --> 00:03:34,700 pitié à la rigueur de justice. 32 00:03:34,900 --> 00:03:41,590 Cependant, ils ne retirent pas complètement aux juges la faculté 33 00:03:42,010 --> 00:03:43,180 de faire grâce. 34 00:03:44,290 --> 00:03:52,930 En pratique, même lorsque le juge s'aperçoit que le cas peut faire 35 00:03:53,130 --> 00:03:59,260 l'objet d'une grâce, la procédure est suspendue et ceci, 36 00:03:59,530 --> 00:04:05,230 même si l'accusé reste inactif, ne fait aucune demande. 37 00:04:05,950 --> 00:04:13,420 Les juges adressent alors au chancelier leurs suppliques en sa faveur. 38 00:04:16,180 --> 00:04:22,900 Les lettres de rémission dont on a présenté le mécanisme et l'avantage, 39 00:04:23,380 --> 00:04:26,620 les avantages, ces lettres de rémission, cependant, 40 00:04:28,510 --> 00:04:31,360 ne rencontrent pas que des partisans. 41 00:04:32,470 --> 00:04:37,360 La pratique des lettres de rémission se trouve en effet combattue, 42 00:04:38,140 --> 00:04:45,430 combattue par des adversaires qui développent deux séries de critiques 43 00:04:46,030 --> 00:04:48,250 contre ces lettres de rémission. 44 00:04:49,600 --> 00:04:53,380 Première série de critiques, ils trouvent tout d'abord ces lettres 45 00:04:53,920 --> 00:04:59,920 incomplètes, incomplètes car elles ne sont pas justifiées. 46 00:05:01,440 --> 00:05:02,310 Et cela est vrai. 47 00:05:03,750 --> 00:05:07,590 Comme toute décision de justice sous l'Ancien Régime, 48 00:05:08,370 --> 00:05:11,340 les décisions ne sont pas motivées. 49 00:05:12,180 --> 00:05:14,700 Les lettres de rémission non plus. 50 00:05:15,960 --> 00:05:21,090 L'autre série de critiques adressées à la lettre de rémission, 51 00:05:21,870 --> 00:05:27,240 c'est que ses adversaires s'indignent de ce que ces lettres de rémission 52 00:05:27,750 --> 00:05:35,520 contribuent à effacer d'un coup de plume la gravité d'un crime. 53 00:05:36,840 --> 00:05:41,430 Et à ces critiques, il y a des réponses. 54 00:05:42,780 --> 00:05:46,980 Sur la première critique, c'est-à-dire sur le caractère 55 00:05:47,220 --> 00:05:55,080 incomplet, non justifié des lettres, il est répondu que la validité 56 00:05:55,830 --> 00:06:00,810 de la rémission se satisfait de 57 00:06:01,010 --> 00:06:02,700 la seule volonté royale. 58 00:06:04,020 --> 00:06:13,380 La réponse qui est faite ici signifie que la volonté du roi ecause justifie 59 00:06:14,100 --> 00:06:17,820 à elle seule la lettre de rémission. 60 00:06:18,600 --> 00:06:26,430 Aucune motivation n'est requise en supplément, aucune motivation 61 00:06:26,910 --> 00:06:28,110 n'est nécessaire. 62 00:06:30,390 --> 00:06:35,730 L'autre réponse faite à la seconde 63 00:06:35,930 --> 00:06:42,720 critique, c'est que la lettre permet la remise de la peine et tous les 64 00:06:42,920 --> 00:06:47,970 intérêts publics touchant au rétablissement des biens et de 65 00:06:48,170 --> 00:06:48,930 l'honneur. 66 00:06:49,620 --> 00:06:54,360 Seuls les dommages et intérêts résistent à la rémission, 67 00:06:54,560 --> 00:07:02,610 c'est-à-dire que la lettre de rémission ne peut effacer cette préservation 68 00:07:03,390 --> 00:07:10,770 des intérêts de la partie adverse, et cela constitue donc une petite 69 00:07:11,250 --> 00:07:18,870 garantie de reconnaissance de la gravité du crime commis. 70 00:07:20,880 --> 00:07:25,800 D'autre part, certains crimes ne peuvent, nous l'avons déjà dit, 71 00:07:26,220 --> 00:07:29,820 ne peuvent ouvrir à l'octroi d'une lettre de rémission. 72 00:07:30,810 --> 00:07:34,200 Nous les avons déjà évoqués, il s'agit des meurtres, 73 00:07:34,530 --> 00:07:38,190 des mutilations de membres, des ruptures de trêve, 74 00:07:38,670 --> 00:07:43,260 des ruptures de trêve de paix qui ont été jurées entre parties 75 00:07:43,500 --> 00:07:44,550 belligérantes. 76 00:07:45,450 --> 00:07:50,160 Et cela montre bien que l'importance du crime est considérée. 77 00:07:53,190 --> 00:08:00,030 À la fin du 14ᵉ siècle, Jacques d'Ableiges dans "Le Grand 78 00:08:00,230 --> 00:08:04,590 Coutumier de France", écrit une formule magnifique qui 79 00:08:04,790 --> 00:08:09,120 relie à la fois la justice et la miséricorde. 80 00:08:09,660 --> 00:08:21,180 Il écrit : "Justice sans miséricorde est creuse, miséricorde sans justice 81 00:08:22,110 --> 00:08:28,320 est lâcheté."  Cette formule, 82 00:08:28,680 --> 00:08:34,020 qui est une très belle formule, n'est pas tout à fait suivie dans 83 00:08:34,220 --> 00:08:36,270 la pratique judiciaire de l'époque. 84 00:08:37,080 --> 00:08:43,530 L'équilibre que propose cette formule, c'est-à-dire la relation présentée 85 00:08:44,160 --> 00:08:51,720 entre la justice et la miséricorde, n'est pas encore très bien visible 86 00:08:52,620 --> 00:08:55,110 au début du 15ᵉ siècle. 87 00:08:55,980 --> 00:09:02,070 Au début du 15ᵉ siècle, on attribue encore la miséricorde 88 00:09:02,700 --> 00:09:06,600 à la justice de Dieu et à elle seule. 89 00:09:08,310 --> 00:09:13,920 Il revient au chrétien, par sa prière, par sa pénitence, 90 00:09:14,340 --> 00:09:21,900 de rendre cette justice miséricordieuse et en réservant à Dieu seul la 91 00:09:22,100 --> 00:09:27,960 miséricorde, on la refuse dans le même temps au roi et à l'ordre 92 00:09:28,160 --> 00:09:29,460 judiciaire du royaume. 93 00:09:30,480 --> 00:09:36,480 Le domaine de l'Église et celui du roi semblent encore bien étanches. 94 00:09:37,480 --> 00:09:43,110 Il semble que la miséricorde ne saurait faire exception pour traverser 95 00:09:43,590 --> 00:09:44,670 ces deux domaines. 96 00:09:45,690 --> 00:09:50,520 Si elle parvient à traverser, c'est au risque de se voir tourner 97 00:09:50,720 --> 00:09:58,260 en dérision et c'est ce qui arrive dans une prédication de 1405. 98 00:09:59,130 --> 00:10:01,530 On raconte l'histoire suivante. 99 00:10:02,940 --> 00:10:08,610 On demande au roi de France la rémission pour un homme qui en 100 00:10:08,810 --> 00:10:09,570 a tué un autre. 101 00:10:10,830 --> 00:10:18,150 Le roi rappelle qu'autrefois, il avait pardonné cet homme dans 102 00:10:18,350 --> 00:10:24,950 un cas semblable, mais que pour ce nouveau cas-là, il ne sera pas 103 00:10:25,150 --> 00:10:25,910 pardonné. 104 00:10:27,380 --> 00:10:31,460 Alors dans le Conseil du roi, vous le savez, il y a toujours 105 00:10:31,850 --> 00:10:38,090 un fou et le fou, ici, prend la parole et demande : 106 00:10:39,590 --> 00:10:40,350 Pourquoi ? 107 00:10:42,230 --> 00:10:45,470 Vous devez bien, Sir, lui pardonner ce meurtre, 108 00:10:46,610 --> 00:10:52,820 car ce meurtre, c'est vous, Sire, qui l'avez commis." "Comment ?" 109 00:10:58,150 --> 00:10:58,930 demande le roi. 110 00:11:00,430 --> 00:11:06,700 Et le fou, dans sa sagesse de répondre : "Si autrefois vous aviez 111 00:11:06,900 --> 00:11:14,650 fait justice à ce meurtrier sans être miséricordieux, il n'aurait 112 00:11:14,850 --> 00:11:22,840 pas commis ce nouveau meurtre."  Et vous le voyez, avec cette anecdote 113 00:11:23,040 --> 00:11:29,710 qui est rappelée dans une prédication de 1405, on a là la mise en dérision 114 00:11:32,020 --> 00:11:36,350 d'un principe pourtant fondamental qu'est la miséricorde. 115 00:11:39,310 --> 00:11:44,920 Au début du 15ᵉ siècle, non seulement la justice se distingue 116 00:11:45,160 --> 00:11:52,210 de la miséricorde, mais la miséricorde ne se dispense pas de la même manière 117 00:11:52,410 --> 00:11:53,200 que la justice. 118 00:11:54,070 --> 00:12:00,580 Si la miséricorde peut être dispensée aux humbles, la justice doit, 119 00:12:00,940 --> 00:12:04,840 dans sa rigueur, s'appliquer aux malfaiteurs. 120 00:12:05,860 --> 00:12:11,680 En revanche, au milieu du 15ᵉ siècle, la formule de Jacques d'Ableiges, 121 00:12:13,000 --> 00:12:19,630 dans son "Grand Coutumier de France" va commencer à trouver une certaine 122 00:12:19,830 --> 00:12:22,060 réalité dans la pratique. 123 00:12:22,840 --> 00:12:30,070 Charles VI et mieux encore, Charles VII vont évoquer lors de 124 00:12:30,270 --> 00:12:35,740 leur sacre la justice unie à la miséricorde. 125 00:12:36,490 --> 00:12:42,490 Cette miséricorde royale porte à son apogée la justice du roi. 126 00:12:43,240 --> 00:12:51,040 La justice du roi trouve ici définitivement affirmée la confirmation 127 00:12:51,520 --> 00:12:59,080 de sa supériorité sur toutes les autres justices et dans le même moment, 128 00:12:59,620 --> 00:13:05,350 le roi, de suzerain devient définitivement souverain.