1 00:00:05,390 --> 00:00:06,150 B. 2 00:00:11,740 --> 00:00:13,000 La pratique royale. 3 00:00:14,560 --> 00:00:20,500 Sous l’Ancien Régime, la miséricorde se pose et s’oppose 4 00:00:21,070 --> 00:00:22,540 à la rigueur de justice. 5 00:00:23,740 --> 00:00:30,070 Cet octroi de miséricorde se fait par lettre du roi, lettre appelée 6 00:00:30,270 --> 00:00:32,770 lettre de rémission. 7 00:00:33,970 --> 00:00:41,680 Cet octroi de miséricorde ressemble à une grâce divine, Dieu étant 8 00:00:41,880 --> 00:00:46,870 seul susceptible de justifier une telle décision. 9 00:00:49,270 --> 00:00:57,400 En faisant miséricorde par la lettre de rémission, le roi arrête le 10 00:00:57,600 --> 00:01:05,380 cours ordinaire de la justice, que cette justice soit ecclésiastique, 11 00:01:05,580 --> 00:01:17,860 seigneuriale, urbaine, marchande, ou que ce soit la justice 12 00:01:18,060 --> 00:01:18,880 royale elle-même. 13 00:01:20,230 --> 00:01:27,370 Par ce geste, le roi contredit l’autorité de la chose jugée, 14 00:01:28,090 --> 00:01:33,460 voire la législation qu’il a pu lui-même édicter. 15 00:01:37,540 --> 00:01:43,270 Les conséquences de ces lettres de rémission sont évidemment très 16 00:01:43,470 --> 00:01:44,230 importantes. 17 00:01:44,890 --> 00:01:51,040 Le roi, par cette lettre, interdit aux familles touchées 18 00:01:51,490 --> 00:01:55,690 par le crime de répondre par la vengeance. 19 00:01:56,620 --> 00:02:03,790 Le roi, par cette lettre, efface jusqu’au souvenir même du crime. 20 00:02:06,070 --> 00:02:14,290 Au 14ᵉ siècle, la miséricorde est octroyée par le roi sur demande. 21 00:02:14,490 --> 00:02:17,200 Premièrement : Demander. 22 00:02:20,560 --> 00:02:27,880 La demande d’une lettre de rémission peut être le fait de requérants 23 00:02:28,080 --> 00:02:29,050 assez divers. 24 00:02:29,250 --> 00:02:34,270 L’ouverture de la demande concerne 25 00:02:34,470 --> 00:02:36,820 donc différentes personnes. 26 00:02:38,560 --> 00:02:44,410 Elle peut être tout d’abord le fait de l’auteur du délit lui-même, 27 00:02:46,000 --> 00:02:53,050 mais ses proches peuvent aussi requérir pour lui l’intervention 28 00:02:53,250 --> 00:02:54,010 royale. 29 00:02:55,540 --> 00:03:00,070 Le délit dont il est question, le plus souvent un crime, 30 00:03:00,460 --> 00:03:04,840 stimule tout un réseau de solidarité. 31 00:03:05,040 --> 00:03:10,390 Parents, amis sont tous mis à contribution. 32 00:03:10,590 --> 00:03:17,080 Parfois, des grands, des princes du sang ou des officiers 33 00:03:18,220 --> 00:03:23,800 peuvent intervenir afin de défendre leurs clients. 34 00:03:25,330 --> 00:03:31,900 La lettre de rémission peut être demandée pendant l’instruction 35 00:03:32,380 --> 00:03:39,760 de l’affaire du crime par la cour, mais elle peut aussi être demandée 36 00:03:40,420 --> 00:03:43,660 après la prise de décision. 37 00:03:46,000 --> 00:03:53,110 Les limites à cette ouverture sont peu nombreuses, mais elles existent. 38 00:03:54,160 --> 00:03:56,470 On en relève essentiellement deux. 39 00:03:58,780 --> 00:04:05,440 La première limite, ce peut être le caractère particulièrement odieux 40 00:04:06,070 --> 00:04:12,700 de certains crimes, certains crimes qui ne sauraient être graciés. 41 00:04:14,080 --> 00:04:20,920 Une ordonnance du 3 mars 1357 dresse 42 00:04:21,280 --> 00:04:30,610 une liste sélective des crimes qui ne sauraient ouvrir à la demande 43 00:04:31,180 --> 00:04:33,730 d’une miséricorde royale. 44 00:04:35,470 --> 00:04:42,070 On envisage ici, en mettant de côté le crime de lèse-majesté, 45 00:04:43,060 --> 00:04:48,850 le régicide, qui ne peut jamais connaître de limitation dans le 46 00:04:49,050 --> 00:04:56,470 châtiment, mais dans cette liste de 1357, on envisage les meurtres, 47 00:04:57,400 --> 00:04:59,260 les mutilations de membres. 48 00:05:00,110 --> 00:05:04,880 Les ruptures de trêve au moment des paix royales. 49 00:05:07,310 --> 00:05:13,910 On envisage également la rupture des paix qui ont été jurées entre 50 00:05:14,210 --> 00:05:16,100 des parties belligérantes. 51 00:05:16,300 --> 00:05:25,790 C’est là, la première limite que rencontre la demande de lettre 52 00:05:25,990 --> 00:05:26,750 de rémission. 53 00:05:27,830 --> 00:05:34,430 La seconde limite peut être aussi le prix de la lettre de rémission. 54 00:05:35,090 --> 00:05:39,350 En effet, la lettre coûte 32 sous. 55 00:05:41,030 --> 00:05:47,930 Le coût de l’acte se justifie par les droits de chancellerie pour 56 00:05:48,130 --> 00:05:53,570 rédiger, sceller et enregistrer la lettre. 57 00:05:53,770 --> 00:06:01,820 Cependant, cette dernière limite du coût de la lettre peut être 58 00:06:02,020 --> 00:06:05,090 contournée en cas de pauvreté avérée. 59 00:06:06,290 --> 00:06:11,510 Dans ce cas de pauvreté avérée, en effet, la lettre de rémission 60 00:06:11,990 --> 00:06:15,800 peut être expédiée gratuitement. 61 00:06:17,780 --> 00:06:24,680 Ces deux séries de limites une fois posées, la facilité de requérir 62 00:06:25,400 --> 00:06:31,850 apparaît d’autant plus grande que la résolution est souvent rapide. 63 00:06:32,780 --> 00:06:40,010 Le délai entre la commission du fait délictueux et l’obtention 64 00:06:40,460 --> 00:06:47,540 de la lettre dans la majorité des cas s’inscrit en moins de 12 mois. 65 00:06:47,740 --> 00:06:55,640 Juridiquement, la lettre s’obtient par l’ouverture d’une voie de recours. 66 00:06:57,500 --> 00:07:04,880 Au début du 14ᵉ siècle, trois voies de recours se présentent 67 00:07:05,510 --> 00:07:06,680 aux justiciables. 68 00:07:09,500 --> 00:07:12,570 La première voie, c’est la voie de l’appel. 69 00:07:12,770 --> 00:07:18,200 L’appel comme voie de recours ordinaire 70 00:07:18,860 --> 00:07:26,450 commence à se généraliser devant le Parlement de Paris à cette période 71 00:07:26,930 --> 00:07:29,660 autour du 14ᵉ siècle. 72 00:07:30,470 --> 00:07:36,940 Les arrêts rendus par le Parlement demeurent en revanche insusceptibles 73 00:07:37,140 --> 00:07:37,900 d’appel. 74 00:07:39,230 --> 00:07:44,510 Une ordonnance du 23 mars 1302 75 00:07:45,080 --> 00:07:52,970 rappelle que le Parlement, émanation de la cour du roi de 76 00:07:53,170 --> 00:08:00,320 qui il tient sa souveraineté, dépourvu de supérieurs dans la 77 00:08:00,520 --> 00:08:06,230 hiérarchie judiciaire, ne peut voir ses décisions attaquées 78 00:08:06,650 --> 00:08:08,900 par la voie d’appel. 79 00:08:09,100 --> 00:08:17,480 L’article 12 de cette ordonnance admet néanmoins la possibilité 80 00:08:18,200 --> 00:08:25,940 d’un recours lorsqu’une erreur est commise dans le dispositif 81 00:08:26,140 --> 00:08:35,390 de l’arrêt, c’est-à-dire quand un vice entache la rédaction de 82 00:08:35,590 --> 00:08:40,790 la sentence, ou encore lorsque les conseillers des partis, 83 00:08:41,900 --> 00:08:47,120 trompés par les faits, se trouvent dans l’erreur. 84 00:08:47,320 --> 00:08:54,230 C’est la notion d’erreur qui se dégage et c’est cette notion d’erreur 85 00:08:54,650 --> 00:09:01,040 qui crée la seconde voie de recours 86 00:09:01,640 --> 00:09:02,930 qui est possible. 87 00:09:04,130 --> 00:09:10,040 Cette voie de recours extraordinaire est appelée proposition d’erreur. 88 00:09:11,870 --> 00:09:17,900 La proposition d’erreur soumet les sentences à une correction, 89 00:09:18,980 --> 00:09:24,080 une rétractation, voire une annulation 90 00:09:24,980 --> 00:09:28,790 qui n’appartient qu’au roi ou à son conseil. 91 00:09:30,020 --> 00:09:36,140 Pour ce recours extraordinaire permettant d’attaquer les arrêts, 92 00:09:36,860 --> 00:09:44,780 des lettres de grâce octroyées par le roi sont également nécessaires. 93 00:09:46,070 --> 00:09:53,750 Cette voie de recours extraordinaire se justifie originellement par 94 00:09:54,050 --> 00:10:01,250 la hantise de l’erreur judiciaire et par l’idée d’un contrôle 95 00:10:01,730 --> 00:10:04,130 hiérarchique des juges. 96 00:10:05,330 --> 00:10:11,150 La voie de recours extraordinaire se trouve justifiée par les 97 00:10:11,350 --> 00:10:18,080 commentaires des compilations de l’Empereur Justinien redécouvertes, 98 00:10:18,500 --> 00:10:25,220 qui décrivent les procédures de la supplique directe à l’empereur. 99 00:10:27,710 --> 00:10:31,280 Je vous ai dit tout à l’heure dans la voie de recours extraordinaire, 100 00:10:31,480 --> 00:10:36,360 que la proposition d’erreur était la seconde voie de recours. 101 00:10:36,560 --> 00:10:41,450 En réalité, vous l’aurez sûrement corrigé vous-même, c’était la deuxième 102 00:10:41,660 --> 00:10:46,610 voie de recours, puisqu’il y en a une troisième que je vous présente 103 00:10:46,810 --> 00:10:47,570 maintenant. 104 00:10:47,770 --> 00:10:53,810 C’est la requête en miséricorde, précisément celle qui nous intéresse, 105 00:10:54,860 --> 00:11:00,440 qui se présente comme la troisième voie de recours possible qui apparaît 106 00:11:00,640 --> 00:11:02,810 au début du 14ᵉ siècle. 107 00:11:03,560 --> 00:11:09,080 La requête en miséricorde se présente comme une voie de recours, 108 00:11:09,440 --> 00:11:16,460 même si elle peut intervenir dès que le crime a été commis. 109 00:11:17,270 --> 00:11:23,810 Elle peut intervenir avant toute procédure contentieuse. 110 00:11:24,010 --> 00:11:32,750 Concrètement, la supplique est transmise au Conseil royal et si 111 00:11:32,950 --> 00:11:39,290 la rémission est accordée, la supplique est confiée à la 112 00:11:39,490 --> 00:11:45,560 chancellerie royale qui doit la rédiger et la faire enregistrer. 113 00:11:46,700 --> 00:11:53,990 Cette voie de recours apparaît donc pendant le 14ᵉ siècle et sa 114 00:11:54,190 --> 00:12:00,590 première apparition se relève dans les registres de la chancellerie 115 00:12:01,130 --> 00:12:04,070 au mois de mai 1304. 116 00:12:05,750 --> 00:12:13,090 Cette procédure suppose évidemment que la demande ait obtenu l’octroi 117 00:12:15,110 --> 00:12:16,640 qui est attendu.