1 00:00:05,040 --> 00:00:08,760 Le roi est donc parvenu à agrandir le domaine royal, mais encore faut-il, 2 00:00:09,540 --> 00:00:14,790 encore une fois, protéger ce domaine de la prodigalité des rois. 3 00:00:14,990 --> 00:00:17,460 C’est ce que nous allons voir à travers cette vidéo sur 4 00:00:17,790 --> 00:00:20,670 l’inaliénabilité du domaine royal. 5 00:00:22,470 --> 00:00:25,560 Aux 13e et 14e siècles, le roi dispose du domaine royal 6 00:00:25,800 --> 00:00:27,960 comme un prince territorial de sa principauté. 7 00:00:28,160 --> 00:00:30,870 Il gouverne avec des largesses. 8 00:00:31,170 --> 00:00:35,340 Il se comporte avec son domaine comme n’importe quel propriétaire. 9 00:00:35,550 --> 00:00:38,940 Il récompense notamment ceux qui l’ont servi par des donations de 10 00:00:39,140 --> 00:00:39,900 terres. 11 00:00:40,200 --> 00:00:44,400 Mais ces aliénations amputent le domaine et diminuent d’autant les 12 00:00:44,600 --> 00:00:45,720 finances ordinaires. 13 00:00:46,650 --> 00:00:50,370 En effet, comme nous l’avons indiqué, en principe, le roi doit subvenir 14 00:00:50,570 --> 00:00:54,660 à ses besoins comme un particulier, c’est-à-dire avec les revenus de 15 00:00:54,860 --> 00:00:55,620 son domaine. 16 00:00:56,610 --> 00:00:58,290 Ce sont ce qu’on appelle les finances ordinaires. 17 00:00:59,160 --> 00:01:02,250 Si ses revenus ne suffisent pas, le roi peut aussi avoir recours 18 00:01:02,450 --> 00:01:05,460 à l’impôt, mais il doit avoir l’accord des États généraux. 19 00:01:05,660 --> 00:01:09,450 C’est ce qu’on appelle les finances extraordinaires, pour bien marquer 20 00:01:09,650 --> 00:01:13,830 qu’il s’agit là d’une pratique qui ne doit pas trop souvent se 21 00:01:14,030 --> 00:01:14,790 répéter. 22 00:01:14,990 --> 00:01:19,620 Or, la monarchie risque d’être ruinée par ses largesses. 23 00:01:20,370 --> 00:01:24,390 Le roi doit de plus en plus faire appel à l’impôt pour subvenir aux 24 00:01:24,590 --> 00:01:26,340 besoins grandissants de l’État naissant. 25 00:01:27,390 --> 00:01:31,830 Afin d’éviter de réduire à néant le domaine, la royauté va d’une 26 00:01:32,030 --> 00:01:35,310 part revenir sur cette aliénation, mais aussi, d’autre part, 27 00:01:35,880 --> 00:01:40,980 doter progressivement le domaine d’un statut particulier qui va 28 00:01:41,180 --> 00:01:42,510 le rendre inaliénable. 29 00:01:42,710 --> 00:01:46,650 L’idée selon laquelle le roi n’est pas libre de disposer par des 30 00:01:46,850 --> 00:01:50,610 libéralités des biens de la Couronne apparaît au 14e siècle. 31 00:01:50,970 --> 00:01:53,670 Philippe V, Philippe le Long, est le premier à pratiquer, 32 00:01:53,870 --> 00:01:55,130 dit-on, des révocations. 33 00:01:55,530 --> 00:01:58,860 Il hérite, il faut le préciser, d’une situation préoccupante. 34 00:01:59,130 --> 00:02:03,000 Philippe Bel et ses fils ont multiplié les aliénations. 35 00:02:03,600 --> 00:02:07,050 Arguant du fait que ces donations réalisées par ses prédécesseurs 36 00:02:07,250 --> 00:02:11,340 ont été excessives, Philippe V révoque celles effectuées depuis 37 00:02:11,540 --> 00:02:12,680 la mort de Saint Louis. 38 00:02:13,260 --> 00:02:18,510 Philippe V édicte, pour cela, plusieurs grands textes de 1316 à 1319, 39 00:02:18,710 --> 00:02:20,800 six ordonnances au moins. 40 00:02:21,000 --> 00:02:26,160 Ces grands textes, sans poser la règle d’inaliénabilité du domaine, 41 00:02:26,460 --> 00:02:30,600 reconnaissent que des aliénations abusives ont été pratiquées. 42 00:02:31,350 --> 00:02:35,220 La révocation a pour conséquence dès lors la réintégration, 43 00:02:35,420 --> 00:02:39,630 dans le domaine, de tous les biens mobiliers ou immobiliers qui en 44 00:02:39,830 --> 00:02:41,370 avaient été jusqu’alors soustraits. 45 00:02:41,570 --> 00:02:44,250 Vous voyez tout de suite arriver le problème. 46 00:02:44,450 --> 00:02:48,270 Ces réintégrations n’interdisent pas de futures aliénations. 47 00:02:48,540 --> 00:02:53,040 Bien au contraire, Charles IV annule des donations faites par son 48 00:02:53,240 --> 00:02:56,190 prédécesseur, prédécesseur qui n’était ni plus ni moins, 49 00:02:56,400 --> 00:02:58,910 je vous demande, que Philippe V. 50 00:02:59,610 --> 00:03:02,790 On assiste même à une réglementation des futures aliénations. 51 00:03:03,690 --> 00:03:07,530 De nombreux souverains vont suivre l’exemple de Philippe V et revenir 52 00:03:07,730 --> 00:03:08,490 sur des donations. 53 00:03:09,330 --> 00:03:14,100 Apparaît dès lors la nécessité de mettre le domaine à l’abri des 54 00:03:14,490 --> 00:03:18,180 dilapidations royales, de fixer en quelque sorte pour 55 00:03:18,380 --> 00:03:19,140 toujours ce domaine. 56 00:03:20,010 --> 00:03:23,700 Il s’agit en outre d’une demande de la population dont les États 57 00:03:23,900 --> 00:03:24,840 généraux se font l’écho. 58 00:03:25,410 --> 00:03:29,280 Face à l’aggravation de la pression fiscale, les représentants aux 59 00:03:29,480 --> 00:03:33,570 États généraux demandent au roi de s’engager solennellement à ne 60 00:03:33,770 --> 00:03:35,010 plus aliéner de domaines. 61 00:03:35,940 --> 00:03:39,180 À partir du 14e siècle, les légistes, face à la nécessité 62 00:03:39,380 --> 00:03:41,940 de protéger le domaine contre les prodigalités du roi, 63 00:03:42,330 --> 00:03:46,350 vont modifier le statut de ce domaine en le dotant d’un régime juridique 64 00:03:46,550 --> 00:03:47,310 spécifique. 65 00:03:47,760 --> 00:03:51,180 Parmi les légistes qui vont construire cette théorie, il faut citer par 66 00:03:51,380 --> 00:03:52,200 exemple Jean de Terrevermeille. 67 00:03:53,880 --> 00:03:58,110 Va également avoir un rôle important dans ce domaine, la doctrine savante 68 00:03:58,440 --> 00:04:01,440 qui va, elle, s’appuyer sur le droit romain. 69 00:04:02,790 --> 00:04:06,600 Le domaine n’appartient plus aux rois, mais à la Couronne. 70 00:04:07,500 --> 00:04:13,320 À partir de 1343, on parle de domaine 71 00:04:13,520 --> 00:04:16,560 de la Couronne plutôt que de domaine du roi. 72 00:04:17,490 --> 00:04:20,580 Le domaine, en quelque sorte, a changé de titulaire. 73 00:04:20,880 --> 00:04:23,250 Il n’appartient plus au roi. 74 00:04:24,540 --> 00:04:33,570 La Couronne est une sorte ainsi d’être mystique et surtout immortel. 75 00:04:35,460 --> 00:04:39,810 Le roi n’est dès lors plus considéré qu’un simple administrateur ou 76 00:04:40,010 --> 00:04:42,630 encore usufruitier de ce domaine de la Couronne. 77 00:04:43,140 --> 00:04:46,950 On ira même jusqu’à dire qu’il a reçu le domaine en dot. 78 00:04:47,640 --> 00:04:51,720 En effet, la tradition de remise de l’anneau du roi au cours de 79 00:04:51,920 --> 00:04:55,830 la cérémonie du sacre suggère aux juristes l’idée que ce dernier 80 00:04:56,030 --> 00:05:00,910 devient l’époux de la res publica et qu’il reçoit le domaine en dot. 81 00:05:01,390 --> 00:05:06,160 Cette métaphore du mariage permet de transposer, au domaine, 82 00:05:06,400 --> 00:05:12,640 la règle de l’inaliénabilité dotale du droit romain. 83 00:05:14,800 --> 00:05:17,590 En qualité d’administrateur ou d’usufruitier du domaine, 84 00:05:18,130 --> 00:05:23,680 le roi n’en a pas la libre disposition. 85 00:05:24,520 --> 00:05:28,030 Pour Jean de Terrevermeille, le roi n’étant que l’usufruitier 86 00:05:28,230 --> 00:05:31,510 du domaine, toujours, il doit l’augmenter, 87 00:05:31,840 --> 00:05:33,880 jamais le diminuer. 88 00:05:34,660 --> 00:05:37,870 De même, le domaine a une nature publique. 89 00:05:38,140 --> 00:05:42,130 Un régime juridique propre aux biens publics se met en place, 90 00:05:43,690 --> 00:05:48,850 un régime d’exception, ce qui distingue ce domaine des 91 00:05:49,050 --> 00:05:49,810 biens privés. 92 00:05:50,230 --> 00:05:55,270 Ces biens publics sont considérés dès lors comme inaliénables et 93 00:05:55,470 --> 00:05:56,230 imprescriptibles. 94 00:05:56,800 --> 00:06:02,170 Le roi ne peut pas les aliéner et personne ne peut les acquérir 95 00:06:02,650 --> 00:06:03,640 par prescription. 96 00:06:03,840 --> 00:06:10,930 Concrètement, cette évolution théorique commence déjà avec François 1er. 97 00:06:12,460 --> 00:06:14,320 Nous sommes en 1525. 98 00:06:14,520 --> 00:06:18,580 François 1er est fait prisonnier par Charles Quint après la défaite 99 00:06:18,780 --> 00:06:19,810 française de Pavie. 100 00:06:20,500 --> 00:06:23,710 Afin d’obtenir sa libération, François 1er signe un traité, 101 00:06:24,130 --> 00:06:24,970 le traité de Madrid. 102 00:06:25,170 --> 00:06:26,800 Nous sommes alors en 1526. 103 00:06:27,340 --> 00:06:30,760 Il prévoit notamment la cession de la Bourgogne à l’empereur. 104 00:06:31,870 --> 00:06:37,810 Le Parlement de Paris annulera ce traité comme contraire au droit 105 00:06:38,010 --> 00:06:39,670 public de la monarchie. 106 00:06:43,790 --> 00:06:48,020 On va assister à une sorte de codification du régime du domaine. 107 00:06:48,800 --> 00:06:53,000 Une ordonnance préparée par Michel de l’Hospital, après une assemblée 108 00:06:53,200 --> 00:06:57,590 de notables tenue à Moulins, est promulguée en février 1566. 109 00:06:58,250 --> 00:07:01,610 Cette ordonnance réaffirme, de manière la plus absolue qui soit, 110 00:07:01,810 --> 00:07:03,920 le principe d’inaliénabilité du domaine. 111 00:07:04,430 --> 00:07:08,960 Le domaine est proclamé inaliénable, mais dans le cadre d’une distinction 112 00:07:09,160 --> 00:07:12,830 entre, d’une part, le domaine casuel et, d’autre part, le domaine fixe. 113 00:07:13,550 --> 00:07:17,900 Le domaine casuel, il faut le comparer aux acquêts en droit privé. 114 00:07:18,320 --> 00:07:21,740 Il comprend tous les biens que le roi va acquérir durant son règne 115 00:07:22,070 --> 00:07:25,730 en qualité de personne, comme en qualité d’héritier. 116 00:07:26,300 --> 00:07:32,060 Le roi peut disposer de ce domaine à sa guise pour cause raisonnable. 117 00:07:33,470 --> 00:07:38,540 Ce domaine casuel a vocation à augmenter le domaine fixe dans 118 00:07:38,740 --> 00:07:43,880 trois hypothèses : à la mort du roi ; de son vivant après que ce domaine 119 00:07:44,080 --> 00:07:47,930 ait été administré pendant 10 ans comme domaine de la Couronne ; 120 00:07:48,130 --> 00:07:53,720 lorsqu’il a été expressément incorporé au domaine de la Couronne. 121 00:07:55,190 --> 00:07:59,780 Passons au domaine fixe, domaine fixe car fixé pour toujours. 122 00:08:00,410 --> 00:08:04,310 Ce domaine est constitué de l’ensemble des biens et droits appartenant 123 00:08:04,510 --> 00:08:07,640 à la Couronne lors de l’avènement du roi. 124 00:08:08,360 --> 00:08:11,870 Ce domaine est inaliénable et imprescriptible. 125 00:08:12,650 --> 00:08:15,290 La règle admet tout de même trois aménagements. 126 00:08:15,890 --> 00:08:20,210 Si le roi ne peut aliéner le domaine, il peut par contre l’engager. 127 00:08:21,080 --> 00:08:22,010 À quoi cela correspond ? 128 00:08:22,210 --> 00:08:24,830 C’est une sûreté réelle avec dépossession. 129 00:08:25,130 --> 00:08:27,890 Elle consiste à remettre à quelqu’un la possession d’un bien, 130 00:08:28,160 --> 00:08:30,770 en contrepartie de quoi cette personne prête de l’argent. 131 00:08:31,670 --> 00:08:35,840 Le roi, à travers cet engagement, va emprunter de l’argent en engageant 132 00:08:36,040 --> 00:08:39,830 une partie du domaine de la Couronne, en se servant en quelque sorte 133 00:08:40,030 --> 00:08:40,790 comme gage. 134 00:08:41,900 --> 00:08:45,080 Cette pratique ne peut être réalisée cependant que sous certaines 135 00:08:45,280 --> 00:08:49,310 conditions : pour nécessités de guerre et que le royaume soit en 136 00:08:49,510 --> 00:08:54,110 état de détresse financière ; que le financier verse l’argent 137 00:08:54,310 --> 00:08:58,750 au comptant au trésor - c’est-à-dire celui qui prête l’argent le verse 138 00:08:58,950 --> 00:09:04,010 au comptant au trésor - que l’acte soit expédié en forme de lettre 139 00:09:04,210 --> 00:09:07,910 patente, c’est-à-dire d’actes de chancellerie soumis à la formalité 140 00:09:08,110 --> 00:09:12,620 de l’enregistrement au Parlement qui, à cette occasion, peut adresser 141 00:09:12,820 --> 00:09:14,270 des remontrances au roi. 142 00:09:14,470 --> 00:09:20,330 Enfin, il doit y avoir, dans cet acte, une clause d’éternel 143 00:09:20,530 --> 00:09:26,470 rachat, donc de retour au domaine fixe de la terre ainsi engagée. 144 00:09:26,670 --> 00:09:33,230 Ce sont les gages que l’on peut prendre sur le domaine fixe. 145 00:09:33,710 --> 00:09:36,050 On trouve également les petits domaines de la Couronne. 146 00:09:36,350 --> 00:09:39,440 Ces petits domaines de la Couronne, des fossés, d’anciens remparts, 147 00:09:39,640 --> 00:09:45,230 etc., c’est-à-dire des biens de faible valeur, peuvent être aliénés. 148 00:09:46,250 --> 00:09:49,280 Troisième élément : la pratique des apanages. 149 00:09:49,910 --> 00:09:55,100 L’apanage est une dotation en terres constituées au profit des frères 150 00:09:55,300 --> 00:09:58,100 puînés du roi pour leur permettre de tenir leur rang. 151 00:09:58,640 --> 00:10:01,700 Cette dotation plus ou moins importante est prélevée sur le domaine. 152 00:10:02,150 --> 00:10:04,700 Les légistes, qui ne pouvaient pas empêcher cette pratique de 153 00:10:04,900 --> 00:10:08,060 l’apanage, ont cherché cependant à la réglementer. 154 00:10:09,020 --> 00:10:15,970 L’apanage en effet est un risque, risque que se reconstitue , 155 00:10:19,040 --> 00:10:22,490 à l’encontre de la royauté, une féodalité supérieure. 156 00:10:23,330 --> 00:10:27,470 On sait dès lors efforcer à favoriser le retour de cet apanage au domaine 157 00:10:27,670 --> 00:10:31,940 de la Couronne en introduisant une clause de retour au contenu 158 00:10:32,140 --> 00:10:34,430 de l’acte instituant cet apanage. 159 00:10:34,630 --> 00:10:39,380 Un apanagiste ne peut transmettre son apanage qu’en ligne directe. 160 00:10:39,950 --> 00:10:44,630 À défaut de descendance mâle, l’apanage revient à la Couronne. 161 00:10:46,340 --> 00:10:50,840 Aucune aliénation du domaine n’étant valable, un roi et ses successeurs 162 00:10:51,170 --> 00:10:54,950 peuvent toujours revenir sur les actes d’aliénation consentis au 163 00:10:55,150 --> 00:10:56,720 mépris de ces règles. 164 00:10:57,590 --> 00:11:01,700 Aucune prescription acquisitive, même centenaire, ne peut jouer. 165 00:11:02,450 --> 00:11:06,650 C’est ce qui prime un adage du 16e siècle que l’on doit à Antoine 166 00:11:06,850 --> 00:11:12,860 Loysel : "Qui a mangé loi du roi, cent ans après, en rend la plume". 167 00:11:14,420 --> 00:11:20,300 À noter que dans l’ordonnance de Moulins, le terme État est utilisé. 168 00:11:21,680 --> 00:11:26,600 Le mot État s’impose désormais dans le vocabulaire officiel pour 169 00:11:26,800 --> 00:11:31,280 désigner le corps politique incarné par le roi.