1 00:00:05,830 --> 00:00:06,590 Bonjour à tous. 2 00:00:06,790 --> 00:00:08,860 Nous envisageons donc à présent dans un B, l'administration de 3 00:00:09,060 --> 00:00:14,770 la preuve par un particulier et le principe est ici celui de la 4 00:00:14,970 --> 00:00:19,210 pleine liberté de la preuve, et c'est une singularité du droit 5 00:00:19,410 --> 00:00:24,310 pénal, il faut avoir en tête aussi les autres règles de preuve dans 6 00:00:24,510 --> 00:00:28,420 les autres matières que vous étudiez, en droit civil, en droit du travail, 7 00:00:28,620 --> 00:00:31,960 par exemple, en droit pénal donc c'est une règle bien particulière. 8 00:00:32,740 --> 00:00:36,730 Les particuliers ne sont pas soumis au principe de loyauté donc c'est 9 00:00:36,930 --> 00:00:40,210 le principe de pleine liberté de la preuve puisque de jurisprudence 10 00:00:40,410 --> 00:00:43,240 constante, le juge ne peut écarter des moyens de preuve illicites 11 00:00:43,440 --> 00:00:44,200 ou illégaux. 12 00:00:44,650 --> 00:00:48,700 C'est une forme de compensation des pouvoirs proactifs des enquêteurs. 13 00:00:49,030 --> 00:00:52,870 Il lui revient seulement, en application de l'article 427 14 00:00:53,260 --> 00:00:56,880 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante 15 00:00:57,080 --> 00:01:00,280 après libre discussion des parties. 16 00:01:00,790 --> 00:01:06,070 Alors il y a beaucoup d'illustrations en jurisprudence, mais l'affaire 17 00:01:06,270 --> 00:01:09,700 qui a sans doute le plus soulevé de débats, de questions sur la 18 00:01:09,900 --> 00:01:13,810 loyauté des preuves en procédure pénale, c'est une affaire dite 19 00:01:14,080 --> 00:01:20,440 Turquin donc un arrêt rendu par 20 00:01:20,640 --> 00:01:24,550 la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 avril 1993, 21 00:01:24,750 --> 00:01:29,970 numéro 93-80.184, affaire Turquin, 22 00:01:30,170 --> 00:01:33,280 la Cour de cassation a considéré que les enregistrements de 23 00:01:33,480 --> 00:01:37,690 conversations privées par bandes magnétiques pouvaient être produits 24 00:01:37,890 --> 00:01:41,290 en justice, alors même qu'ils résultaient de la commission d'une 25 00:01:41,490 --> 00:01:42,760 infraction pénale. 26 00:01:42,960 --> 00:01:46,630 En effet, les atteintes à la vie privée par enregistrement, 27 00:01:46,830 --> 00:01:50,800 captation ou transmission de paroles prononcées à titre privé ou 28 00:01:51,000 --> 00:01:55,180 confidentiel, et la Cour de cassation affirment, je cite, "une partie 29 00:01:55,380 --> 00:01:59,260 civile peut communiquer au juge d'instruction des enregistrements 30 00:01:59,460 --> 00:02:04,090 qu'elle n'a pu obtenir qu'au prix d'une infraction pénale". 31 00:02:04,410 --> 00:02:08,620 Donc la Cour de cassation a estimé que ces enregistrements pouvaient 32 00:02:08,820 --> 00:02:12,370 être librement produits en tant qu'indices de preuve. 33 00:02:12,820 --> 00:02:18,010 Et la Chambre criminelle a même pu juger que le fait, 34 00:02:18,340 --> 00:02:21,430 que le procédé employé par le particulier ait porté atteinte 35 00:02:21,630 --> 00:02:24,640 aux droits de la défense n'empêche pas de retenir l'élément de preuve 36 00:02:24,840 --> 00:02:30,790 ainsi obtenu, c'était une décision rendue à propos de l'écoute clandestine 37 00:02:30,990 --> 00:02:35,020 d'une conversation entre une personne et son avocat, alors même que ces 38 00:02:35,220 --> 00:02:40,150 enregistrements étaient susceptibles de constituer une atteinte à la 39 00:02:40,350 --> 00:02:41,110 vie privée. 40 00:02:41,310 --> 00:02:45,820 C'est un arrêt du 31 janvier 2012, rendu par la Chambre criminelle 41 00:02:46,020 --> 00:02:48,430 de la Cour de cassation, Bulletin criminel numéro 27. 42 00:02:48,910 --> 00:02:54,040 J'évoque aussi un arrêt du 7 mars 2012, Bulletin numéro 64. 43 00:02:54,240 --> 00:02:58,420 On vise en réalité l'affaire Bettencourt, dans laquelle des 44 00:02:58,620 --> 00:03:02,290 enregistrements clandestins avaient été réalisés par le majordome de 45 00:03:02,490 --> 00:03:05,470 la famille, puis remis aux enquêteurs par la fille de Madame Bettencourt 46 00:03:05,860 --> 00:03:10,000 en vue de prouver l'abus de faiblesse dont celle-ci aurait été victime. 47 00:03:10,750 --> 00:03:13,810 Madame Bettencourt contestait l'atteinte à la vie privée ainsi 48 00:03:14,010 --> 00:03:18,940 réalisée et la Cour de cassation a considéré que "les éléments obtenus 49 00:03:19,450 --> 00:03:23,170 ne constituaient pas des actes de procédure au sens de l'article 50 00:03:23,370 --> 00:03:27,220 170 du Code de procédure pénale et ne pouvaient donc être frappés 51 00:03:27,760 --> 00:03:31,120 de nullité, elle n'y voit que de simples moyens de preuve", 52 00:03:31,320 --> 00:03:33,670 je cite, "soumis à la discussion contradictoire. 53 00:03:34,270 --> 00:03:36,400 Si vous suivez bien, on peut raisonnablement penser 54 00:03:36,600 --> 00:03:39,070 que si l'interception avait émané de l'autorité publique, 55 00:03:39,270 --> 00:03:40,960 pour le coup, elle aurait été annulée. 56 00:03:41,160 --> 00:03:47,530 Voilà, on peut d'ailleurs faire le lien avec un arrêt rendu par 57 00:03:47,730 --> 00:03:51,670 la Chambre criminelle le 28 janvier 2015, numéro 14-81.610, 58 00:03:55,330 --> 00:03:59,900 dans lequel la Cour s'est prononcée sur l'admission d'une preuve illicite 59 00:04:00,100 --> 00:04:03,430 apportée en vue d'établir l'infraction de tentative de chantage. 60 00:04:03,630 --> 00:04:05,050 Alors, de quoi s'agissait-il ? 61 00:04:05,920 --> 00:04:11,110 Une femme avait enregistré une conversation téléphonique à l'insu 62 00:04:11,310 --> 00:04:14,740 de son ex-époux, au cours de laquelle il lui demandait de lui verser 63 00:04:14,940 --> 00:04:17,950 de l'argent, à défaut de quoi il révélerait à la femme de son amant 64 00:04:20,830 --> 00:04:22,540 leur relation extraconjugale. 65 00:04:23,260 --> 00:04:29,600 Donc je répète, une femme qui avait 66 00:04:29,800 --> 00:04:31,690 enregistré une conversation téléphonique, donc à l'insu de 67 00:04:31,890 --> 00:04:37,930 son ex-époux, donc l'ex-époux qui faisait du chantage à son ex-femme, 68 00:04:38,130 --> 00:04:41,460 qui lui demandait de verser de l'argent, à défaut de quoi il 69 00:04:41,660 --> 00:04:46,300 révèlerait à la femme de l'amant de son ex-femme la relation 70 00:04:46,540 --> 00:04:47,300 extraconjugale. 71 00:04:47,740 --> 00:04:52,960 La Cour refuse de voir à travers un tel procédé une violation du 72 00:04:53,160 --> 00:04:56,140 principe de loyauté du fait de la production d'une preuve illicite, 73 00:04:56,680 --> 00:04:59,860 en l'occurrence un enregistrement litigieux, dès lors que cet élément 74 00:05:00,170 --> 00:05:05,000 de preuve peut être débattu contradictoirement devant le juge. 75 00:05:06,380 --> 00:05:09,380 Et puis il faut aussi avoir en tête les opérations de testing 76 00:05:09,580 --> 00:05:11,840 aussi destinées à démontrer une discrimination. 77 00:05:12,950 --> 00:05:18,670 Donc par exemple à l'entrée de boîtes de nuit, ça a donné lieu 78 00:05:18,870 --> 00:05:25,660 à de la jurisprudence, notamment à un arrêt du 30 mars 1999, 79 00:05:25,860 --> 00:05:32,500 Bulletin numéro 59, un arrêt également du 11 juin 2002, Bulletin numéro 131, 80 00:05:35,140 --> 00:05:38,290 donc une technique admise, une technique qui est désormais 81 00:05:38,490 --> 00:05:41,770 d'ailleurs consacrée par le Code pénal et qui peut s'envisager comme 82 00:05:41,970 --> 00:05:44,800 une provocation à la preuve du délit ou même une provocation à 83 00:05:45,000 --> 00:05:47,920 l'infraction elle-même, mais validée, consacrée par le 84 00:05:48,120 --> 00:05:53,800 législateur, donc en pleine conformité avec le régime de la preuve applicable, 85 00:05:54,000 --> 00:05:57,610 à la preuve administrée par les particuliers, c'est-à-dire un régime 86 00:05:58,420 --> 00:06:03,970 selon lequel les particuliers ne sont pas soumis au principe de loyauté. 87 00:06:06,820 --> 00:06:14,580 Et d'ailleurs la Cour de cassation avait refusé de transmettre une 88 00:06:14,780 --> 00:06:19,350 QPC relative au procédé de testing prévu par la loi en matière de 89 00:06:19,550 --> 00:06:20,340 discrimination. 90 00:06:21,540 --> 00:06:27,180 Selon elle, c'est un arrêt rendu le 4 février 2015 numéro 14-90.048. 91 00:06:32,250 --> 00:06:36,540 Selon la Cour de cassation, "le procédé de testing vise à faciliter 92 00:06:36,740 --> 00:06:40,110 la preuve de comportement discriminatoire et non à déroger 93 00:06:40,310 --> 00:06:42,540 aux règles applicables en droit de la preuve pénale". 94 00:06:42,960 --> 00:06:46,470 Et elle précise notamment que cette technique, je cite, "ne confère 95 00:06:46,670 --> 00:06:50,280 pas au procureur de la République la faculté de provoquer à la commission 96 00:06:50,480 --> 00:06:53,400 d'une infraction et", je cite, "ne remet pas en cause 97 00:06:53,600 --> 00:06:56,550 le pouvoir du juge d'apprécier la valeur probante des éléments 98 00:06:56,750 --> 00:06:58,830 à charge produits par les parties". 99 00:06:59,540 --> 00:07:03,420 Donc elle rappelle finalement que "la preuve issue d'un testing n'est 100 00:07:03,620 --> 00:07:06,210 pas dotée d'une force probante particulière par rapport aux autres 101 00:07:06,410 --> 00:07:09,270 éléments soumis au juge, de sorte que le juge n'est pas 102 00:07:09,470 --> 00:07:12,300 lié par cet élément". 103 00:07:13,260 --> 00:07:17,010 Et puis enfin, toujours au titre de l'étude de ce régime applicable, 104 00:07:17,490 --> 00:07:21,720 notons que la Cour de cassation va même jusqu'à admettre la commission 105 00:07:21,920 --> 00:07:25,770 d'une infraction justifiée par le strict exercice des droits de 106 00:07:25,970 --> 00:07:26,730 la défense. 107 00:07:26,930 --> 00:07:29,850 Vous étudierez ces arrêts en droit pénal spécial en quatrième année. 108 00:07:30,510 --> 00:07:34,860 La Cour admet en effet qu'un salarié commette un vol, elle l'a reconnu 109 00:07:35,060 --> 00:07:40,110 dans deux arrêts rendus le 11 mai 2004, Bulletins numéros 113 et 117, 110 00:07:40,310 --> 00:07:45,950 ou même un abus de confiance, c'était le cas d'un arrêt du 16 111 00:07:46,150 --> 00:07:51,750 juin 2011, Bulletin numéro 134, elle admet donc qu'un salarié commette 112 00:07:51,950 --> 00:07:55,560 un vol ou même un abus de confiance en vue d'obtenir des pièces de 113 00:07:55,760 --> 00:07:59,040 nature à assurer le strict exercice de sa défense dans le cadre d'un 114 00:07:59,240 --> 00:08:00,570 litige prud'homal. 115 00:08:00,770 --> 00:08:06,300 Finalement, la valeur constitutionnelle des droits de la défense rend licite 116 00:08:06,500 --> 00:08:10,380 la preuve déloyale dès lors que celle-ci est strictement nécessaire 117 00:08:10,580 --> 00:08:15,690 à l'exercice de ses droits. 118 00:08:18,150 --> 00:08:22,290 Alors on peut quand même à cela ajouter quelques limites, 119 00:08:23,110 --> 00:08:24,510 même plus que des tempéraments. 120 00:08:25,170 --> 00:08:29,250 En effet, le principe, c'est celui de la liberté de la preuve. 121 00:08:29,450 --> 00:08:32,250 Le principe donc est que les particuliers ne sont pas soumis 122 00:08:32,450 --> 00:08:33,270 au principe de loyauté. 123 00:08:33,470 --> 00:08:36,180 Toutefois, attention, l'interdiction de la provocation 124 00:08:36,380 --> 00:08:39,150 à la commission de l'infraction vaut également à l'égard des 125 00:08:39,350 --> 00:08:42,720 particuliers, dès lors qu'elle vicie encore une fois la recherche 126 00:08:43,290 --> 00:08:44,190 de la vérité. 127 00:08:44,390 --> 00:08:47,190 Simplement, et faites attention quant aux conséquences, 128 00:08:47,550 --> 00:08:51,450 l'élément de preuve ne sera pas entaché de nullité dans la mesure 129 00:08:51,650 --> 00:08:54,210 où ce n'est pas considéré comme étant un acte de procédure, 130 00:08:54,540 --> 00:08:57,330 il sera alors tout simplement écarté des débats. 131 00:08:58,320 --> 00:09:01,110 Et puis par ailleurs, le procédé, deuxième limite, 132 00:09:01,310 --> 00:09:07,020 le procédé employé par le particulier ne peut naturellement se réaliser 133 00:09:07,220 --> 00:09:12,960 au prix de n'importe quelle illégalité, et donc notamment, le particulier 134 00:09:13,160 --> 00:09:17,130 ne saurait avoir recours à des traitements inhumains ou dégradants et, 135 00:09:17,330 --> 00:09:21,720 plus généralement, il ne peut avoir recours à un procédé portant atteinte 136 00:09:21,920 --> 00:09:25,860 à l'intégrité physique ou psychique de la personne. 137 00:09:26,060 --> 00:09:30,960 Voilà, donc j'en ai terminé pour ce deuxième point, et plus largement 138 00:09:31,160 --> 00:09:37,500 cette première section, donc consacrée aux principes directeurs 139 00:09:37,700 --> 00:09:38,730 de la preuve pénale. 140 00:09:39,360 --> 00:09:42,900 On le voit en droit essentiellement jurisprudentiel, beaucoup d'arrêts 141 00:09:43,100 --> 00:09:47,040 rendus ces dernières années, que vous étudierez, et surtout 142 00:09:47,240 --> 00:09:52,080 une appréciation au cas par cas et avec de nouvelles questions 143 00:09:52,280 --> 00:09:58,200 qui se posent au regard notamment de la consécration récente du droit 144 00:09:58,400 --> 00:10:00,360 de se taire et de ne pas s'auto-incriminer. 145 00:10:01,800 --> 00:10:04,740 Nous étudierons donc la prochaine fois, dans une deuxième section, 146 00:10:05,310 --> 00:10:07,500 l'administration de la preuve pénale.