1 00:00:05,810 --> 00:00:08,352 B : Les qualités individuelles. 2 00:00:09,890 --> 00:00:16,160 Le rapprochement entre potestas et auctoritas a été fait dans un texte très célèbre d’Octave, 3 00:00:16,336 --> 00:00:21,824 devenu Auguste, lorsque le 16 janvier 27 avant notre ère 4 00:00:22,240 --> 00:00:26,032 le Sénat lui reconnaît la vertu de l’auctoritas. 5 00:00:27,020 --> 00:00:32,352 Octave dépasse par cette faculté supplémentaire tous les magistrats 6 00:00:32,720 --> 00:00:35,088 qui auraient le même pouvoir que lui. 7 00:00:36,350 --> 00:00:41,168 Octave déclare, pour qualifier sa position dans la République, 8 00:00:41,330 --> 00:00:47,728 que sa potestas n’a pas été supérieure à celle des autres magistrats, 9 00:00:48,530 --> 00:00:54,720 mais que dans la République, il a dépassé tous les autres par son auctoritas. 10 00:00:55,640 --> 00:00:58,880 Cette illustration montre une chose essentielle, 11 00:00:59,088 --> 00:01:02,624 l’ordre public sert de modèle à l’ordre privé. 12 00:01:03,970 --> 00:01:10,080 De la même façon que le modèle divin servait à l’homme public pour se définir, 13 00:01:10,280 --> 00:01:14,240 la définition de la personne privée se fait toujours en référence 14 00:01:14,320 --> 00:01:17,320 à un modèle supérieur, la personne publique. 15 00:01:18,190 --> 00:01:24,080 Ce sont les qualités et les vertus de la personne publique qui s’adaptent dans l’ordre privé. 16 00:01:25,376 --> 00:01:27,600 Premièrement : Potestas. 17 00:01:28,870 --> 00:01:32,160 La potestas caractérise le chef de groupe. 18 00:01:32,680 --> 00:01:36,912 Ce groupe peut être une tribu, un clan ou une famille. 19 00:01:37,780 --> 00:01:41,360 Il exerce toujours, dans ce cadre, un puissant pouvoir. 20 00:01:42,580 --> 00:01:49,360 Le mot français despote transmet toujours avec vigueur la nature du pouvoir d’un tel chef. 21 00:01:50,170 --> 00:01:56,080 Dans la langue grecque archaïque, d’où le mot despote est tiré, despotes, 22 00:01:56,320 --> 00:01:59,950 marque le pouvoir du maître, non seulement sur sa femme, 23 00:02:00,220 --> 00:02:04,480 mais plus largement sur sa maisonnée, voire sur sa tribu. 24 00:02:05,620 --> 00:02:10,144 Ce terme supporte cependant un féminin pour la maîtresse. 25 00:02:11,872 --> 00:02:14,608 Au-delà même du pouvoir qu’il incarne, 26 00:02:14,896 --> 00:02:20,960 le despotes est surtout celui qui assume la représentation de sa famille 27 00:02:21,088 --> 00:02:25,952 et qui donne autorité à l’ensemble familial avec lequel il s’identifie. 28 00:02:27,040 --> 00:02:33,440 Le radical potis de ce composé grec se retrouve dans la langue latine dans potestas. 29 00:02:35,150 --> 00:02:42,112 Ce même radical est à l’origine du verbe posidere qui décrit l’action du possesseur 30 00:02:42,352 --> 00:02:45,952 et montre comment ce dernier est établi sur la chose. 31 00:02:46,576 --> 00:02:48,784 C’est un établissement de faits, certes, 32 00:02:49,328 --> 00:02:52,592 qui n’est pas juridiquement aussi fort que la propriété, 33 00:02:52,976 --> 00:02:59,904 mais vu d’extérieur son pouvoir sur la chose peut paraître tout à fait identique 34 00:03:00,288 --> 00:03:05,744 et la force d’une situation de fait peut sembler aussi solide qu’une situation de droit. 35 00:03:06,560 --> 00:03:13,712 Le Code civil français consacre toujours cette force dans l’article 2276 36 00:03:13,800 --> 00:03:18,016 qui dispose "en fait de meubles, la possession vaut titre", 37 00:03:19,184 --> 00:03:23,552 titre signifiant ici titre de propriété. 38 00:03:24,380 --> 00:03:28,704 La possession de meubles s’identifie donc à la propriété. 39 00:03:29,570 --> 00:03:34,928 Potestas vise donc un pouvoir qui s’exerce directement sur un objet. 40 00:03:36,192 --> 00:03:41,616 C’est sur ce point que la potestas se distingue de l’auctoritas. 41 00:03:43,616 --> 00:03:46,576 Deuxièmement : Auctoritas. 42 00:03:48,060 --> 00:03:52,560 La notion cardinale d’auctoritas, en droit privé comme en droit public romain, 43 00:03:52,768 --> 00:03:57,424 se rattache au verbe augere qui signifie augmenter. 44 00:03:58,176 --> 00:04:04,032 C’est l’idée de croissance qui s’attache à Rome au concept d’autorité. 45 00:04:04,740 --> 00:04:11,200 La formidable et mystérieuse capacité de ce terme auctoritas se transmet à l’auctor 46 00:04:11,568 --> 00:04:14,400 qui désigne celui qui assure un accroissement. 47 00:04:15,216 --> 00:04:19,520 L’auctor incarne un principe capable de promouvoir. 48 00:04:20,280 --> 00:04:23,936 Ce sens remarquable que les Romains donnent à l’autorité 49 00:04:24,064 --> 00:04:27,888 s’est aujourd’hui non seulement perdu, mais s’est même inversé. 50 00:04:29,040 --> 00:04:30,784 Dans notre vocabulaire, 51 00:04:31,456 --> 00:04:37,340 le sens que nous donnons aujourd’hui à l’autorité vise le contraire. 52 00:04:37,952 --> 00:04:40,688 L’autorité est devenue ce qui s’impose. 53 00:04:41,312 --> 00:04:45,264 L’autorité est devenue ce qui écrase, ce qui limite. 54 00:04:45,840 --> 00:04:49,264 Pour les Romains, l’auctoritas, au contraire, 55 00:04:49,376 --> 00:04:54,304 c’est ce qui permet de faire grandir, de valider, d’épanouir. 56 00:04:54,910 --> 00:04:59,248 L’auctoritas caractérise l’état de l’auteur, l’auctor, 57 00:04:59,424 --> 00:05:04,050 qui fonde, qui rend valide l’action accomplie par le pouvoir d’un autre. 58 00:05:04,800 --> 00:05:08,640 Cette action, qui pourrait paraître comme une vaine reproduction, 59 00:05:08,850 --> 00:05:11,312 est en fait une action essentielle, 60 00:05:11,584 --> 00:05:15,920 car l’auteur peut valider des actes forts divers en matière privée. 61 00:05:16,848 --> 00:05:21,840 L’auteur peut être le vendeur qui renforce le droit de l’acheteur 62 00:05:22,260 --> 00:05:24,960 en lui accordant son auctoritas. 63 00:05:25,840 --> 00:05:31,456 L’auteur vendeur peut ainsi garantir l’acheteur contre tout risque lié à la vente. 64 00:05:33,376 --> 00:05:40,384 L’auteur peut encore être le tuteur qui renforce l’autorité de l’acte de son pupille. 65 00:05:41,400 --> 00:05:45,184 Après que le contrat soit passé avec le pupille, 66 00:05:45,312 --> 00:05:49,632 le cocontractant se retourne vers le tuteur et lui demande : 67 00:05:50,016 --> 00:05:54,672 "auctorite fis", c’est-à-dire "te portes-tu, auteur ?". 68 00:05:55,590 --> 00:05:59,760 Et le tuteur répond, en vertu de son auctoritas : 69 00:06:00,096 --> 00:06:04,640 "auctor fio", c’est-à-dire en français : "je me porte auteur". 70 00:06:06,224 --> 00:06:14,912 Ainsi, la potestas et plus encore l’auctoritas donne à la personne des qualités essentielles. 71 00:06:16,360 --> 00:06:20,928 Paragraphe 2 : Les personnes de qualité. 72 00:06:22,240 --> 00:06:25,040 Les six substantifs retenus à Rome 73 00:06:25,296 --> 00:06:28,704 pour dessiner les contours de la personne en droit privé 74 00:06:29,024 --> 00:06:33,984 montrent à quel point le modèle de la personne de droit public est influent. 75 00:06:35,020 --> 00:06:40,080 De la même façon que le souverain partageait une nature divine, son modèle, 76 00:06:40,224 --> 00:06:42,590 et une nature humaine, ce qu’il est, 77 00:06:43,008 --> 00:06:47,952 de même la personne privée reçoit des qualités publiques de son modèle 78 00:06:48,256 --> 00:06:50,912 et des qualités privées de ce qu’elle est. 79 00:06:52,064 --> 00:06:54,896 A : Les qualités publiques. 80 00:06:56,460 --> 00:07:01,264 Les qualités publiques sont celles qui relèvent de la cité et de son cadre. 81 00:07:01,770 --> 00:07:06,192 La cité impose, à la personne privée, des devoirs, 82 00:07:06,224 --> 00:07:11,840 des obligations et cette perspective les reçoit comme autant de privilèges, 83 00:07:12,992 --> 00:07:15,120 comme autant de qualités. 84 00:07:16,800 --> 00:07:18,912 Premièrement : Civitas. 85 00:07:21,030 --> 00:07:27,184 La dévotion de la personne à la cité est un modèle proposé depuis l’Antiquité grecque 86 00:07:27,760 --> 00:07:32,400 avec évidemment l’exemple édifiant de Socrate. 87 00:07:33,450 --> 00:07:38,480 Ce philosophe est le premier à vouloir montrer la valeur essentielle de la cité 88 00:07:38,768 --> 00:07:41,584 et le respect absolu qu’il faut avoir pour elle. 89 00:07:42,480 --> 00:07:46,304 La cité est le symbole de l’ordre face aux barbares. 90 00:07:47,520 --> 00:07:52,496 La cité est le propre de la civilisation parce qu’elle permet la liberté. 91 00:07:53,120 --> 00:07:54,464 Elle en est la garantie. 92 00:07:55,190 --> 00:07:56,560 Elle en est la gardienne. 93 00:07:57,350 --> 00:08:02,080 La notion de liberté se construit en Grèce à partir de la cité, 94 00:08:02,840 --> 00:08:06,944 à partir de l’appartenance à une communauté et à ses lois. 95 00:08:07,700 --> 00:08:11,920 Socrate défend cette liberté garantie par la cité. 96 00:08:12,920 --> 00:08:16,272 Il la défend contre les sophistes et jusqu’à la mort. 97 00:08:17,000 --> 00:08:20,848 Condamné à mort pour impiété et désordre subversif, 98 00:08:21,056 --> 00:08:27,920 il accepte le verdict parce qu’il est le verdict de sa cité et il se donne lui-même la mort. 99 00:08:28,490 --> 00:08:35,376 Voilà le premier philosophe, Socrate, mort pour avoir été citoyen jusqu’au bout. 100 00:08:37,310 --> 00:08:42,352 Dans la langue latine, civitas est le dérivé abstrait de civis, 101 00:08:42,720 --> 00:08:48,096 qui désigne la qualité de citoyen et collectivement, de l’ensemble des citoyens. 102 00:08:48,830 --> 00:08:51,728 Civis est un terme de compagnonnage 103 00:08:51,840 --> 00:08:55,872 impliquant communauté de l’habitat et des droits politiques. 104 00:08:56,816 --> 00:09:00,352 Civis désigne la qualité de citoyen, 105 00:09:00,976 --> 00:09:04,896 mais sa traduction authentique est celle de concitoyen. 106 00:09:05,840 --> 00:09:12,160 Il faut voir, dans civis, la désignation que se donnent entre eux, à l’origine, 107 00:09:12,544 --> 00:09:14,832 les membres d’un groupe restreint. 108 00:09:16,060 --> 00:09:18,784 Le latin réussi, avec ce terme, 109 00:09:19,248 --> 00:09:24,032 à montrer parfaitement le concept de partage des droits politiques. 110 00:09:24,910 --> 00:09:30,544 Le civis est le concitoyen qui se définit en opposition à l’étranger. 111 00:09:31,328 --> 00:09:39,104 Civitas désigne une communauté citadine organisée juridiquement qui, comme en Grèce, 112 00:09:39,264 --> 00:09:43,824 se comprend toujours en étroite relation avec l’idée de liberté. 113 00:09:45,424 --> 00:09:48,368 Deuxièmement : Libertas. 114 00:09:50,440 --> 00:09:54,624 La libertas décrit l’état du citoyen. 115 00:09:55,570 --> 00:09:59,264 À Rome, le citoyen est fondamentalement l’homme libre. 116 00:10:00,070 --> 00:10:04,832 La distinction qui caractérise la cité antique entre l’homme et le citoyen 117 00:10:04,976 --> 00:10:06,528 se trouve précisément là. 118 00:10:07,552 --> 00:10:11,232 L’homme comme tel, aux yeux des citoyens de la République, 119 00:10:11,500 --> 00:10:14,368 ne dispose d’aucune liberté individuelle. 120 00:10:15,160 --> 00:10:19,696 Il faut attendre l’action de la pensée grecque sur les juristes romains 121 00:10:19,824 --> 00:10:22,128 pour voir apparaître cette notion nouvelle. 122 00:10:23,140 --> 00:10:28,416 La liberté du concitoyen n’est pas, comme on serait tenté de l’imaginer, 123 00:10:28,592 --> 00:10:30,430 quelque chose qui le débarrasse. 124 00:10:31,270 --> 00:10:35,648 Au contraire, l’homme libre, dans la société antique, 125 00:10:35,950 --> 00:10:40,976 est celui qui est pourvu de la plénitude de ses droits et de ses devoirs. 126 00:10:41,952 --> 00:10:48,192 L’homme libre de l'Antiquité et même celui qui revendique ses charges, qui en est fier. 127 00:10:48,760 --> 00:10:54,480 Il est chargé de responsabilités diverses, il est occupé par ses charges familiales, 128 00:10:54,752 --> 00:11:00,320 religieuses, sociales, économiques et politiques. 129 00:11:01,360 --> 00:11:06,352 Ce sont ses charges, qui donnent le prix et la qualité de sa liberté. 130 00:11:07,060 --> 00:11:10,960 Cette conception de la liberté est devenue totalement étrangère, 131 00:11:11,560 --> 00:11:13,152 à notre monde contemporain. 132 00:11:14,490 --> 00:11:17,696 Notre monde contemporain, généralement, 133 00:11:18,192 --> 00:11:27,952 présente la liberté comme l'opposé de l'occupation : on est libre ou occupé. 134 00:11:28,590 --> 00:11:32,640 Voilà illustrée notre idée moderne de la liberté. 135 00:11:33,630 --> 00:11:38,064 Dans notre monde contemporain, si l'on est libre, on n'est pas occupé, 136 00:11:38,340 --> 00:11:41,056 si l'on est occupé, on n'est plus libre. 137 00:11:41,820 --> 00:11:46,864 Cette idée de liberté est l'inverse de celle des Hommes de l'Antiquité. 138 00:11:47,580 --> 00:11:52,704 Pour les anciens, l'homme libre, c'est précisément celui qui est occupé 139 00:11:53,216 --> 00:11:56,000 et qui revendique même cette occupation. 140 00:11:56,700 --> 00:12:00,400 La liberté est une qualité et comme telle, elle a un prix. 141 00:12:01,050 --> 00:12:03,520 Mais ce n'est pas la seule qualité de la personne. 142 00:12:05,008 --> 00:12:09,232 B : Les qualités privées. 143 00:12:11,980 --> 00:12:15,264 Les qualités privées de la personne, dans l'Antiquité, 144 00:12:15,728 --> 00:12:19,008 ne se détachent pas facilement du modèle public. 145 00:12:19,690 --> 00:12:24,176 Le passage de civitas à societas en est une illustration. 146 00:12:24,820 --> 00:12:29,920 Mais societas introduit cependant la personne dans une sphère privée, 147 00:12:30,128 --> 00:12:34,224 qui ne se confond pas, par exemple, avec le cadre social. 148 00:12:35,120 --> 00:12:37,408 Premièrement : Societas. 149 00:12:38,620 --> 00:12:43,680 Le premier sens de societas n'évoque pas la notion sociale que l'on attend : 150 00:12:44,800 --> 00:12:48,576 il évoque l'association, la réunion. 151 00:12:49,510 --> 00:12:52,576 Societas caractérise l'état du socius. 152 00:12:53,290 --> 00:12:57,312 Le socius, c'est l'associé, le compagnon. 153 00:12:58,630 --> 00:13:01,392 Lorsque Cicéron évoque la société, 154 00:13:01,456 --> 00:13:08,288 il précise qu'il s'agit bien de la société du genre humain, il s'agit des gens. 155 00:13:09,100 --> 00:13:16,032 Il est obligé de préciser, car sinon, ses auditeurs ou ses lecteurs comprendraient 156 00:13:16,080 --> 00:13:18,576 qu'il évoque une réunion associative. 157 00:13:20,170 --> 00:13:24,528 Societas désigne donc un groupement d'individus particuliers, 158 00:13:24,992 --> 00:13:26,544 qui sont intéressés. 159 00:13:27,460 --> 00:13:33,904 Intéressés par le fait de se regrouper, mais aussi par le gain qui peut naître de ce groupe. 160 00:13:34,390 --> 00:13:40,304 La société a en effet, le plus souvent, un but économique, un but lucratif. 161 00:13:41,260 --> 00:13:43,712 La société suppose quatre éléments, 162 00:13:43,840 --> 00:13:48,080 qui constituent chacun une condition vitale, pour la société. 163 00:13:49,680 --> 00:13:58,016 Tout d'abord, la société suppose un apport, il faut un apport de la part de chaque associé. 164 00:13:59,010 --> 00:14:03,216 L'apport évidemment peut varier, mais il a toujours une nature économique. 165 00:14:03,720 --> 00:14:08,336 Ce peut être une chose, ce peut être la jouissance d'une chose, 166 00:14:09,060 --> 00:14:16,176 ce peut être une activité comme le travail ou le talent des associés. 167 00:14:17,520 --> 00:14:22,624 Le socius doit apporter, à la garde des choses mises en société, 168 00:14:22,770 --> 00:14:25,808 le même soin qu'il apporte à ses propres affaires. 169 00:14:26,760 --> 00:14:30,800 Si l'apport d'un associé disparaît, la société disparaît. 170 00:14:33,328 --> 00:14:37,808 Ensuite, la société suppose également un intérêt : 171 00:14:38,480 --> 00:14:42,528 il faut un intérêt commun à tous les associés. 172 00:14:43,190 --> 00:14:46,144 L'expression de l'intérêt se mesure 173 00:14:46,176 --> 00:14:50,672 par la part que les associés prennent aux avantages sociaux et aux pertes. 174 00:14:51,440 --> 00:14:56,016 L'inégalité flagrante qui résulterait d'une société 175 00:14:56,096 --> 00:15:04,010 où un associé recevrait tous les bénéfices et où un autre supporterait toutes les pertes, 176 00:15:04,580 --> 00:15:07,680 entraîne la nullité de la société. 177 00:15:08,750 --> 00:15:13,216 Et c'est là ce que raconte Phèdre, dans sa fable. 178 00:15:15,792 --> 00:15:20,480 "Jamais il n'y a de sûreté à s'associer avec le puissant. 179 00:15:20,910 --> 00:15:27,712 La preuve de ce que j'avance," nous dit Phèdre, "cette courte fable va la donner. 180 00:15:29,080 --> 00:15:34,288 La vache, la chèvre et la brebis résignées à l'injustice, 181 00:15:34,480 --> 00:15:38,624 firent société avec le lion, dans les pâturages des forêts. 182 00:15:39,370 --> 00:15:45,680 Comme ils avaient pris un cerf de grande taille, le lion parla ainsi, après avoir fait les parts : 183 00:15:46,736 --> 00:15:51,536 'Je prends la première, vu mon titre de roi, elle m'appartient. 184 00:15:52,820 --> 00:15:58,272 La seconde, puisque je suis associé, me sera reconnue par vous. 185 00:15:59,260 --> 00:16:05,120 Ensuite, comme je suis plus fort que vous, c'est à moi que reviendra la troisième. 186 00:16:06,850 --> 00:16:09,648 Malheur à qui touchera à la quatrième' ! 187 00:16:10,650 --> 00:16:17,168 Ainsi, la proie tout entière devint le butin de la seule rapacité." 188 00:16:18,690 --> 00:16:24,752 Vous le voyez, la vache, la chèvre et la brebis en société avec le lion, 189 00:16:25,120 --> 00:16:31,552 présentent une société et c'est pour cela qu'elle est qualifiée de léonine. 190 00:16:31,860 --> 00:16:36,864 Les clauses léonines évoquent toujours cette réalité fabuleuse. 191 00:16:38,820 --> 00:16:42,992 La société suppose ensuite et enfin un objet. 192 00:16:43,920 --> 00:16:48,944 La société est un contrat consensuel, qui a un objet. 193 00:16:49,872 --> 00:16:53,856 L'objet, dès lors qu'il est licite, peut être très varié. 194 00:16:54,480 --> 00:16:59,472 Il peut s'agir de la mise en commun des talents d'un esclave au théâtre, 195 00:17:00,330 --> 00:17:05,936 il peut s'agir de l'exploitation de bétail, la culture d'un fonds de terre. 196 00:17:06,800 --> 00:17:10,112 Quel qu'il soit, si l'objet disparaît, la société s'éteint. 197 00:17:11,490 --> 00:17:16,432 La société suppose enfin l'intention de former une société. 198 00:17:17,160 --> 00:17:25,200 Socius est celui qui a cette intention de s'engager avec, d'aller avec. 199 00:17:26,100 --> 00:17:30,000 La société a un caractère dynamique et volontariste. 200 00:17:30,870 --> 00:17:37,040 Sans cette volonté, cette affectio societatis, il peut y avoir une indivision, 201 00:17:37,760 --> 00:17:43,728 il peut y avoir une propriété commune, mais il n'y aura pas de société. 202 00:17:44,760 --> 00:17:52,480 Et il suffit de la volonté contraire d'un seul associé, pour éteindre la société. 203 00:17:55,280 --> 00:17:57,696 Societas rattache donc, vous le voyez, 204 00:17:57,824 --> 00:18:03,136 l'individu à un groupe étroit de personnes associées, de compagnons. 205 00:18:04,384 --> 00:18:07,856 Hereditas, le dernier des six substantifs, 206 00:18:07,984 --> 00:18:13,216 rattache la personne à un groupe encore plus resserré : celui de la famille. 207 00:18:14,576 --> 00:18:17,776 Deuxièmement : Hereditas. 208 00:18:21,110 --> 00:18:28,000 Dans la famille romaine, le père, le pater familias, a la charge du culte familial. 209 00:18:28,700 --> 00:18:35,232 Pour cela, le père choisit par testament, parmi les membres de la famille, un héritier, 210 00:18:35,680 --> 00:18:39,120 qui aura la charge de perpétuer le culte domestique. 211 00:18:40,250 --> 00:18:46,992 Cet héritier, désigné comme le successeur du pater pour célébrer le culte familial, 212 00:18:47,232 --> 00:18:52,816 va avoir une fonction de chef, de tuteur, sur les autres fils. 213 00:18:53,960 --> 00:18:58,064 Sans avoir la potestas complète du père, 214 00:18:58,460 --> 00:19:02,016 il a, sur le groupe familial, une certaine auctoritas. 215 00:19:02,960 --> 00:19:07,920 Cette auctoritas vient de sa qualité de gardien des traditions du groupe. 216 00:19:09,610 --> 00:19:15,168 Le soin du culte domestique, reçu à l'origine comme un honneur, 217 00:19:15,520 --> 00:19:19,200 devient au fur à mesure de la désaffection des Romains 218 00:19:19,440 --> 00:19:22,752 pour leur ancienne religion, une charge. 219 00:19:23,470 --> 00:19:25,728 Elle est progressivement évitée, 220 00:19:26,400 --> 00:19:33,392 contournée et elle tombe finalement en décadence complète, à la fin de la République. 221 00:19:34,144 --> 00:19:39,310 Pourtant, la responsabilité du culte familial est essentielle 222 00:19:39,360 --> 00:19:42,224 pour comprendre celle du pater familias 223 00:19:42,608 --> 00:19:45,952 dont le pouvoir dans la famille est considérable. 224 00:19:47,140 --> 00:19:50,112 Le pater représente juridiquement sa famille. 225 00:19:51,190 --> 00:19:56,080 Chaque membre de la famille, quel que soit son âge ou son sexe, 226 00:19:56,290 --> 00:20:02,592 lui est aliéné et reste juridiquement incapable pendant toute la vie du père. 227 00:20:03,400 --> 00:20:08,112 Le pater familias condense, sur sa tête et jusqu'à sa mort, 228 00:20:08,260 --> 00:20:13,456 une pleine capacité juridique, il en a seul l'exclusivité. 229 00:20:14,430 --> 00:20:21,424 Il suspend durant sa vie pour les autres membres de la familia l'exercice de tout droit. 230 00:20:22,420 --> 00:20:25,744 Se trouvent concernés par cette incapacité : 231 00:20:26,112 --> 00:20:34,160 la femme, les fils, les filles non mariées et a fortiori, les enfants des fils. 232 00:20:35,270 --> 00:20:39,136 Toute la famille lui est juridiquement aliénée, 233 00:20:39,392 --> 00:20:42,976 alors que lui n'est soumis à l'autorité de personne. 234 00:20:44,270 --> 00:20:47,248 C'est seulement à la mort du pater familias, 235 00:20:47,888 --> 00:20:52,864 que les fils de la génération suivante deviennent héritiers, 236 00:20:53,776 --> 00:20:59,216 donc chefs de famille, et peuvent faire souche à leur tour. 237 00:21:00,820 --> 00:21:06,272 À la mort de leur père, les fils héritent du plein exercice de leurs droits : 238 00:21:07,168 --> 00:21:10,848 ils deviennent donc responsables et libres. 239 00:21:11,830 --> 00:21:18,800 Ils peuvent alors, à leur tour, fonder une famille identifiée.