1 00:00:07,320 --> 00:00:12,340 Bonjour à tous et bienvenue à ce cours sur Alfred Marshall et l'équilibre partiel. 2 00:00:13,110 --> 00:00:16,980 Nous sommes toujours dans le chapitre 1, l'école néoclassique. 3 00:00:17,460 --> 00:00:23,640 Nous abordons la section 3 partie 2,  Alfred Marshall et l'équilibre partiel. 4 00:00:25,200 --> 00:00:27,300 Nous avons vu dans la partie précédente 5 00:00:27,540 --> 00:00:31,080 comment, à partir d'une analyse du consommateur et de l'entreprise,  6 00:00:31,360 --> 00:00:33,800 Marshall arrivait à la conclusion suivante. 7 00:00:34,240 --> 00:00:37,620 Plus le prix d'un bien est faible, plus les consommateurs en demandent,  8 00:00:37,620 --> 00:00:39,800 mais moins les entreprises en offrent. 9 00:00:41,400 --> 00:00:43,360 Marshall s'intéresse alors à confronter 10 00:00:43,360 --> 00:00:46,400 les demandes des consommateurs et les offres des entreprises, 11 00:00:46,720 --> 00:00:51,380 en regardant ce qui se passe sur le marché d'un seul bien à la fois. 12 00:00:52,120 --> 00:00:53,940 Par exemple, le marché de l'orange. 13 00:00:54,910 --> 00:00:59,140 C'est ce que l'on appelle une analyse en équilibre partiel. 14 00:01:00,430 --> 00:01:06,160 Nous allons, dans I, définir la notion d'équilibre partiel mise en évidence par Marshall,  15 00:01:06,560 --> 00:01:10,700 puis nous verrons dans II, le rôle du temps dans l'analyse. 16 00:01:11,470 --> 00:01:17,980 Enfin, pour finir, dans III, nous ferons le point sur la portée de l'œuvre d'Alfred Marshall. 17 00:01:21,640 --> 00:01:24,300 I. l'équilibre partiel. 18 00:01:25,650 --> 00:01:27,540 D'où vient la valeur des biens ? 19 00:01:28,410 --> 00:01:31,550 Nous avons vu que les classiques la faisaient principalement reposer 20 00:01:31,550 --> 00:01:33,480 sur le coût de production. 21 00:01:34,800 --> 00:01:39,700 Au contraire, les marginalistes ont montré qu'elle provient de l'utilité marginale. 22 00:01:41,360 --> 00:01:44,280 Marshall réussit à faire la synthèse entre ces deux idées. 23 00:01:46,040 --> 00:01:49,200 Pour cela, il regarde ce qui se passe sur le marché d'un seul bien 24 00:01:49,200 --> 00:01:51,720 sans considérer les autres marchés. 25 00:01:52,710 --> 00:01:58,620 L'étude d'un équilibre économique restreint à un seul marché se définit 26 00:01:58,620 --> 00:02:01,160 comme une analyse en équilibre partiel. 27 00:02:03,440 --> 00:02:07,840 Marshall est bien sûr conscient que les marchés sont souvent interdépendants 28 00:02:07,840 --> 00:02:10,100 et peuvent s'influencer les uns les autres. 29 00:02:10,710 --> 00:02:15,200 Ainsi, le marché de l'orange dépend fortement du marché des clémentines ou des pamplemousses. 30 00:02:16,770 --> 00:02:22,560 Pour contrer ce problème, Marshall  utilise le terme latin "ceteris paribus",  31 00:02:23,200 --> 00:02:26,240 ce qui signifie "toute chose égale par ailleurs". 32 00:02:27,720 --> 00:02:32,440 Il décide alors d'étudier un marché ceteris paribus, 33 00:02:32,580 --> 00:02:35,880 c'est-à-dire en négligeant l'influence des autres marchés. 34 00:02:38,190 --> 00:02:41,660 Sur ce marché supposé être en concurrence pure et parfaite,  35 00:02:42,200 --> 00:02:49,560 Marshall confronte l'offre collective de biens et la demande collective de ce bien. 36 00:02:50,680 --> 00:02:52,700 Comme on l'a vu dans la section précédente, 37 00:02:53,420 --> 00:02:57,940 la demande collective pour un bien est une fonction décroissante du prix du marché, 38 00:02:58,440 --> 00:03:04,860 et puis au contraire, l'offre collective d'un bien est une fonction croissante du prix de marché. 39 00:03:06,810 --> 00:03:12,400 Les fonctions d'offre et de demande collective varient alors en sens inverse. 40 00:03:13,160 --> 00:03:16,060 Elles se croisent en un point particulier 41 00:03:16,300 --> 00:03:20,560 où les quantités demandées sont égales aux quantités offertes de biens 42 00:03:20,560 --> 00:03:22,560 pour un prix particulier. 43 00:03:23,970 --> 00:03:30,660 Ce prix, c'est le prix d'équilibre du marché qui détermine le niveau des échanges. 44 00:03:31,290 --> 00:03:34,980 C'est donc lui qui fixe la valeur du bien considéré. 45 00:03:37,080 --> 00:03:40,620 Une citation très célèbre de Marshall traduit cette situation, 46 00:03:42,020 --> 00:03:48,260 "le prix et la quantité échangée d'un bien sont simultanément déterminés par deux forces 47 00:03:48,860 --> 00:03:50,420 qui jouent symétriquement, 48 00:03:50,500 --> 00:03:55,680 comme les deux lames d'une paire de ciseaux coupent ensemble une feuille de papier."  49 00:03:56,180 --> 00:03:57,360 Fin de citation. 50 00:03:59,650 --> 00:04:02,280 On va prendre maintenant un exemple graphique. 51 00:04:03,180 --> 00:04:05,180 Si l'on fait une représentation graphique 52 00:04:05,180 --> 00:04:07,420 où l'on porte en abscisse les quantités produites 53 00:04:07,420 --> 00:04:10,160 et en ordonnée le prix unitaire du bien, 54 00:04:11,250 --> 00:04:16,720 on peut représenter une fonction d'offre collective croissante avec le prix, 55 00:04:17,020 --> 00:04:18,060 c'est la droite O, 56 00:04:18,140 --> 00:04:22,360  et une fonction de demande collective décroissante avec le prix, c'est la droite D. 57 00:04:23,130 --> 00:04:26,140 Ces deux droites se coupent en un point I  58 00:04:26,140 --> 00:04:30,940 qui représente le point d'équilibre sur le marché du bien considéré. 59 00:04:32,730 --> 00:04:38,980 Sur le graphique, ce point a pour coordonnée la quantité X* et le prix P*. 60 00:04:41,060 --> 00:04:45,240 Le prix P* est donc le prix qui équilibre le marché du bien considéré,  61 00:04:45,540 --> 00:04:47,500 et qui explique la valeur de ce bien. 62 00:04:48,290 --> 00:04:51,660 À ce prix d'équilibre, la quantité X* est échangée. 63 00:04:54,450 --> 00:04:58,300 En raison des différentes hypothèses émises par Marshall dans son étude, 64 00:04:59,010 --> 00:05:03,140 concurrence pure et parfaite,  utilité marginale décroissante, 65 00:05:03,260 --> 00:05:09,880 productivité marginale décroissante, cet équilibre présente trois caractéristiques. 66 00:05:11,000 --> 00:05:13,360 Première caractéristique, l'existence. 67 00:05:14,520 --> 00:05:18,120 La forme des fonctions d'offre et de demande établies par Marshall sont telles 68 00:05:18,120 --> 00:05:20,540 qu'elles se rencontrent forcément en un point. 69 00:05:20,940 --> 00:05:23,200 Il y a donc toujours un point d'équilibre. 70 00:05:25,530 --> 00:05:27,480 Deuxièmement, l'unicité. 71 00:05:28,800 --> 00:05:30,640 Cet équilibre est unique. 72 00:05:30,720 --> 00:05:34,680 Pour un prix donné, une seule quantité de biens est échangée. 73 00:05:36,860 --> 00:05:40,380 Enfin, troisièmement, la stabilité. 74 00:05:41,500 --> 00:05:46,000 Le marché a tendance à atteindre ce point d'équilibre, 75 00:05:46,050 --> 00:05:48,260 quelles que soient les forces en présence,  76 00:05:48,460 --> 00:05:52,420 même s'il doit résulter d'un processus de tâtonnement 77 00:05:52,420 --> 00:05:54,000 qui peut prendre un petit peu de temps. 78 00:05:55,000 --> 00:05:59,380 Le marché peut donc osciller un certain temps autour de son prix d'équilibre 79 00:05:59,380 --> 00:06:00,780 avant de l'atteindre. 80 00:06:00,980 --> 00:06:06,380 Pour Marshall, c'est la parfaite flexibilité des prix à la hausse comme à la baisse, 81 00:06:06,620 --> 00:06:12,000 ainsi que le bon fonctionnement des marchés supposés concurrentiels,  82 00:06:12,380 --> 00:06:16,440 qui vont garantir l'atteinte de cet équilibre. 83 00:06:17,610 --> 00:06:23,680 Du coup, toute fixation arbitraire par l'État d'un prix plafond 84 00:06:23,760 --> 00:06:28,480 ou d'un prix plancher ne ferait qu'entraver le processus d'équilibre. 85 00:06:29,250 --> 00:06:31,640 II, le rôle du temps. 86 00:06:33,170 --> 00:06:37,800 Marshall complexifie son analyse en introduisant le temps. 87 00:06:38,130 --> 00:06:39,920 Il distingue trois périodes. 88 00:06:40,500 --> 00:06:44,920 La période de marché, la courte période et la longue période. 89 00:06:47,070 --> 00:06:52,260 Selon la période considérée, la fonction d'offre n'a pas tout à fait la même forme. 90 00:06:55,260 --> 00:06:59,100 La période de marché correspond à une période extrêmement brève  91 00:06:59,360 --> 00:07:02,760 où la production n'a pas le temps d'être modifiée. 92 00:07:03,030 --> 00:07:05,140 L'entreprise n'a pas de marge de manœuvre,  93 00:07:05,580 --> 00:07:09,380 et sa principale motivation est d'écouler sa production. 94 00:07:10,060 --> 00:07:14,980 Dans ce cas, la fonction d'offre collective devient verticale. 95 00:07:14,980 --> 00:07:17,080 Elle devient rigide face aux prix. 96 00:07:18,010 --> 00:07:21,080 La demande collective est toujours décroissante avec le prix. 97 00:07:22,420 --> 00:07:25,960 L'équilibre est donc déterminé par l'intersection de l'offre et de la demande. 98 00:07:26,700 --> 00:07:32,560 Mais ici, quel est l'élément déterminant qui va fixer le prix du bien ? 99 00:07:32,620 --> 00:07:33,840 Eh bien, c'est la demande. 100 00:07:35,560 --> 00:07:41,320 En courte période, les producteurs peuvent adapter leur production 101 00:07:41,320 --> 00:07:44,120 en embauchant plus ou moins de travailleurs. 102 00:07:45,620 --> 00:07:51,360 On revient à la courbe d'offre qu'on avait précédemment décrite dans le I. 103 00:07:52,390 --> 00:07:57,280 On a une fonction d'offre qui est croissante,  car le rendement des facteurs est décroissant. 104 00:07:58,950 --> 00:08:02,360 La demande, elle, a toujours la même forme,  c'est une fonction décroissante du prix. 105 00:08:03,090 --> 00:08:07,020 Et donc l'équilibre se situe à l'intersection de l'offre et de la demande collective. 106 00:08:07,020 --> 00:08:08,820 C'est ce qu'on avait étudié jusqu'à présent. 107 00:08:10,890 --> 00:08:13,740 Et puis, on a la longue période. 108 00:08:15,000 --> 00:08:20,280 La longue période se caractérise par deux éléments tout à fait nouveaux. 109 00:08:21,530 --> 00:08:26,340 Tout d'abord, les entrepreneurs disposent du temps nécessaire 110 00:08:26,520 --> 00:08:29,580 pour faire évoluer leur appareil de production. 111 00:08:32,100 --> 00:08:35,940 À côté de ces ajustements, en termes de capacité de production, 112 00:08:36,150 --> 00:08:41,020 ils peuvent également mettre en place des ajustements liés à la concurrence. 113 00:08:44,040 --> 00:08:49,200 En effet, à tout moment, de nouveaux entrepreneurs arrivent sur le marché. 114 00:08:49,620 --> 00:08:53,900 En tout cas, tant que des possibilités de profit existent. 115 00:08:55,670 --> 00:08:58,920 Du coup, les entreprises les moins rentables disparaissent,  116 00:08:59,040 --> 00:09:02,820 celles dont les coûts de production sont les plus importants. 117 00:09:04,980 --> 00:09:08,700 Cette concurrence accrue a pour conséquence une augmentation de l'offre, 118 00:09:08,900 --> 00:09:12,320 une baisse généralisée des coûts de production 119 00:09:12,800 --> 00:09:18,280 et donc une baisse du prix d'équilibre qui se réduit,  120 00:09:18,740 --> 00:09:23,540 et qui réduit également le profit des entreprises. 121 00:09:26,230 --> 00:09:33,780 Au terme du processus, dans le très long terme, le profit des entreprises devient donc nul. 122 00:09:34,900 --> 00:09:39,240 Graphiquement, la fonction de demande est toujours décroissante avec le prix,  123 00:09:39,240 --> 00:09:40,500 elle ne change pas. 124 00:09:41,260 --> 00:09:49,100 En revanche, ce qui va changer, c'est la fonction d'offre des entreprises qui va se modifier,  125 00:09:49,320 --> 00:09:54,440 qui va devenir décroissante et qui peut même devenir totalement horizontale. 126 00:09:55,660 --> 00:09:59,420 En d'autres termes, sur la longue période,  127 00:09:59,580 --> 00:10:03,140 le coût de production aurait une influence cette fois-ci 128 00:10:03,140 --> 00:10:05,220 prédominante sur la valeur d'un bien. 129 00:10:06,100 --> 00:10:12,840 En résumé, Marshall montre que plus la période étudiée est courte,  130 00:10:13,340 --> 00:10:18,220 plus le prix d'un bien est déterminé par la demande et donc par l'utilité. 131 00:10:18,270 --> 00:10:20,200 Ce que démontraient les marginalistes. 132 00:10:20,830 --> 00:10:28,300 En revanche, plus elle est longue, plus le rôle de l'offre et du coût de production prédomine, 133 00:10:28,880 --> 00:10:30,840 ce que développaient  au contraire les classiques. 134 00:10:32,810 --> 00:10:39,100 La théorie de Marshall apparaît alors comme une théorie globale et unificatrice  135 00:10:39,100 --> 00:10:41,280 entre les précédentes théories. 136 00:10:44,010 --> 00:10:47,480 III, la portée de l'œuvre de Marshall. 137 00:10:49,140 --> 00:10:51,440 L'analyse de Marshall est très novatrice. 138 00:10:51,440 --> 00:10:55,960 Ce qui explique qu'elle soit devenue une des références en microéconomie. 139 00:10:57,720 --> 00:11:02,740 Tout d'abord, elle fait de façon rigoureuse la synthèse entre les idées classiques 140 00:11:02,880 --> 00:11:05,720 et celles des marginalistes  sur la valeur des biens. 141 00:11:06,950 --> 00:11:12,860 La théorie de la valeur de Marshall est donc appelée souvent une théorie unificatrice. 142 00:11:12,880 --> 00:11:14,280 C'est ce que l'on vient de voir. 143 00:11:16,680 --> 00:11:17,680 Par ailleurs,  144 00:11:18,680 --> 00:11:23,520 elle montre comment fonctionne un marché en situation de concurrence pure et parfaite. 145 00:11:24,160 --> 00:11:30,440 Grâce à cette analyse, Marshall est considéré comme le père de la loi de l'offre et de la demande. 146 00:11:33,270 --> 00:11:37,860 Par ailleurs, l'analyse de Marshall prend en compte l'aspect temporel, 147 00:11:37,860 --> 00:11:40,660 car cette analyse introduit le temps. 148 00:11:40,950 --> 00:11:44,620 Elle permet alors d'expliquer le comportement des entreprises. 149 00:11:47,050 --> 00:11:52,340 Et puis, cette analyse qui s'effectue  "ceteris paribus" présente l'avantage 150 00:11:52,460 --> 00:11:58,140 de pouvoir étudier en détail le fonctionnement d'un marché dans diverses situations, 151 00:11:58,900 --> 00:12:01,160 et même de comparer cette situation. 152 00:12:01,160 --> 00:12:04,660 On dit qu'on fait un raisonnement en statique comparative,  153 00:12:05,100 --> 00:12:07,760 qui est un autre outil d'analyse extrêmement développé par Marshall 154 00:12:07,760 --> 00:12:10,180 qui sera beaucoup étudié par la suite. 155 00:12:11,970 --> 00:12:15,180 Voilà pour les avantages de l'œuvre de Marshall. 156 00:12:16,920 --> 00:12:20,180 Mais bien sûr, cette analyse présente quand même quelques faiblesses. 157 00:12:21,430 --> 00:12:25,780 La principale critique que l'on puisse lui faire,  158 00:12:25,780 --> 00:12:29,360 c'est que cette analyse est en équilibre partiel 159 00:12:30,080 --> 00:12:34,360 et donc elle constitue une représentation extrêmement simplifiée de la réalité, 160 00:12:34,360 --> 00:12:42,140 puisqu'on fait une étude en isolant un marché avec une analyse "ceteris paribus", 161 00:12:42,340 --> 00:12:46,120 et on ne s'intéresse absolument pas à ce qui se passe sur les autres marchés. 162 00:12:48,210 --> 00:12:51,660 Ainsi, lorsque l'on essaie de comprendre ce qui se passe sur le marché du bien,  163 00:12:51,660 --> 00:12:55,100 on ne s'intéresse absolument pas à ce qui se passe sur les autres marchés 164 00:12:55,440 --> 00:12:59,260 qui sont considérés comme non fluctuants et fixes, 165 00:12:59,420 --> 00:13:01,860 ce qui est une hypothèse extrêmement forte. 166 00:13:03,200 --> 00:13:07,140 Walras, que nous allons étudier dans la section suivante, 167 00:13:07,320 --> 00:13:13,360 remédie à cette faiblesse avec son analyse en équilibre général.